CHAPITRE 9

Le mettre à la porte n'était peut-être pas la meilleure chose à faire, mais ce n'est pas de ma faute si je l'ai poussé hors de chez moi sans un seul mot. Tout ça s'est produit dans un silence étouffant mais ce n'est pas plus mal car un mot de plus m'aurait ôté tout sentiment. J'aurais pu me figer, bien que je le sois encore. Après tout, Léandre Hellespont est entré dans mon univers. Celui que je cache, mon plaisir secret et inavouable. Et désormais, il sera impossible de fuir car nous sommes liés par ce devoir maison.

- Sérieux ? Il t'a proposé ça ? s'exclame mon partenaire de roleplay.

Je soupire et acquiesce, bien qu'il soit incapable de me voir comme nous sommes en appel.

- J'admets, ça m'excite, ajoute-t-il.

- T'es con... Je ne pense pas acceptés. C'est...trop soudain comme proposition et je me sens hyper honteuse qu'il ait découvert notre conversation.

- Surtout que tu lâches plein de détails, comme d'habitude.

Mes deux mains viennent masser mon visage, le presser comme un citron comme s'ils pouvaient me faire retourner en arrière.

- Hey, ça va aller. S'il te fait chier, j'arrive, ok ?

- Tu ne sais même pas où j'habite, rié-je.

- Ah ouais...t'as raison. Mais j'ai réussi à te faire sourire au moins !

Il n'a pas tort. Néanmoins, malgré ce petit sourire, ce dernier s'éteint rapidement. Ma tête est envahie de ce moment où il s'est approché de moi avec cette proposition si soudaine que je n'ai pas su réagir correctement. J'aurais dû me mettre en colère, le pousser, le gifler, le gronder comme si j'étais sa mère. Non, ça, c'est stupide le dernier. Bref. Je n'ai rien fait de tel et je ne sais plus comment penser, réfléchir, comprendre ce que je ressens. Tout est embrouillé.

Ses yeux, son regard. Ils n'étaient pas comme d'habitude. Ses pupilles étaient dilatées, ils me regardaient avec un tel désir. Du moins, je pense. Je n'en suis pas sûr. Je ne connais rien de ça. Je n'ai jamais été désiré, comment pourrais-je savoir à quoi ça ressemble ? Je suis qu'une ignorante.

Il y a deux possibilités : la première, il me désirait. La deuxième, il se moquait.

- Je suis tarée. Il doit me prendre pour...une perverse ou un truc du genre, pouffé-je désespérément. C'est trop la honte.

- On sera pervers à deux, alors, My angel.

Depuis, à l'université, ce n'est plus la même ambiance. Je crois bien qu'à chaque instant, je flippe à l'idée qu'il parle de mon secret le plus intime. Qu'il dise à tous que je suis cette fille qui fait des roleplay érotique sur discord, qui écrit des longs pavés érotiques et détaillés. Heureusement qu'il n'est pas au courant que je me fais du bien en même temps, il pourrait le hurler à toute la fac. Tout le monde me regarderait comme une bête en chaleur. Les hommes ne se gêneraient même plus pour afficher leurs langues, leurs mains descendant à naissance de la fermeture de leur pantalon. Et tout ça, à cause de mes pulsions incontrôlables mises à nu à cause de Léandre Hellespont car il aura découvert mon intimité : mes écrits. Mes conversations avec mon partenaire sur discord.

Alors que je rejoins les filles pour aller au restaurant universitaire, mon regard croise celui qui prend toute la place dans ma tête. Le fameux Léandre Hellespont, lui et sa proposition d'hier basculent de nouveau dans ma tête avec sa voix et son souffle qui frôlait ma peau.

Son regard est intense, sauf que mon cœur remue dans ma cage thoracique car ce regard qu'il a n'est pas celui auquel je me suis tant préparé. On dirait qu'il regrette. Il ne me regarde pas avec un désir de chien en chaleur et cette incompréhension qui s'installe dans mes pensées pour venir chambouler toutes les persuasions que j'ai créé, me pousse à fuire sans un mot pour rejoindre mes deux amies.

