CHAPITRE 17

  Peut-être que tout est de ma faute. J'ai été naïve, j'ai accepté sans réfléchir correctement. J'ai obéi à ces désirs qui m'envahissent et que je méprise. Tout le temps. En permanence. Je me trouve sale, dégoûtante mais j'ai couché avec Léandre qui est en couple. Nous ne sommes que des inconnus dans le fond et pourtant, cela m'atteint comme s'il y avait plus que ça. Ce n'était qu'une sorte de coup d'un soir alors, sans avenir. En revanche, j'ai beau comprendre cela et me le répéter, mon cœur est toujours aussi serré.

Les filles ne cessent de me demander comment se passe le devoir et à chaque fois je n'ose pas leur répondre droit dans les yeux. Cela fait maintenant une semaine que j'ai cessé de parler à Léandre. C'est un blocage énorme qui s'est dressé, un barrage si immense qu'il m'est impossible de le franchir.
Encore aujourd'hui, je sens son regard sur moi. Un regard empli de regrets. Léandre Hellespont me regarde. Ça change du jour où la professeur a fait les binômes, ce jour-là, il n'y avait aucun regard. Cette fois, c'est différent.

À la fin du cours, mes mains s'empressent de ranger mes affaires. Je place la bretelle sur mon épaule, je range la chaise sous la table puis je sors. Dès que mes pas s'avance dans le couloir, j'entends des bruits de pas me suivre. Soudain, quelqu'un se positionne devant moi, à moitié essoufflé et un livre à la main. Je lève la tête et dès que je le vois, je le contourne.

— Attends.

Je soupire mais, je décide de me tourner vers Léandre. J'ai l'impression de revoir cet homme timide et maladroit qui s'est cogné contre la porte de la bibliothèque qui était fermée.

Il se mord la lèvre puis me tend Jane Eyre de Charlotte Brontë, des post-it de plusieurs couleurs dépassent du livre de poche. Il y a comme un arc-en-ciel qui se lit.

— Pourquoi tu me montres ça ? demandé-je froidement, mais aussi confuse.

Sa main frotte sa nuque avant de passer sur sa joue.

— Je comprends que tu ne veuilles plus me parler mais on a un devoir ensemble et… je me suis dit que ça t'aiderait. J'ai ajouté des notes aussi.

Coincée entre confusion, surprise et une soudaine envie d'exploser dans ses bras : je ne bouge pas.

Alors, voyant mon immobilité, sa main chaude entre en contact avec mon poignet. Ce geste brûle tout mon corps dans un long frisson qui parcourt mon bras. Il vient ensuite tourner ma paume vers le haut pour placer son livre dans ma main et, délicatement, il vient plier mes doigts sur la couverture.

Un petit sourire timide s'immisce sur ses lèvres avant qu'il rebrousse chemin pour me laisser seule.

Mes doigts laissent tourner les pages, qui me lancent des petits coups de vents assez doux et légers. Il y a des marques de stylo sur la marge du livre. En effet, il a pris des notes…

Sa main sur sa nuque avant de se noyer dans ses poches de jean. Son dos s'éloigne jusqu'à disparaître.

Mes paupières somnolent et mes rêves s'immiscent dans ma tête pour me décoller de la réalité. La voix douce de la prof, monotone et peu énergique, pousse mon cerveau à se mettre en veille. Soudain, sonne la fin de l'heure lorsque la prof lâche :

— Bien on va s'arrêter là mais avant, je dois vous dire quelque chose.

Je range vite mais sans faire trop de bruit avec petit regard sur la professeur qui annonce :

— Ce n'est pas obligatoire mais je vous rappelle qu’il y a une représentation ce soir, entrée gratuite, et je vous invite à y aller. Ça se déroule au Théâtre. Sur ce, bonne journée et bonne soirée si vous y allez.

Le théâtre, c'est bien l'une des choses qui ne fascine. Autrefois, ça me paraissait ennuyeux, trop vieux, sérieux. C'était un peu comme les livres. Au départ je ne m'y intéressais pas, sûrement car ce n'était pas encore le moment, mais la lecture a fini par devenir mon âme sœur. La plus belle rencontre de ma vie et mes plus beaux voyages. C'est comme les œuvres littéraires imposées au collège et au lycée. Là non plus, je ne m'y intéressais pas, ce n'était pas le bon moment. À fur et à mesure que je lis du classique, j'ai une curiosité dévorante. Celle de vivre comme à l'ancienne époque avec ces belles robes, ce langage si merveilleux que l'on s'émerveille même pour les insultes tant elles sont jolies. Et puis, le théâtre. C'est beau, c'est grand, c'est magnifique. C'est un chef-d'œuvre à part entière.

Je scrute les horaires de bus. Il fera nuit à la fin de la représentation. C'est bien cela qui dresse une petite entaille d'anxiété dans ma tête. Je n'ai pas envie de me retrouver seule, de rentrer à mon studio seule. Quand nous sommes une femme, nous ne sommes pas en sécurité la nuit. Cela devient un véritable hunger games. «Que le sort puisse vous être favorable.» c'est exactement ça. La survie se résume à un sort favorable, une chance. C'est un peu comme un pari, un jeu de loto. Les chances sont minimes, peu importe comment nous sommes habillés et peu importe notre âge : beaucoup d'hommes ne pensent qu'à eux-mêmes.

