Chapitre 12
Le lendemain, je n'ai pas eu d'autres choix que de remettre mes vêtements sales si je ne voulais pas me promener nue dans le village. L'odeur est incommodante, mais je fais avec en me rappelant que ce n'est que provisoire.
Malgré tout, une fois attablée de la même façon que la veille, j'en discute avec Cerise. Je lui parle de mon sac à dos que j'ai malheureusement dû abandonner pour venir ici.
—J'aimerais vraiment le récupérer, lui dis-je.
Elle hoche la tête doucement.
—Je suppose que je peux demander à quelqu'un de t'accompagner pour le reprendre.
Elle balaie la table du regard. Pendant ce temps, je l'observe avec attention. Les mèches rouges de ses cheveux ne me semblent pas naturelles, dans le sens où elle les a teints. Ses yeux banalement bruns continuent de fouiller la pièce. Lorsqu'elle ouvre la bouche pour y enfourner un morceau de fruit, je n'aperçois aucun croc. Même ses ongles sont normaux - si ce n'est qu'ils sont peut-être plus entretenus que les miens.
J'ai beau examiner chaque détail du corps de Cerise, rien en elle n'indique qu'elle est un métamorphe. Théo a raison, c'est impossible à discerner.
—Mais j'y pense, pourquoi est-ce que tu ne demandes pas à ton... ami... de t'accompagner ? me demande Cerise.
En voyant son regard rivé dans une direction, je me tourne pour entrevoir l'ami dont elle parle. Je constate alors qu'Amos est adossé à une paroi rocheuse à une dizaine de mètres de là. Il refuse toujours de se joindre à nous pour manger. D'ailleurs, je me demande comment il fait pour se nourrir puisqu'il refuse de partager notre table.
—Il a l'air très protecteur, dit-elle.
—Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
Elle prend une gorgée de jus d'orange.
—Il nous observe depuis le début du déjeuner. C'était pareil hier. Je crois qu'il n'a pas confiance en nous pour prendre soin de toi.
Je plante ma fourchette dans un morceau d'œuf brouillé.
—Amos est un homme énigmatique. Je suis incapable de comprendre ce qui peut bien lui passer par la tête, je rétorque.
Amos protecteur ? Il n'y a pas si longtemps que ça, il a déclaré que je serai son prochain repas.
Cette remarque me rappelle que j'ai tout un tas de questions à propos de cet homme si mystérieux. À commencer par...
—Pourquoi est-ce que vous ne vous entendez pas ? Les gens de votre village ont l'air de le détester.
J'ai d'abord cru que c'était une question de moral à cause de ce manteau de fourrure. Mais maintenant que je suis au courant pour l'existence des loups-garous - non, des métamorphes - je me dis que peut-être, il y a une raison plus profonde à tout cela.
—Je ne pense pas être la meilleure personne pour t'en parler, déclare Cerise.
—S'il vous plait, dites-moi, je la supplie.
Elle soupire.
—Je ne préfère pas. Il y a trop d'oreilles indiscrètes qui se baladent.
Je la vois lever de nouveau les yeux dans la direction de l'homme resté à l'écart.
—Vous parlez d'Amos ? Enfin, il est à trente mètres de nous, il ne peut pas nous entendre.
Mais Cerise ne répond rien, confirmant une théorie que je me posais. Les métamorphes ne font pas que se transformer en animal. Ils peuvent aussi entendre très loin.
Et qui sait ce qu'ils peuvent faire d'autre.
Je pousse mon assiette vide devant moi et me lève de ma chaise.
—Je vais lui demander de m'accompagner.
Amos relève la tête lorsque je m'avance vers lui. Arrivée à sa hauteur, je lui expose mon problème.
—Je vais t'y emmener, me dit-il.
Il se retourne et s'éloigne.
—Va chercher ton manteau, et rejoins-moi à la sortie du village.
J'obéis et retourne dans la petite maison. Je récupère à la hâte ma doudoune et ma veste imperméable et les enfile avant de rejoindre Amos au point de rendez-vous. Je n'ai pas hâte de retrouver le froid mordant de la montagne, d'autant plus que la tempête ne s'est toujours pas calmée d'après les dires de Cerise. Mais je n'ai pas d'autres choix si je veux récupérer mes précieuses affaires.
Lorsque nous sortons, je pousse un cri de découragement.
—C'est moi, ou c'est encore pire qu'avant ? je râle.
Les flocons qui tombent du ciel me paraissent de plus en plus gros, et le tapis blanc sous nos pieds a tellement épaissi que la neige m'arrive à mi-cuisse lorsque j'ose m'y aventurer.
—On devrait rester ici. La tempête est trop forte, c'est risqué, tente Amos de me dissuader.
Je secoue la tête.
—Je ne suis pas une chochotte, ce n'est pas quelques flocons blancs qui vont me faire peur, j'affirme avec détermination.
—Si tu le dis. Mais je continue de penser que c'est une mauvaise idée.
Sans doute, mais j'ai vraiment envie de récupérer ce sac.
