CHAPITRE 1
Sais-tu comment naissent les doutes ?
Lorsqu'on aime trop une chose mais que cette chose devient la vie des autres. Lorsque notre rêve le plus profond, que l'on souhaite toucher du bout des doigts, paraît si loin que l'on sombre dans la jalousie. Un poids si lourd que nous finissons par douter de nous-mêmes, de nos capacités. Avoir conscience de ses défauts est possible, encore faut-il les accepter. Ce qui n'est pas tous les jours facile. Nous sommes nombreux à ignorer nos défauts en prétextant des excuses ou bien vivre sans y penser. Comme beaucoup, j'ai une passion. Seulement, cette passion s'éloigne. Les autres avancent, gagnent du terrain et obtiennent ce que je désire. À mesure de vivre avec cette passion, j'en viens à me demander si cette passion est faite pour moi. Sauf que je sens que je suis faite pour ça, mais peut-être bien que je suis la seule à y croire. Seulement, je deviens peut-être comme ces gens, ces romantiques qui tombent dans la désillusion au sujet de Dieu, de la religion, de leur croyance. Cette flamme s'estompe et pourtant, je persiste à la réanimer du mieux que je peux mais la fatigue et le désespoir m'emporte peut-être.
La voix excitée de Camille me ramène à la réalité lorsqu'elle se met à rire après avoir dit le mot "sexe". Elle pouffe comme une girafe qui se dandine, ses joues rouges écarlates et ses petites rides de joie au creux de ses yeux. Julie finit par rire elle aussi. Toutes les deux gloussent, pliées sur la table tandis que j'attrape la paille avec mes lèvres pour boire le milkshake à la fraise.
Au bout de cinq minutes, à peine, elles essuient leurs larmes qui perlent en dessous de leurs cils déployés par leurs mascaras noirs.
— Nan mais sérieusement. Le sexe, c'est trop bon, rit Camille essoufflée.
J'abaisse mes yeux, je les regarde seulement du coin de l'œil alors qu'elles évoquent leurs ébats avec leur petit copain.
Julie hoche de la tête, les paupières baissées en guise d'approbation.
Il m'arrive de les envier secrètement. L'amour, c'est quelque chose de beau que n'importe quel romantique rêve de combler. En revanche, je sais que je tombe rapidement dans la désillusion lorsque j'observe les hommes de nos jours.
Au bout d'une trentaine de minutes, après avoir fini de boire et de croquer nos cookies jusqu'à ce qu'il n'en reste plus une miette, on finit par partir. Un long frisson me traverse dès que Julie ouvre la porte. Le vent me glace les os malgré deux sous-pull cachés sous ma veste fermée, une écharpe bien enroulée autour de mon cou et un bonnet noir auquel est accroché un personnage de Sophie et Hauru. Si personne n'a cette référence, et j'en doute. Ils viennent du film et du livre : The howl's moving castle.
Une romance tout bonnement magnifique qui ne cesse de faire battre mon petit cœur d'artichaut dès que je le visionne. J'aimerais lire le livre un jour, il doit être tout aussi bien. Sinon, Miyazaki n'aurait pas fait le choix d'en faire un film.
— Ça caille, se plaint Camille.
— C'est clair, renchérit Julie. On se gèle les ovaires !
Les filles ont déjà vécu leur première fois. Que ce soit de la première danse lors du bal de fin d'année en terminale et, plus récemment, la première nuit sexuelle avec leur copain. Cette union charnelle qui unit deux êtres, dans le consentement et l'amour. Deux corps nu. C'est intime comme image. Et ça doit perturber au début de voir le corps nu de son partenaire... Je ne préfère pas y penser.
Moi, je n'ai même jamais eu de petits copains. Alors je suis vierge de tout. Exceptée les premières fois avec moi-même...mais je vais épargner les détails.
Ce petit sentiment était déjà en moi sauf qu'il a grossi dès qu'elles ont parlé de leur expérience. Je suis contente pour elles, évidemment. Sauf que le poids du désir devient de plus en plus lourd. Moi aussi je veux faire ma première fois sauf que, je n'ai personne. Je suis seule, une vieille célibataire de dix-neuf ans.
— Eve ? Tu viens à la Barista ce soir ?
Ma tête se lève vers Julie, et Camille, qui me regardent toutes les deux d'un air curieux.
Je hoche la tête de droite à gauche.
— Non, j'ai des choses à faire ce soir. Je dois...
— Travailler ? finissent-elles en même temps.
— Comment vous-
Elles me coupent une nouvelle fois :
— Tu dis ça à chaque fois qu'on te propose de sortir dans un endroit...comment dire ? Camille, aide-moi.
Cette dernière soupire avant de lever les yeux au ciel pour chercher quand soudain elle se tourne vers nous avec un large sourire pour continuer les paroles de Julie :
— Un endroit bourré d'étudiants de notre âge !
— Oui c'est ça ! s'exclame Julie.
