CHAPITRE 6


  Il y a des jours où l'on stresse avec une raison, un contexte, une situation que l'on redoute. Mais, il y a également des jours où l'on stress sans savoir pourquoi. Et puis il y a moi qui suis entre les deux. D'un côté, j'ai un contexte qui justifie les petits bourdonnements dans mon ventre mais de l'autre côté je sais qu'il n'y a aucune raison.

Aucune raison.

C'est ce que je me répète en boucle depuis que j'ai envoyé ce fichu message où je lui ai donné l'horaire et le lieu du rendez-vous. Et là, nous sommes jeudi. Le stress envahit tellement ma tête qu'il empiète même mon estomac, cette passion vitale qui m'anime dès que l'odeur infiltre mes narines sauf qu'à cause de ce devoir maison : je n'ai même pas pris de dessert. Et le dessert, c'est sacré. Surtout lorsque c'est : quatre petits suisses avec du bon benco, un peu de miel et quelques billes de M&MS.
Depuis toute petite, je n'ai adressé la parole à aucun garçon. Je suis toujours resté dans cette bulle dessinée à la craie, comme si passer cette ligne signifiait se faire tuer par les soldats en rose avec leurs masques noirs. Le seul homme à qui j'ai parlé, avec une relation affective, c'est le chat d'une amie : Jun-ho. Autant vous dire que mon côté social avec les mecs reste au plus bas. C'est un miracle si j'ai réussi à avoir une petite discussion avec Léandre Hellespont, et une danse en prime. Il ne faut pas l'oublier, cette danse. Oh que non. Je ne risque pas de l'oublier.

Au moins, je lui ai donné rendez-vous dans une bibliothèque. Contre les filles car évidemment, elles sont comme Natasha. Qui est la meilleure amie de ma pote, Lilo et son chat Jun-ho. Elles s'imaginent toujours que lorsque le prénom d’un garçon sort de nos lèvres, ça va forcément finir en une comédie romantique. Ce qui est faux d'ailleurs. Moi et Lilo, on pense la même chose. Enfin, je crois. Ça fait longtemps que nous n'avons pas parlé mais au dernière nouvelle, elle est en couple avec un gars. Mi...mijun je crois, son voisin.

Bon, elle, elle a fini en couple mais rien ne dit que ça va être pareil pour moi. Je ne suis là que pour travailler. On va juste choisir un livre. Dans une bibliothèque. Et c'est cool les bibliothèques. Pourquoi ? Parce qu'il y a des livres. Des tas de livres. Et, beaucoup de livres, ça veut dire aussi : satisfaction et bien-être assuré. Le stresse va doucement s'atténuer et ça va très bien se passer.
Je suppose que ça se voit. J'apprends le positivisme. Camille m'a dit, hurlé, de cesser d'être pessimiste. Et elle a bien raison.

L'écran de mon téléphone affiche mon fond d'écran d'Arcane, Jinx et Isha, mais mes yeux s'attardent surtout sur l'horaire affiché.

Je lui ai donné rendez-vous à quatorze heures, il reste environ vingt minutes. Mon corps commence à grelotter et je n'ai pas envie d'attendre trop longtemps dehors surtout lorsque la porte d'entrée de la bibliothèque, celle qui est automatique et s'ouvre toute seule. Cette porte qui m'appelle !

Je dois y aller. Tant pis. S'il me cherche, il me trouvera mais jusqu'ici j'ai toujours fait la démarche. Alors, à son tour.

Mes jambes parcourent lentement les rayons. Des petits pas pour laisser le temps à mes yeux d'analyser chaque titre sur mon passage, chaque nom d'auteur qui pourrait arrêter mes jambes et laisser mes mains avancer vers le livre qui aura su captiver mon œil de lectrice aiguisé.

Je n'ai pas l'habitude de parcourir les rayons d'une bibliothèque municipale. Ce n'est pas mon truc. Je n'apprécie pas emprunter, j'aime acheter, posséder mes prochains livres favoris qui me feront voyager dans un nouveau monde avec de nouveaux personnages, une nouvelle intrigue mais surtout un nouveau crush littéraire. Alors, mon corps entier est surtout habitué à parcourir les librairies mais surtout la fnac qui reste mon cocon dans laquelle je me sens si bien qu'on pourrait m'abandonner là sans que je ne le remarque.

