Chapitre 2
Deux jours sont passés depuis que Théo est venu m'annoncer son départ. Il a englouti trois parts de mon gâteau à demi raté et a pris la route en direction des Alpes.
D'après la liste de messages que j'ai reçue, je sais qu'il a pris deux pauses, puis il a pris une chambre d'hôtel pour la nuit, avant de reprendre la route tôt le lendemain matin. À partir de là, il a roulé sans s'arrêter, jusqu'à arriver à Chamonix.
Théo m'a rassurée en m'informant qu'il a tout calculé et que s'il commence son ascension demain matin, il n'aura aucun soucis avec la météo. À vrai dire, je n'y avais même pas songé. À présent que je me rends compte du danger que cela représente, je ne cesse de m'inquiéter.
Et s'il y a une avalanche ?
Je repousse ces sombres idées et m'empare de ma pile de curriculum vitae. Je n'oublie pas que je suis sans emploi et qu'il faut à tout prix que je règle ce problème. J'ai un peu d'argent de côté, mais je ne pourrai pas payer mon loyer ainsi éternellement.
Je soupire, rebutée à l'idée d'affronter le froid hivernal. Résignée, j'ouvre la porte de la maison et sors. Je m'empresse de déverrouiller ma voiture et de m'engouffrer à l'intérieur, déjà refroidie par le vent glacial.
Mais l'intérieur du véhicule n'est guère mieux. Le siège est si froid que je le sens à travers mes vêtements. Je n'ose même pas toucher le volant, de peur de ne plus sentir mes doigts.
Je pose la petite pile de feuille sur le siège passager et boucle ma ceinture, râlant après le contact gelé.
Comment puis-je conduire dans de pareilles circonstances ?
Je prends sur moi et démarre la voiture. La radio se met à cracher les paroles d'une chanson de Michael Jackson tandis que le moteur ronronne. J'essaie d'allumer le radiateur. Mais non, celui-ci est fichu.
Une dépense de plus.
Je roule jusqu'à la première boulangerie d'ouverte. Lorsque j'entre dans celle-ci, il n'y a personne. Pas un seul client, ni même un être-vivant derrière le comptoir. J'attends patiemment que quelqu'un vienne m'accueillir. Les secondes passent avant qu'une femme apparaisse.
-Bonjour ! me salue t-elle gaiement. Que puis-je pour vous ?
Je la salue en retour et lui explique ma situation. Son sourire disparait alors qu'elle comprend que je ne compte rien lui acheter. Elle semble déçue.
-Désolée, il n'y a aucun poste à pourvoir ici.
-Oh, d'accord. Merci quand même.
Je ressors de la boulangerie, dépitée. Je sais que je ne trouverai pas un job dès la première boutique. Mais ce schéma se répéta dans les sept magasins suivants. Partout où je vais, on ne veut pas de moi.
Harassée, j'entre dans un bar dans l'idée de me réchauffer. Je peine à remuer mes doigts tant ceux-ci sont gelés. Je me dis que je devrais peut-être investir dans une paire de gants.
Si seulement j'avais un travail...
Le bar est presque vide quand j'y entre. La majorité des tables sont inoccupées. Un couple sirote leur café dans un coin de la pièce tandis que trois hommes sont installés au bar, en pleine discussion avec le barman.
En m'installant à une table, je constate que Théo m'a envoyé une vidéo un peu plus tôt. Je branche mes écouteurs afin de ne pas déranger les autres clients et lance l'enregistrement audiovisuel.
Théo fait face à la caméra, méconnaissable avec sa cagoule noire et ses lunettes de ski jaune-orange. Son sourire est éclatant. Il est manifestement très heureux de cette ascension, bien que je ne comprenne toujours pas l'intérêt de se geler les miches dans un coin aussi paumé.
-Aloha, petite Lilo ! je l'entends s'écrier à travers les écouteurs.
Je fais rouler mes yeux. J'ai toujours trouvé que mon prénom était joli. Puis un beau jour, une entreprise de film d'animation décide de créer un long métrage avec une petite fille hawaïenne du nom de Lilo et une créature extraterrestre bleue. Le dessin-animé devient viral, et moi, je deviens la risée de tout le collège.
-Ce qu'il fait froid aussi, tu ne peux même pas imaginer ! Je crois que je ne sens même plus ma fesse droite.
