Chapitre 21
Théo a disparu. Prise de panique, je me presse à l'extérieur de la maison. Je regarde tout autour de moi, désespérant de ne pas apercevoir son épaisse tignasse blonde. Mon rythme cardiaque pulse dans mes oreilles. Je crois que j'ai crié le nom de mon meilleur ami, mais, prise d'angoisse, je ne suis pas sûre.
Je sens quelque chose m'attraper par l'arrière. Amos me tourne vers lui et tente de me calmer.
—On va le retrouver, ne t'inquiète pas, essaie t-il de me rassurer.
Je me dégage prestement de sa prise.
—Je ne veux pas de ton soutien ! Je pense que tu as été assez clair en me disant que tu ne voulais pas de moi !
Peut-être ne devrais-je pas m'emporter autant contre lui, mais je n'y peux rien. Je suis mortifiée à l'idée de perdre l'être qui m'est le plus cher. Comme si je n'avais pas assez de problèmes avec ce blizzard surnaturel, les créatures fantastiques et mon attirance pour un maudit abruti.
Amos recule d'un pas, me lâchant comme si ma peau l'avait brûlé. Je le vois à son regard, je l'ai blessé. Et, si je n'étais pas aussi en colère contre lui, je pense que je me serais sentie désolée.
Mais, pour le moment, ce n'est pas le cas.
—Je ne te repousse pas pour les raisons que tu sembles penser, souffle t-il, la tête baissée.
—Je me fiche des raisons. Il n'y a que le résultat qui compte.
Je me détourne et m'éloigne à grands pas.
Je m'en vais à la recherche de Théo. La tempête ne me fait pas peur. Je l'ai déjà bravée seule une fois, je recommencerai encore si cela s'avère nécessaire. Je n'abandonnerai pas.
J'entends les pas pressants d'Amos qui me suit de près tandis que je me dirige vers la sortie du village. Alors que je m'attendais à quitter le territoire de la meute sans souci, voilà que j'aperçois Cerise et d'autres métamorphes agglutinés, bouchant la sortie.
Tous nous tournent le dos, tendus comme des bâtons de bois. L'un d'eux s'est métamorphosé en loup et grogne après quelque chose que je ne perçois pas de là où je suis. Intriguée par cet attroupement inattendu, je les rejoins.
Je suis surprise lorsque je distingue la silhouette maigrichonne de Mélissandre par-dessus l'épaule d'un métamorphe. C'est une chose de la croire suspecte, c'en est une autre de s'en apercevoir réellement.
Elle a quelque chose à voir avec la disparition de Théo, j'en mets ma main à couper.
J'observe Mélissandre faire face à tous ces regards noirs, et je remarque un changement chez la jeune sorcière. Elle semble plus sûre d'elle, bien moins intimidée qu'elle ne l'était à son arrivée ici. Et ses yeux, derrière les carreaux de ses lunettes, reflètent une maturité que je n'ai jamais vue chez un adolescent de son âge.
Mélissandre toise les métamorphes d'un air ennuyé, nullement impressionnée par la colère des loups. Une étincelle s'allume dans son regard à l'instant où celui-ci tombe sur Amos derrière moi.
—Enfin ! Je commençais à m'impatienter, bougonne t-elle.
Je tique à l'entente de sa voix, soudain plus assurée, plus mûre.
Différente.
Mélissandre n'est définitivement plus la même jeune fille qui a partagé ma chambre. Elle agit et parle comme un adulte coincé dans un corps d'enfant. Si je ne connaissais pas l'existence du surnaturel, j'aurais peut-être trouvé ça moins flippant.
—C'est toi qui l'as enlevé, n'est-ce pas ? demande Amos d'un ton posé.
Mélissandre soupire d'un air théâtral.
—J'avoue, je suis coupable.
Le loup métamorphosé se jette dans sa direction, décidant qu'il est temps de passer à l'attaque. Mais, contre toute attente, son corps rebondit brutalement contre ce qui semble être un mur invisible. Le loup retombe sur le sol en couinant, une patte sur sa truffe endolorie.
