Les histoires ont toujours une fin

ELENA

Vera se mit à fermer délicatement les paupières de sa fille et j'entendais encore ses sanglots transpercer le silence environnant, alors que je me dirigeai à nouveau vers l'entrepôt, accompagné de mes deux héros.

Ma poitrine était compressée et, seul le contact réconfortant de Princeton m'aidait à ne pas flancher. Il me maintenait par la taille et appuyait chacun de mes pas, j'avais la nette impression que je m'accrochais à lui comme à une bouée de sauvetage. Mes jambes ne me portaient plus et un sentiment d'épuisement envahissait chacun de mes membres, mes muscles étaient éreintés et usés, ma tête me faisait atrocement souffrir, sans parler de mon cœur qui saignait pour les pertes que nous avions tous subies.

Soudain, Jacob, qui ouvrait la marche, nous intima de nous arrêter en barrant le passage de son bras. Des gyrophares transperçaient l'obscurité qui commençait à descendre sur New-York et j'entendis clairement les forces d'intervention policières se mettre en branle. David avait dû les prévenir car je ne l'avais pas revu depuis l'instant où je l'avais laissé s'occuper des armes de secours.

Je vis le doute et la peur s'immiscer dans le regard de mes deux sauveurs. Non. Il ne fallait plus de tout cela, et je compris à ce moment précis ce que j'avais à faire :

- Il faut avancer, on ne peut pas tout porter sur nos épaules indéfiniment. C'est ce qu'a fait ma mère et finalement regardez où ça l'a mené. C'est terminé maintenant, il est temps de passer le témoin vous ne croyez-pas ?

- J'ai tué un homme Ellie.

- Quoi ?

Je regardai Princeton droit dans les yeux sans véritablement intégrer ce qu'il venait de me révéler. Je ne voulais tellement pas qu'il perde son innocence pour moi...

- Je suis sûre que c'était de la légitime défense...

- C'était Adam.

- Oh.

Je ne savais pas ce que je ressentais à cet instant précis : du soulagement ? un brin de tristesse ? Finalement, rien de tout cela. Je ne ressentais plus aucun sentiment pour cet homme qui avait choisi le mauvais côté, qui s'était soumis à ses vieux démons et avait pactisé avec le diable sans se soucier des conséquences. Cela faisait-il de moi quelqu'un de cruel ? Peut-être. Mais, en toute honnêteté, le monde ne pouvait fonctionner dans le manichéen, pas le mien. Alors que les deux garçons s'y attendaient le moins, je pris de nouveau la parole, mon assurance retrouvée :

- Vous savez quoi ? Laissons la police faire son travail d'investigation. Je crois que je vais déverrouiller ces fichiers et directement les adresser à différents journaux nationaux ainsi qu'à plusieurs services de sécurité du monde entier. Il faut être sûr que les informations ne seront pas biaisées, utilisées à d'autres fins que celles que nous désirons. Je vais aussi créer un blog où les informations seront brutes, sans fioritures et à la portée de tous. Une fois tout cela posté, nous serons libérés une bonne fois pour toute.

Jacob et Princeton demeurèrent interdits et me fixaient sans que je puisse déchiffrer leur regard. C'est mon beau brun aux yeux d'ébène qui décida de briser le silence :

- Mais... que fait-on de ta mère et de Vera ?

- Elles se sont débrouillées pendant des années, bien avant que je sois née, pour disparaître ou se faire oublier, alors je ne pense pas qu'elles auront besoin de notre aide. Gordon et Diana seront sûrement pris en charge par les services médicaux, donc je ne m'inquiète pas non plus pour eux. En revanche j'ai une dernière faveur à vous demander.



ELENA

J'avais précieusement gardé le morceau de papier qui indiquait l'adresse où se trouvait mon trésor. Mes mains tremblaient alors que nous nous trouvions tous les trois en bas de l'immeuble. Nous avions abandonné nos armes près des voitures de police en faisant attention d'effacer toutes nos empreintes. Au moins, j'étais sûre qu'elles ne tomberaient pas entre de mauvaises mains et que mon passé criminel et sordide était derrière moi. Je ne voulais pas de tout cela pour ma fille, il était hors de question qu'elle subisse mes erreurs ou celles de mes parents.

- Il faut y aller.

Jacob m'encourageait du regard mais je les avais priés de m'attendre ici. Je ne savais pas comment allait réagir Lucy. Allait-elle à nouveau me reconnaître ou me rejeter ? Et si elle se sentait mieux avec cette femme aimante, sans histoire, parfaitement préparée à être une mère formidable ? Mes doutes prirent le dessus et mes jambes refusèrent de bouger. C'est alors que Princeton s'avança discrètement derrière moi et me chuchota à l'oreille :

- Tu seras parfaite.

Trois mots. Trois simples petits mots et mes muscles se réveillèrent. Je le remerciai du regard et me dirigeai enfin vers la porte de l'immeuble. La montée des escaliers pour accéder au troisième étage me parut durer une éternité.

Quand j'arrivai devant la porte numéro « 35 », mon cœur s'emballa, une sueur froide descendit le long de ma colonne vertébrale et l'appréhension me gagnait à mesure que les secondes s'égrenaient. Alors, au lieu de laisser l'angoisse m'envahir totalement, je frappai énergiquement sur la porte. J'entendis des rires d'enfants et un lointain « j'arrive », puis la porte s'ouvrit en grand trente secondes plus tard. La jeune femme du parc tenait Lucy dans ses bras et ma petite fille me fixa d'un air interdit. Je ne savais pas quoi dire ni quoi faire, j'étais comme pétrifiée. Pourquoi n'avais-je pas ressenti cela la première fois que je l'avais vu ? Était-ce le stress du moment ? L'urgence de la situation ? Ce fut comme si je réalisais pour la première fois ce qui se trouvait réellement devant moi : ma fille, celle pour qui j'avais pleuré pendant un an entier, celle dont je rêvais chaque nuit en me faisant une idée de ce qu'elle aurait pu devenir si elle avait survécu. Mais elle était bien, là, en chair et en os, juste devant moi.

Ce qui me sortit de mon état léthargique fut le plus beau mot de la terre. Lucy se mit à tendre ses petits bras potelés devant elle et émit simplement un gazouillement suivi d'un « Mama ». Mon cœur explosa en milliers d'étoiles. Elle m'avait reconnu ! Elle savait qui j'étais et elle me souriait, riait aux éclats pendant que moi, je restais plantée devant la femme qui m'avait aidé, sans savoir le comportement que je devais adopter.

- Elle a été adorable. Elle n'a pas pleuré une seule fois ! Tenez.

La jeune femme me tendit ma fille et Lucy se blottit immédiatement contre moi, les bras autour de mon cou et la tête posée sur mon épaule. Elle me faisait confiance. Encore émue, je reportai mon attention sur cette mère adorable.

- Merci du fond du cœur, je ne sais pas comment vous prouver à quel point ce que vous avez fait pour moi était exceptionnel, je...

- Ne vous inquiétez pas. J'ai senti au plus profond de moi qu'il y avait un véritable lien entre elle et vous. Vous l'aimez de tout votre être, cela se voit dans votre regard. Cette petite fille sera très heureuse avec vous.

- Mais comment vous pouvez savoir et observer tout cela ? On ne se connaît pas...

- Instinct de mère sûrement.

Elle me fit un clin d'œil et me donna un doux sourire. Je la remerciai une dernière fois et descendis les escaliers quatre à quatre, trop pressée de recommencer à vivre. Enfin je me mettais de nouveau à respirer et je me martelais intérieurement une seule phrase : « Les démons du passé étaient bel et bien anéantis ». 

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