Nous nous aventurons dans la neige. Je peine à avancer, les jambes enfoncées dans la poudre molle. Amos, lui, ne semble pas avoir ce problème. Étant bien plus grand que moi, la neige ne lui arrive qu'à mi-mollet. Il marche sur l'épais tapis blanc sans aucune difficulté, comme s'il avait fait ça tous les jours de sa vie.
Ce qui est probablement le cas.
Au bout de cinq longues minutes à me débattre dans la poudreuse, Amos s'arrête devant moi. Il soupire.
—À ce train-là, on ne sera pas rentré avant la tombée de la nuit.
Et voilà, l'Amos aigri et méchant est de retour.
—Excuse-moi de ne pas mesurer deux mètres, je rétorque avec ironie.
Il s'approche, me tourne le dos, puis s'accroupit. Je lève un sourcil interrogateur devant ce geste inattendu.
—Monte. On ira plus vite comme ça.
J'ouvre la bouche sans rien dire, surprise par cette proposition - ou plutôt cet ordre.
—Mais Amos, tu ne peux pas me porter, je suis trop lourde, m'opposé-je.
—Ne dis pas de bêtises. Pour moi, tu es à peine plus lourde qu'un sac de plumes. Allez, dépêche-toi avant que je ne change d'avis.
J'observe mes jambes enfoncées profondément dans la neige. Il est vrai que je nous ralentis considérablement. Et se débattre ainsi dans la poudreuse est si fatiguant.
Je finis par accepter sa proposition. Je m'approche doucement d'Amos, un peu gêné de devoir monter sur son dos. Lui ne semble pas avoir ce problème. Amos me soulève de terre comme un fétu de paille.
—Enroule tes jambes autour de ma taille.
J'obéis. Une fois sûr que je suis bien installée, Amos se relève et nous reprenons la route. La douce fourrure de son manteau me chatouille le visage. Mon poids désormais combiné au sien, mon compagnon de route s'enfonce un peu plus dans la neige. Mais il progresse sans difficulté à travers le blizzard, comme si ce n'était qu'une balade de santé pour lui.
Au bout d'une dizaine de minutes, Amos est toujours en pleine forme. Il ne montre aucun signe de fatigue. Je me dis que les métamorphes ont certainement d'autres atouts qu'une ouïe surdéveloppée.
Certes, Amos est très robuste, et je ne doute pas un instant qu'un homme comme lui puisse soulever une centaine de kilos sur un banc de musculation. Mais mon instinct me dit qu'il y a quelque chose d'autre qui se cache derrière cette grande force.
Quelque chose de surnaturel.
Alors que les révélations de Théo me reviennent en mémoire, je ne peux m'empêcher d'en parler à mon compagnon de route.
—Je suis au courant pour l'existence des métamorphes, lui avoué-je de but en blanc.
Il ne dit rien pendant un instant. Je finis par croire qu'il ne m'a pas entendu à cause des fortes bourrasques qui sifflent à nos oreilles, mais il me répond finalement.
—Je sais. J'ai entendu votre conversation cette nuit.
—Oh, je m'étonne. Tu ne dormais pas ?
J'étais pourtant persuadée de ne pas avoir fait le moindre bruit en sortant de ma chambre. Mais peut-être avons-nous fini par trop hausser la voix, d'une manière ou d'une autre.
—Et qu'en penses-tu ? me demande t-il.
—Des métamorphes ?
Je soupire.
—Je ne sais pas trop, je lui confie.
Apprendre leur existence a été tout autant un soulagement qu'une catastrophe. D'un côté, j'étais rassurée d'avoir la preuve que je ne devenais pas cinglée à force de restée confinée sur cette montagne. Mais d'un autre, savoir que les monstres que je craignais étant plus jeune sont réels me fiche la frousse.
Je sais que jamais je ne pourrai reprendre une vie normale après ce séjour sur le Mont-Blanc. Une fois de retour à mon petit quotidien bien trop tranquille, je ne pourrai m'empêcher de croiser les nombreux visages dans la rue en me demandant qui parmi eux n'est pas entièrement humain. J'angoisserai sans arrêt à l'approche d'un nouvel inconnu, incapable de savoir s'il serait innocent ou bien me sauterai à la gorge à la moindre occasion.
Et puis, si ça se trouve, il n'y a pas que des métamorphes sur cette Terre. Si des créatures telles qu'eux existent, qui sait ce qui peut bien se tapir d'autre.
—Nous sommes arrivés, m'annonce Amos.
Déjà ?
Le grand bonhomme s'abaisse pour me laisser descendre. La couche de neige est moins épaisse ici, l'espace à moitié abrité par d'énormes pierres. Je reconnais non sans mal l'immense rocher sous lequel j'ai rampé, déterminée à suivre Amos ce matin-là.
Je m'approche de celui-ci. Je longe la surface dur, à la recherche de mon énorme sac. Mais alors que je fais le tour de la roche, je ne trouve rien. Amos vient me rejoindre.
—Il n'est plus là. Tu crois que des animaux ont pu le prendre ?
C'est bien ma veine.
Mon sac contenait beaucoup de choses auxquelles je tiens, notamment mon portable, mon portefeuille, mes clefs de voiture, et surtout des habits propres.
