ℭ𝔥𝔞𝔭𝔦𝔱𝔯𝔢 36

─ Et il m'a embrassé, comme ça, sans que je ne m'y attende.

─ De quoi je me mêle ? grogna le démon en se frottant les bras pour se réchauffer, scrutant la ruelle avec inquiétude.

─ Il est sensé en aimer un autre ! ajouta Vernon en se tournant vers la nouvelle âme pécheresse.

Le démon – Greg, si Vernon avait noté son nom correctement – le dévisagea en clignant des yeux, l'air abasourdi.

─ Attends, je crois que j'ai mal compris un truc dans ton histoire. Donc tu aimes un gars, qui aime un autre gars, et il t'a quand même embrassé ?

─ C'est ça !

─ T'es sûr que c'est pas toi qui l'as embrassé ?

Vernon secoua la tête.

─ Je ne vole pas les petits-amis des autres. J'ai tenu six ans sans briser le couple de ma meilleure amie, ce n'est pas maintenant que je suis mort que ça va changer.

Le nouveau démon ne prit pas la peine de remonter sa toge, qui commençait à dévoiler un mamelon. Vernon évita soigneusement de le regarder, sans oser le lui faire remarquer.

─ Bon, l'agence n'est plus très l-...

─ Ah bah ça pour une surprise !

Greg et Vernon se figèrent comme un seul homme. Devant eux se tenait une femme de grande taille. De sa voix rauque, elle reprit :

─ Tu t'rappelles déjà plus de moi, petit ange ?

─ C'est qui cette tarée, lui souffla Greg dans son dos.

Vernon feignit d'ignorer le démon pour se concentrer sur la nouvelle venue. Il reconnaitrait ses yeux argentés taillés dans une peau couleur béton entre mille.

─ Brune, ça me fait plaisir de te revoir, dit-il avec sincérité. Comment se passe ton après-vie en Enfer ?

─ Merdique, mais on garde la face ! Tu me présentes pas ton nouvel ami ? ~ roucoula-t-elle en faisant les yeux doux à Greg, qui posa nerveusement son regard sur Vernon.

─ Greg vient d'arriver en Enfer, je l'accompagnais jusqu'à une agence.

Brune s'approcha de la nouvelle âme avec un sourire carnassier en lui caressant délicatement le menton du bout du doigt.

─ Enchantée, Greg, murmura-t-elle d'une voix sensuelle. Alors comme ça, tu viens d'arriver en Enfer ?~

Vernon se mordit l'intérieur des joues en reculant d'un pas, ne sachant qui était plus mal à l'aise entre lui et le fameux Greg qui suait à grosses gouttes en cherchant une échappatoire.

─ O-oui, répondit-il avant de déglutir, jetant un coup d'œil nerveux à Vernon. Je viens d'arriver.

─ Eh bien, bienvenue en Enfer. J'espère que ce petit ange s'occupera bien de toi, mon mignon.

Vernon leva les yeux au ciel, avant de se dire qu'il valait mieux pour lui de masquer son exaspération.

─ Oui, je ferai de mon mieux, Brune, déclara Vernon en feignant un rire amusé.

La femme sourit, satisfaite, et leur tourna les talons.

─ Parfait, il me le faut ! Bye les garçons. ~

Greg et Vernon parvinrent enfin à se regarder à nouveau dans les yeux.

─ C'est qui cette folle ? balbutia-t-il en la désignant.

─ Une nouvelle âme que j'ai accueillie il y a quelques semaines. Venez, l'agence se trouve juste au coin de la rue.

─ Non, refusa-t-il en suant. Je refuse de passer ma mort à fuir des femmes qui en veulent après moi.

─ Je suis sûr qu'elle ne vous fera aucun ma-...

─ Tu ne comprends pas ! cria-t-il en le retenant par les épaules.

Les muscles de Vernon se contractèrent. Il tourna la tête pour éviter un maximum ses postillons.

─ Toute ma vie j'ai supporté mon épouse ! Pendant quarante ans ! Elle était infernale ! Quand j'ai mis un terme à ma vie, ce n'est pas pour me faire enchaîner à nouveau par une démone de son espèce !

Et Greg s'enfuit, s'encoublant à moitié dans sa toge, de l'autre côté de la rue. Vernon ne le retint pas, comprenant parfaitement qu'il n'avait aucun pouvoir là-dessus. Il se contenta de noter quelque chose sur sa feuille avant de refermer le dossier, le caler sous le bras, et prendre la direction de son lieu de travail physique pour poser son badge dans son casier.

Sur place, son patron l'attendait d'un pied ferme. Vernon passa devant lui en feignant de l'ignorer.