Dès que l'on s'installe à une table, dénichée avec justesse car le restaurant est blindé comme à son habitude.
Camille soupire.

- C'est de plus en plus compliqué de trouver une place. Dès qu'on sort de l'amphi, j'ai l'impression de courir un marathon jusqu'au R.U !

Julie pouffe à sa remarque avant d'acquiescer, en accord avec ses paroles.
Mon corps est présent, ma tête est ailleurs.

Leurs paroles deviennent floues, la suite de la conversation devient floue. Mes pensées sont submergées par une seule et même personne : Léandre Hellespont. Ça me semble fou de me dire qu'une seule et même personne puisse être capable de m'envahir le crâne. Surtout que je le connais à peine, voire pas du tout. Il suffit d'une seule phrase, d'une seule question pour que tout déraille.
Ce sentiment est hors de mon contrôle.
Lui ? Réaliser mes fantasmes ? Mes pensées les plus intimes ? Ceux que j'écris pour me noyer. Du moins, c'était que le début. Car au fil du temps, lorsqu'on tente de s'échapper, on se noie pour finir enchaîné sans pouvoir revenir à la surface.

- Eve. Eve ? Eve !

- Tu es souvent dans la lune ces temps-ci, admet Julie.

- Ouais, pardon.

- C'est à cause de Hellespont ? demande Camille avec un sourire malicieux.

Moi ? Dans la lune à cause de Léandre Hellespont ? Évidemment !

J'aimerais le hurler sauf que ça voudrait dire que je devrais aussi expliquer pourquoi je fais du roleplay érotique. Leur dire droit dans les yeux ce que je cachais au plus profond de moi et qui bouillonne en moi comme une honte indésirable que je souhaite extirper. Je veux surtout me débarrasser de ces pulsions sexuelles en réalité.

Je me trouve sale.

Je rigole nerveusement, fixé sur mon assiette alors que les piques de ma fourchette, et au bout du poulet, glissent sur la sauce.
- Pourquoi ce serait à cause de lui ? Je vous l'ai dit, c'est que pour-

- Le travail. Mais laisse-moi rêver un peu, se plaint-elle en faisant la moue.

- Cam, tu devrais te calmer. Eve insiste, on devrait l'écouter.

Je souris à Julie, satisfaite et je la remercie pour sa compréhension mais d'un coup, son index se dirige sur moi comme un revolver chargé.

- Par contre, toi. Si ça ne va pas, il ne faut pas que tu hésites à nous le dire. Promis ?

J'acquiesce, un peu hébétée.

- Promis, dis-je avec un sourire.

Cette conversation me pousse à admettre qu'il faut que j'arrête de me prendre la grappe pour un mec, surtout lorsque je le connais à peine. Certes, il est en possession de mon secret le plus intime mais nous sommes à l'université donc tous matures. En tout cas, j'espère qu'il l'est et ne va pas répéter à tout le monde cette chose qui m'appartient et qu'il détient.

À la fin de mon dernier cours, la nuit est déjà tombée. Ça me fait toujours un peu bizarre qu'à dix-sept heures, il fait nuit. Tout est sombre, la ville est éclairée par les lanternes, les voitures qui bouchonnent près de l'arrêt de but, les magasins encore ouverts et puis il y a aussi le village gourmand qui brille le plus tout comme le marché de Noël.
Je n'aime peut-être pas la nuit en pleine ville car ça me fait toujours très peur. Cette idée d'être agressée, ça pourrit la vie. Je suis une femme et je dois vivre avec cette angoisse constante, mais je dois aussi me montrer forte et courageuse. La musique m'aide tout comme les lumières du village et du marché de Noël qui réchauffent le cœur et m'apaisent.

La voix sonore de l'interphone annonce que la porte est ouverte puis je pousse la porte, si lourde que j'ai l'impression de faire de la musculation dès que j'entre et sors de l'immeuble. D'autant plus qu'il n'y a pas que les bras que je travaille, mais aussi les jambes. On n'a pas assez d'étage pour avoir droit à un ascenseur alors je dois subir les escaliers. Gravir, matin et soir, les marches qui m'essoufflent en moins de deux secondes.