Pendant qu'il parle, le décor bouge. J'entends ses pas s'écraser sur la neige fraiche. Le ciel semble nuageux, je n'aperçois le soleil nul part et le vent qui souffle sur le micro du portable de Théo fait un bruit insupportable.
Ne surtout pas t'inquiéter. Il n'y aura pas d'orage.
-Je voulais te saluer avant d'arriver au point de non-retour. D'ici quelques heures, je n'aurai plus de réseau. Mais ne t'en fais pas pour moi, j'ai des fusées de détresse dans mon sac au cas où.
Les battements de mon cœur s'accélèrent tandis que j'intègre l'information. Il n'aura plus accès au réseau. Il ne pourra plus contacter qui que ce soit.
Bon, on a dit qu'on ne s'inquiétait pas.
J'inspire doucement pour me calmer.
-Je vais bientôt faire une pause. C'est sympa l'alpinisme, mais ça donne la dalle ! Heureusement, j'ai apporté de délicieuses collations que j... Oh putain, c'est quoi ça ?!
Je me crispe sur ma chaise, alertée par le cri de Théo. J'entends du bruit, mais je n'arrive pas à décrire ce que cela peut être.
-Bon, je te laisse. Cette montagne ne va pas s'escalader toute seule, marmonne Théo en riant jaune.
Puis la vidéo s'arrête.
Je m'agite sur ma chaise.
Qu'est-ce qui a bien pu effrayer Théo ? J'aimerais bien le savoir. Il n'avait pas du tout l'air rassuré lorsqu'il a coupé la vidéo.
Déterminée à comprendre ce qu'il s'est passé, je repasse l'enregistrement, plus précisément à l'instant où mon ami s'est écrié. En observant avec attention, je constate un reflet sur les lunettes de ski dans Théo. Une ombre est passé devant lui, si vite que je peine à stopper la vidéo au moment propice pour l'observer de plus près.
J'agrandis l'image et colle presque mon nez à l'écran du téléphone pour mieux voir. L'ombre ressemble à un animal, je crois. Un très grand animal. Et je remarque deux longues et gigantesques dents pointues, semblables à celles d'un morse.
Il y a des morses au Mont Blanc ?
-Bordel, c'est quoi ce truc ?
Un raclement de gorge retentit tout près de moi. Je relève la tête de mon téléphone, surprise. Le barman me fait face. Il m'observe d'un air agacé.
-Vous voulez boire quoi ? demande t-il abruptement.
Eh bah, pour l'amabilité, on pourra repasser.
-Un chocolat chaud. S'il vous plait.
Le barman fait demi-tour sans demander son reste. Je l'observe regagner le bar, puis regarde à nouveau l'image figée sur mon portable.
Tout cela est très étrange.
J'envoie un message à Théo pour m'assurer qu'il va bien. Je reçois sa réponse quelques minutes plus tard.
Il va bien, il n'y a pas de quoi s'inquiéter.
Plus tard, le barman m'apporte ma boisson chaude. L'odeur du chocolat vient titiller mes narines, mais mon estomac ne suit pas. Je me fais tellement de soucis pour mon meilleur ami que j'en perds l'appétit.
Je ne sais pas ce que c'est que cette créature qui a surgi tout à coup, mais elle ne ressemble à rien de connu.
Après avoir bu mon chocolat chaud et réglé l'addition, je quitte le bar et continue de chercher du travail auprès des boulangeries. Sans succès. Alors je rentre chez moi, dépitée.
Mon voisin est rentré chez lui, je le devine à la musique rock qui résonne, si fort qu'elle en ferait trembler les murs. Je soupire. Je suis exténuée et j'espérais me relaxer dans un bon bain chaud, plein de bulles, et surtout dans le plus grand des silences.
Je m'en vais frapper à la porte de mon voisin. Je dois réitérer à plusieurs reprises, de plus en plus fort, car celui-ci ne semble pas entendre mes coups. Une longue minute et un poing endolori plus tard, un homme vient m'ouvrir.
Mon voisin apparait devant moi, attifé comme à son habitude d'une veste en jean sans manches, d'un jean troué et de baskets multicolores. Il porte des croix en argent en guise de boucle d'oreilles et il a attaché ses longs cheveux noirs et bouclés en une queue de cheval.