─ Koch, l'appela-t-il sur un ton agressif.

─ Oui... ? répondit l'interpelé sans même le regarder, ouvrant son casier pour y ranger le dossier et ses autres affaires.

─ C'est quoi cette connerie avec le nouveau ?

Vernon se tourna lentement, les yeux plissés.

─ Quelle connerie ?

Son patron visa l'écran de télévision avec sa télécommande, dévoilant les images d'un démon ailé qui courait droit devant lui, sans même faire attention aux voitures, créant accidents sur accidents.

─ C'est déjà à la télé ? Mais il est parti il y a seulement vingt minutes !

─ Et encore, c'est une rediffusion, ajouta son patron d'une voix sèche.

Ce dernier fit un arrêt sur image et pointa Greg du doigt. Sa toge apparente et son mamelon nu prouvait qu'il s'agissait du nouveau pécheur.

─ Pourquoi n'est-il pas dans une agence ?

─ Il s'est fait aborder dans la rue, il a paniqué et s'est enfui. Que vouliez-vous que je fasse ?

─ Ton travail, p'tit merdeux ! martela-t-il en cognant sur son bureau. Un démon non enregistré à l'état civil ne peut pas foutre le carnage dans la ville comme ça !

─ C'est l'Enfer, on s'en fiche, non ? râla Vernon. C'est pas comme si vous vous en souciez des âmes qui mourraient ici.

Il se rendit alors compte de ce qu'il disait et se cacha la bouche avec la main.

─ Peu importe. Tu aurais dû mieux faire ton travail.

Vernon libéra sa bouche et serra les poings.

─ J'ai fait de mon mieux. Vous savez combien c'est difficile de gérer les nouvelles âmes ? C'est un miracle que celle-ci ne m'ait pas sauté à la gorge ! Je risque ma vie tous les jours pour ce job !

─ Ce n'est pas mon problème, rétorqua son supérieur avec un sourire narquois. En parlant de problème, j'en ai une bien bonne pour toi.

Vernon leva un sourcil, intrigué malgré lui. Il jugea préférable de ne pas corriger sa faute de grammaire et d'écouter ce qu'il avait à lui transmettre.

─ Tu es viré, Koch.

Il resta figé, incapable d'y croire.

─ Vous plaisantez ? J'ai besoin de ce travail.

─ Et moi je n'ai plus besoin de toi. Depuis que tu es là, on a trop de dossiers à gérer.

─ Attendez, vous me mettez à la porte parce que... je fais trop bien mon travail ? Pourquoi est-ce que vous me reprochez d'avoir laissé Greg s'en aller, dans ce cas ?

Le patron sourit férocement.

─ Vous n'êtes rien d'autre qu'une enflure, murmura Vernon en se rendant compte qu'il n'y avait aucun lien entre la fuite de Greg et son travail. Vous vouliez juste me rendre la vie difficile.

─ Ton badge.

Vernon vit rouge. Il sortit son badge de son casier et le jeta sur son patron.

─ Allez vous faire foutre !

L'instant suivant, Vernon marchait dans la rue, la tête baissée et un cocard marqué sur son visage.

══════

Lorsqu'il arriva à l'hôtel, Charlie fut la première à lui sauter dessus.

─ Vernon ! Mon père a eu des nouvelles du Paradis, Maggie y est !

─ C'est cool, laissa vaguement entendre Vernon en continuant son chemin jusqu'à l'ascenseur.

Charlie s'immobilisa. Elle devait certainement s'étonner pourquoi la nouvelle ne le réjouissait pas.

─ Est-ce que tout va bien ? s'enquit-elle en le voyant s'éloigner encore.

─ 'me suis fait virer.

─ Oh, dit-elle. Je suis désolée pour toi. Tu aimais ce travail.

─ Nan, pas tant que ça.

Il s'arrêta devant l'ascenseur et appuya sur le bouton.

─ Tu veux en discuter ? suggéra-t-elle d'une voix bienveillante.

─ Nan. Je veux juste m'allonger.

─ Mais...

─ N'insiste pas ! s'énerva Vernon en se tournant vers elle, prenant sa forme démoniaque avant de se calmer. Désolé, je... je veux juste rester seul un moment...

─ Je comprends, répondit-elle sans prendre peur. Je suis là si tu as besoin d'en parler.

Vernon se contenta d'un sourire forcé avant de tourner la tête, reprenant son air grave.

─ Merci de m'avoir prévenu pour Maggie.

Il disparut dans l'ascenseur sans regarder Charlie.

