Chapitre 22
Vingt-quatre heures. C'est le délai que nous a si gentiment accordé Mélissandre avant de disparaitre dans le blizzard. Peut-être moins, si l'on en croit sa dernière remarque.
Le mur invisible qui nous empêchait de sortir s'est évanouie quelque temps après le départ de la jeune sorcière. Les loups de Cerise ont aussitôt accouru dans la neige, bravant la terrible tempête pour se mettre à la recherche de l'adolescente. Mais, ils sont revenus bredouille. Mélissandre a disparu.
Je me tourne vers Amos. Celui-ci n'a pas dit grand-chose depuis l'ultimatum de la sorcière. Il se contente de s'isoler dans son coin et de réfléchir en silence.
—Vas-tu lui donner ce qu'elle souhaite ? Tu vas faire l'échange ?
Je suis consciente que c'est égoïste, mais je serais ravie qu'Amos cède à la sorcière. Théo compte plus que n'importe qui dans ma vie. Il est ma famille. Je ne me vois pas le perdre.
D'un autre côté, je ne suis pas sûre que refiler sa malédiction à Mélissandre comme on refilerait une bonne grippe soit une excellente idée. Il est clair qu'elle ne fait pas ça par bonté de cœur.
Pourquoi voudrait-on être maudit ?
—Je ne ferai pas ce qu'elle demande, déclare Amos.
Je baisse les yeux vers le sol. Le poids de ma déception m'affaisse les épaules.
—Pourquoi ? murmurè-je.
Au fond, je sais pourquoi. Mais j'ai besoin de l'entendre de vive voix.
—Le smilodon est un animal particulièrement dangereux. Cela fait trois mille ans que nous cohabitons ensemble, je sais comment le contenir. Mais, cette sorcière, personne ne connait ses véritables motivations. Si elle s'empare du smilodon, il est possible qu'elle le relâche dans la nature. Les conséquences seraient bien trop graves.
Amos pose une main compatissante sur mon épaule. Je relève timidement les yeux, abattue par l'enlèvement de mon meilleur ami.
—Je vais te le ramener, déclare t-il soudainement. Je vais sortir et je ne reviendrai pas avant de l'avoir trouvé.
Il se penche et embrasse mon front tendrement, à ma plus grande surprise. Je n'ose pas faire un seul geste, de peur de ruiner l'instant, de le faire fuir encore une fois.
—Je te le promets, souffle t-il contre ma peau.
Il s'écarte. Je le vois se défaire de son manteau, puis il la dépose précautionneusement sur mes épaules. Je suis si bouleversée que je n'avais pas remarqué à quel point il fait froid en dehors du village.
—Garde-le pour moi, tu veux ?
J'hoche la tête tout en resserrant les pans du manteau autour de moi. Sa fourrure vient me chatouiller les joues, plus douce qu'un nuage de coton.
Amos me regarde une dernière fois avant de se tourner vers la sortie. Je l'attrape par la main tandis qu'il commence à s'avancer. Il se retourne, un peu surpris.
—Fais attention à toi, je lui demande. Je ne voudrais pas perdre deux êtres chers dans la même journée.
Ses lèvres s'étirent en un sourire attendri.
—Si seulement j'étais humain, j'aurais eu plaisir à te courtiser.
Il se dégage de ma prise et s'en va pour de bon, bravant la tempête sans sourciller alors qu'il ne porte qu'un simple tee-shirt.
Je reste debout à fixer l'horizon durant un temps indéfinissable, lorsque je suis rejointe par une silhouette féminine.
—Tu devrais rentrer te mettre au chaud. Ils ne vont pas revenir de si tôt, me conseille Julie.
N'ayant rien de mieux à faire, je décide de la suivre jusqu'à sa propre maison. Elle m'invite à m'asseoir autour d'une table, ce que je fais après m'être débarrassée du manteau d'Amos. Je pose celui-ci sur mes genoux, me sentant incapable de m'en séparer.
Au fond de moi, j'angoisse de son départ. Peut-être que cela ne veut rien dire, mais Amos ne sort jamais sans son habituel manteau de fourrure. Le fait qu'il me l'ait confié avant de partir m'évoque le précieux bien que l'on offre sur son lit de mort.
Non, Amos ne va pas mourir. Il va retrouver Théo et ils rentreront tous deux au village sain et sauf.
—Tu crois qu'il va réussir ? me questionne subitement Julie.
Mes doigts caressent la douce fourrure grise.
—Je ne crois pas, j'en suis certaine.
Julie me tend une tasse fumante de chocolat chaud.
—Tu apprécies beaucoup Théo, je me trompe ? lui demandé-je.
