19h - Garde du cœur

« Je règne sur le monde alors pourquoi devrais-je rêver petit ? »

- If I Ruled the World

O!RUL8,2?

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Namjoon attendait.

Du haut de son trône démesuré, tout de cristal et de fourrure blanche constitué, il surplombait l'ensemble de la salle d'audience taillée dans la glace. La pièce, toute en longueur et en hauteur, était semblable à la nef principale d'une cathédrale gothique avec ses piliers, ses arcs-boutants et sa flèche, en son sommet, qui fusait droit vers les étoiles.

Mais ce soir-là, elles étaient absentes, éclipsées par les coups de pinceaux de vert, de rouge, de jaune, qu'une main de vertes avait tracé. Une aurore boréale féérique.

Namjoon, au comble de l'impatience, interpella soudainement le jeune homme qui se trouvait au pied de son trône.

- Yoongi, quelle heure est-il ?

Son interlocuteur consulta sa montre à gousset, qu'il venait de sortir de sa redingote rouge, et lui répondit :

- Dix-huit heures trente, Votre Majesté.

Namjoon soupira. Il lui restait encore une longue demi-heure à patienter.

Il était le roi du monde, mais, même si l'ensemble de son empire se portait à présent bien, que les émeutes avaient été maîtrisées, les famines éteintes, il ressentait comme un vide, un manque au fond de lui, tout comme dans le cœur de son empire.

Il se traînait jour après jour, dans sa geôle de cristal, à décider de lois visant à apaiser son peuple, à améliorer ses conditions de vie mais il avait l'impression de choisir dans le vide.

Quand il se couchait, il était vide et ses pensées, pourtant, tournoyaient encore et encore dans son esprit.

En dépit de la profusion et de la variété de nourriture qui l'attendaient, à chaque repas, il n'avait pas d'appétit et son empire semblait, pour lui, à son image: apathique.

Après de longues discussions avec son conseiller le plus avisé, mais également son confident, son ami, Yoongi, Namjoon avait donc convenu qu'il devait se marier mais pas avec n'importe qui : avec l'idole des cœurs.

Un être de lumière apprécié, adoré de tous, qui sillonnait le monde sur le dos de son dragon aux couleurs de l'arc-en-ciel. Et partout où il passait, on l'acclamait, le sourire revenait sur les visages fatigués, les maisons des pauvres se remplissaient d'or et de pierreries, les malades recouvraient la santé, les vieillards retrouvaient leur peau de bébé et faisaient l'acquisition de la jeunesse éternelle.

Un faiseur de miracles.

L'union avait été fixée au printemps mais, ce jour-là, à dix-neuf heures précises, les deux fiancés devaient se rencontrer, afin de se familiariser l'un avec l'autre. Ils avaient vingt-quatre heures.

Namjoon ferma les yeux un instant, sa couronne d'or blanc posée en équilibre sur sa chevelure aussi blanche que la neige. Il était d'une grande stature légèrement athlétique, et avait la peau aussi chaude que le miel. Son visage, rond, laissait parfois découvrir deux fossettes ravissantes mais, dès lors que son père, à son décès, lui avait cédé le trône, elles avaient disparu, recouvertes par une pluie diluvienne de contraintes, de tracas et de responsabilités.

Il y avait tellement longtemps qu'il n'avait plus eu l'esprit aussi léger que le vent. Il semblait lui peser comme du plomb, l'enracinant dans le sentier solitaire qu'il devait emprunter, malgré lui.

Face à lui, vêtus de rouge, une lance à la main, ses gardes encadraient l'allée principale menant à son trône, imperturbables. Marionnettes exercées, elles étaient chargées de la sécurité du roi et semblaient parfaitement dénuées de la moindre parole.

Finalement, en proie à un dilemme intérieur qui le déchirait de toutes parts, Namjoon se leva et domina de sa hauteur ses gardes. Il ne pouvait attendre davantage.