En arrivant à son étage, la première chose qui le frappa fut la présence d'Angel devant sa porte – la porte de Vernon – prêt à frapper. En le voyant arriver, l'acteur baissa la main.

─ On peut parler ? demanda-t-il d'une voix sérieuse que Vernon ne lui connaissait pas.

Ce dernier resta interdit une seconde, puis deux, puis trois. Cela faisait quelques jours que lui et Angel s'évitaient, et le voir prêt à engager une conversation l'étonnait au plus haut point.

Malgré ses angoisses, il hocha la tête et déverrouilla sa porte pour le laisser entrer. Angel se permit de s'assoir sur le lit sans un mot, droit comme un piquet. Je préfère quand il lance des blagues de cul... On dirait qu'il va me faire passer un entretien d'embauche.

─ Je suppose que tu veux parler de nous deux, suggéra Vernon pour briser le silence, tandis qu'il observait son cocard à travers le miroir.

Dans son reflet, il voyait Angel acquiescer doucement avant de poser son regard dépareillé sur un coin de la pièce.

─ T'as gardé le vagin parabolique ?

─ Quel vagin ? questionna Vernon en le rejoignant, avant d'apercevoir leur bricolage en pomme de pin. Aaah, ça, oui. Ça remplit un peu ma chambre, expliqua-t-il avec un haussement d'épaule, penaud.

─ Tu ne l'as pas beaucoup personnalisée en fin de compte, fit remarquer Angel en dévisageant la pile de vêtements posée à même le sol.

─ Faut croire que je ne m'attendais pas à rester en Enfer, avoua Vernon en s'asseyant à l'autre bout du lit, sur le même côté toutefois.

Un ange passa. Vernon jouait avec ses doigts en regardant ses bottines comme si c'étaient la chose la plus intéressante au monde. Il allait finir par se persuader que ça l'était à force de faire ça.

─ Donc... Tu m'as embrassé.

─ Je persiste à dire que c'était toi, contra Vernon.

Leurs regards se croisèrent. Vernon fut le premier à céder et regarder ailleurs.

─ Tu l'as dit à Husk ? demanda-t-il alors, sa voix tremblante.

Comme Angel ne répondait pas, il risqua un regard vers lui. Ce dernier avait rougi.

─ Comment tu sais pour Husk ?

─ ça crève les yeux qu'il t'aime.

─ Qu'est-ce que tu en sais ?

─ Plus concrètement, je l'ai vu t'embrasser la main. J'en ai tiré cette conclusion. Et vue ce que tu m'as dit hier après le... baiser, on peut pas dire que j'ai tort...

Cette fois, ce fut Angel qui dévia le regard. Il marmonna quelque chose que Vernon ne comprit pas.

─ Qu'est-ce que tu dis ?

─ J'lui ai rien dit, s'énerva le plus âgé en lui lançant un regard en coin. On venait de se disputer sur le fait que ses ex l'ont tous trompés à peu de choses près, et moi la première chose que je fais c'est d'embrasser un autre !

─ Ah, là tu viens de dire que c'est toi qui m'as-...

─ Ta gueule Vernon, t'aides pas ! Tu comprends ce que je veux dire !

Vernon se mordit la lèvre.

─ Désolé, tu as raison.

Angel regarda dans le vague, se calmant un petit peu.

─ J'suis un infidèle trou du cul, murmura-t-il avec tellement de haine que Vernon en fut secoué.

Nouveau silence. Le plus jeune voulut tendre la main vers lui en un geste de compassion, mais se ravisa au dernier moment.

─ On n'est pas obligés de faire comme si ça signifiait quelque chose, déclara finalement Vernon, le cœur lourd. Je veux dire, à priori c'était un geste impulsif, et on est même pas d'accord pour dire qui a fait le premier pas. Donc aucun de nous deux ne le voulait vraiment. On devrait juste faire comme si rien n'était et passer à autre chose... Sinon, je peux te donner de l'argent, et on fait passer ça sur le dos de ton travail.

─ Donc c'est comme ça que ça marche ? Tu m'files du fric et on dit que j't'ai baisé ? attaqua sans férocité Angel et en lui faisant complétement face. Tu crois vraiment que ça pardonnera ma putain d'infidélité ?

─ B-bah j'dis juste que comme tu es... enfin tu travailles dans... je pars du principe que Husk connait tes activités professionnelles quand même..., bredouilla-t-il en ramenant les bras contre lui, comme pour se protéger.

Au même moment, Angel pivota sur lui-même et fit basculer Vernon sur le lit, l'enjambant à quatre pattes – ou six en l'occurrence.

