Le travail d'une vie (partie 3)


- Vous ne m'aviez pas dit que je devais enseigner à des étudiants âgés de 23 ans ? J'ai peur de ne pas être véritablement à la hauteur. Pourquoi ne pas choisir un jeune avocat en sciences criminelles faisant partie de leur monde ? Il saura mieux comment aborder la matière, les problématiques actuelles...

Le professeur Smouth me fixa longuement jusqu'à me rendre presque mal à l'aise. Il prit ensuite une profonde inspiration et lâcha :

- Vera m'avait prévenu de votre tendance à toujours vous dévaloriser... Vous êtes brillante dans ce que vous faites Mlle David, et peu importe ce que ces jeunes gens en penseront, pour moi vous êtes idéale pour ce poste. Vous avez ce que les autres n'ont pas : l'expérience, le savoir-faire et surtout la psychologie qu'il faut avoir lorsque l'on traite des dossiers difficiles tels que les vôtres. En réalité, j'ai vraiment besoin de vous et je ne suis pas quelqu'un qui est adepte des ronds de jambes... C'est aussi une des qualités que j'apprécie le plus chez vous : l'honnêteté et une authenticité qui frise la perfection.

Je restai dubitative. Jamais personne ne m'avait traité de la sorte. J'avais toujours eu l'habitude de me cacher pour exister, de sans arrêt prouver ma valeur... Voilà que l'on m'offrait la chance de pouvoir exercer un métier de rêve sans rien me demander de plus que de venir telle que j'étais. Je savais que c'était une chance inespérée. Il fallait que j'accepte sinon je sentais au plus profond de moi-même que j'allais le regretter. Mon esprit me soufflait "Jette-toi à l'eau Ellie !", mes mes lèvres avaient du mal à se dessouder. Pourtant, par un éclair de courage, ou de bon sens, j'osai à nouveau prendre la parole : 

- C'est d'accord. J'accepte. Mais à une seule condition...

Le professeur éclata de rire :

- Tout ce que vous voudrez Mlle David

Je repartis sur ma lancée :

- Tout d'abord ne n'appelez plus Mlle David, je préfère Elena ou Ellie. Je me sentirais plus à l'aise et aussi je serais plus encline à vous appeler Harry – pour la première fois je lui souris sincèrement en utilisant son surnom – De plus, j'aimerais garder, avec le travail que vous me proposez, le poste au service juridique de Miss Hampton. Cela compte beaucoup pour moi. 

- Marché conclu, vous commencez demain !

Il plaisantait ! C'était totalement impossible de préparer un cours de faculté en vingt-quatre heures. J'allai me ridiculiser. 

- Mais – je balbutiais – je ne m'attendais pas à ce que je prenne le poste aussi tôt ! Il faut que je  j'organise les cours, que...

- Je vous en prie, demain ne sera qu'une première approche et nous serons vendredi, vous aurez le week-end pour vous en remettre Ellie. Nullement besoin de préparer quoi que se soit ! Venez la mine fraiche et pétillante et sortez-moi le grand jeu devant ces étudiants ! 

Il me fit un clin d'œil complice et soudain je sentis mon angoisse redescendre petit à petit, pour ne devenir qu'une simple appréhension normale face à la prise d'un nouveau job. C'était exceptionnel... 

Mr Smouth arbora un large sourire toute la fin du déjeuner et réussit même à me faire échapper quelques rires timides grâce à des anecdotes toutes plus folles les unes que les autres. Je l'adorais déjà. Il me mettait à l'aise et semblait prendre son rôle de professeur très à cœur, ce que j'admirais au plus haut point.

*****

Après le déjeuner, Vera ne me posa aucune question. Je supposais que son ami professeur l'avait sûrement contactée, directement après que je l'eus quitté, pour lui annoncer la nouvelle. Je passais l'après-midi à éplucher le dossier David Keywast, afin de trouver une solution favorable. Je croulais sous la paperasse quand je remarquai par la fenêtre que la nuit était déjà tombée, et que Vera mettait son manteau, prête à partir. Elle me rappela de ne pas oublier de fermer les bureaux en partant et s'en alla en me faisant un bref signe de main. Malgré le fait qu'elle cachait le plus souvent ses sentiments, je sentis dans cet au-revoir de soirée une note de fierté dans sa voix, et un demi-sourire se peint sur son visage habituellement refermé.

Une heure plus tard, je refermais la porte du service juridique derrière moi et me dirigeais vers mon immeuble situé un peu plus loin. Soudain, je sentis mon téléphone vibrer dans ma poche. Le seul nom qui s'affichait sur mon écran était : « LUI ». Je savais de qui il s'agissait, mais je n'avais aucune envie de répondre, pourtant le simple fait de me sentir revalorisée par ce nouvel emploi, me fit appuyer sur la touche verte :

- Qu'est-ce que tu veux ? 

