Il y a quinze ans

Quand je lisais ou regardais des histoires d'espions internationaux, de meurtres, et d'aventures extraordinaires, je trouvais ces récits fabuleux. Du haut de mes dix ans, je ne rêvais que d'une chose, pouvoir être une femme aussi forte que Lara Croft, aussi intelligente et aventurière que l'était Indiana Jones et voyager autour du monde. Ce dont je ne me doutais pas, c'est que cet univers était bien plus proche de mon existence que je ne le pensais. Je savais que ma mère travaillait pour le gouvernement français, elle faisait partie de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE) et était souvent envoyée en mission à l'étranger. Mon père était un avocat réputé mais j'avais toujours été étonné de ses nombreux rendez-vous où des hommes armés gardaient les portes de son bureau. J'étais certes naïve et quelque peu stupide mais j'appris bien plus tard que lorsque l'on ne souhaitait pas savoir les choses, le cerveau occultait certaines scènes pour éviter de souffrir.

C'est un jour de Noël que je vis mon premier cadavre. Mon père avait invité un de ses plus gros clients pour notre réception annuelle afin de fêter la naissance du Christ. Un gigantesque sapin avait été érigé dans l'entrée dans notre manoir. À ses pieds, une montagne de cadeaux attendait que les nombreux enfants l'attaquent et prennent leurs présents pour les découvrir et revenir vers leurs parents avec un air heureux. En général, déjà à cette époque, je refusais de me plier aux traditions. Je préférais attendre le lendemain et que tout le monde soit parti pour ouvrir mes paquets. Je ne supportais pas le faste de ma vie. Je n'y trouvais aucun avantage : ma mère était sans arrêt absente, mon père ne me montrait aucun signe de tendresse et comme j'étais fille unique, je ne pouvais partager mes sentiments avec personne. La solitude remplissait ma vie et manquait de m'étouffer la plupart du temps.

J'avais toujours détesté ces réceptions mais celle de l'année 2006 fut la plus mémorable et la plus traumatisante de ma vie.

            J'avais vu ma mère disparaître à l'étage en suivant un homme d'un certain âge qui m'avait paru très gentil, c'était le client de mon père. Il s'était d'ailleurs amusé avec moi pendant un moment de la soirée, après être sorti de la réunion organisée discrètement dans le bureau de mon père. C'était un russe et il m'avait compté des histoires de son pays si passionnantes que j'avais insisté pour qu'il m'en raconte au moins une bonne dizaine. Je savais que c'était un ami de mon père mais j'étais curieuse de savoir où il allait avec ma mère alors que la fête touchait presque à sa fin.

Quand je montai à l'étage, je ne m'attendais aucunement à la scène à laquelle j'allais assister. J'entendis un râle bruyant venant d'une des chambres au fond du couloir. Je pris peur pour ma mère, la croyant en danger, j'accourrai pour lui venir en aide. C'est là que mon sang se glaça pour l'éternité... Elle était postée au-dessus de cet homme si gentil, à l'air si adorable et aux yeux rieurs qui maintenant fixaient le plafond, vidés de toute force vitale... Sa main tenait un long couteau ensanglanté et son visage n'était plus pour moi celui d'une mère mais celui d'une meurtrière. Elle était devenue un monstre. J'allais m'enfuir mais elle me rejoignit avec une rapidité fulgurante et m'attrapa le poignet avec force. Ses mains étaient pleines du sang de sa victime et le liquide tâcha mon poignet. J'avais envie de vomir, d'hurler, de pleurer. Des sentiments, plus paradoxales les uns que les autres, envahissaient mon esprit et je me figeai en relevant la tête vers ce qui avait été autrefois ma mère.

« Ferme la porte, Elena ».