-B'jour, m'dame Charity. me salue t-il.
Je le salue en retour. Je n'apprécie pas la façon dont vit Thomas, mon voisin trop bruyant, mais il n'en reste pas moins un garçon sympathique. D'autres gens que lui râleraient après mes nombreuses demandes pour baisser le volume de la musique. Mais chaque fois que je viens voir Thomas, il se contente de hocher la tête poliment, puis s'en va baisser le son.
Et le remet au maximum dix minutes plus tard.
-Est-ce que vous pourriez baisser le son juste pour ce soir. Je suis vraiment très fatiguée et je n'arriverai jamais à dormir avec tout ce boucan, je le supplie.
Comme je l'ai prédit, il acquiesce d'un hochement de tête. Il referme la porte et un instant plus tard, le volume diminue. Je soupire en fermant les yeux, lassée de cette situation. J'ai les pieds congelés à force d'avoir sillonné les villages dans le froid hivernal. Et mon nez est tout froid.
Je m'apprête à rentrer chez moi, lorsque j'aperçois ma poubelle renversée sur le sol.
-Bande de voyous, vous n'avez réellement que ça à faire ?! je m'énerve, maudissant les gamins qui aiment s'amuser à ce genre de jeu.
Mais alors que je m'apprête à relever la poubelle, elle se met à remuer.
-Mais merde, c'est quoi ça encore ?! je m'exclame, au bord de la crise de larmes.
Je suis exténuée, frigorifiée, au chômage, et morte d'inquiétude pour mon meilleur ami. Et maintenant terrifiée par la chose qui vit dans ma poubelle.
C'est vraiment une journée pourrie !
Quelque chose sort à toute vitesse de la poubelle et s'enfuit en courant. J'ai le temps d'apercevoir l'animal avant qu'il n'aille se cacher dans les buissons.
-Un raton laveur. Depuis quand on a des ratons laveurs ici ? Je croyais qu'y avait que des vaches en Normandie.
Mon portable se met à sonner dans ma poche. Je délaisse la poubelle un moment et attrape mon téléphone. Je n'hésite pas un instant à décrocher lorsque j'aperçois le nom de Théo s'afficher à l'écran.
-Tu ne devineras jamais ce que j'ai trouvé dans ma poubelle.
Mais Théo ne me répond pas. Ou en fait si, il le fait. Mais le vent semble souffler si fort là où il est que je ne comprends rien.
J'approche le téléphone plus près de mon oreille.
-Théo, est-ce que ça va ?
-... temps... neige... voit rien...
Quoi ?
-Théo, je ne comprends rien !
-... tempête...
Mon Dieu, est-ce qu'il est pris dans une tempête de neige ? C'est possible ça ?
Mon visage blêmit. Je délaisse la poubelle et entre chez moi, bataillant avec la serrure de la porte. La cuisine est un véritable chantier, et je crois même apercevoir un rongeur sur le sol, mais je n'y prête pas attention, trop préoccupée par mon appel.
Je n'entends plus aucun mot. Juste le bruit du vent qui fait crépiter le micro et me vrille les tympans.
-S'il te plait, dis-moi quelque chose.
Mais je n'entends toujours rien. Je tourne en rond dans mon minuscule salon tout en me rongeant les ongles.
-Réponds-moi !
Je sursaute lorsqu'un grognement retentit à travers l'appareil. Puis je n'entends plus aucun bruit. Même le son assourdissant du vent s'est interrompu. Comme si le temps s'est arrêté.
-Théo ?
A-t-il raccroché ?
Tout à coup, j'entends quelqu'un respirer. Mon corps entier est pris de tremblements. Je suis littéralement terrifiée par ce qu'il se passe. J'ai des difficultés à inspirer. Mon cœur bat si vite dans ma poitrine qu'il me fait mal.
-Théo ? j'appelle de nouveau d'une petite voix.
Je continue d'entendre la respiration régulière. Puis un grognement grave se met à résonner, juste avant que l'appel ne se coupe. Je vérifie l'écran ; il a raccroché.
J'essaie de calmer ma respiration. Encore sous le choc, je peine à comprendre ce qu'il vient de se passer.
Putain, mais c'était quoi ça ?!
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