—C'est possible. Le blizzard a effacé les traces dans la neige et les flocons frais m'empêchent de capter les odeurs à plus de cent mètres, m'explique Amos.
J'hausse les sourcils, surprise par cette remarque sur son odorat. Si j'avais encore des doutes quant à l'origine surnaturelle d'Amos, maintenant, j'en suis sûre.
—Tu es un métamorphe, toi aussi ? J'ai raison ?
Je relève le menton bien haut, fière d'avoir deviné. Amos détourne le regard, gêné ou peut-être honteux. Il hésite à parler.
—Non, je n'en suis pas un, dit-il d'un ton trainant. Pas vraiment.
Je tombe des nues. J'étais si sûre de moi, persuadée d'avoir raison. Mais voilà qu'il me confirme ma pire crainte.
Il y a d'autres créatures dans ce monde.
—Alors... qu'est-ce que tu es ? je m'emporte. Tu n'es pas un métamorphe, pourtant tu as des crocs et tes yeux changent de couleurs !
N'est-ce pas comme cela qu'on reconnait un loup-garou ?
Je réfléchis à toute allure, balayant tout un tas d'hypothèses. J'en viens à penser aux vampires, ce qui pourrait être le cas si on fait le lien avec la morsure qu'il m'a faite l'autre jour. Mais alors que je m'apprête à le lui demander, quelque chose attire notre attention derrière nous.
Une marmotte sort en courant de derrière un pin. Trois fauvettes s'envolent en toute hâte, aussitôt malmenées par le vent. Un couple de lièvre suit le même chemin que la marmotte brune, presque indiscernable dans l'épaisse couche de neige.
En plissant les yeux, j'aperçois une masse sombre et flou se dessiner derrière le rideau de flocon.
—Dis-moi, toi qui es un expert en montagne glacée, à cette époque de l'année, les marmottes ne sont pas censées être en hibernation ? je demande à Amos.
Je dois avouer que la situation m'angoisse. Pas moins de six animaux sont sortis de leur tanière, un jour de tempête, pour se précipiter dans la même direction.
—Quelque chose les a apparemment chassés de leur territoire, marmonne Amos.
Ses yeux sont rivés sur le paysage blanc devant nous. Il fouille les pins du regard, les lèvres pincées. Il lève le nez et renifle l'air.
—Ça sent... l'argile, dit-il.
Un amateur de poterie ?
Si seulement.
Alors que l'ombre approche, elle se divise en trois. Trois silhouettes humanoïdes, étonnamment grande. Les trois hommes marche d'un pas raide, mais déterminé.
Ami ou ennemi ? Aucune façon de le savoir. Mais à l'expression faciale d'Amos, je devine que ces gens ne sont pas pacifistes.
En les détaillant, je remarque qu'ils ne portent aucun vêtement. Leur peau brune font tâche dans le paysage immaculé. Mais alors qu'ils continuent d'approcher, mes suspicions s'effritent.
Non, ce ne sont pas des hommes nus qui avancent. En fait, je ne suis même pas certaine que ce soit des hommes à proprement parler. Ils n'ont aucun poil, ni cheveux, ni barbe, ni sourcils. Leur bouche s'ouvre sur une cavité sans dentition, aussi sombre et brune que leur peau. Quant à leurs yeux, ceux-ci sont inexistants, remplacés par deux trous béants de chaque côté de leur visage.
Je m'accroche au bras d'Amos, plus qu'inquiète.
—Qui sont-ils ?
Par sous-entendu, que sont-ils ?
—Des golems, me répond Amos.
J'observe les trois géants qui progressent à grand pas.
Des golems. Je ne sais pratiquement rien de ces bestioles-là. Mais je m'aperçois d'une chose, c'est qu'ils sont décidément très effrayants.
Terrorisant même.
Leur visage inexpressif et leur démarche raide laissent penser à un trio de zombies robotisés. Des monstres sans âme, aucune.
Je les trouve d'autant plus effrayant à mesure qu'ils se rapprochent, me permettant de mieux les distinguer. Ils ne sont pas identiques, chacun a ses petits défauts. Celui de gauche a un bras deux fois plus court que l'autre. Le géant de droite a des pieds si gros qu'il peine à les soulever. Et le pire de tous, celui du milieu en tête du groupe, a le visage presque difforme. Sa mâchoire est étrangement décalée sur le côté, comme si quelqu'un la lui avait disloquée, mais qu'il ne l'avait pas remise à sa place.
—Amos, qu'est-ce qu'on fait ? je souffle, paniquée.
Parce qu'il est évident que la confrontation est imminente. Bien que les golems ne possèdent pas de globe oculaire, ils se dirigent droit sur nous.
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Salut les loulous !
Aaaaaaaaah, enfin un peu d'action ! On commençait un peu à s'ennuyer non ?
Que pensez-vous de ces golems ? Je vous avoue que j'avais un peu envie de m'éloigner des métamorphes et ajouter quelque chose de nouveau. Et ce ne sera certainement pas les dernières créatures atypiques que vous verrez ! Oh que non, j'ai d'excellent projets surnaturels pour cette histoire.
Bye les loulous,
PicMacBook
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