Alors que j'arrive à mon étage, mes mains sortent les clés hors de ma poche sauf que d'un coin de mon œil, s'affiche une silhouette qui me fait lever la tête.
Mon corps s'arrête. Je ferme ma bouche pour éviter qu'il voit que je suis à bout de souffle alors qu'il n'y a que trois petits étages.

Je n'ai jamais été autant submergé de questions qu'en cet instant.
Son long manteau, fin et élégant, ouvre sur sa chemise blanche et bien repassée. Ses mèches blondes qui retombent sur ses yeux et en parlant d'eux, ils me regardent avec craintes, doutes et regrets mais aussi d'une intensité qui chamboule toute mes pensées. En revanche, ce qui me perd le plus sont ces fleurs qu'il tient dans sa main. Et je ne m'y connais pas en fleurs alors je ne saurais leur donner un nom.

- Qu'est-ce que tu fais...devant chez moi ?

Il se redresse, décolle son dos du mur et s'approche mais conserve une distance raisonnable entre nos deux corps.

Il déglutit.

- Je voulais...m'excuser pour la dernière fois. Ce n'était pas correct. Je suis désolé. Je n'avais pas à regarder ton ordi et te faire cette proposition comme un mec en chaleur.

Je déglutis à mon tour, fuit son regard. Je fais des va-et-vient entre le mur, le sol et son visage.

- Du coup...tu es venu t'excuser avec des fleurs ?

- Ce ne sont pas que des fleurs, admet-il.
Il en sort une du bouquet et me la tend.

J'accepte, hésitante.

- Celle-ci est une tulipe blanche. Elle signifie le pardon. Je m'excuse pour ce que je t'ai dit.

De son bouquet, il en ressort une deuxième pour me la tendre alors que je suis encore confuse.

- Celle-ci est une asphodèle. Je regrette ce qu'il s'est passé.

Puis il en ressort de nouveau une, la troisième.

- Une pensée blanche, je pense à toi...avec respect. Et je suis sincère. J'espère que tu pourras me pardonner...

Il baisse les yeux, la tête penchée légèrement vers l'avant.

Tout ce à quoi j'ai pu penser se dissipe. Tous mes doutes, toutes mes craintes. Elles ne sont plus là comme si ces fleurs avaient le pouvoir de faire envoler toutes sortes de pensées nuisibles hors de ma tête.

- Et la dernière ? murmuré-je hésitante.

Il lève les yeux vers moi, surpris d'entendre ma voix. Des petites rougeurs colorent ses joues alors qu'il hausse les épaules et cache la fleur sans savoir qu'il m'est impossible de lire sa signification rien qu'en la regardant.

- Rien. C'est...Elle s'appelle Nielle. C'est stupide. Je n'aurais pas dû la prendre avec moi.

Il se mord la lèvre lorsqu'il me voit sortir mon téléphone, l'allumer et chercher sur internet la signature de cette jolie fleur. Malgré qu'il ne souhaite rien dire sur elle, il ne m'en empêche pas.

J'inspire et lit les lignes qui définissent cette fleur dans sa main.

- Nielle...invitation à la luxure.

Il rougit de plus belle, le souffle coupé et le regard fuyant et dans un faible soupir il insiste :

- Tu vois, je n'aurais pas dû la prendre...

J'ignore pourquoi maintenant mais quelque chose me pousse à me dire oui mais les mots ne sortent pas.

Toute la sincérité se révèle sous mes yeux, elle fait trembler mon corps et mes organes comme un séisme.

Je déglutis avant d'avancer vers lui. Ma main se tend vers la sienne, nos peaux se frôlent. Puis, je saisis la nielle. C'est à ce moment-là que son souffle se coupe, ses dents mordillent sa lèvre inférieure alors que son regard brûle mon corps.

- Ce n'était pas...une mauvaise idée...les fleurs...

J'ai envie de dire oui. Mon cœur hurle.

Mais si je dis oui, comment va-t'il me voir ? Une perverse ? Une fille en chaleur qui rêve de vivre sa première fois ? Car c'est le cas mais je n'assume pas.

Je me sens sale, immonde...dégoûtante.

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