ℭ𝔥𝔞𝔭𝔦𝔱𝔯𝔢 28
─ Qu'est-ce que tu veux ? céda Vernon en en croisant des bras tout en le dévisageant.
Alastor prit un air amusé.
─ J'ai besoin de quelqu'un comme toi pour m'aider à accomplir une tâche délicate en lien avec les Vees. Personne là-bas n'est au courant que tu m'appartiens.
Vernon fronça des sourcils, manifestement exaspéré malgré sa curiosité.
─ Quelle sorte de tâche ? demanda-t-il durement.
Alastor abaissa légèrement sa voix. Il se pencha vers lui pour parler plus discrètement.
─ Il s'agit d'une affaire délicate impliquant certaines personnes influentes des Vees. Je ne peux pas entrer dans les détails ici, mais je peux te dire que cela nécessitera une certaine finesse et une capacité à naviguer dans des eaux troubles sans attirer l'attention.
Il se redressa et lui fit signe de le suivre. Vernon n'hésita qu'un seul instant avant de soupirer et d'obtempérer. Le travail pouvait bien attendre.
Alastor l'emmena dans son studio de radio. Il l'invita à prendre place sur un tabouret. La dernière fois qu'il était venu, Vernon se souvenait d'une table métallique avec du café. Aujourd'hui, il n'y avait rien de cela, à part un courant d'air et un cafard. Le café était certainement une tactique pour se montrer sympatique...
Le démon croisa des bras et planta son regard dans celui d'Alastor.
─ Je vous écoute.
Le plus âgé claqua des doigts et fit apparaître une carte qu'il tendit à Vernon.
─ Il s'agit du plan des studios de Valentino.
Le nom fit frémir le plus jeune. Il reconnut celui du patron tyrannique d'Angel.
─ J'aimerais que tu t'infiltres chez lui et que tu me cherches quelque chose...
Il laissa sa phrase en suspens tout en décortiquant l'expression de Vernon. Ce dernier semblait angoissé à l'idée de mener cette mission. Sa réaction sembla amuser le démon de la radio. Vernon observait attentivement la carte des studios. Les instructions d'Alastor étaient claires, mais l'idée de s'infiltrer dans ce lieu maudit lui donnait des frissons. Malheureusement, il savait que s'il voulait garder sa liberté, il devait obéir.
Il prit une profonde inspiration pour calmer ses nerfs et regarda Alastor droit dans les yeux.
─ Qu'est-ce que vous cherchez ?
─ Un contrat.
Devant le silence de Vernon, Alastor parut amusé.
─ Celui qui le lie à l'âme d'Angel Dust.
Le plus jeune écarquilla des yeux.
─ J-je ne vous suis pas, balbutia-t-il. Pourquoi en avez-vous besoin ?...
Cette fois, ce fut Alastor qui garda le silence, son regard perçant planté dans celui de Vernon. Il ne semblait pas déterminé à lui fournir une quelconque réponse, aussi, le plus jeune passa outre.
─ C'est urgent ?
─ À toi d'en juger, mon cher Cardioderma ~, roucoula-t-il en réajustant son nœud papillon, face à une surface miroitante.
Alastor dévia le regard sur le sol et, d'un mouvement rapide, écrasa le pauvre cafard dans un scrounch hideux.
Vernon hocha la tête. Après tout, les ordres étaient les ordres. Il fixa le cadavre de la bête en s'imaginant être à sa place.
══════
─ T'es en retard, sac à merde, râla le démon aux multiples yeux en lui tendant son badge.
─ J'ai été retenu, pardon, s'excusa Vernon en attrapant son insigne ainsi que son calepin.
─ Tu peux te fourrer tes justifications là où je pense, je suis pas le patron à qui ça fonctionne de sucer les bottes. T'es un fonctionnaire, tu dois être présent à huit heures tapantes au bureau et tu fais pas chier. T'as compris, p'tit merdeux ?
─ Oui, compris, acquiesça-t-il.
─ Donc ce soir tu fais deux heures supp' au lieu d'une.
Vernon ferma un instant les yeux, hocha de la tête, et quitta les bureaux. Qu'il est détestable.
Dans les rues de la ville, des voitures circulaient dans un joyeux vacarme. Le jeune homme longeait les rues de la ville, l'air hagard. Il ne trouvait pas toujours les nouvelles âmes, ça lui arrivait donc de passer sa journée à se balader simplement. Ce n'était pas passionnant d'être payé juste pour marcher, mais pour le moment, tant que son salaire lui permettait de mener une vie – mort – confortable, il ne s'en plaindrait pas.