- Je vais l'attendre sur le grand balcon, déclara-t-il.

Yoongi, au pied du trône, s'inclina face à lui.

- Bien, Votre Majesté, si tel est votre désir.

Il s'écarta pour laisser passer l'empereur et, d'un signe de la tête, invita les gardes à encadrer le monarque à son passage.

Majestueux, le port de tête altier, le dos droit, le regard lointain mais la mâchoire légèrement contractée, Namjoon foula ainsi le long tapis rouge qui le mena jusque dans un hall immense qu'un escalier en colimaçon entourait comme du lierre autour de son tronc.

Il s'avança toujours, sans un regard pour les quelques sujets et domestiques qui s'étaient immobilisés pour le voir passer, lui qui sortait très rarement de sa salle du Trône duquel il lançait toutes ses directives, et décidait ainsi du sort de son empire entier, sans état d'âme apparent.

Il traversa une nouvelle porte d'un bleu étonnant, telle du corail phosphorescent, et foula le sol de glace d'un large balcon circulaire.

Le vent frigorifiant soufflait fortement, glacial, mais il ne frémit pas, se contentant d'interroger le ciel de ses yeux perçants. Au-dessus de lui, resplendissant de majesté, le ciel bariolé aux couleurs de l'aurore boréale le recouvrait.

Mais Namjoon baissa aussitôt la tête pour fixer l'horizon.

Aux pieds de la montagne, au sommet de laquelle était fixé le palais, s'étendait un lac recouvert d'une épaisse couche de glace, déserte.

Et au loin, le néant.

Le roi s'appuya à la rambarde, ciselée dans le cristal, et interrogea de nouveau Yoongi qui se trouvait à sa hauteur.

- Il n'y aucun signe de lui.

- Il va arriver, Votre Majesté, assura le conseiller d'un ton placide. Ne vous en faites pas, le roi des cœurs est toujours à l'heure.

- Et quelle heure est-il ?

- Dix-huit heures trente-cinq, Votre Majesté.

- Il est donc dix-neuf heures dans vingt-cinq minutes, marmonna le roi.

Le temps paraît infiniment long lorsque l'on trépigne d'impatience. C'était l'impression que se faisait Namjoon à ce moment-là, il aurait tellement aimé pouvoir faire un bond en avant afin d'accueillir le jeune homme que tous aimaient.

Il était assurément nerveux, oui, mais il était également extrêmement intrigué par le personnage loué par tous ceux qui avaient croisé sa route.

Troubadours, petites gens, dignitaires, tous s'étaient fait une grande impression de Taehyung.

- Votre Majesté, ne désirez-vous pas attendre à l'intérieur, au chaud ? Osa lui demander son conseiller.

- Non, répliqua le roi en secouant la tête. Je veux attendre ici. Je veux le voir arriver.

Yoongi s'inclina, marquant sa défaite, et s'écarta.

De petite taille, il avait la peau aussi pâle et délicate que la neige, et les lèvres aussi rouges que le sang.

En contraste, sa chevelure était noire de jais et faisait ressortir les traits de son visage rebondi. Nouée en catogan à sa nuque, elle retombait gracieusement sur son costume pourpre.

Il connaissait le roi depuis toujours, et avait pour lui une admiration sans borne et un respect profond. Leur confiance mutuelle était telle que, lorsque Namjoon avait accédé au trône, c'était tout naturellement que Yoongi était devenu son plus fidèle conseiller. Jusque-là, il n'avait jamais failli dans ses conseils.

Cette idée de mariage était également une excellente initiative, surtout qu'ayant eu la chance de rencontrer l'heureux élu en personne, s'étant énormément documenté sur le personnage, le conseiller savait qu'il n'aurait pu trouver mieux pour son ami, ni pour son empire.

Pourtant, en lisant la joie et la nervosité dans le regard du roi, que lui seul parvenait à déceler, il ne pouvait s'empêcher de ressentir un pincement au cœur.

