CHAPITRE 2


  À cause de cette histoire de binôme, je n'ai pas suivi une miette du cours. Tout était embrouillé dans ma tête. La seule chose que j'ai pu écouter et retenir c'est lorsqu'elle a évoqué le sujet du devoir : choisir une œuvre littéraire et en parler.
Là, je ne vois pas le soucis. Je pense que ce sera simple. Ou alors, comme d'habitude, je place mes espoirs si haut que la chute en devient indigeste. En revanche, il y a tout de même un souci de taille. Voir deux. Déjà, il y a tellement de livres qui me plaisent que le choix sera compliqué. Ensuite, je ne suis pas seule. Je vais travailler avec Léandre, le mec blond par excellence avec des yeux marrons à couper le souffle. Enfin, c'est ce que disent les filles qui ont osé le regarder droit dans les yeux à une distance suffisante pour y déceler chaque détail de sa pupille. Moi, jamais je n'oserai. Lorsque je m'imagine regarder quelqu'un c'est sous la forme d'un poisson aux yeux tellement gros qu'on éprouve un malaise si irritable qu'on frôle l'évanouissement. Si je regarde quelqu'un, oui, je pourrais ressembler à l'un de ces poissons globuleux.

Enfin bref, je m'éparpille. Pour une fois, il n'y aura pas qu'un cerveau mais deux. Et si moi j'aime les romances : j'ignore si, lui, les aime aussi. On a probablement des goûts divergents qui vont poser problème pour le devoir maison.
Déjà, avant d'avancer et de réfléchir sur la prise de décision du fameux livre. Il faut que je trouve un moyen pour lui demander son numéro. Juste histoire qu'on puisse communiquer nos horaires et travailler dessus. Plus vite ça sera fait et mieux ça sera.

Alors qu'il est l'heure de partir, je range en vitesse ma tablette et mon clavier. Lorsque je me tourne vers la place de Léandre, celle-ci est vide.
Alors je soupire car pour une fois j'étais motivé à demander le numéro d'un garçon malgré ma fâcheuse habitude d'être nerveuse.

Tant pis. Je trouverais bien un autre moment. Cependant, de toute ma vie, jamais je n'ai osé approcher un garçon. J'ignore pourquoi il y a ce blocage. Évidemment que j'ai déjà parlé à des mecs. Mais par message. En réalité, c'est une autre histoire. C'est cette obligation de perfection, se faire bien voir qui fait surface dans ma tête et prend de la place. Depuis l'enfance, j'ai ce blocage. Et malheureusement, ça va être le moment de sortir de sa zone de confort ma petite Eve. Car oui, je le sens, Léandre Hellespont ne fera jamais le premier pas vers moi. Il va falloir que je m'y colle.
Aujourd'hui, nous sommes mardi. Je ne dois pas oublier d'aller rejoindre les filles au restaurant universitaire, alias R.U pour les intimes. Quelle cruche n'empêche. J'étais à deux doigts de prendre le bus direction mon studio. C'était carrément leur poser un lapin.
Je soupire lorsque je vois le message sur le groupe dans lequel il est dit qu'elle m'attend à l'intérieur. Je dois claquer mes joues discrètement pour m'empêcher de vriller.

D'un œil discret, je regarde le comptoir avec les écriteaux sur lesquels sont marqués le menu. On a beau avoir une application pour connaître le menu, il faut que dans ce R.U là il y ait un couac.
— Des pâtes et du poulet s'il vous plaît, bégayé-je car il m'arrive d'oublier mes propres mots.
— Vous pouvez répéter ? demande le cuisinier. On n'entend pas très bien de mon côté avec le bruit de fond.
Il pointe derrière lui.
Je déglutis, rouge de gêne avant de répéter plus fort. Cette fois-ci, il entend et me sert.

Je pose ma carte et alors que je compte dire, merci et au revoir car je suis polie, la dame me sourit et dit :
— il vous reste 90 centimes sur votre compte.

Je souris et la remercie avant de partir chercher les filles parmi toutes les tables bondées du restaurant universitaire.
Évidemment que je suis au courant pour les quatre-vingt-dix centimes. Je regarde régulièrement mon compte, je n'ai pas besoin qu'on me le rappelle.
Le rire de mes amies me font tourner la tête et dès que je les vois, je pars à leur rencontre pour m'installer après avoir posé mon plateau et ôter mon sac cabaia.
— Salut, disent-elles en chœur.
— Salut ! Vous parliez de quoi ?
— Pas grand chose, répond Julie. Seulement sur le cours de ce matin. Le prof veut nous vendre de la drogue maintenant. Je crois que la fac, ce n'est pas comme dans les romans.

