Chapitre 7
À mon grand désarroi, l'abri d'Amos n'est rien d'autre qu'un étroit passage creusé dans de la roche. Je retire mon sac à dos et même mon épais manteau avant de me faufiler par la grande fissure. Je suis surprise d'apercevoir un grand espace caché derrière.
Encore une grotte.
Je m'écroule sur le sol une fois passée. Mes jambes sont tellement endolories que je n'ose plus les bouger.
Amos me rejoint quelques secondes plus tard.
-Je ne sais pas toi, mais moi, je suis affamée ! je m'exclame.
J'attrape mon sac à dos et fouille à l'intérieur en quête de nourriture. J'en sors un sandwich industriel acheté à la supérette du village. Je le déballe et commence à le dévorer goulument.
Du coin de l'œil, j'aperçois Amos m'observer avec dégout.
-Tu en veux ? je lui demande, la bouche pleine.
Ce n'est pas le seul sandwich que j'ai en réserve. En fait, j'en ai acheté tout un tas, au cas où Théo serait affamé une fois que je l'aurais retrouvé.
-Plutôt mourir, me répond Amos.
Je cesse de mâcher, vexée.
-Un simple " non " aurait suffi.
Il hausse les épaules.
-Est-ce qu'on peut allumer un feu ? Je suis gelée.
-Il faudrait que je sorte chercher du bois sec. Mais avec ce temps, je ne suis pas sûr d'en trouver.
Je soupire doucement, démoralisée. Tout mon corps est crispé tant j'ai froid, et je n'aurai même pas droit à un bon feu pour me réchauffer après tous les efforts que j'ai faits.
Dès qu'on aura retrouvé Théo, je le tuerai pour m'avoir fait venir ici.
Tout à coup, je sens quelque chose de lourd et de chaud se poser sur mes épaules. Lorsque je me retourne, je m'aperçois qu'Amos vient de déposer son épais manteau sur moi. La fourrure grise est encore plus douce que ce que j'avais imaginé. Elle donne envie de se pelotonner contre elle et de ne plus bouger.
-Mais, et toi alors ? je m'exclame, un peu surprise.
Je ne pensais pas qu'Amos pouvait faire preuve de courtoisie.
-Je ne ressens pas le froid, me répond-il.
Il ment, ce n'est pas possible. Il doit bien faire moins vingt degrés, peut-être moins maintenant que la nuit est tombée. Et lui se promène en tee-shirt à manches courtes sans sourciller.
D'une torsion de buste, je me tourne vers Amos. Sceptique, je touche son bras nu.
Nous sursautons tous les deux à l'instant où ma peau touche la sienne. Amos se recule brusquement.
-Ne me touche pas ! s'écrie t-il.
-Mais Amos, tu es brûlant ! je m'exclame.
La température est si basse que le corps de n'importe qui serait aussi froid qu'un glaçon. Mais étonnamment, la peau d'Amos est très chaude.
Un véritable radiateur sur pattes.
Je délaisse mon repas et me relève. Amos est adossé contre la paroi de la grotte, le visage entre ses mains.
-Ne m'approche pas, ordonne t-il.
-Tu as peut-être de la fièvre, je proteste. Ce n'est pas normal d'être aussi chaud, surtout ici. Je crois que j'ai des médicaments dans mon sac, tu pourrais...
Un grognement retentit tout à coup. Je regarde tout autour de moi, persuadée qu'un animal est entré dans notre repaire. Mais il n'y a rien.
Je sursaute violemment lorsque quelque chose me tire en arrière. Amos me serre contre lui, un bras autour de ma taille. Son manteau a glissé de mes épaules et, vêtue d'un simple pull, j'arrive à sentir l'extrême chaleur de son corps contre mon dos.
Mon Dieu, ce n'est pas normal d'en dégager autant.
-A-Amos, qu'est-ce que tu fais ?
Son comportement est des plus inhabituels. Il a toujours été si distant, et tout à l'heure, il a même rejeté mon contact. Et maintenant, il me tient fermement contre lui. J'ai très chaud, et pas seulement à cause de son corps.
-Pauvre petite chose, murmure t-il d'une voix étrangement grave.
Subitement, il se penche et enfouit son visage dans le creux de mon cou. Je me liquéfie dans ses bras.
-Amos, je souffle, incapable de prononcer autre chose que son nom.
J'entends de nouveau un grognement résonner dans la grotte, mais je n'y prête pas attention. La proximité entre Amos et moi m'empêche de raisonner correctement. Mon corps est aussi mou qu'un marshmallow, sans doute à cause de tous les efforts physiques de la journée.
Amos passe sa langue le long de mon cou, me faisant frissonner des pieds à la tête. Puis soudain, il me mord.
C'est comme si je me réveillais d'un rêve. Je reviens brusquement à la réalité avec la sensation d'avoir pris une douche froide. Je me débats avec force contre Amos, mais il me tient fortement contre lui.
Les images du camionneur me reviennent en tête. Ce soir-là, j'ai bien failli me faire agresser. J'ai échappé de justesse à l'emprise de l'homme immonde. Mais aujourd'hui, il n'y a pas de café pour me sauver.
-Amos, je t'en prie, lâche-moi ! je crie, terrorisée.
Je lève le coude et frappe son visage avec force. Amos relâche son emprise et je tombe en avant. Je rampe le plus loin possible de lui, les yeux embués de larmes. Mais nous sommes dans une grotte et l'unique sortie se trouve de l'autre côté.