Je savais que je n'y mettais pas les formes, mais je soupçonnais que s'il m'appelait ce n'était sûrement pas pour me demander de mes nouvelles. Il n'en avait strictement rien à faire et je l'avais bien senti la dernière fois que nous avions échangé un semblant de conversation. Il n'était plus rien pour moi :

- Ellie chérie !

- Ne m'appelle pas comme ça – le coupais-je net.

- .... Allons Elena, je suis ton père, j'ai tout de même le droit de t'appeler comme je le souhaite !

- Tu as perdu le droit d'être mon père le jour où tu m'as foutu dans une telle merde que la seule manière pour moi de m'en sortir, a été de trouver de l'aide ailleurs que dans ma propre famille.

- Ça ne sert à rien de remuer le passé. C'est fini maintenant, il faut tourner la page Ellie. 

Je n'en revenais pas... Mon père, qui m'avait abandonné il y a un an dans la pire des situations possibles. Cet homme qui avait osé faire signer à sa fille, lorsqu'elle était partie en Amérique, un contrat de confidentialité sur les affaires familiales.... Cet homme qui se prenait pour un homme d'affaires alors qu'il n'était rien d'autre qu'un magnât des chiffres, obsédé par l'argent, malhonnête et qui traitait avec les gens de la pire espèce... Cet homme me demandait de tout lui pardonner avec un seul coup de fil et un « Ellie chérie »... Il avait fait de moi un monstre sans coeur. J'avais mis des années à comprendre qu'il n'avait cessé de se servir de moi pour ses propres intérêts. Il avait même osé mettre ma vie en danger, la vie de sa propre fille...  

Je ris amèrement et reprenais sèchement :

- Crache le morceau papa, je t'ai demandé ce que tu voulais.

- Te rappelles-tu de Ronald Greyson ? Il était venu à tes 18 ans et t'avait offert un poney magnifique. C'est un oncologue réputé de Manhattan et c'est un homme tout à fait charmant. D'ailleurs il a un fils du même âge que toi ! 

J'en étais sûre... Les affaires.

- Non papa je ne m'en souviens pas, et j'aime autant te dire que mes 18 ans n'avaient pas véritablement été une fête en mon nom, mais plutôt un rassemblement de mafieux à qui tu devais de l'argent et que tu essayais d'amadouer avec tes longs discours plus fumeux les uns que les autres.

J'entendis mon père se racler la gorge, sa voix se fit plus insistante, et je sentis même son souffle s'accélérer. Il s'énervait, je le sentais. 

- C'est fâcheux... Voies-tu cet homme avait investi dans mon cabinet afin que je défende sa société contre une action collective et...

- Épargne-moi les détails papa, viens-en au fait.

- Je sais juste qu'il loge à Manhattan et que sa société a son siège principal dans l'Upper East Side. J'aimerais que tu lui rendes une petite visite pour lui assurer que je m'occupe de son affaire, et que même si la première manche a été perdue, le match n'est pas encore terminé. Il faudrait que tu sois assez convaincante... En effet cet homme me doit de l'argent. Il est sûrement très occupé mais je suis sûre qu'une simple piqure de rappel ne lui fera pas bien de mal et... 

- Tu es sérieux ? Tu me demandes d'aller voir un de tes clients véreux pour lui assurer de ton honnêteté et de ta bonne foi alors que tous les deux on sait que tu ne possèdes aucune de ces qualités ? En plus tu me demandes de le menacer ? J'ai arrêté il y a bien longtemps de m'occuper de tes affaires papa et si tu veux un larbin, envoies-en un directement ! Mais ne me demande pas quelque chose pour te rendre service et qui se trouve être en dehors de toutes les valeurs auxquelles je crois. Je ne fais plus partie de ce monde ! 

Je lui raccrochai au nez, encore tremblante de notre dispute. À chaque fois j'avais un maigre espoir qui était anéanti à la seconde où cet homme ouvrait la bouche. Jamais je ne lui pardonnerai, je n'en étais plus capable et si je l'avais été à une époque, j'avais été bien bête de croire qu'il pourrait endosser une fois dans sa vie le rôle d'un père.

Il essaya de rappeler quatre fois mais je ne répondis pas et supprimai directement les messages qu'il m'avait laissé sans les écouter. Je n'accepterai plus aucune mission pour lui.

Je pris une douche pour me détendre, avalai en vitesse un bol de pâtes au fromage, et me couchai sans même lire ou regarder la télévision. Je n'avais plus de force, j'étais exténuée. J'espérais seulement que je serais assez épuisée pour passer une nuit sans cauchemars, mais cela, j'en doutais fortement....


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