─ J'savais bien que t'étais un pervers dans le fond, Vernon, lui susurra Angel au-dessus de sa tête.

Vernon n'était pas capable de hurler. Ses yeux restèrent figés sur lui.

─ Donc là, personne ne verrait le moindre problème à ce que je te baise vue qu'à priori tu vas me payer et que personne n'en aura rien à foutre de ce qu'on ressent, c'est ça ?

Angel se pencha pour mordiller sensuellement le cou de Vernon, qui resta titanisé, les yeux toujours braqués sur lui.

─ Tant que ça ne signifie rien, qu'il n'y a pas de sentiment, ce n'est pas « tromper » donc, susurra-t-il d'une voix en colère, entre deux baisers sous son lobe. Vue que ça reste le « travail »...

Vernon sentit avoir une érection clitoridienne mais pas pour les raisons qui le poussait à y trouver du plaisir, au contraire. Et cela le motiva à articuler un mot qui arrêta Angel dans son élan :

─ Dégage.

Il ne fallut pas le répéter. Angel se releva et réajusta nonchalamment son veston.

─ T'as la preuve que tu ne t'en fous pas, Vernon, déclara Angel en le foudroyant du regard. Alors imagine seulement ce que moi j'aurais pu ressentir.

─ T'as quand même essayé de me violer, espèce de cinglé, vociféra Vernon en se redressant brutalement. Pour le coup, excuse-moi de m'en foutre de ce que tu ressens.

─ Fais pas comme si j'allais vraiment le faire, soupira rageusement son voisin.

─ C'est quand même super traumatisant !

─ Tu veux savoir ce qui est traumatisant ?! Les viols à répétition, à sec, dans ton cul, et sans te demander si c'est ok pour toi et la personne que t'aimes ! s'emporta Angel, dont les multiples yeux virèrent au rouge.

─ Et si je t'avais pas dit de dégager, à quel moment tu aurais arrêté ton cinéma ?!

Angel resta silencieux, mais ses dents serrées trahissaient sa volonté de s'exprimer.

─ J'allais pas te violer, Vernon, lâcha-t-il enfin, l'air parfaitement sûr de lui.

─ Je sais même pas si je peux te croire, Angel.

Angel ouvrit la bouche, mais la referma avant de dire quoi que ce soit.

─ Je sais pas ce que te fait vivre Valentino, enchaîna Vernon en reculant au centre du matelas pour s'éloigner de lui. Mais ça ne te donne aucun droit de faire pareil juste pour me donner une leçon.

Angel fronça des sourcils, puis regarda ses mains.

─ Putain, laissa-t-il entendre d'une voix brisée.

─ Je devrai probablement t'en vouloir à mort et te rayer de ma vie, mais je crois que t'as surtout besoin d'aide.

Vernon dévia le regard, incapable de regarder Angel dans les yeux. Oui, il était profondément en colère contre lui, et c'était une raison suffisante pour le détester, mais une petite voix au fond de lui lui hurlait qu'il s'agissait avant tout d'un appel à l'aide.

─ S'il te plait Angel, ne refais plus jamais ça.

─ C'est la seule fois, murmura-t-il, immobile.

─ Et ça sera la dernière. Mais refais encore une fois ce que tu viens de faire, et je te jure que je te défonce, Angel.

Vernon n'avait jamais parlé comme ça avec qui que ce soit. Pas même avec Joy lorsqu'elle s'est énervée contre lui avant de mourir. Pas même avec Margot après l'avoir largué. Pas même avec la personne qui l'a tué durant son service militaire.

Il osa un regard vers Angel pour s'assurer qu'il avait bien intégré l'information. Ce dernier s'adossa contre la porte, comme si ses jambes seules ne suffisaient plus pour soutenir le poids de la culpabilité.

─ Je ne voulais pas te faire du mal, parvint-il à déclarer malgré son air tourmenté.

─ Je suis désolé que tu le vives aussi souvent, répondit Vernon. J'aurais aimé mieux comprendre ce que tu vies pour mieux savoir quoi faire pour t'aider.

Angel se prit dans les bras.

─ Tu m'dois rien.

─ Je me sens responsable pour notre baiser.

En faisant plus attention, Vernon pouvait remarquer que le corps d'Angel était pris de spasmes. Il se retenait de laisser jaillir ses émotions visiblement.

─ Hé, Angel, appela doucement le plus jeune en se levant du lit.

Il se fit repousser. Impuissant, Vernon fixa Angel essayer de contenir ses cris et ses larmes quelques instants.

Il finit par céder lorsque Vernon retenta de l'étreindre, accueillant ses sanglots au creux de ses bras.

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