ℭ𝔥𝔞𝔭𝔦𝔱𝔯𝔢 23

Vernon ouvrit les yeux. Il avait l'impression que sa tête allait exploser. Il se redressa difficilement, les muscles engourdis, tout en essayant de se souvenir de la veille.

─ Tiens, un verre d'eau.

Il leva la tête vers une femme cyclopéenne dont il ne se souvient pas avoir déjà vu le visage.

─ Euh, merci...

Il lui prit le verre des mains et le descendit d'une traite. C'est pas du café mais ça fera l'affaire pour le moment... Il se rendit alors compte qu'il était dans un appartement qu'il ne connaissait pas. Avec une fille qu'il ne connaissait pas.

─ Cher', t'as pas vu mes clefs ? appela la familiaire voix d'Angel depuis une autre pièce, le faisant sursauter.

─ Nan, regarde dans le frigo, elles y étaient la dernière fois ! répondit la démone en repliant un bout de tissu dans ses mains.

Vernon s'habitua à la lumière qui l'éblouissait. La fille devant elle semblait à présent passer un coup de chiffon sur la table du salon. Le jeune démon se rendit compte qu'il était à moitié allongé sur un canapé qu'il ne connaissait pas non plus.

─ Cherri, je les ai !

─ Alors ? demanda la fille en levant brièvement la tête.

─ C'était bien dans le frigo. Y'avait même même l'anneau pénien que j'ai oublié la semaine passée, petite coquine. ~

─ Ça tiendra frais sur ta bite, ria-t-elle avant de poser son regard sur l'invité. Quoi, pourquoi tu me regardes comme ça, j'ai un truc dans les cheveux ? Ah meeerde Angie, je me suis vomie dessus ?

─ Non tu es impeccable, répondit Angel en arrivant dans le salon. Ciao, Vernon.~

─ S-salut..., balbutia-t-il d'une toute petite voix.

L'acteur se laissa tomber à côté de lui et prit une grande gorgée d'eau d'un verre qui était posé sur la table basse. Vernon en profita pour lui chuchoter :

─ Dis, on est où ? C'est qui, elle ?

─ Qu'est-ce qu'il radote ton pote ? s'amusa Cherri en s'arrêtant brièvement.

─ Rien, il se souvient juste pas de cette nuit, se moqua Angel.

─ Oh meeerde pourtant c'était un truc de fou ! Je suis désolée pour toi, Vern'.

Le plus jeune resta silencieux. Il les dévisagea tour à tour.

─ Cette clocharde s'appelle Cherri Bomb, on est venus chez elle pour partager un space cake.

─ Cette bombasse est sa meilleure amie, ajouta la prénommée Cherri.

─ Tu seras jamais aussi bien que Husk.

─ Moi au moins je ne sens pas la chatte humide quand je me balade sous la pluie.

─ Il ne sent pas la chatte humide, Cher'.

─ Je parlais de toi, Angie.

Vernon les interrompit.

─ J'ai mangé un space cake ?

─ Pfff, à peine, se moqua Cherri en gonflant les joues pour se retenir de rire. On dira que tu as été curieux et que tu as effleuré une miette, expliqua-t-elle en posant une main sur sa hanche.

─ T'as mordu dans ma part pour essayer, lui expliqua Angel en envoyant un clin d'œil à Cherri. Bah mon pote, ça t'a bien défoncé l'heure suivante. Toute la nuit même.

─ C'était une dinguerie, acquiesça la femme. Tu disais grave de la merde ! T'étais là, devant Mary Jane - la plante là-bas - et tu avais une conversation avec elle.

─ J'ai fait ça ? s'étonna le concerné.

─ Ouais, d'ailleurs tu as mordu dans une feuille, regarde il y a encore la trace de tes dents, montra Angel avec le doigt.

En effet, il manquait un bout de la feuille au figuier lyre qui portait le doux nom de Mary Jane.

─ J'ai dit des choses bizarres ? demanda-t-il, embarrassé devant les traces de crocs.

─ Je sais pas trop, on était grave défoncés aussi, rassura Cherri.

En tournant la tête vers Angel, Vernon constata qu'il avait un sourire taquin. La honte que je me tape.

══════

Angel et Vernon s'arrêtèrent dans le grand hall de l'hôtel. Il n'y avait que très peu d'agitation, ce qui était normal pour un samedi matin. Les premières personnes que les deux démons aperçurent furent Charlie, qui semblait discuter avec Niffty. La femme de ménage effectua un salut militaire avant de décamper vers les chambres tandis que la princesse, elle, descendait les escaliers.

─ Salut vous deux, dit-elle dans un triste sourire. Je voulais vous tenir au courant du décès de Marguerite.

─ Oui, j'étais là hier, répondit Vernon en se retenant d'avoir la voix brisée, en vain. Est-ce que tu as des nouvelles du Paradis ?

Charlie secoua la tête.

─ Cela se passe par le biais des Séraphins et mon père. Ça peut prendre beaucoup de temps.