En passant devant une boutique de vêtements, Vernon croisa son reflet. Ses cheveux avaient tellement poussé qu'il avait dû les couper la veille ; il remarqua qu'il avait mal taillé les côtés. La prochaine fois, nul doute qu'il ira dans un salon. Sa frange, quant à elle, avait été plus simple à rafraîchir au niveau de la longueur.
Tout à coup, derrière lui, Vernon entendit un bruit d'explosion. Il fit volte-face et remarqua qu'un diablotin avait jeté une grenade sur une pauvre passante. Un démon cannibale se précipita sur le corps, les pupilles dilatées par la faim.
Vernon recula de quelques pas, ébahi par la scène. Il ignorait s'il allait finir par s'y habituer.
Pris par un haut-le-cœur, il décida de s'éloigner au plus vite. Il bifurqua dans une nouvelle ruelle et là, tout à coup, un éclat de lumière l'immobilisa. Lorsque Vernon eut recouvert sa vue, il se tenait devant une silhouette qui était allongée sur le bitume, enroulée dans une toge blanche. Une nouvelle âme, se dit-il en s'approchant avec méfiance, puis s'arrêta à deux mètres d'elle. S'il avait bien appris une chose depuis un mois de travail, c'était qu'il devait rester attentif envers les nouvelles âmes pêcheresses. Il en avait marre de se faire agresser par ces dernières.
La silhouette se redressa d'un seul coup, l'air perdu. Elle observa tout autour d'elle à la recherche de quelque chose. Elle semblait grande de taille, avec une chevelure sombre, fourchue, et des yeux brillants comme de l'argent. Sa peau avait la même couleur qu'une brique en béton, se disait Vernon en l'examinant.
─ Bonjour, interpela Vernon en dégênant son calepin. Je m'appelle Vernon Koch, bienvenue dans la ville du Pentagram, en Enfer.
L'inconnue – il parvint à conclure qu'il s'agissait peut-être d'une femme – ouvrit la bouche, hésita, puis fronça des sourcils.
─ Bah merde, ils avaient raison, j'aurais pas dû sécher les cours de catéchisme...
─ Je peux vous aider à trouver une agence, déclara Vernon en écrivant rapidement une note. Là-bas, on vous trouvera du travail, un logement et des vêtements.
Il savait d'expérience qu'il était inutile de tourner autour du pot. La plupart des démons l'auraient envoyé chier depuis un moment déjà. Étonnamment, l'inconnue l'écoutait.
─ Si vous êtes d'accord, je vais vous y conduire.
─ Écoute, chérie, tes airs d'ange tu peux te les garder, déclara-t-elle d'une voix rauque – elle avait sûrement beaucoup fumé durant sa vie. Je sais pourquoi je suis ici, et si tu le savais tu ne m'aiderais sûrement pas.
Elle n'était pas la première personne à refuser son aide. Comme il cherchait quoi dire, la femme prit cela pour une invitation à parler.
─ Mais bon, vue que t'es là, autant en profiter... On peut chopper des IST ici ?
─ Euh, non, pas à ma connaissance, balbutia-t-il en fronçant légèrement du front. Quoique... En vrai je ne sais pas.
La démone – sûrement la cinquantaine – se dressa sur ses deux pieds et réajusta sa toge qui tombaient de ses énormes seins.
─ Bon bah, je suppose que je vais faire ce que je faisais de mieux : me prostituer contre de l'argent, et me droguer dans ma caravane.
Vernon écrivit rapidement quelque chose sur son calepin.
─ À condition que je m'en trouve une nouvelle... Chéri, t'es pas obligé de noter tout ce que je dis, je ne suis sûrement pas très intéressante.
─ Je mâche le travail des agences, expliqua Vernon en relevant les yeux. Il faudra vous inscrire dans le registre des habitants, autant qu'ils vous aident au plus vite. Faites-moi confiance, le processus est d'un long...
La démone ricana grassement.
─ Eh bien, qu'est-ce que tu veux encore savoir de moi, mon chou ?
─ Votre nom-prénom s'il vous plait, votre date de naissance et de mort - ah ça je peux le remplir par moi-même, et s'il y a éventuellement un proche décédé, pour qu'on regarde si quelqu'un peut vous loger en attendant.
