Chapitre 17

Tandis que l'eau de la douche dégouline le long de mon corps, réchauffant agréablement ma peau, les images du smilodon d'Amos ne cessent de me revenir en mémoire. Tout me parait différent maintenant que je sais. Je pensais qu'il était un métamorphe, en fait, c'est encore pire. J'ai appris que si les changeformes et Amos possèdent un point commun - celui de se changer en animal - ils ont surtout beaucoup de dissemblances.

Tout d'abord, la façon de se transformer. J'ai assisté à la métamorphose d'un loup. Tous ses os se sont mis à craquer alors que son corps se distordait dans des positions improbables, démontrant que ce changement n'est pas sans douleur. Amos, lui, ne fait que disparaitre dans un nuage de fumée avant de réapparaitre en tigre à dent de sabre - une race éteinte il y a bien longtemps.

Mais surtout, j'ai découvert que, bien que les loups-garous soient à moitié-homme et à moitié-animal, ils ont le contrôle sur leur bête, ce qui n'est pas le cas d'Amos. Lorsque celui-ci se transforme, il ne contrôle rien, pas plus qu'il ne se souvient de ce qu'il fait.

Je n'ose pas imaginer l'atrocité de cette malédiction, de devoir se réveiller tous les matins en se demandant si l'on a tué des gens durant la nuit. D'autant plus quand on subit ce sort depuis trois millénaires.

Amos a dû voir tout un tas de choses horribles.

Bon sang, il a même vécu la première et deuxième guerre mondiale !

Je souris légèrement en pensant qu'un historien vendrait sa propre famille pour pouvoir interroger une telle encyclopédie vivante.

Je sursaute lorsqu'on frappe à la porte.

—Tu comptes sortir un jour ou tu vas pomper l'eau chaude jusqu'à ta mort ? demande Théo.

Je lève les yeux au ciel.

Toujours aussi dramatique celui-là.

Je coupe l'eau et sors de la cabine de douche, attrapant une serviette au passage. Je me sèche en vitesse et m'habille. Puisque mes affaires ont disparu et que nous ne pouvons toujours pas descendre de la montagne, les métamorphes du village m'ont prêté quelques affaires.

Je suis tellement heureuse d'enfin pouvoir entrer dans des vêtements propres, bien qu'ils soient un chouïa trop grand pour moi. Je sors de la salle de bain une fois vêtue, laissant échapper de la pièce un grand nuage de vapeur.

—Tu veux quelque chose en particulier ? je demande à mon ami, debout devant la porte ouverte.

—Non, juste t'embêter.

Je donne une légère tape contre son torse et le pousse pour rejoindre le salon. Je me laisse choir sur le canapé moelleux en soupirant d'aise. Théo m'imite en s'asseyant près de moi.

—Ça va, tu tiens le coup ?

Je ris jaune.

—Nous sommes bloqués en haut d'une montagne enneigée, dans un village de métamorphes et menacés par des golems. Je suis au paradis ! j'ironise.

Il passe une main dans ses cheveux en soupirant.

—Ouais, question stupide, marmonne t-il.

Et encore, il ne sait rien d'Amos.

—Quand cette tempête sera terminée, je te promets que je t'emmènerai en vacances dans un endroit chaud, ensoleillé, avec une belle et gigantesque plage de sable.

—Si cette tempête se termine un jour, je bougonne.

Mais jusqu'ici, ce n'est pas près d'arriver. En fait, je commence à comprendre les insinuations étranges de Cerise à propos d'un évènement météorologiques surnaturels. Maintenant que je suis au courant pour le monde magique, plus rien ne m'étonne.

Je ferme les yeux et imagine la belle plage du sud. Je vois son beau sable doré. J'écoute le son berçant de ses vagues qui s'échouent. Je ressens la douce chaleur du soleil réchauffer ma peau. Puis j'aperçois Amos sortir de l'eau et me rejoindre, quelques perles salées glissant sur son torse que j'imagine musclé. Ce que ce serait étrange de le voir sans son habituel manteau de fourrure.

En fait, ce qui est étrange, c'est que je fantasme actuellement sur cet homme.