─ Pff, ils peuvent pas envoyer un SMS, comme tout le monde, râla Angel Dust en poursuivant son chemin. Daddy Husky, ton Angie est rentré. ~

L'acteur avait pris la direction du canapé, où le barman était allongé en regardant la télévision. Vernon ne l'avait pas aperçu immédiatement... Husk fronça du nez en entendant Angel.

─ T'es vraiment dégueulasse. Je sais que je suis vieux, pas besoin de le rappeler.

─ Chaton, l'âge n'est qu'un chiffre, tout comme les centimètres que je veux t'enfoncer dans le-...

─ Vernon ?

L'interpelé tourna la tête vers Charlie, qui affichait une expression peinée. Cette dernière lui prit délicatement les mains.

─ Je suis sincèrement désolée pour Marguerite. J'ai vu comme vous vous êtes rapprochés, elle et toi, depuis que tu es arrivé. Elle n'avait pas vraiment d'amis dans l'hôtel à cause de son jeune âge, et... Ça me faisait chaud au cœur qu'elle se soit autant ouverte à toi.

─ Qu'est-ce qu'il s'était passé ? demanda-t-il en serrant légèrement ses doigts, la gorge nouée et les yeux brûlantes.

─ Mitch avait eu... une pulsion, comme il les appelait.

Vernon dût réfléchir un instant avant de se réaliser que Mitch était le nom du résidant qui l'avait tuée. Il ne le connaissait pas personnellement, c'était à peine s'il arrivait à remettre un visage sur ce nom.

─ C'était un meurtrier de son vivant ?

Charlie hocha la tête, la lèvre pincée. Le cœur du démon se resserra dans sa poitrine, mais ce n'était plus seulement du chagrin ; c'était de la haine. Même si cela avait permis à Maggie d'atteindre le Paradis – et encore, ils n'étaient sûrs de rien – elle ne méritait pas de partir aussi sauvagement.

─ Elle... elle a souffert ?

─ Je l'ignore... Je n'espère pas, se rattrapa-t-elle vivement.

─ Et Mitch, où est-il ?

La princesse ouvrit la bouche, mais rien n'en sortit. C'était peut-être mieux qu'elle ne réponde pas, en fin de compte.

─ Merci, fut tout ce qu'il fut capable de dire.

─ N'hésite pas si tu as besoin de quelque chose.

Elle lâcha ses mains. Vernon les récupéra et les ramena contre lui, près de son cœur.

─ Bon, hum, eh bien, je vais dans ma chambre...

Charlie le salua de la main, compréhensive. Il l'aimait vraiment bien, cette Charlie, même si sa ressemblance avec Joy le déstabilisait et le faisait fuir... Il était tout de même heureux de l'avoir rencontrée.

Le jeune homme opéra donc un demi-tour et se dirigea vers les escaliers. Au dernier moment, il tourna la tête vers Angel et Husk pour les saluer, mais...

Son cœur explosa dans sa poitrine lorsqu'il vit Husk embrasser délicatement le dos de la main d'Angel, le regard planté dans le sien.

Angel qui souriait avant de retirer sa main en riant, une autre de ses mains dans ses cheveux avec embarras.

Husk qui passait sa main sur son propre visage pour cacher son rougissement.

Angel.

Husk.

Angel...

Et Husk...

Vernon ne s'était rendu compte de rien. Et la vérité le frappa si fort qu'il manqua de louper une marche lorsqu'il prit la fuite.

Angel et Husk.

Il grimpa les étages avec fureur et s'arrêta devant la porte de sa chambre. Il n'avait rien vu. Il aurait dû voir que ses deux amis entretenaient ce genre de relation.

Angel et Husk.

Il ouvrit la porte si fort qu'elle cogna le mur dans un bruit assourdissant. Vernon fit quelques pas dans sa chambre, la referma et, dans la pièce voisine, croisa son reflet à travers le miroir. Sa forme infernale l'épouvanta : ses oreilles s'étaient rallongées, ses dents s'étaient aiguisées, ses yeux avaient virés au rouge... Il se tint la tête en prenant plusieurs grandes respirations, mais il manquait d'air.

Angel et Husk.

Son corps tremblait. C'était à peine s'il tenait debout. Il savait reconnaître les symptômes d'une crise de panique, mais cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas ressenti une angoisse aussi intense. Le space cake. Putain, évidemment, le cannabis favorisait les crises, peut-être qu'il n'avait pas encore tout évacué de son corps... Bordel. Putain de drogue. Qu'est-ce qui lui a pris d'en prendre ?

Angel.

Il ferma les yeux et se dirigea jusqu'à la salle de bain à tâtons. Il devait respirer. Il devait retrouver son calme. Sinon il allait exploser, à moins que cela ne soit déjà le cas ?

Ni une ni deux, Vernon se jeta sous la douche et activa un puissant jet d'eau froide qui le ramena au temps présent.

Angel...

Il cria de surprise à cause de la température avant de se laisser tomber sur les fesses, le dos contre la paroi. Au bout d'une minute qui lui aurait parut une heure, ses muscles se décontractèrent et sa tête roula en arrière.

De l'air.

De l'air frais.

Enfin.

...

─ Putain...