─ On m'appelle Brune.
══════
Vernon arriva à l'hôtel en baillant. Il n'en pouvait plus de Brune, qui ne faisait qu'échapper à sa vigilance en s'émerveillant pour la moindre chose qu'ils croisaient. Il enviait sa joie de vivre.
─ Bonsoir Vernon, entendit-il en direction des canapés.
En tournant la tête vers la voix, il aperçut Charlie et Vaggie, assises sur un canapé, aux côtés de deux autres résidants avec qui il n'avait pas spécialement sympathisés mais dont il connaissait les noms. Les quatre le saluèrent de la main, forçant Vernon à répondre poliment avant de s'engouffrer silencieusement dans l'ascenseur.
Une fois au deuxième étage, il pouvait entendre de la musique provenant de la chambre d'Angel. Il doit jouer de l'accordéon, se dit-il brièvement en regagnant sa chambre.
La pièce resta plongée dans l'obscurité. Le jeune homme se laissa tomber dans son lit, puis ferma les yeux.
Il se tenait debout dans une grande pièce sombre. Vernon ne ressentait rien, aucune fatigue, sinon une boule lourde au fond de son ventre. Cette boule – son angoisse – le poussa à appeler à l'aide.
Personne ne lui répondit. Il devait rêver.
Il fit un pas en avant, se rendant alors compte que ses pieds pataugeaient dans une marrée basse illuminée par ce qu'il aurait jugé être des têtards, ou des lucioles sous-marines. Il se pencha en avant et aperçut son reflet : sa forme humaine. Sa peau légèrement rosée capturait la lueur de l'eau, et ses cheveux blonds – Joy employait le terme « champagne blonde » pour en décrire la nuance – ondulaient sur sa tête comme s'il venait de les brosser, les rendant épais. Il n'avait jamais été doué pour entretenir ses cheveux. Ses yeux, ses grands yeux bruns, portaient la même couleur que son jeans. Il posa ses mains sur son tee-shirt blanc et reconnu la tenue qu'il aimait porter pour se rendre en cours, lorsqu'il était adolescent. À cette époque, il adorait charger ses avant-bras de bracelets colorés. Il les retrouva à ses poignées. Il les secoua, amusé.
─ Vernon, l'appela une voix de femme.
S'attendant à croiser le doux regard azur de Joy, il releva la tête avec hâte.
─ M-maman ? appela-t-il, étonnée de la voir à la place de celle qu'il attendait.
─ Je ne suis plus ta mère. Tu es une catastrophe.
─ Je... J-je ne l'ai pas fait exprès, je ne savais pas que je les avais tués, s'expliqua le jeune homme en faisant un pas vers sa génitrice.
Cette dernière portait la même chevelure blonde, et ses yeux verts brillaient de tristesse.
─ Leurs morts ont détruit mon mariage, Vernon.
─ ... Je sais.
Vernon s'arrêta à un mètre d'elle. Elle était plus grande que lui d'une bonne tête, son air devint alors plus dur.
─ Comment as-tu pu croire que tu étais une bonne personne ?
─ Tu n'es pas ma mère, déclara simplement Vernon. Juste un rêve.
À ces mots, la silhouette s'évapora en milliers de fragments d'étoiles que le jeune homme ne chercha pas à récupérer. Mais, étrangement, quelque chose attira son attention ; une coccinelle se sépara des cristaux et virevolta autour de Vernon, jusqu'à se poser sur le bout de son nez. Étonné par sa présence, il loucha pour la regarder, ne ressentant curieusement aucune crainte de voir la bestiole aussi proche de lui. La coccinelle était le symbole de la chance après, du bonheur et des bonnes rencontres.
Il sentit alors une main se poser sur son épaule, le faisant sursauter. Il ne remarqua pas l'envole de la coccinelle, préférant se retourner pour faire face à... personne.
─ Je suis là !
Il fit volte-face une nouvelle fois et croisa le regard de Margot, son ex petite-amie, celle avec qui il avait partagé deux ans de sa vie, celle avec qui l'amitié n'avait jamais cessé au-delà de leur amour flétri.
Ses cheveux rasés faisaient attirer le regard sur son visage, en particulier son maquillage violet qui sublimait ses iris clairs.
─ T'as pas l'air content de me voir, c'est presque vexant.
─ S-si, c'est... Je suis surprise que tu sois là.
─ On est restés amis, tu te souviens ? ria-t-elle d'un bonheur enfantin. Bien sûr que je suis là !
