CHAPITRE 4


  Je l'ai vu, je l'ai perdu de vue et c'est lui qui me retrouve sans avoir conscience une seule seconde que je le cherchais. Je suis prête à parier qu'il s'en fout du devoir et quand il a entendu mon prénom, il n'a sûrement pas essayé de me trouver pour savoir à quoi je ressemble.

— Ça va ? Ou tu comptes rester contre moi encore longtemps ?

Sa voix réveille mon corps et le pousse à reculer de quelques mètres alors que son rire résonne encore dans mes oreilles.
Ces filles ne mentent pas. Ses iris sont magnifiques, d'une tendresse infinie et d'une chaleur qui réchauffe la poitrine. J'ai l'impression que c'est un rêve d'être devant lui. Je l'ai enfin trouvé. Et bordel, il est beau. Ouais. Mais je dois me ressaisir car je ne suis pas venue ici pour baver sur un mec que je ne connais même pas.

Il commence à partir, la bulle éclate tout comme mes mots qui s'échappent de ma bouche :
— Attend !

Mes jambes avancent sans que j'en prenne le contrôle. Je ne décroche pas mon regard, je n'ose même pas cligner des yeux maintenant qu'il est près de moi. J'ai encore la sensation de ses doigts autour de mon poignet. Je dois lui demander son numéro !

Sa tête se tourne vers moi, un sourcil levé mais finit par sourire comme s'il était amusé de la situation. Curieux, son corps se tourne vers moi, prêt à entendre ma voix.

Une fois bien devant lui, je n'inspire pas pour remettre mes idées en place comme si ça pouvait faire faire tout l'inverse : mettre le bazar et faire fourcher ma langue.

— Je peux avoir ton numéro ?
Il pouffe de rire, étouffé par sa grande main.

— Tu dis ça avec un tel sérieux. Pourquoi veux-tu mon numéro ?

Sa main libre se place dans la poche de son jean.

Il a une putain de pose de mannequin !

— On a un devoir à faire ensemble.

— Et tu es ?

— Evelyne Smith.

— Evelyne Smith. Demander mon numéro pour un devoir, donc un travail, et tu viens dans une boîte de nuit pour me le dire ?

Il a un petit sourire en coin, ses pupilles se posent sur le fond de son verre comme pour entrevoir l'avenir puis il boit une gorgée.

Je déglutis lorsque sa pomme d'Adam se soulève.

Je n'avais pas pensé à ça. C'est vrai qu'une boîte de nuit n'est pas adéquate pour parler boulot mais c'était la seule solution. Camille n'a pas tort pas non sujet. Si elle n'était pas là pour me pousser vers l'avant, jamais je n'aurais osé lui parler en face à face.
Seulement, il me pose une colle qui amplifie les rougeurs sur mes joues. Il doit me prendre pour une folle. Une de ces filles qui fantasme sur lui comme n'importe quelle romantique frivole et naïve, qui cherche en son regard et ses gestes une affection qui ne serait que pour elle. Sauf que ce n'est pas mon cas. J'admets qu'il est beau mais je refuse d'être cette fille niaise que j'étais. Je suis là dans un seul but, non pour lui faire la cour mais bien lui demander son numéro pour un but professionnel. Bien qu'on ne soit pas des collègues de bureau en entreprise. Nous ne sommes que des étudiants encore. Des étudiants qui se préparent pour l'avenir qui les attend.

— J'ai juste décidé de saisir une occasion.

Une réponse facile qui n'est qu'une partie de la vérité car la dite vérité, je la connais bien, j'aurai été incapable d'aller le voir sans Camille. C'est elle qui a guidé mes pas.

— Alors…ce n'est qu'un simple hasard ? Une sorte d'occasion comme tu dis ? Je vois…

Il a toujours le regard posé sur son verre mais cette fois-ci, il le fait tourner dans sa main avec une légèreté digne d'un professionnel. Le bon rythme avec l'élégance qui va avec aussi puis il y a sa main qui va bien avec son verre rempli de moitié.
Soudain, son souffle s'abat sur moi et fait cogner mon cœur dans ma cage thoracique. Sa voix, quant à elle, percute mes oreilles et me fait redresser les yeux vers lui.

— Hein ?

— Je disais : tu veux danser ? demande-t-il à deux petits centimètres de mon visage.

Il est assez proche de moi pour que je sente son haleine mélangé à la menthe du dentifrice et à l'alcool, mais il y a aussi son parfum qui vient pénétrer mes narines. Désormais, je ne sens plus l'étrange mélange de sueur et de chaleur qui empeste la boîte de nuit. Seul son parfum irrite mon nez.

