ℭ𝔥𝔞𝔭𝔦𝔱𝔯𝔢 2

Vernon hésita un instant – un seul – avant de se lever pour ouvrir la porte.

─ Désolée de vous déranger, s'excusa Charlie en se penchant légèrement en avant. Je vais vous laisser vous installer. Je voulais simplement vous prévenir que le buffet ouvre à dix-huit heures si vous désirez dîner, et aussi, comme vous venez d'arriver, nous pouvons mettre en place un suivi psychologique pour...

Elle secoua la main devant elle en se pinçant la lèvre.

─ Les éventuels traumas causés par votre décès. Cette option est très récente dans cet hôtel, ça pourrait avoir l'air expérimental mais ne vous en faite pas, notre psychologue est très qualifié pour ce poste !

─ ... Merci, fut tout ce qu'il trouva à dire.

Il n'était pas sûr de réaliser totalement qu'il avait passé l'arme à gauche, mais il accepta le conseil da la jeune fille.

─ Tenez, cette brochure explique de façon plus détaillée les différents ateliers que nous proposons pour la rédemption des pêcheurs.

Vernon tiqua de l'œil au mot « pêcheur » qu'il commençait à ne vraiment pas apprécier. Déjà qu'il n'arrivait pas à s'accepter comme tel, entendre ce mot à longueur de temps était en train de le déformer de sa définition originelle.

─ Il y a l'atelier sur la communication non violente qui commence dans un quart d'heure, si votre curiosité frétille, nous pourrions nous attendre à ce que vous vous joigniez à nous ? proposa-t-elle avec des étoiles dans les yeux.

─ C'est... fort aimable, articula Vernon en s'emparant de la brochure colorée. Mais je pense commencer par prendre mes marques et peut-être même, avant ça, faire les boutiques pour retirer ma toge.

─ Ah mais bien sûr, évidemment ! Prenez vos marques, rien ne presse. Dans ce cas-là, je vous souhaite une agréable soirée !

─ Pareillement... Merci pour ce que vous faites pour moi.

─ C'est normal ! 

Satisfaite, elle ferma la porte et Vernon se permit enfin de soupirer. Il avait beau apprécier sa personnalité solaire, quelque chose lui disait qu'il en aura vite sa dose, de cette Charlie... Mais tant qu'elle pouvait l'aider à quitter l'Enfer, il le prendra sur lui.

Le jeune homme fouilla dans le sac à dos pour récupérer l'argent. Il plongea la main dans l'enveloppe pour confirmer le montant qui était inscrit. À vue d'œil, il y avait de quoi acheter un ou deux vêtements, de la nourriture pour quelques semaines et un mois de loyer – du moins, à condition de trouver un logement qui acceptait une somme aussi peu élevée... Heureusement que l'hôtel Hazbin était gratuit. Cependant, s'il désirait mener une hygiène de vie correcte, il se devait de trouver un emploi assez vite. Il doutait sincèrement que son type de formation lui serait utile en Enfer... Mais rien ne l'empêchait de se renseigner, à l'occasion. Pour le moment, il savait qu'il n'avait pas besoin de payer ni de loyer, ni de repas, comme tout était pris en charge par l'hôtel. Elle doit être fortunée. Il baissa les yeux sur son corps. 

Commençons par retirer cette toge.

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Plus jamais il ne sortira de l'hôtel. Tous ces... démons, qui le dévisageaient, l'interpelaient, lui sifflaient dans le dos, lui lançaient des "Une âme de plus en Enfer, le monde tourne vraiment mal" ; ça faisait trop. Il détestait se sentir épié, jugé, observé... De plus, il n'avait pas cessé de pleuvoir, il était trempé jusqu'à l'os !

Vernon posa son sac en papier au pied du lit et ouvrit la porte de la salle de bain. La première chose qu'il aperçut fut son reflet dans le miroir.

Sa main se resserra autour de la poignée de la porte.

─ Putain, j'ai zappé son cours de merde ! gronda une voix à travers le mur de sa chambre.

─ Allez on se grouille, sinon Charlie va nous faire la morale ! lui répondit une seconde.

Vernon soupira. Il entendait tout ce qui se passait dans les couloirs et ça, ça ne lui plaisait pas. Il attendit que les deux individus s'éloignent suffisamment pour poursuivre ce qu'il s'apprêtait à faire.

