Les masques tombent (partie 3)
12H30 - Hangar abandonné
AGNÈS
Les effets des antalgiques commençaient à disparaître et Gordon se réveillait peu à peu. Agnès le veillait depuis maintenant douze heures. Elle n'avait pas pu dormir, Elena n'avait pas répondu au message qu'elle lui avait envoyé quelques heures plus tôt. C'était stupide, sa fille s'était plutôt bien débrouillée jusque-là, avec ou sans son aide. C'était une battante, une jeune femme pleine de courage.
Elle entendit soudain une forme de plainte. Gordon était réveillé. Elle appréhendait la réaction du jeune homme. Par précaution, elle lui avait pris tous ses effets personnels et il n'avait aucun moyen de contacter qui que ce soit.
- Qui... Qui êtes-vous ?
Sa voix était faible et rauque. Son teint blafard lui donnait une allure cadavérique qui contrastait avec sa corpulence sportive. Agnès s'approcha du lit médicalisé qu'elle avait spécialement fait amener dans ce hangar.
- Tu es en sécurité à présent. Tu as perdu beaucoup de sang mais tu vas t'en sortir. Je ne sais pas si tu te souviens de ce qui s'est passé mais ça nous aiderait beaucoup que tu te souviennes de qui t'a fait çà...
- Vous... Vous êtes de la police ?
Dans un autre contexte Agnès aurait éclaté de rire, mais les enjeux étaient beaucoup trop importants pour qu'elle se permette ce luxe.
- Non... J'appartiens toujours, en tant qu'informatrice, à la DGSE française. Je suis la mère d'Elena David.
- Oh. La prof ?
- Elle est bien plus que cela...
Gordon essaya de bouger mais son visage se tordit sous le coup de la douleur. Il retomba essoufflé sur le matelas et regarda le plafond de ces grands yeux caramel.
- Il a dit qu'il s'appelait Adam.
Oh non... Cet homme était fou à lier... Mais Agnès savait pertinemment qu'il n'était pas le plus grand danger. Le monstre était tapi dans l'ombre et elle n'arrivait pas à percevoir les contours de cette créature de l'enfer. Adam était certes quelqu'un dont il fallait se méfier, mais il était trop bête et l'organisation n'était pas son point fort.
- Comment va Diana ?
Le regard du jeune homme était à présent rempli d'inquiétude. Ils étaient les Roméo et Juliette de la nouvelle époque. Gordon semblait réellement attaché à cette belle blonde aux yeux saphir et au teint de porcelaine.
- Elle va bien. Elle est à l'hôpital, dans un service sécurisé...
- Vous voulez dire chez les timbrés ? Elle mérite tellement mieux. Je n'ai vraiment rien vu, j'aurais dû être là pour elle. Si ses parents n'étaient pas aussi stupides elle...
- Gordon, tu sais que ça ne sert strictement à rien ce que tu fais ? Quand quelqu'un a décidé de... passer à l'acte, les membres les plus proches de sa vie sont les premiers étonnés.
Alors qu'elle allait relancer la conversation avec son protégé, son téléphone vibra. Le numéro qui s'affichait sur l'écran lui était inconnu. Son cœur rata un battement... Personne d'autres que ceux qui se trouvaient dans son répertoire ne devait l'appeler. La main tremblante, elle décrocha et porta l'appareil à son oreille.
- Bonjour Agnès.
- Nicolas.
Elle avait reconnu immédiatement la voix de son ex-mari, aussi doucereuse que tranchante. Son cœur se mit à battre la chamade, l'univers autour d'elle semblait disparaître, elle se retrouvait seule...
- Je voulais te prévenir que je sais exactement où tu te caches à présent. Si tu croyais m'échapper en traversant un océan, tu te trompais lourdement ma douce.
- Ce n'est pas moi que tu cherches Nicolas, on le sait tous les deux. Est-ce que c'est ton œuvre tout ce cirque ? Je ne te voyais pas en serial killer, ni t'allier à une petite main comme Adam... L'ex de ta fille, tu es sérieux mon cher ?
- En vérité je n'ai même pas lever le petit doigt, tout m'est arrivé tout cru dans la bouche. Quelqu'un m'a promis quelque chose et j'ai fait le voyage afin d'organiser une petite réunion de famille.
- Si tu crois que l'on va accepter de te rencontrer Elena et moi, tu as du culot et en plus tu as la mémoire courte.
- Mais Agnès... Je ne te laisse pas le choix.