— Ça pourrait peut-être faire une bonne dark romance, rêve Camille. Imaginez, le prof est un dealer et l'une des nouvelles est une de ses acheteuses ! Paf ! Romance !

Je soupire avant de commencer à manger.
— Et toi, Eve,  ton cours de deux heures ?
J'avale en vitesse.
— Pas grand chose. J'ai un devoir maison à faire avec quelqu'un…

Elles se regardent toutes les deux comme une transmission de pensée puis elles s'écrient en duo :
— Un mec ?
— Putain, lâché-je. Comment vous avez su ?
— Intuition féminine, répond Camille.

Elles ont le don de renifler les choses, de toucher juste. Surtout me concernant. Je dois être comme un livre ouvert avec une police si grosse que même un aveugle serait capable de me lire. Je frissonne déjà à l'idée de ne pas avoir plus d'intimité que je le croyais. Une croyance de plus qui s'envole vers d'autres cieux.

— Alors, qui est-ce ? demande Julie d'un œil intéressé.

Mes yeux se posent alors sur elle tandis que ma fourchette garnie s'enfonce dans ma bouche. Je mâche lentement comme pour ralentir le temps. Avec un peu de chance, elle finira par changer de sujet. Seulement, au bout d'une seule seconde, je perds déjà espoir alors je décide de cracher le morceau contre ma volonté :
— Léandre Hellespont.
— Connaît pas, dit Julie.

On se bouche toute les deux les oreilles lorsque la voix aiguë de Camille tue nos tympans d'une seule note.
— Bordel ! s'exclame Julie, en colère à cause du choc. Qu'est-ce qui te prend de crier ?
— Désolée…c'était pas voulu mais ce mec, j'en ai déjà entendu parler. Il paraît que c'est un dieu du sexe, glousse-t-elle.

Moi et Julie, nos deux regards qui se croisent avec notre sourcil droit redressé. Camille s'excuse de nouveau pour avoir dit ça mais elle continue ses explications :
— En soirée, sans toi Julie, désolé. Et bah, je l'ai déjà aperçu. J'étais avec mes potes de la licence psycho et il s'est incrusté avec nous. Je n'ai pas trop parlé avec lui mais il est canon. Et après qu'il soit parti, j'ai appris par les filles qu'il était en lettre et apparemment toutes les filles sont folles de lui.
— Logique, soufflé-je. Il y a peu de mecs dans notre licence alors le premier beau mec devient un symbole d'espoir ou plutôt une divinité…
— Tu ne l'aimes pas ?

Je secoue vivement la tête pour répondre à Julie qui s'est tourné vers moi, la tête avachie contre la paume de sa main.
— Non. Ça ne m'intéresse pas. Les mecs beaux vendent du rêve, c'est tout. Il n'y a rien derrière, c'est creux.
J'entends Camille soupiré puis j'ajoute :
— On va juste bosser ensemble, rien de plus les filles.
Lorsque je dis “bosser” elles hochent la tête comme une évidence, un son de routine. Puis je continue sur une dernière phrase :
— Il faut juste que je trouve un moyen de récupérer son numéro… pour le trav-
— Je sais ! s'écrit Camille en tapant sur la table.

Je sursaute tandis que ses yeux bleus pétillants me fixent au point que mes jambes veulent partir de carapater ailleurs. Je sens qu'elle a une idée derrière la tête. Je n'ai peut-être pas le sixième sens aussi aiguisé qu'elle mais je les connais assez bien pour savoir que leurs idées qu'elles s'apprêtent à prononcer ne vont pas me plaire.

Les paupières de Julie s'écarquillent puis un large sourire s'esquisse, dévoilant ses dents décorées d'un appareil dentaire étincelant. Puis, en pointant de son indexé manucuré notre amie commune, elle dit de manière sadique :
— Ok, j'ai ce que tu penses.
— C'est que la connexion est bonne, répond Camille du même ton.

Toutes les deux me fixent alors qu'une perle de sueur longe ma nuque et une boule vient se loger dans ma gorge pour m'empêcher de déglutir.
— Tu vas venir avec nous en soirée, déclare fièrement Camille.
Alors que je compte rétorquer, quitte à hurler dans tout le R.U, la main de Julie s'abat sur ma bouche pour me faire taire.
— Chut, murmure-t-elle. Tu n'as pas le choix, c'est une prise d'otage.
Camille rigole comme une sorcière, avec un sourire de petit diablotin qui me donne envie de le lui arracher.
— Ce soir, tu viens avec nous en soirée.
— C'est un ordre, ajoute Julie.

Ces amis-là sont des sadiques. Je me demande en ce moment même, pourquoi sont-elles mes amies ?
C'est une prise d'otage comme l'a dit Julie. Un putain de kidnapping.

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