─ Oui, mais ce n'était plus pareil entre nous deux.
─ Je sais. Tu m'aimais, je veux bien te croire, mais tu n'avais que le nom de Joy dans ton cœur. Pas le mien.
Son sourire se fit plus triste. Margot restait terriblement belle, seulement éclairée par les têtards-lucioles qui dansaient autour de ses pieds nus.
─ Jeanne et Chel nous attendent.
─ On va où ?
─ Au cinéma. Peut-être que cette fois, ils vont oser se rouler une pelle pendant la séance ?
Vernon roula des yeux.
─ Tu n'es pas réelle, Margot.
Son amie haussa des épaules.
─ Et alors ? C'est ton rêve, c'est toi qui décides de ce qui l'est ou non.
─ Eh bien... Je ne veux pas que tu sois réelle, parce que ça voudrait dire que tu es morte.
─ Est-ce que je te manque ?
─ Oui, admit Vernon. Terriblement. Depuis le jour où tu as rompu avec moi. J'aurais dû... J'aurais apprendre à mieux t'aimer.
Il tendit un bras vers elle, mais elle s'évapora à son tour.
─ Eh bah, sacrée nana, ricana un homme en tenue militaire, crâne rasé en dégradé, le regard espiègle.
─ J'espère que t'es pas là pour me dire que j'ai eu un léger crush sur toi de mon vivant ?
─ Pfff, beurk, dis pas n'importe quoi, répondit Liam. J'étais pas ton style de mec. Toi ce que tu aimais, c'étaient les personnes socialement douteuses et pétillantes avec des traumas que tu voulais soigner. Toi et ton syndrome du sauveur..., soupira-t-il en secouant la tête.
─ C'est vrai, acquiesça Vernon en le laissant enrouler son bras autour de ses épaules, se rendant compte que tout ce que disait le Liam de son rêve était exact.
─ En revanche, je suis la dernière personne que tu as vue avant de mourir, ça me rend spécial.
Vernon se détacha pour lui donner un coup dans le bras.
─ Abuse pas trop non plus.
Ce geste fit disparaître Liam dans un millier de fragments d'étoiles, laissant sa place à un autre homme. Une chevelure ébouriffée, un regard dépareillé, un sourire malicieux...
─ A-Angel ?
Vernon esquissa un pas en arrière, tombant même dans l'eau fesses les premières.
─ Le seul est l'unique ~, plaisanta-t-il en posant sa main sur sa hanche, semblant amusé de retrouver le jeune homme mouillé. Bah quoi, joli cœur, c'est moi qui te fais cet effet-là ?
Les têtards-lucioles s'éloignèrent un instant, apeurés, avant de revenir tournoyer autour de Vernon. En se relevant, il découvrit que sa main avait dorénavant l'allure de sa forme infernale. Dans son reflet, il se reconnu comme étant le démon Cardioderma.
─ Viens, je vais t'aider.
Il posa ses yeux sur l'une des mains tendues d'Angel, hésitant à l'accepter.
Et à chaque clignement d'yeux, l'apparence d'Angel Dust devenait celle de Joy : peau sombre, cheveux crépus, regard bleu ciel, rouge à lèvre rose.
Toc toc toc.
─ T-tu n'es pas réel non plus, bafouilla Vernon en sentant son cœur battre la chamade, sans savoir s'il parlait d'Angel ou bien de Joy.
─ Vraiment ? interrogea l'un ou l'autre. Pourtant...
Toc toc toc.
La silhouette se pencha vers lui et chuchota au creux de son oreille :
─ Je suis plus réelle que tes petites copines, actuellement...~
Toc toc toc.
Et Vernon se réveilla en sursaut, dans son lit, habillé comme au travail. Son cœur tambourina dans sa cage thoracique avec fougue, envoyant le sang pulser dans ses veines si fort qu'il l'entendait.
Il lui aura fallu plusieurs minutes pour recouvrer son calme.
En voyant l'heure, il remarqua qu'il était vingt-deux heures passées, ce qui signifiait qu'il avait sauté le dîner. Il se laissa tomber sur le dos, encore perturbé par son rêve.
Toc toc toc.
Il entendit quelqu'un frapper à la porte de sa chambre. La tête dans les vapes, il se leva péniblement et alla ouvrir, se demandant qui pouvait venir le déranger aussi tard.
Il ouvrit la porte...
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