Soudain, un énorme SUV brisa l'entrée du hangar et des tirs de mitraillettes se firent entendre, des MAT 49, les pistolets mitrailleurs utilisés par l'armée française depuis les années 50. Agnès, en reconnaissant le type d'armes, savait donc exactement à qui elle allait devoir faire face. Les tirs cessèrent lorsque tous les gardes furent à terre, noyés dans leur sang. Gordon n'avait pas été touché mais il tremblait de peur. Quant à Agnès, elle essaya de distinguer la silhouette qui descendait du SUV. Aucun doute, Nicolas David était en visite sur le territoire américain. Sa démarche assurée et élancée était caractéristique et quand elle aperçue ses cheveux poivre et sel dépasser d'un chapeau en feutre, son corps se figea. Du haut de ses un mètre quatre-vingt-dix, Nicolas David, grand criminel européen, en imposait. Il savait autant jouer de ses charmes que de ses techniques de combat rapproché. Par réflexe Agnès entreprit de poser la main sur son arme. Nicolas s'arrêta et l'observa avec attention. Ses lèvres s'élargirent en un sourire carnassier.
- Allons Agnès... Tu me déçois ma belle... Je pensais que tu avais compris que je n'étais pas assez bête pour prendre d'assaut qu'une seule entrée.
Effectivement quand elle se retourna, elle vit au moins une dizaine d'hommes qui la maintenaient en joug.
Son ex-mari s'approcha encore d'un peu plus près jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'à quelques centimètres. Il pencha son beau visage et embrassa celle qui avait été autrefois son épouse fidèle. Agnès garda les lèvres scellées et refusa de lui rendre son baiser. Elle tremblait à la fois de rage et de peur. Quand Nicolas éloigna ses lèvres des siennes, elle pouvait sentir sa colère. C'était une bombe qui menaçait d'exploser à tout instant. Agnès était terrorisée car elle ne connaissait pas les chiffres du minuteur : combien de temps lui restait-t-il ?
- Tu n'es qu'une petite salope...
Ce fut les derniers mots qu'elle entendit avant qu'un des sbires de son ancien amour lui afflige un coup violent derrière la tête. Agnès perdit connaissance et s'écrasa lourdement sur le sol en béton.
*******
Quand elle reprit ses esprits, Agnès était ligotée à une chaise en fer au milieu d'une pièce vide. Seule une faible ampoule tranchait faiblement l'obscurité. De la terre battue servait de sol à cet endroit sinistre. Alors que la mère d'Elena croyait être seule, elle entendit un faible cliquetis de chaines transpercer le silence. Elle tenta de se retourner vers le bruit mais une douleur fulgurante s'empara de tout son crâne. Du sang avait séché sur ses tempes et dans sa nuque. Soudain, un rai de lumière illumina la pièce. Une porte s'était ouverte et un homme entra. Elle savait déjà de qui il s'agissait et elle se promit intérieurement que s'il approchait de trop près, elle lui cracherait à la figure.
- On a bien dormi ?
Nicolas David ne se lassait jamais de ses plaisanteries douteuses et prenait un malin plaisir à voir souffrir son ex-femme. Cependant Agnès ne se laissa pas intimider et décida de l'attaquer de front avec ce qu'il lui restait : sa voix.
- Va crever en enfer sale enfoiré, tu ne perds rien pour attendre ! Je te jure que tu paieras, je t'en fais la promesse
- Oh... Chérie... On sait tous les deux que tu aurais pu me tuer il y a longtemps. Pourquoi n'es-tu jamais passé à l'acte hein ?
Il s'approcha lentement d'elle. Agnès aperçu une longue lame dans sa main droite et elle n'eut pas le temps de réagir que déjà l'arme tranchante se matérialisa sur sa joue.
- Tu sais à quel point tu m'as fait du mal Annie ?
C'était le surnom qu'il lui donnait alors qu'ils n'étaient encore que de jeunes mariés. Dieu sait qu'elle l'avait aimé, une passion dévorante s'était emparée de tout son être lorsqu'elle l'avait connu. Cependant, plus les années passèrent, plus son travail à la DGSE devenait un problème insoluble. Quand elle avait vu ce dont était capable son mari, grâce à l'aide des renseignements russes, elle avait été bouleversée. Andreï Arazov avait été gentil et doux avec Agnès. Il lui avait promis qu'il trouverait une solution durable pour la sortir de cet enfer. L'entreprise de son mari allait du trafic d'êtres humains, jusqu'au meurtre organisé. Nicolas David avait même financé des dictateurs qui assassinaient leur population. Cet homme le répugnait et, pour un agent des renseignements, elle avait été bien stupide de croire que le trafic de son mari se limitait à la drogue et aux armes. Tomber amoureuse d'une de ces cibles, quelle ironie... C'était digne d'un mauvais film d'espionnage.