Je sais déjà que mon meilleur ami a un faible pour cette femme-louve. Aussi étonnant que cela soit venant de lui, il a réussi à s'attacher à elle. Je ne l'ai pas entendu prononcer le nom d'une seule autre fille depuis que je suis là. Il n'en a que pour sa Julie.
Les joues de la blonde se mettent à rosir à l'évocation de son amant.
—Théo est un être unique. Il est très différent des mâles de la meute, mais aussi des autres êtres-humains. Il est tendre et sincère. Et, il me fait rire.
Je souris vaguement, rassurée d'entendre que les sentiments de mon meilleur ami soit réciproque.
—Et toi, avec ce... Amos... est-ce que vous êtes ensemble ?
Je bois une gorgée de ma boisson cacaotée, gênée de devoir répondre à ce genre de questionnement.
—Amos et moi, c'est compliqué.
Un instant, il ne veut pas de moi, la seconde d'après, il m'embrasse sur le front et se sacrifie pour sauver mon meilleur ami. Cet homme est définitivement tordu.
—Tu es sacrément courageuse pour rester à ses côtés. Un été, je l'ai aperçu sous forme animale dans la montagne. Par les dieux, j'ai bien cru que j'allais faire pipi dans ma culotte, me confie t-elle d'un air horrifié. Il est terrifiant !
—Courageuse n'est pas le mot. J'ai eu la même réaction que toi lorsque je me suis retrouvée face à cette bête.
Et j'en cauchemarde encore aujourd'hui.
—Je crois que c'est en partie pour ça que nous ne pouvons pas être ensemble. Sa partie animale a juré de me dévorer vivante, lui confessè-je.
—Au premier ou au second degré ?
J'ouvre grand les yeux, horrifiée par cette insinuation.
—Au premier degré voyons ! Amos ne parlerait jamais aussi crûment.
Et son smilodon ne me ferait jamais d'avance.
Le tigre à dent de sabre n'est pas un animal doué de raison. La prochaine fois qu'il fera surface et que je serai dans les parages, il me dévorera vivante.
Je sors de mes pensées en apercevant une petite silhouette filer à toute allure. J'émets un hoquet de surprise, manquant de renverser mon chocolat chaud.
—Qu'y a-t-il ? me demande Julie.
La louve se retourne afin de regarder dans la même direction que moi. Mais non, la chose est déjà partie.
—J'ai cru voir un lézard, lui réponds-je.
Un lézard tout rouge de la taille de ma main.
—Un lézard ? s'étonne Julie. Ce serait vraiment étrange en cette période de l'année. En particulier avec ce blizzard. Mais bon, peut-être que la chaleur du village en a attiré un.
Je me surprends de la trouver si calme face à cette annonce.
—Ça ne te fait rien d'avoir un reptile chez toi ?
Si jamais un lézard de cette taille entrait dans ma maison, j'en sortirai en hurlant et ne reviendrai pas avant qu'il ne soit chassé d'ici.
La métamorphe hausse nonchalamment les épaules.
—Ce n'est jamais qu'une toute petite bête. Rien de bien effrayant comparé à ce que je pourrai devenir en à peine quelques secondes.
Bien-sûr, c'est une louve. Un prédateur. Et si un petit animal venait à se pavaner juste sous son nez, il est certain qu'elle en ferait son goûter.
Julie se met soudain à renifler l'air. Ses sourcils froncés et sa mine préoccupée arrivent à me rendre nerveuse.
—Que se passe t-il ? osè-je lui demander.
—Ça sent la fumée.
Elle me désigne une porte du doigt. Celle-ci est entrouverte, mais aucune vapeur ne s'en dégage. Julie et moi nous levons tout de même pour voir ce qu'il en est.
Nous approchons de la pièce sans savoir ce qui nous attend. À l'instant même où la louve repousse la porte de sa main, une explosion de flammes nous propulse deux mètres plus loin.
Je me reçois durement sur le carrelage du salon. Je me relève péniblement sur les coudes, le corps endolori. L'atmosphère s'est grandement réchauffée, et un nuage de fumée grisâtre me brûle les poumons. Je tousse pour en atténuer la douleur, mais rien n'y fait.
Julie est étalée de tout son long près de moi. Je rampe à ses côtés et la secoue.
—Julie, tout va bien ?
Mais la métamorphe ne me répond pas. Les paupières closes, la louve est inconsciente.
Je me retourne avec difficulté. Un grand brasier brûle dans la pièce d'à côté. Les flammes, immenses, lèchent le plafond noirci par la suie.
Et au milieu de ce tableau infernal trône la majestueuse silhouette d'un grand lézard rouge, dont les yeux profondément noirs semblent me fixer froidement.
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