Chapitre 23

Il faut quitter la maison illico.

Le salon de Julie s'est transformé en un véritable fourneau. Le feu se propage et, bientôt, il arrivera jusqu'à nous pour nous rôtir vivante.

Faisant appel à mes maigres forces, je me relève. À mes côtés, Julie est toujours inconsciente et je ne me vois pas d'autres choix que de tirer la louve jusqu'à la sortie. Je l'attrape fermement par les bras et commence à la trainer sur le sol.

Ouf, que d'effort !

La métamorphe ne semble pas peser lourd, mais je suis si peu habituée à porter de telles charges - et l'explosion m'a si bien amochée - que je peine à la déplacer.

Il est cependant hors de question que je l'abandonne là, en plein milieu de ce théâtre infernal. Je ne partirai pas de cette maison sans elle.

Et tant pis si je finis en chiche-kebab.

Le nuage de fumée devient si noir et épais que mes yeux me brûlent. Je ne suis même plus sûre de la direction où aller.

M'accordant une petite pause, je relâche un bras de Julie et tâtonne autour de moi. Par miracle, j'arrive à toucher ce qui semble être une poignée de porte. Malheureusement, celle-ci est si chaude qu'elle me brûle la main.

—Merde ! j'éructe en retirant précipitamment ma main endolorie.

Je ne peux pas actionner la poignée. Mais, je n'ai pas d'autre solution que d'ouvrir cette porte, cela en va de ma propre vie.

Entre une main ou deux corps, le choix est vite fait.

Je serre les dents puis abaisse la clenche brûlante. Je pousse la porte d'un grand coup épaule et celle-ci s'écarte vivement, nous libérant le passage. Ma main est à vif, mais la partie n'est pas finie.

J'agrippe fortement les poignets de Julie et, dans un ultime effort, extirpe son corps inconscient à l'extérieur de la maison.

—J'ai réussi, soufflè-je. J'ai réussi !

Je ne suis pas une petite chose faible. Amos peut se carrer toutes ses méchantes remarques là où je le pense.

Moi, pas faite pour survivre sur le Mont Blanc ? La blague !

Ma joie est de courte durée tandis que le visage d'Amos traverse mon esprit. Il n'est pas là pour être témoin de mes exploits, car il a déjà mieux à faire ailleurs. La vie de mon meilleur ami est entre ses mains.

Je le revois m'embrasse le front avec tendresse, juste avant de me tendre son manteau et de partir.

Mon Dieu, le manteau !

Je réalise avec effroi que j'ai laissé le manteau de fourrure dans le salon de Julie. Amos me l'a confié et m'a demandé d'en prendre soin. Et il va brûler.

Non, certainement pas.

Prise d'un élan héroïque après avoir déjà sauvé la vie d'une louve inconsciente, je repars affronter les flammes.

La situation me semble encore pire qu'avant. Non seulement il est presque impossible d'y voir, mais aussi d'y respirer.

—Par tous les dieux, mais qu'est-ce que tu fiches encore ici ?! Sors de là ! me hurle une voix familière.

—Le manteau d'Amos. Je dois retrouver son manteau ! je crie par-dessus le crépitement du feu.

Je fonce tête baissée dans le nuage noir. Mais Cerise m'arrête.

—Laisse tomber, ta vie importe plus ! tente t-elle de me raisonner.

—Amos me fait confiance, je ne veux pas le décevoir !

Je me dégage de sa prise et file avant qu'elle ne m'attrape de nouveau.

Dans mes souvenirs, j'ai laissé l'habit de fourrure sur ma chaise, c'est-à-dire à droite du salon. Je me cogne contre quelque chose d'imposant et dur. En tâtonnant, je comprends que c'est une table.

Je touche au but.

Je m'avance un peu plus, la main non-brûlée tendue devant moi. Je sanglote de bonheur lorsque mes doigts rencontrent enfin la douceur des poils gris.

J'attrape le manteau et je cours jusqu'à ce qui me semble être la sortie. Dans mon élan, je fonce dans quelque chose - non, en fait, quelqu'un - qui m'attrape et me jette au loin.

Je m'écroule sur le sol à l'extérieur de la maison, au côté de Julie. Tout mon système respiratoire est en feu, la moindre goulée d'air me brûle la gorge. La sensation douloureuse s'est heureusement atténuée depuis que nous sommes sortis de cette fournaise. Ainsi, tout ira mieux dès que je ne me trouverai plus à côté de ce grand brasier.

—Éloignez-les immédiatement ! Et vous, dépêchez-vous de m'éteindre ce putain de feu ! hurle Cerise.

Peu de temps après, je sens quelqu'un m'attraper par les aisselles. On me traîne loin de la maison enflammée, je le sais parce que l'air est meilleur, plus frais, agréable à respirer. Mon transporteur me dépose à terre. J'ouvre péniblement mes yeux que je ne me rappelle pas avoir fermé.

Je reconnais le visage du métamorphe ronchon qui n'a de cesse de grogner après Amos, celui-là même que j'ai vu se transformer le jour où je suis arrivée au village. Il n'a jamais été très agréable, mais aujourd'hui, je suis contente de le voir.

—Julie... com... comment... tenté-je d'une voix rouée.

—Elle va bien.