Il alluma la lumière de la salle de bain et constata que le carrelage couleur ciel et neige tapissait le sol et les murs. La douche était sobrement décorée de petits échantillons de shampoing et de gel pour le corps, disposés derrière le miroir du lavabo. En le refermant, il croisa son reflet et posa la main sur sa joue : elle était duveteuse, couleur crème, comme ses bras et tout le reste de son corps. Sur l'arrête de son nez, il y avait une tache en forme de cœur violet, du même violet que le bout de ses doigts et ses mèches de cheveux . Il les avait toujours eu mi-long durant sa vie, mais cette fois, sa tignasse lui évoquait un nuage de cheveux indomptables. Et ses yeux, qu'il avait toujours connus marron, avait dorénavant la couleur de ses taches. Cependant, ce qui aurait dû le plus le surprendre mais qui, en fin de compte, ne lui arracha qu'un simple soupir, c'était ses oreilles ; on aurait dit des oreilles de chauve-souris.

Vernon fit tomber sa toge par terre pour se retrouver totalement nu. Même mort je garde mon attirail féminin, sérieusement ? Ce que le monde est mal foutu ! Il décida de ne pas y prêter attention et glissa sous la douche. L'eau ruisselait si délicieusement sur son court pelage qu'il manqua de s'endormir... Il résista à cette envie et termina sa douche en deux temps trois mouvements. Il s'habilla d'un top noir, d'un short, d'une paire de chaussettes longues et glissa ses pieds dans des bottines hautes. Il termina sa tenue par une chemise à manches longues bleu nuit. C'était le genre de tenue qu'il se permettait de porter durant sa vie. Il était ravi de ne pas avoir à mettre de sous dans le loyer, ça lui avait permis de se faire plaisir sur le plan vestimentaire.

Cette nouvelle apparence était dorénavant son identité, autant se l'approprier.

En revenant dans la chambre, ses yeux tombèrent sur la brochure qui était posée sur son matelas. Sur le papier glacé étaient illustrés un arc-en-ciel, des chiots-licornes ainsi que des étoiles et des cœurs. Il ouvrit la première page et tomba sur le slogan "SOS je suis décédé.e, comment en parler ?" avec un visage triste.

Consulter un psy ne serait pas une mauvaise idée...

══════

Vernon prit une profonde inspiration et poussa les portes du réfectoire. Une délicieuse odeur de nourriture planait dans l'air, provenant directement du buffet au centre de la salle. A vue d'œil, le jeune homme estima un peu moins de vingt personnes dans la pièce, pourtant, à cause de la résonnance, il avait l'impression qu'il y en avait davantage. La lumière trop vive le faisait plisser des yeux. Vernon s'avança nerveusement jusqu'au centre du réfectoire pour prendre une assiette.

─ Bonjour, lui salua poliment un homme pour masquer le fait qu'il avait attrapé la dernière louche de nuggets de poulet.

Vernon ne répondit rien. Il fit quelques pas de côté pour prendre du poisson, mais un adolescent le devança en ricanant. Quels ordures...

Il se rua sur du ragoût et prit place à une table vide, pestant silencieusement contre les autres clients de l'hôtel. Il avait de la peine à se dire que selon les divinités, il avait davantage sa place auprès de ces malhonnêtes plutôt que des anges... Que le monde était mal foutu nom d'un-...

─ Salut, tu es nouveau ?

Il ferma un instant les yeux pour se donner du courage avant de les planter dans ceux d'une femme-grenouille visiblement très curieuse.

─ Je suis arrivé cet après-midi à l'hôtel, oui.

Un hôtel qui portait bien son nom d'ailleurs...

─ Non mais, en Enfer je dis. Je t'ai vu porter une toge, tout à l'heure, dans le hall.

Il fut agréablement surpris qu'elle ait visé aussi juste.

─ C'est vrai. Tu veux t'assoir avec moi ? demanda-t-il en tutoiement, constatant qu'elle avait l'air bien jeune.

─ Ouais, pourquoi pas. Dis-moi, tu es mort de quoi ?

Il la dévisagea brièvement. Elle avait beau avoir une tête de grenouille, la jeune fille était dotée d'une chevelure vert forêt coupé en carré qui lui allait divinement bien. Ses cornes et ses yeux, cependant, tous deux d'un rouge sanguin, lui donnaient un air démoniaque.

─ Normalement la première chose qu'on demande quand on rencontre quelqu'un, c'est son prénom, grogna le jeune homme en secouant la fourchette.

─ C'était ma deuxième question. Je m'appelle Maggie, diminutif de Marguerite. Je me suis suicidée à dix-sept ans, il y a dix ans maintenant.

Vernon tressaillit. Il se sentait désolé pour l'adolescente et ne savait pas comment réagir, n'ayant jamais vraiment côtoyé quelqu'un qui s'était ou voulait se donner la mort... Elle était tellement jeune...