Alors que ma tête s'approche de l'étagère, mon œil concentré sur un livre, mon corps émet un léger sursaut lorsque le livre de mon champ de vision s'éloigne et laisse un trou ouvert sur un grand blond que je reconnais aussitôt. Que ce soit en plein jour ou sous les lumières vacillantes de la boîte de nuit, sa beauté me fait l'effet d'une bombe. À côté, Moi et ma demie queux de cheval munie de deux mèches sur les deux côtés de mon visage, qui sont si fines qu'elles ressemblent à deux brindilles de spaghetti, nous ne pouvons pas rivaliser. C'est quasiment impossible. Surtout qu’il y a aussi mes boutons au menton qui sont discrets à l'œil sauf au toucher. À côté de lui, je suis la perfection de l'imparfaite.

Évidemment, je fais de cette description une hyperbole car malgré toutes ces irrégularités, le résultat n'est pas si mauvais. En soit, on doit juste apprendre à regarder mais ça, il n'y a que moi qui remarque ma beauté. Il n'y a que moi pour me le dire au quotidien face au miroir que je suis belle. Et croyez-moi, il m'en a fallu du temps pour apprendre à me le dire. C'est surtout Jin qui a été mon mentor. Cet homme qui se jette des fleurs à n'importe quel moment. C'est un modèle pour s'aimer soi-même.

Deux yeux marron, brillant et profond à la fois, me scrutent à travers cette entrée dans laquelle reposait le livre que je voulais et ils me ramènent brusquement à la réalité.

Les lèvres verrouillées, les yeux aussi ronds que ceux d'un poisson, mon corps recule le plus loin possible de cette étagère.

Son rire vient chatouiller mes oreilles malgré la petite distance que j'ai créé.
Et tandis que les battements de mon cœur reprennent un rythme plus régulier, il fait le tour de l'étagère pour se poser devant moi avec ce livre en main.

Avec une expression nonchalante, c'est-à-dire : l'extrémité de ses sourcils qui sont au plus près de son nez sont relevés vers le haut alors que sa bouche dessine une petite moue jusqu'à ce que ses lèvres s'ouvrent pour laisser passer ses mots :

Les liaisons dangereuses de Laclos ? Je ne savais pas que c'était ton truc.

Je demeure muette.

Ce gars me ôte les mots de la bouche.
Il ajoute :

— Tu veux travailler sur celui-là ?

Je secoue la tête aussitôt, ce qui le fait hausser un sourcil avant que sa main vienne poser le livre.

Dans un silence, il parcourt les livres. Au bout de quelques secondes, je finis par le rejoindre car je ne supporte pas faire plante verte. Rester debout, ne rien faire et regarder le temps passer, c'est ce que je faisais avant mais je déteste ça. Tout comme cette question sans réponse. On n'avancera pas si on ne connaît pas les goûts de l'autre. Imaginons qu'il trouve un roman qui ne me plaît pas. Je ne sais pas, un roman naturaliste ? La professeur n'a pas précisé de genre en particulier donc on a un vaste choix de livres. Surtout qu'il n'y a pas de contrainte sur l'origine du livre, donc, pas obligé que ce soit de la littérature française. Si c'est de la littérature anglaise, je suis aux anges.

Il est si concentré quand son œil expert parcourt les livres et sa main en saisit souvent pour lire le résumé. Ses doigts viennent parfois caresser les pages, les tourner.

— Tu as trouvé un livre ?

Mince.

Ses yeux sont posés sur moi et je ne m'en suis pas rendue compte.

Quelle boulette.

Mon corps pivote aussitôt vers les étagères alors que mes pupilles font un rapide balayage avant de s'arrêter sur un livre de Charlotte Brontë. Mes yeux ne le lâchent même pas, impossible de m'en détacher car je me souviens avoir lu ce livre. J'ai lu environ 760 pages, format poche, et c'était les meilleures 760 pages que j'ai pu lire.

La main de Léandre traverse mon champ de vision pour saisir l'exact livre que mon regard n'arrive même pas à s'en dérober.

Jane Eyre ? murmure-t-il, les yeux posés sur le livre.

Ma joie se dissipe. J'aime ce roman, c'est une pure merveille mais s'il n'aime pas et si j'étais la seule à aimer et si jamais il se force à accepter d'étudier ce livre pour le devoir maison ?

Mes dents mordent ma lèvre inférieure.

— On n'est pas obligé de prendre ce livre si tu-

— Ça ne me dérange pas. J'aime bien les romances, avoue-t-il avec nonchalance sans que ses yeux ne se dérobent du livre.

Si mes joues étaient sur commande, je rougirais de bonheur. J'appréhendais que le choix du livre soit difficile à cause d'un potentiel désaccord dû à nos goûts différents sauf que ce qu'il vient de me dire réveille la joie en moi.
On va choisir le roman que j'adore mais en plus : Léandre Hellespont aime la romance.

Comme quoi, peu importe le sexe, n'importe qui peut aimer la romance. Et ça marche pour tous les autres genres.

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