Il se voyait chassé par cet inconnu, de la Cour, de l'intimité du monarque, mis à la porte, éloigné de sa vie et il ne pouvait souffrir de cet éloignement, conséquence de l'union à venir car, indubitablement, TaeHyung et NamJoon étaient fait l'un pour l'autre.

Ils étaient complémentaires, il l'avait aussitôt su.

Le visage de marbre, lèvres pincées, les mains dans le dos, Yoongi avait les yeux fixés sur le roi qui, tout tourné vers l'immensité du ciel, ne s'apercevait pas d'être lui-même un objet de contemplation.

Namjoon attendait, il rêvait, il fantasmait, comme toutes ces nuits bleues, sur la fourrure de son lit, où, les yeux grands ouverts, ne pouvant trouver le sommeil, il se laissait glisser à la rêverie.

Il se laissait à imaginer ce TaeHyung qui avait peuplé le vide de son esprit, recouvert de douceur et de magie la noirceur de ses pensées, dans le plus profond de la nuit.

Dorénavant, à chaque minute, s'était inexorablement vers lui que tout le ramenait.

Pourtant il n'avait vu que la beauté angélique de son visage hâlé, la forme rectangulaire de son sourire éclatant, la chevelure châtain abondante et soyeuse, ses yeux bruns remplis d'amour et de sincérité, capturés par un photographe.

Il avait donc imaginé le reste.

Il avait imaginé la douceur de sa voix, l'aura qui se dégageait de lui, il avait imaginé sa démarche, son parfum, sa manière de se tenir debout jusqu'à ses habitudes matinales et nocturnes, sa position lorsqu'il dormait, le contenu de sa garde-robe, son plat préféré.

Il était devenu une idéalisation dans son esprit, dans lequel il était bien vivant avant que la réalité ne vienne frapper le spectre chimérique qui se distordait pour ne devenir que poussière d'argent.

Puis soudainement, il y eut du mouvement au loin.

Un éclat métallique, dans le ciel noir parsemé de touches de vert.

Autour de Namjoon, les soldats se redressèrent.

Le roi se tendit, aux aguets, extirpé avec force de ses pensées.

Un chuintement diffus transperça la nuit glaciale et, quelques secondes après, un chatoiement multicolore troua la monotonie du paysage. Il se réverbéra sur l'immensité glacée du lac figé dans le temps, tandis que les pics de métal froid remontaient vers les cieux, au loin, protégeant le palais impérial d'attaques ennemies.

La tache de couleurs progressait de manière gracieuse et continue, grossissant au fur et à mesure de son avancée.

Namjoon sentait son cœur battre à tout rompre dans sa cage thoracique, alors que Yoongi se trouvait submergé par un lourd abattement.

Il arrivait.

Taehyung, l'idole des cœurs, arrivait.

Le monarque lança un regard à Yoongi qui, comprenant sa requête muette, sortit sa montre à gousset de sa poche intérieure.

- Pile à l'heure, déclara-t-il.

- Qu'on fasse sonner les clairons, nous devons l'annoncer en grandes pompes.

Le conseiller s'inclina et disparut prestement, avalé par le mastodonte de glace et de cristal, le cœur aussi lourd qu'une plaque de marbre.

Dans l'air frais et silencieux, Namjoon entendit bientôt une musique enchanteresse résonner.

C'était le chant mélodieux du célèbre dragon arc-en-ciel Singularité, annonciateur de l'arrivée imminente de son célèbre maître, Taehyung.

Son son envoutant emplit graduellement Namjoon d'allégresse et de chaleur, c'était comme si le printemps pénétrait enfin dans son corps, jusqu'à son cœur palpitant.

Il comprit pourquoi son peuple l'aimait autant, lui, le colporteur de joie, la bonté personnifiée qui, partout où il allait, sur chaque parcelle de terre ou d'océan qu'il survolait, transformait les déserts arides et calcinés en immortelles oasis.