Je regarde la scène, ébahie. J'ai beaucoup entendu parler de sorcellerie depuis le début de mon séjour sur le Mont Blanc. Mais c'est la première fois que j'en suis spectatrice. Mélissandre a dressé une barrière entre elle et nous, afin de nous empêcher de l'approcher.
Quel autre tour nous cache-t-elle encore ?
Mélissandre jette à peine un regard au loup, comme si ce n'était qu'une mouche venue s'écraser sur la vitre de sa fenêtre.
—Quel intérêt y a-t-il à enlever un jeune humain ? la questionne Cerise.
La cheffe de meute fait de son mieux pour garder son sang-froid. Cependant, Mélissandre met la sécurité de sa meute en pérille et, dans ses conditions, il est difficile de ne pas montrer les crocs.
—Pas beaucoup, je l'admets. En fait, ce n'était même pas prévu, nous confesse la sorcière. Au départ, c'est elle que je voulais.
Mélissandre lève un doigt dans ma direction. Je regarde derrière moi, mais non, elle me désigne bien.
Un grondement rauque s'élève dans les airs, et nous nous tournons vers Amos, surpris.
—Pourquoi ? crache t-il.
—Pour toi.
Elle enfonce ses mains dans les poches de son jean d'un air nonchalant.
—Je t'ai bien observé depuis mon arrivée sur cette montagne. Tu fuis les gens comme la peste. Mais Lilo... Tu la protèges. Quoiqu'il arrive, elle est ta priorité. Tu tiens à elle.
Je lève les yeux discrètement vers le grec, mais son regard dur reste fixé sur la jeune sorcière.
—C'était l'otage parfait pour te faire chanter ! Mais tu la suivais partout, pire qu'un pauvre toutou en manque d'affection. Et quand tu n'étais pas avec elle, c'était pour me surveiller moi. J'étais coincée. Puis je me suis rappelée que les intérêts de Lilo passait avant les tiens, et alors, je me suis dit que le meilleur ami de ton humaine préféré pouvait faire un otage de substitution parfait.
—Tu tournes autour du pot, s'impatiente Cerise. Abrège nos souffrances et dis-nous ce que tu veux.
Mélissandre lui jette un coup d'œil agacé.
—Ce que je veux ? Ce n'est pas un caprice de gamin, s'agace t-elle. C'est l'accomplissement de toute une vie.
Je suis d'accord avec Cerise, cette fille parle trop.
—Je souhaite faire un échange, dit-elle en se tournant vers Amos. Théo aura la vie sauve si tu acceptes de subir un rituel ancien de mon choix.
—Quel rituel ?
—Je veux ta malédiction.
Un silence religieux accueille cette déclaration. Même le loup a cessé de grogner après la sorcière.
Un échange de malédiction, est-ce possible ?
Je ne devrais pas m'en étonner. Si la magie existe, il n'y a plus rien d'impossible. Cependant, je ne vois pas l'intérêt que pourrait y trouver une adolescente de seize ans.
Ce n'est pas pour rien que l'on appelle ça une malédiction. Amos n'a plus pris contact avec le monde humain depuis presque trois mille ans. Son alter ego - alias Smiloprédator - est incontrôlable et a une soif de sang sans limites.
Personne n'a envie de ce genre de vie.
—Si tu tiens tant à être maudite, tu peux toujours t'adresser à la sorcière qui m'a jeté ce sort. Je suis sûr qu'elle sera ravie de t'aider, rétorque Amos avec - je n'ose y croire ! - ironie. Oh oui, j'oubliais, Circé est morte depuis bien longtemps.
—Tu as vingt-quatre heure pour réfléchir à ma proposition. Une fois le délai passé, si tu ne daignes pas m'accorder ce que je veux, je laisserai votre ami mourir.
Sur ces mots, Mélissandre se retourne et sort de la caverne.
—En fait, je te conseille de prendre ta décision rapidement. Là où je l'ai laissé, je ne suis pas sûre que Théo tienne toute une journée.
Le blizzard ne semble pas l'affecter alors qu'elle s'engage tranquillement sur le sentier blanc. Les flocons qui tombent du ciel s'écartent sur son passage, comme si une force invisible les tient à l'écart. Quelques instants plus tard, sa silhouette finit par devenir indiscernable derrière le rideau de neige abondant.
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