Comme une poupée sans vie, j'acquiesce à sa demande. Les yeux dans le vide alors que sa main saisit la mienne pour m'amener avec lui sur la piste. Il prend grand soin à ne pas me perdre même s'il n'a pas dû remarquer que j'ai l'air ailleurs, complètement sur les nuages à batifoler dans mes pensées les plus profondes.

Maintenant que j'y pense, c'est la première fois qu'un garçon m'invite à danser. Et je sais bien que Camille et Julie ne nous voient pas à travers toute cette foule de monde mais je peux très bien entendre leurs gloussements dans ma tête. J'ai entendu leur rire tellement de fois qu'ils sont imprégnés dans ma tête telle une chanson impossible à oublier.

Sa main est chaude. Nos deux mains nouées entre elles comme si elles faisaient connaissance. Car il faut se le dire : nous ne sommes que des inconnus.
On arrive au centre de la piste, il se tourne vers moi et ramène mon corps à lui alors qu'on baigne dans la lumière.
Sa main de libre se place sur ma taille et aussitôt, un long frisson me dévore de l'intérieur. À un point où je cesse de respirer

Alors qu'on danse, moi je pense. Ses yeux ne quittent pas les miens alors que moi, je ne sais plus où regarder. Je crois bien que j'ai peur que tout mon visage finisse par devenir cramoisie. Aussi écarlate que le sang, la couleur d'une fraise ou la couleur rougeâtre des serviettes de table qui traînent sur les assiettes lors du dîner familial.

On ne se connait pas et pourtant, il m'invite à danser alors qu'il a dû croire que j'étais une folle en chaleur qui cherchait à le draguer. Sauf que si je tentais réellement de le faire, je ressemblerais à une crevette. Seulement une. Seule au milieu des autres, humiliée par la manière pathétique dont je bégaie les mots qui sortent de mes lèvres gercées.

J'ai beau réfléchir et me creuser la tête dans tous les sens, je ne comprends pas pourquoi il m'invite soudainement à danser. Tout ceci est insensé. Cette danse, sa manière de me faire tourner puis chavirer, ses yeux qui percent les miens sans sourciller et puis il y a ces lumières qui vacillent sur nous et autour de nous. Je m'en trouve aveuglé et même engourdi mentalement à mesure que les questions font surface. Je ne fais même plus attention à la musique qui fait pulser mon coeur car oui, mon organe danse mais avec la musique.

Sauf que malgré cette musique qui rythme nos pas, il n'y a que le silence de nos deux voix que j'entends. Ce vide où nos lèvres restent closes. Mais ce silence m'est insupportable à l'oreille surtout lorsque des questions sans réponse me submergent.

— Pourquoi tu m'as invité à danser ?
À la base, je voulais seulement son numéro.

Il sourit simplement et sans me donner de réponse et cela me frustre mais je prends mon mal en patience car même si la curiosité est grande, ceci est vilain défaut que je me dois d'enfouir. J'en ai déjà assez comme ça, des défauts.
Soudain, la musique change pour une autre beaucoup plus rythmée. Adieu la valse, la danse romantique, douce mêlée à la tension de deux âmes.

Les autres gens se décollent pour bouger dans leurs coins, les bras en l'air. Cependant, je tourne la tête vers Léandre Hellespont sauf qu'il n'est plus là. Je perçois seulement son dos qui disparaît vite à travers la foule.

Je n'ai pas eu son numéro. Il est parti sans un mot.

Alors, à mon tour, je m'éloigne de la piste de danse pour rejoindre Camille et Julie au bar. Elles rient de bon cœur, leur verre à la main. C'est Camille qui me remarque la première.

— Alors ? demande-t-elle le sourire au lèvre.

Seul un soupire s'échappe de mes lèvres alors que je m'assois sur un tabouret. Mon bras se pose lourdement sur le comptoir et mon coude s'avachie à son tour en même temps que ma joue prend sa place sur la paume de ma main.

— Ça c'est mal passé ? s’enquiert Camille.

— C'est quoi sur ta main ? demande soudainement Julie, les yeux plissés et fixés sur mon poignet.

Je fronce les sourcils, confuse.

— De quoi tu parles ?

Je m'installe correctement, toujours les sourcils froncés, mes pupilles de posent sur mon poignet. Aussitôt, mes sourcils se haussent et mes yeux s'écarquillent.
Camille pouffe et s'exclame :

— Il te l’aura donné, finalement !

J'ignore comment, par quelle sorcellerie a-t-il fait ça mais Léandre Hellespont a écrit sur mon poignet : son numéro au feutre noir.

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