Je soupire de soulagement à cette nouvelle. Cela aurait été triste de faire tant d'effort pour rien.

—Et... le lézard ?

Je vois les sourcils du métamorphe se froncer dans sa grande incompréhension.

—Il y avait... dans le feu... un gros !

Le loup m'intime de me calmer.

—Tu as inhalé trop de fumée. Je dois vous emmener à l'infirmerie.

J'hoche la tête faiblement.

Il regarde à sa droite et soupire.

—Ça va être dur de vous porter tous les deux, s'exclame t-il.

—Je peux marcher, affirmè-je.

—Tu es sûre ?

J'acquiesce.

—J'aurais juste besoin de... de m'appuyer sur toi de temps à autre.

Il m'aide à me relever, tout en douceur. Mes jambes sont un peu tremblantes et ma tête me donne l'impression de flotter dans un nuage de coton, mais je tiens debout. Je refuse de perdre conscience maintenant.

Je ne veux pas être de ces héroïnes à la noix qui tombent dans les pommes chaque fois que ça les arrange.

Le métamorphe me lâche le temps de récupérer Julie, qu'il perche sur son épaule, puis il revient me tendre son bras.

—Merci, Monsieur le loup, divaguè-je.

Il ricane.

—J'ai un prénom, tu sais. Et c'est Elias.

—Mmh, je préfère mon surnom à moi.

J'entends soudain un gros fracas résonner non loin de nous.

—C'était quoi ? demandè-je affolée.

Elias jure.

—Les stalactites. La température est trop haute, elles sont en train de fondre, m'explique t-il. Dépêchons-nous de nous mettre à l'abri avant que l'une d'elles ne nous tombe sur la tête.

Le trajet jusqu'à l'infirmerie me parait long et très éprouvant, mais je tiens bon, le manteau d'Amos serré contre moi. Lorsqu'enfin nous atteignons le lieu sacré, je m'écroule sur le lit médical, près de Julie, toujours dans les vapes.

—Tiens, inhale ça.

Elias me tend un masque à oxygène. Je peine à l'attraper tant mes muscles sont engourdis. Je finis par réussir à le mettre sur mon visage. J'inspire une grande goulée d'air pur.

Bon sang, ce que ça fait du bien !

Elias fait le tour du lit pour en placer un sur le visage de Julie. Celle-ci est couverte de suie, mais elle semble aller bien, comme le loup me l'a promis.

—Explique-moi ce qu'il s'est passé, vient me demander Elias en se plaçant devant moi.

Je repose le masque sur mes jambes.

—Je ne sais pas comment la pièce a pris feu. On discutait avec Julie, quand elle a dit qu'elle sentait de la fumée. On est allé voir, et c'est là qu'il y a eu comme une explosion.

Puis, il y a eu ce lézard étrange.

Je garde cette information pour moi. Elias m'a déjà prise pour une folle la première fois que j'en ai fait mention, je ne pense pas que sa deuxième réaction sera différente.

—Les autres vont s'occuper d'éteindre le feu. Es-tu blessée quelque part ?

J'observe ma main fermement agrippée à la fourrure grise. Doucement, je relâche ma prise et desserre le poing. Je tends ma paume tendue vers Elias.

—Ce n'est pas très joli à voir, commente t-il.

En effet, une épaisse ligne brûlée barre la paume de ma main, là où j'ai touché la poignée de la porte. Ma peau a formé des cloques douloureuses - et affreusement moche à voir, il faut se l'avouer.

Elias soupire.

—C'est Julie qui s'occupe de ce genre de choses en temps normal. Mais, il va bien falloir qu'on s'occupe de ça.

Je ramène lentement ma main vers moi tandis que le loup s'affaire dans l'infirmerie. De mon autre main, je caresse délicatement l'étoffe soyeuse sous mes doigts, tout en pensant à Amos et les épreuves qu'il subit de son côté.

Je reste un long moment à l'infirmerie au cas où mon état s'aggrave. Heureusement, je n'ai pas avalé trop de fumée et je peux rentrer tranquillement dans la maison prêtée par les loups.

Les métamorphes ont réussi à éteindre le feu avec quelques difficultés. Maintenant, ils essaient de comprendre ce qui a bien pu enclencher tout ce drame.

Moi, je sais. C'était un lézard, il est entré puis a mis le feu à la maison.

Enfin, qui voudrait me croire ?

J'observe le manteau de fourrure gris serré contre moi. Il est sale, noirci par la suie. Je grimace en me disant que je ne dois pas être mieux. Moralement au plus bas, je décide de prendre le manteau avec moi dans la salle de bain afin de le nettoyer.

Je passe plus d'une demi-heure à frotter la douce fourrure. Après tout, je ne pouvais décemment pas le mettre dans la machine à laver après m'être mise en danger pour le récupérer.

Une fois fait, c'est à mon tour de me débarrasser de toute cette crasse. Je me déshabille et entre dans la cabine de douche. L'eau sous mes pieds noircit à vue d'œil tandis que je me glisse sous le jet. Je fais attention à ne pas mouiller ma main bandée, puis entreprends de me savonner.

Alors que le flacon de gel douche me glisse des mains, des larmes brûlantes me montent aux yeux. J'éclate en sanglot sous la douche, heureuse d'avoir survécu à un nouveau drame.

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