Ses mains tombèrent sur ses genoux. Ses vêtements collaient à sa fourrure, mais ce n'était plus son souci. Maintenant qu'il était à nouveau lucide, il prit la décision de ne plus laisser traîner les choses.

Il devrait retrouver le contrôle de la situation.

─ A-Alastor..., appela-t-il faiblement.

─ Je suis là.

Vernon ne sursauta même pas. Il ne s'y attendait pas, c'était vrai, mais il était beaucoup trop soumis à l'adrénaline pour esquisser le moindre le geste.

En revanche, il ouvrit les yeux.

Le démon de la radio se trouvait bien là, se tenant pile sur l'encadrement de la porte de la salle de bain, les mains jointes dans son dos.

─ Tu m'as l'air dans un bien piteux état, fit-il remarquer en plissant des yeux, cachant son air soucieux derrière un sourire amusé.

─ J'ai besoin de savoir comment vous savez pour mon péché...

Alastor ne répondit rien. N'esquissa aucun geste. Comme si cette demande ne l'impactait pas.

─ Pff... C'est impossible que vous le sachiez. Personne n'a accès au monde des vivants depuis ici... J'ai été bête de vous avoir cru.

─ Ce n'est pas exact, contra Alastor en utilisant le bout de sa canne pour éteindre la douche.

Vernon n'esquissa aucun mouvement pour l'en empêcher.

─ Il y a bien un moyen, mais je n'y ai hélas pas accès. En revanche... J'ai eu accès à autre chose, susurra-t-il sur un ton séducteur qui fit frissonner Vernon, lorsqu'il s'accroupit vers ce dernier.

─ À quoi ? demanda le plus jeune en se redressant péniblement.

─ Oh, ça, ricana-t-il. Si je te le disais, ce ne serait plus mon petit secret.

Alastor ponctua ses dires par un clin d'œil, puis se redressa pour se retrouver à nouveau debout. À présent, il se tenait au centre de la petite salle de bain.

─ Alors je n'ai aucun moyen de savoir si ce que vous dites est vrai, argumenta amèrement Vernon en se tenant dorénavant debout, lui aussi, attiré par la gravité à cause du poids de ses vêtements trempés.

─ Eh bien..., commença l'Overlord en faisant mine de se limer les ongles pour lui donner l'air nonchalant. Il se trouve que j'ai passé un marché avec une certaine personne de cet hôtel il y a maintenant un certain temps...

L'oreille de Vernon se redressa attentivement. Parlait-il de Charlie ? Après tout, il avait entendu dire la veille encore qu'elle lui devait un service. Il était vrai qu'elle semblait nerveuse lorsque cela avait été évoqué...

─ Il est donc possible que j'ai demandé à cette personne un contact, qui m'a précieusement livré ces informations sur toi.

─ Qui ça ? insista Vernon, profondément intéressé et angoissé à l'idée de le savoir.

─ Tututut, pas si vite, mon cher Cardioderma.

Alastor lui tendit la main en haussant un sourcil. Vernon dévisagea la main, puis Alastor, puis à nouveau la main.

─ C'est mon âme que vous désirez, c'est juste ? lâcha-t-il amèrement.

─ Tout à fait.

─ Mais je pourrai le récupérer dès que j'atteindrai le Paradis ?

─ Oui.

─ Donc... En attendant la rédemption... Je vous appartiendrai ?

─ C'est exact.

Il se souvint des paroles de Husk. De Lucifer. De Charlie. D'Angel. De Vaggie.

Ne passe pas de marché avec Alastor.

─ Alooors ? insista le démon de la radio sur un ton malicieux.

─ Vous me direz absolument tout ? Vous savez au moins que dès que je saurai ce que j'ai fait de mal, je serai envoyé au Paradis ?

─ J'en prends le risque.

Vernon déglutit et approcha sa main de la sienne... Avant de s'immobiliser.

─ Non, quelque chose est bizarre.

Le sourire d'Alastor se fit un tantinet plus large.

─ Je ne serai pas envoyé au Paradis tout de suite.

─ Ah bon ? ~

─ Sinon, à quoi je vous servirai ?

Alastor le toisa un instant avant d'éclater de rire.

─ Eh bien eh bien ! Je ne pensais pas tomber sur une personne aussi intelligente que toi ! J'aime que tu ne me rendes pas la tâche aussi facile.

Vernon recula dans sa cabine de douche, les sourcils froncés.

─ Effectivement, il y a peu de chance que tu sois envoyé au Paradis de suite, pas après ce que tu as fait, déclara le démon de la radio en remuant la canne. Je sais que je suis un détraqué, mais jamais je n'aurais fait tout ce que j'ai fait de mon vivant par simple amour.

─ Par... amour ? balbutia-t-il en sentant la paroi glacée dans son dos.

─ Je vais éviter de trop t'en dire, mais peut-être que cela te fera mûrir dans ta décision. ~

Sur ce, Alastor s'évapora dans l'ombre, riant à gorge déployé jusqu'au silence complet.

Vernon, lui, s'effondra à genoux.

Qu'est-ce que j'ai bien pu faire d'horrible par amour ?!

Vernon releva la tête, le cœur battant à mille à l'heure.

Je dois parler à Charlie.

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