Prise au piège, je me retourne sur le dos. Et je suis abasourdie par la vision de l'homme devant moi. Je chasse les larmes pour être sûre que je ne rêve pas.
Amos se tient debout à deux mètres de moi, les bras écartés. Il se lèche la lèvre inférieure où coule une goutte de mon sang. Il sourit, me dévoilant une paire de crocs saillants. Et ses yeux...
Ses yeux brillent d'une lueur violette, assurément inhumaine.
Il parcourt mon corps du regard.
-C'est mal de jouer avec la nourriture. Mais pour toi, je crois que je vais faire une exception.
La lueur de ses yeux s'amoindrit, ses iris redeviennent noirs. Son sourire s'efface lentement de son visage. Tout son corps se met à trembler.
-Lilo ? m'appelle Amos d'une voix beaucoup plus douce.
Il tente un pas vers moi, mais s'écroule sur le sol. Je le regarde tomber à mes pieds sans rien faire. Je reste immobile, profondément choquée.
Mais que vient-il de se passer !?
J'essaie de maitriser ma respiration saccadée. Les membres tremblants, je me relève.
Je dois partir d'ici.
Je cherche frénétiquement la caverne à la recherche de mon sac et de mon manteau. J'enfile précipitamment le vêtement, agrippe le sac et m'apprête à sortir de la grotte. Mais alors que je me penche vers la fente creusée dans la roche, j'hésite.
Amos n'a jamais agi bizarrement avant. Enfin, pas ce genre de bizarrerie. Il n'a jamais été brusque, violent.
Et ses yeux ne scintillaient pas comme une putain d'améthyste.
J'observe l'homme allongé lamentablement sur la pierre froide.
Je me souviens qu'il était brulant. Je me suis inquiétée pour sa santé. Si ça se trouve, il a attrapé un virus, et maintenant, il délire.
Quelle personne serais-je si je le laissais dans cet état ?
Mais d'un côté, il pourrait se réveiller et terminer ce qu'il a commencé.
Je passe ma main sur mon cou endolori, puis observe mes doigts ensanglantés.
Non, c'est trop dangereux.
Je regarde à l'extérieur. Il fait nuit noire. Je n'y verrai rien, et si j'allume ma lampe torche, je risque de me faire remarquer par un animal sauvage.
Amos m'a promis de retrouver Théo. Nous sommes sur une piste sérieuse. Et il ne va manifestement pas bien.
Je soupire, vaincue. Je dépose mon sac sur le sol et m'approche d'Amos.
Ce ne sera pas la première décision idiote que je prends.
Je m'accroupis à sa hauteur.
-Amos ? je l'appelle.
Mais il ne réagit pas. J'approche doucement ma main. J'aimerais vérifier si sa température corporelle est toujours aussi élevée. Mais d'un autre côté, j'ai très peur qu'il se relève subitement et ne se remette à me brutaliser.
Allez, Lilo, tu n'es pas une poule mouillée.
Je touche son front prudemment. Il est encore très chaud. Je tends le bras et attrape mon sac. J'en sors un tee-shirt propre et une bouteille d'eau que je renverse sur le vêtement. L'air est si froid que l'eau est à moitié congelée. Je pose ensuite la bouteille à moitié vide et pose le tissu mouillé sur le front d'Amos.
Celui-ci se met à remuer faiblement. Je me recule vivement, de peur qu'il ne tente quelque chose. Mais Amos se contente d'ouvrir les yeux, des yeux aussi noirs que l'obsidienne. Il m'observe tranquillement sans rien dire.
-Est-ce que tu vas bien ? je lui demande.
Il se redresse mollement et s'assit. Il m'analyse de haut en bas, le regard hagard.
-Lilo ?
J'hoche la tête. Je crois qu'il est redevenu lucide.
-Tu es malade. Il faut que tu te reposes.
Quelle idée de se balader en simple tee-shirt dans la neige !
Je m'approche de lui et repose le tissu humide sur son front. Je pose une main sur sa joue et son menton afin de maintenir sa tête en place.
-Non, il ne faut pas que tu me touches... marmonne t-il.
Il attrape mollement mes mains dans les siennes et les écarte de son visage. Mais il s'arrête dans son élan. Ses yeux s'écarquillent tandis qu'il me fixe, la bouche ouverte.
-Tu es encore vivante, réalise t-il.
-Bien-sûr, pourquoi ne le serais-je pas, je ris jaune.
Amos se contente de me dévisager avec intensité. Puis il remarque nos deux mains toujours liées. Il fronce les sourcils. Il lève ma main droite à sa hauteur, puis la pose doucement contre sa joue. Il est de plus en plus perplexe.
-Euh, tu es sûr que ça va ? je lui demande.
Je crois que son cerveau est vraiment dérangé.
Amos relève les yeux vers moi. Et comme s'il réalisait ce qu'il est en train de faire, il me relâche subitement.
-Repose-toi, tu es fatiguée.
-Mais, et toi...
-Je vais bien. Je te le promets.
Je le regarde s'éloigner sans rien dire. Avec les évènements qui viennent de se produire, j'ai envie de tout sauf de dormir. Mais n'ayant pas d'autres choix, je m'installe dans un coin de la grotte, le dos tourné.
Le temps passe et le sommeil vient finalement me cueillir. Mais juste avant que je ne sombre, je sens quelque chose me recouvrir. Je reconnais sans difficulté la douceur de la fourrure du manteau d'Amos.
-Pardonne-moi pour ce que j'ai fait. Je n'étais pas moi-même.
Trop fatiguée pour converser, je marmonne un " on verra " et m'endors.
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