─ Je m'appelle Vernon. Je me suis pris une balle durant mon service militaire, à vingt-six ans.

─ Ton pays était en guerre ?

─ Non, c'est le service obligatoire quand tu atteints la majorité. Dans mon pays c'est comme ça. Un de mes camarades a pété les plombs et a menacé notre supérieur avec son arme, mais manque de bol, c'est moi qui me suis fait toucher.

─ C'est chiant un peu. T'avais pas envie de mourir quoi.

─ Nan, en effet.

─ Et tu le vies comment ?

─ Honnêtement ? J'ai l'impression d'être dans un mauvais rêve et que tout ça sera fini demain.

Maggie ricana, mais Vernon y décela de l'amertume. 

─ Pourquoi tu es en Enfer ?

La démone se renfrogna. On dirait qu'elle entendait souvent cette question.

─ J'ai harcelé des gens. J'ai poussé une camarade de classe au suicide et au lieu de prendre mes responsabilités en main, j'ai préféré en finir moi aussi... J'espère que la princesse arrivera à me faire pardonner pour ce que j'ai fait.

Vernon hocha la tête. Il ne savait définitivement pas comment réagir. Enfin, oui, ce qu'elle avait commis était grave, il ne l'aurait certainement jamais pardonné s'ils avaient été en vie, mais il décelait une pointe de tristesse dans sa voix qui lui fit douter tout ce qu'il savait sur la miséricorde.

Finalement, il réalisa quelque chose.

─ Attends, tu as parlé d'une princesse ?

─ Oui, Charlie Morningstar, la fille de Lucifer Morningstar le roi de l'Enfers personne ne te l'avait dit ?

─ Euh, bah... Non...

Il déglutit. Cela ne le mettait pas en confiance d'apprendre que la propriétaire de l'Hôtel Hazbin faisait partie de la royauté. Il ignorait s'il devait changer sa façon de s'adresser à elle ou non.

Il réalisa alors que Maggie s'était levée de sa chaise.

─ C'était sympa d'avoir fait connaissance avec toi. Je vais y aller, à une prochaine ?

─ O-okay, merci pour cette discussion. A une prochaine.

En l'observant s'éloigner, Vernon put noter qu'elle était plutôt grande par rapport aux adolescentes qu'il avait connues de son vivant. Il secoua la tête, puis regarda un instant son assiette à moitié pleine. Il ne savait pas comment c'était possible d'avoir si peu faim après tout ce qu'il avait enduré jusqu'à présent.

─ Tu comptes jeter ?

Vernon releva la tête et croisa le regard doré de – il lui fallut un instant pour remettre un nom à ce visage – Husk. Ce dernier qui, visiblement, attendait une réponse, leva un sourcil de façon inquisiteur qui rendit le jeune homme nerveux.

─ N-non, je compte finir, mentit-il en se maudissant d'avoir la voix qui tremblait.

─ Tu n'as pas l'air de te sentir très bien, tu as besoin de quelque chose ?

Vernon baissa les yeux une seconde et se rendit compte que Husk n'avait pas de plat dans les mains. Se pourrait-il qu'il se soit déplacé dans l'unique but de lui parler ?

─ C'est pas évident de mourir, je te l'accorde. Ca implique pas mal de changements. Charlie t'a parlé du suivi psy ?

─ Ouais... Elle m'a donné une brochure, confirma-t-il en cherchant quelque chose qui pourrait mettre un terme à son embarras.

─ Hésite pas à le contacter. T'es pas le premier à passer par là, des cas comme toi on en voit tout le temps.

─ Pourquoi tu m'aides, toi ?

La question s'envola si vite que Vernon ne s'en rendit compte qu'après coup.

─ Ne te méprends pas, c'est mon travail de prendre soin des résidants de cet hôtel. 

Sur ce, Husk s'en alla, remuant sa queue d'une façon que Vernon aurait qualifié de « énervée ». Le jeune homme se leva pour le retenir mais se ravisa au dernier moment. Putain. Il dévisagea son assiette, l'air de remettre en question tous ses choix de vie - façon de parler.

Putain.

Quelle journée de merde.

─ Chiale un bon coup, tu pisseras moins.

Vernon leva la tête vers Husk, qui s'était brièvement arrêté. Il le jaugea un instant par-dessus son épaule, l'air suffisant, avant de reprendre son éloignement d'une démarche que Vernon qualifierait de bourrue.

J'ai besoin de voir un psy. Et vite.

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Je compte poster un chapitre bonus après le chapitre 3 qui explique un peu mieux qui est Vernon (qui est un OC) :).

La biz' les poulets

- Votre créatrice de memes de mauvais goût

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