Je rouvre les yeux, les joues étonnamment brulantes. Il est vrai qu'Amos est un homme très séduisant. Mais il est aussi vieux de trois mille ans et il est maudit. Je ne dois pas oublier que son tigre à dent de sabre a juré qu'il allait me dévorer vivante un jour ou l'autre. Et il avait l'air très sérieux.

—Et ta Julie, alors ? Tu es déjà pressé de la quitter ? je lui demande tout en priant pour qu'il ne se soit aperçu de rien.

Il soupire d'un air las.

—Bien au contraire. Je l'apprécie sincèrement, cette fille.

—Même si c'est une louve garou ?

Il sourit doucement.

—Surtout si c'est une louve-garou, rétorque t-il. Je ne vais pas te mentir, ça m'a sacrément foutu la frousse de tomber sur tous ces loups. Mais j'ai appris à les connaitre, eux et leur mode de vie, et je les trouve formidables.

—Tu n'as pas peur qu'elle devienne sauvage et décide de te bouffer pendant ton sommeil ?

C'est précisément la raison pour laquelle je tente de garder une certaine distance avec Amos. J'apprécie beaucoup cet homme énigmatique et solitaire. Mais je suis bien trop consciente de ses crocs et de son envie de m'arracher la carotide.

—C'est un risque à prendre. Honnêtement, je n'ai pas rencontré de personnes de plus réelles, sincères et admirables que ces gens-là. Toi, tu n'as pas passé beaucoup de temps en leur compagnie, mais moi, je leur fais entièrement confiance.

Je soupire en me disant que j'aimerais penser à Amos de la même manière. Mais s'il y a bien une différence entre lui et les métamorphes, c'est bien sa malédiction. Il ne se contrôle pas, comparé à eux. De ce fait, il m'est impossible d'avoir pleinement confiance en lui.

Si seulement cette malédiction n'existait pas.

Nous sommes interrompus par le bruit d'un long hurlement de loup, suivi par tout un tas de vacarme. Je jette un regard interloqué à Théo qui me le rend. Puis, nous nous levons prestement et sortons de la maison.

Dehors, les métamorphes sont agités. Tous les villageois vont et viennent dans la cité, certains sous forme humaine, d'autres transformés en loups. Théo interpelle un homme qui passe devant nous et lui demande la raison de cette agitation.

—Il y a un intrus sur le territoire, nous informe t-il.

Un intrus ? Quelqu'un d'autre a été assez fou pour braver cette tempête ?

Ni une, ni deux, l'homme reprend son chemin comme si nous n'avions jamais été là.

Je croise le regard interloqué de mon ami près de moi.

—Qu'en penses-tu ? je lui demande.

—Pour qu'ils soient si agités, cet intrus ne doit pas être humain, me répond-il gravement.

Génial, encore un monstre.

Je regarde tout autour de moi, à la recherche d'une grande silhouette au manteau de fourrure que je n'aperçois nulle part.

Je suis inquiète pour Amos. S'il y a effectivement un indésirable surnaturel dans les environs, il pourrait y avoir une violente altercation et l'homme maudit pourrait être blessé. Pire encore, son smilodon pourrait prendre sa place, et tout se terminerait dans un bain de sang. Après tout, il n'a aucun contrôle sur la bête qui sommeille en lui.

J'aperçois Cerise filer à toute allure vers la sortie du village, accompagnée de deux énormes loups. Elle fonce la tête haute, une expression plus que déterminée sur le visage. Elle grogne deux trois trucs aux gens sur son passage, leur intimant de se calmer, que la situation est sous-contrôle. Et sous cette instruction, les villageois s'assagissent.

Cerise est la cheffe de cette petite bande de métamorphes. Elle inspire le respect, l'autorité, et fait en sorte que tout le monde se sente en sécurité. Sur cette réflexion, je devine que la jeune femme fonce droit vers l'intrus.

—Reste ici, intimè-je à Théo.

Je laisse mon ami planté là et marche sur les pas de Cerise. En très peu de temps, j'ai eu droit à des métamorphes, un smilodon maudit et des golems d'argiles. Voilà que maintenant, quelque chose d'autre sort de l'ombre pour venir nous importuner.

Quelque chose me dit que toutes ces apparitions surnaturelles ne sont pas normales.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top