Oh pire, tant pis. J'y vais. Car plus je regarde l'affiche, la description et plus j'ai peur de rater quelque chose de grandiose. On a qu'une vie et je ne veux plus rien regretter.

À la fin du dernier cours, je m'empresse de rejoindre l'arrêt de bus. Il fait froid, l’air vient geler ma peau,forcer mon corps à grelotter sur place, les pieds bien ancrés dans le sol. Mes mains se logent dans mes poches, s’enfoncent comme si ces petits trous de tissus cousus sur le manteau étaient le sac de Mary Poppins.
Ma tête pivote sur l'écran qui affiche le temps d'arrivée du bus mais la silhouette de Léandre m'enlève cet objectif. Il se pose près de moi et un petit malaise s’installe.

Au bout de deux minutes de silence ou je me gèle sur place, le bus arrive, je passe ma carte sur l'écran puis je me place au milieu du bus, la zone réservée aux fauteuils roulants et poussettes. Je me retiens d’expirer lorsqu’il se place à côté de moi, son parfum envahissant mes narines.

— Toi aussi tu vas voir la pièce ? me demande-t-il soudainement.

Je me force à le regarder du coin de l’œil, j’acquiesce. Il hoche la tête.

Au bout de vingt minutes, nous descendons du véhicule pour être devant le théâtre sauf que ma joie retombe aussi sec.

Je m'attendais à voir un bâtiment ancien, bien sculpté, d’une blancheur magnifique, immense et grandiose, mais non à un bâtiment moderne, classique et fade. J’essaie tout de même de positiver. Peut-être que l'intérieur est spectaculaire…

Je déglutis avec un goût d’insatisfaction, accompagné d’une petite moue insatisfaite.

Le pire n’est peut-être pas la façade en fin de compte, mais bien l'intérieur. Moderne, trop, moderne. Tout est lisse, fade et sans vie. Ce décor est partout, je le vois constamment.

On prend nos tickets puis on se dirige dans la salle et… déception.

Je commence à regretter d'être venu. Le théâtre devrait se faire dans une vraie salle de théâtre avec les balcons, la scène, les rideaux rouges. Tout ce qui caractérise les pièces de théâtre que j’ai tant envie de parcourir. Or, là, je suis déçue car c’est juste une salle de spectacle classique et banale.

— Tu as l’air déçu.

Je manque de sursauter, puis je me tourne vers lui.

— Tu vas me faire la tête pendant combien de temps ? ajoute-t-il en soupirant.

— Le plus longtemps possible.

Sur ces mots, je me tourne pour monter les marches et m’installer sauf qu’il me suit et parvient, juste à temps, à s'asseoir sur la chaise d'à côté.

— Ecoute, commence-t-il.

— Non. Je n'en ai pas envie. Arrête de me parler.

— Ce n’est pas ce que tu crois…

Je lache un rire jaune.

Léandre Hellespont me lâche la même excuse que donne tous les garcons, que l’on entend souvent dans les séries, que l’on lit souvent dans les livres : ce n’est pas ce que tu crois. C’est si facile comme reponse que ca me donne encore moins envie de lui parler.

— Je ne peux pas en aprler a n’importe qui, avoue-t-il.

— Pourtant, tes amis sont au courant.

— Non, soupir-t-il. Ils ne la connaissent meme pas, ils ne savent rien d’elle. Rien.
Il se fout de moi ?

— C’est compliqué…

Je ne me suis jamais sentie aussi honteuse de ma vie. Je lui ai donne ma virginite, ce n’était pas rien. J’admets que j’étais consentante mais je ne l’étais pas pour jouer les nunuches de service, pour que Monsieur se vide avec de beaux discours, pour m’amadouer le temps de sa pause de couple, car Monsieur est incapable d’être fidèle.

La salle devient sombre, les chuchotements s’estompent tandis que que les lumières de la scène éclatent sur la scene.

***

— Evelyne ? Evelyne…

Mon epaule est secoue avec douceur, cette voix m’appelle, mais elle est si douce et chaude que je ne veux pas me reveiller. Mais, trop tard, mes yeux s’ouvrent sur Léandre qui est penche sur moi.

— C’est fini, vient.

Sans un mot, sans doute car je suis encore fatiguée, je le suis sans rechigner. Je n’ai aucun souvenir de la piece, meme pas du premier mot, du premier discours ou du premier personnage. Aucun souvenir. Je me suis endormie comme une paresseuse. N’empêche, je dois bien avouer que même si Léandre m’irrite, il m’a quand même aider malgré tout, alors qu’il aurait pu m’abandonner ici. Partir et rentrer chez lui.

Alors que je descend à mon arrêt, il fait de même. Je me tourne vers lui, les sourcils fronces, confuse.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Je ne me suis pas servie de toi pour qu’on couche ensemble, je te le promet. Même si tu n’es pas obligée de me croire, tu es légitime de ne pas le faire. Mais… concernant Ma Princesse, je ne me sens pas prêt à t’en parler…

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Choquée, et vous ?

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