Une petite moue se dessine sur mes lèvres en guise de protestation.
— Il y a de beaux mecs en plus, s'exclame Camille en tapant des mains.
— Et de... Eh ! On est déjà casé je te signale !
Camille, la brune aux pointes teintes en rouge, fait la moue en croisant les bras contre sa poitrine avant d'avouer :
— C'est comme maté des statuts grecs...là, on ne parle pas de tromperie bizarrement. Et ça va, je ne vais pas le tromper. Je suis une femme fidèle !
J'essaie de me justifier avant qu'elles ne s'éparpillent sinon je n'aurais plus aucune occasion de placer un seul mot, mais elles me coupent la parole à nouveau :
— Hop hop hop ! Tu sais qu'on a raison. Tu verras, un jour, on réussira à te faire sortir hors de ta coquille !
— Et pourquoi pas ce soir ? se plaint Camille.
— Faut que j'y aille, dis-je. À plus les filles !
Je leur fais signe tout en partant. Mais derrière moi, j'entends les filles se plaindre que je pars encore et je ne peux m'empêcher de sourire sans qu'elles le sachent.
Je n'ai jamais été à l'aise avec les autres. J'ai ce défaut d'envier mais ne pas oser. Excepté pour une chose. J'aimerai venir avec elles ce soir. Me bourrer la tronche même si je n'ai jamais bu un seul verre en entier, draguer même si je ne suis pas douée, mater les beaux garçons, danser comme un pied. Sauf que le problème c'est que je fais trop attention à ce qu'on peut penser de moi alors je ne fais rien. Ma chambre reste ma seule boîte de nuit, mon seul motel pour une nuit solitaire.
Les néons colorés illuminent ma chambre baignée dans la nuit, accompagnée d'une faible lueur de la lune. Et puis il y a mon écran de tablette qui éclaire mon visage. Et dans toute l'espace de ce petit studio, seul le son du clavier résonne contre les murs. Des mouvements rapides avec quelques fautes d'orthographes qui me piquent les yeux mais je n'arrive pas à m'arrêter. Je dois continuer.
À la fin du message, je prends le temps de relire et une petite chaleur émane de mon bas ventre et accélère les battements de mon cœur. Puis j'envoie. Ma respiration s'accélère lorsque les trois petits points se balancent avant d'afficher un long message que je m'empresse de lire.
Eh merde.
Pourquoi il s'est arrêté d'écrire ? C'est si frustrant que ma main me démange !
Après plus d'une heure, je me laisse tomber sur le lit, les yeux rivés sur le plafond. Le corps moite, le rythme essoufflé avec ma poitrine qui se soulève comme si je venais de courir un marathon.
Je soupire avant d'aller me laver les mains pour retourner ensuite dans ma chambre et dormir devant une vidéo car il n'y a que comme ça que je parviens à dormir. Sans bruits, sans occupation et juste dormir dans le vide et le noir des pupilles sous ses paupières : c'est ennuyant. Je n'y arrive pas.
***
Le poing contre ma joue, je griffonne de l'autre main sur une copie simple tandis que la voix de la professeur reste en fond sonore quand soudain, trois mots jaillissent à mes oreilles comme un cri : devoir en binôme.
Cette fois, je lève la tête vers la professeur vêtu de sa chemise ouverte sur son débardeur noir. Un jean skinny, que deux ou trois pimbêches ont pour habitude de critiquer.
— Pour ce devoir vous serez donc par deux et c'est non négociable car même si vous êtes à la fac, j'ai pris soin de concevoir les groupes !
J'entends certains soupirer, se plaindre à messes basses avec leurs amis.
C'est lorsque la prof énonce les groupes que le stress monte. Pour moi, peu importe. Mes amies ne sont pas dans la même licence que moi. J'ai une autre amie en lettres, seulement, elle est dans un autre groupe de travaux dirigés. Alias, TD pour les intimes, car ici, on ne se complique pas la vie à citer quelque chose en entier. Il n'y en a qu'un où il faut à tout prix utiliser un diminutif, le nom d'un cours si long et pénible à prononcer qu'il m'arrive de bégayer. Déjà que je me trouve idiote de bégayer de temps en temps...
Ma main, dans laquelle est logé mon stylo entre mes doigts, s'arrête dès que mon prénom est prononcé :
— Evelyne Smith et Léandre Hellespont.
Des petits picotements parcourent ma peau comme des petites vagues. Je n'ose pas me retourner mais je tourne assez l'œil pour voir qu'il s'en moque. Aucun regard dirigé vers moi, aucune surprise. L'indifférence la plus totale se lit sur ses traits.
C'est clair. Il n'y a que moi qui suis surprise à l'idée d'être en binôme avec le plus bel homme de la licence de lettres. Et je parle bien de ma licence entière, moderne comme classique.
___________________________________________
N'hésite pas à donner ton avis en commentaire sur ce premier chapitre, ça pourra m'aider !
Bonne continuation !!! Hehehe
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top