Nul ne savait d'où il venait, mais tous l'adulaient et réclamaient sa présence continuellement pour apaiser leurs maux.

Tout entier à sa fascination, Namjoon ne remarqua pas le retour silencieux de Yoongi, plus morose que jamais, à ses côtés.

Les yeux rivés sur Taehyung, il observait sa progression remplie de promesses dans le ciel, tache de lumières grossissante et, enfin, il fut face à lui.

Enfin, il était parvenu à son niveau.

L'énorme museau barbouillé de bleu azur et de violet lavande, soufflant de l'air chaud par ses narines frémissantes, se trouva à quelques centimètres du visage de Namjoon.

Un long cou chargé d'écailles des mêmes tons suivait le visage allongé, percé de deux grands yeux doux bruns, le suivait pour rejoindre un large corps à la longue queue pointue, qui balayait nonchalamment l'air.

Il était équilibré par une paire d'ailes aussi fines que la soie qui balayait lentement, majestueuses, l'air pour stabiliser son corps : vert émeraude, bleu lagon, rose comme la barbapapa, jaune tournesol, rouge coquelicot, elles étaient graciles et élégantes.

La créature était sublime, tout droit sortie d'un conte pour enfants dans lequel tout finissait bien.

L'instant de l'admiration passa, comme le vent qui chasse au loin un orage, et Namjoon se tendit brutalement.

Taehyung était là, sur son dos, il pouvait sentir son regard chaud sur lui.

Il se fit violence pour relever la tête et se statufia aussitôt.

Un regard tendre et pétillant, un sourire rectangulaire qui l'emplit aussitôt de douceur, surmontés d'une chevelure abondante le rencontrèrent et le percutèrent.

Le jeune homme était encore plus beau que sur le cliché qu'il avait abîmé à force de le contempler et le manipuler à longueur de journées.

Son aura était encore plus impressionnante que dans ses fantasmes.

Il était indéniablement charismatique, tel un prince.

- Bonsoir, Votre Majesté, fit le nouveau venu d'une voix aussi onctueuse que le miel le plus doux. Il est dix-neuf heures, je suis arrivé! claironna-t-il, satisfait.

Le roi s'inclina et s'écarta, lui désignant du bras la place libérée par ses gardes.

D'un signe de son maître, le dragon donna une impulsion de ses ailes pour se poser en douceur sur le balcon.

- Bonsoir, roi des cœurs, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et d'être venu à l'heure, fit Namjoon en lui tendant la main.

Avec un sourire malicieux, Taehyung la saisit de sa main gantée aux longs doigts et sauta lestement à terre.

- Je suis toujours à l'heure, déclara-t-il, malicieux.

Puis il s'écarta et flatta l'encolure de sa monture qui, les yeux mis-clos, se laissait aller à ses caresses.

- Il ne mange que des chamallow et de la barbe-à-papa et dors dans un lit king size, auprès d'un bon feu de cheminée, prévint-il. Ce brave a volé toute la journée, il a bien droit à du repos.

Yoongi s'approcha et le salua d'une révérence, sur un regard de Namjoon.

- Je vais charger nos serviteurs de s'en occuper.

- Je vous en suis extrêmement reconnaissant, merci beaucoup, s'exclama Taehyung en tapant vivement dans ses mains.

Aussitôt, des hommes en livrée surgirent et emmenèrent Singularité. Le dragon, désorienté, jetait des regards inquisiteurs, les oreilles basses, à Taehyung ,en suivant à regret les serviteurs.

Son maître lui offrit un regard encourageant avant de reporter son attention sur le roi.

Namjoon se trouva saisi, une fois encore, par l'intensité de son regard si profond et si doux à la fois.

Ne sachant que faire, il s'inclina pour saisir sa main que Taehyung lui offrit, avec un éclat de rire divin et contagieux, après l'avoir libérée de son gant.