Andreï l'avait logé pendant quelques temps. Il fallait qu'elle retrouve ses esprits et qu'elle prépare son plan pour faire tomber son mari. L'oligarque russe avait tout un projet, une collection d'informations à n'en plus finir. Elle lui faisait confiance et pour la première fois de sa vie, Agnès se sentait totalement en sécurité. Il était plus âgé qu'elle de vingt ans mais il avait du charme et cette beauté mature l'avait séduite. Une seule nuit avait suffi pour qu'elle tombe enceinte... Elle avait fait confirmer ses doutes par une analyse qu'Andreï avait accepté de faire.
À cet instant elle s'était sentie vulnérable et la seule solution qui lui semblait possible : se taire et accepter. Nicolas David était fier d'avoir enfin un descendant, surtout que cela faisait des années qu'ils essayaient d'avoir un enfant. Quand il avait vu sa fille pour la première fois, Agnès savait qu'il l'avait aimé. Ses yeux étaient brillants de fierté. Cependant, connaissant le côté violent et irascible du personnage, s'il apprenait la vérité, s'en était fini...
Agnès avait ignoré les multiples tentatives de contact d'Andreï et voulait trouver une solution avec la DGSE. Cependant, les moyens de la direction française n'étaient pas les mêmes que ceux du KGB... Elle dût se rendre à l'évidence, sa fille grandissait et elle avait besoin de protection. Nicolas David pouvait la leur apporter...
Ce fameux soir de Noël, quand son mari avait convoqué Andreï pour affaires, Agnès savait pertinemment qu'il avait l'intention de le torturer afin de le faire parler. Elle ne pouvait pas le laisser faire. Elle s'était sentie en danger mais elle pensait surtout à sa jeune fille de dix ans. Andreï avait appris à la connaître durant la soirée... Ils avaient les mêmes yeux, deux magnifiques émeraudes. Agnès l'avait laissé profiter de sa fille mais lorsque Nicolas la prévint qu'il comptait à présent s'entretenir avec Andreï, elle avait proposé de se charger de son interrogatoire. Il avait fallu beaucoup d'arguments pour convaincre son mari, mais celui-ci avait finalement lâché. Elle avait interrompu le vieil homme en pleine danse avec sa fille. Elle se rappellerait toujours les yeux d'Elena à cet instant : un regard rempli d'incompréhension et de déception.
Andreï lui avait confié qu'il avait caché dans l'un des cadeaux de la petite toutes les informations nécessaires pour faire tomber Nicolas. Il voulait qu'Agnès le rejoigne à St Pétersbourg avec sa fille. Cependant, elle décida de la jouer en solitaire et elle assassina celui qui lui avait pourtant tendu la main. Il ne parlerait pas, il ne mettrait pas en danger sa petite Elena... Une chose était certaine, si elle avait laissé son mari s'occuper de la torture du pauvre homme, il aurait tout lâché. Quand on tombait sous les mains habiles de Nicolas David, on était prêt à trahir mère et enfant.
Agnès s'était renfermée sur elle-même mais n'avait pas abandonné la partie. Si elle voulait qu'Elena soit en sécurité, elle devait en faire une guerrière avant tout. Les informations lui seraient utiles une fois qu'elle se serait assurée que sa fille ne risquait plus rien...
Une douleur l'arracha de ses pensées. Nicolas avait entamé la peau de son visage. La lame était aiguisée et Agnès savait qu'il n'allait pas s'arrêter là.
- Allons mon cœur, tu sais ce que je veux. Ne m'oblige pas à abîmer ce joli minois. Tu me diras tout, d'une manière ou d'une autre...
- Plutôt crever !
- Même si cela met en danger ta fille ?
- Elena est en sécurité
- Je n'en serais pas si sûre à ta place chérie...
Cette fois, Agnès redouta la pire. Elle prenait les paroles de son mari au sérieux. Mais avant qu'elle ait pu dire quoi que ce soit, un cri déchirant s'éleva des ténèbres. Il venait d'une pièce voisine à celle où elle était détenue. Non... Elena...
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