- J'espère que votre voyage s'est bien déroulé, lui dit gracieusement Namjoon.

Le voyageur répondit d'un grand et franc sourire qui fit battre un peu plus fort le cœur du monarque.

Le visage affaissé, las, Yoongi assistait lui en silence au coup de foudre de son ami pour l'inconnu.

- Je vous en prie, se ressaisit le roi avec un sursaut. Veuillez me suivre, vous mettre au chaud. Nous avons vingt-quatre heures devant nous avant votre départ. Que diriez-vous d'une petite visite du palais?

Avec un sourire réjoui, le roi des cœurs emboîta le pas du roi du monde.

Durant les heures suivantes, suivis d'une ombre qui s'assombrissait de minute en minute alors que leurs visages devenaient au contraire de plus en plus lumineux, inondés par un soleil intérieur alimenté par l'autre, Taehyung et Namjoon ne cessèrent de discuter tout en déambulant dans l'immense palais.

Si, au début, leurs échanges s'étaient montré timides, limités aux convenances et à la stricte politesse, la découverte des pièces non-conventionnelles du palais de Cristal avait ranimé le voyageur.

- Je vous présente le refuge des animaux, lui déclara le roi en le faisant entrer dans une vaste salle.

Taillée dans la roche, au cœur de la montagne, son toit de verre et de cristal absorbait la chaleur des étoiles et du soleil, lorsqu'il brillait, pour transmettre toute sa chaleur dans un véritable jardin immense dans lequel des arbres s'agitaient doucement, autour d'une cascade qui se fracassait tranquillement dans un lac immense auquel s'abreuvaient quelques biches égarées.

Émerveillé, le visage de Taehyung se détendit pour laisser apparaître une expression de pure satisfaction avant que son éternel sourire rectangulaire, qui avait tant de fois animé les songes de Namjoon, ne vienne le barrer.

- Cet endroit est fabuleux ! S'écria-t-il. Oh, je vois des loutres, là, qui s'ébattent ! Oh, et là, des renardeaux qui jouent ! Je peux aller les caresser ?

Gagné par l'enthousiasme de Taehyung, le roi se laissa aller à un éclat de rire qui glaça Yoongi, tellement rare qu'il semblait étrange à ses oreilles, avant d'accéder à sa requête.

Sa bonne humeur légendaire était décidément contagieuse.

- Bien sûr, lui accorda-t-il.

Il s'attendrissait devant l'attention que procurait Taehyung à ces animaux. Lorsqu'il s'accroupit pour caresser la petite tête d'un louveteau, il glapit de surprise avant de s'écrouler par terre et de se tordre de rire.

Le reste de la portée lui était sauté dessus pour le couvrir de léchettes affectueuses avec tant d'entrain que, pour délivrer Taehyung, Namjoon dut se baisser lui aussi pour porter doucement un à un les louveteaux qui couraient se réfugier aux côtés de leur mère.

- Chaque animal blessé, persécuté par des braconnages, qui a fui des incendies, chassé de sa terre est amené ici. Ici c'est la zone tempérée mais, à la surface s'étend le royaume des animaux de l'hiver, déclara ensuite le monarque en désignant la voûte.

Fasciné, Taehyung se redressa pour admirer la vaste couche de cristal, de verre et de glace, bariolé de couleurs lumineuses diverses.

- J'ai toujours adoré les animaux, murmura-t-il.

Quelques instants plus tard, ils se retrouvaient tous deux au sommet d'une tour de pierres dentelée, dépourvu de toit, enlacée par du lierre de verre. Ils culminaient à des dizaines de mètres de hauteur, de l'autre côté du palais sur l'autre flanc de la montagne et, à leurs pieds, une faune enchantée s'éveillait.

Des dragons de neige, au museau effilé, au regard doux et sage, longs comme des lianes et aux griffes aiguisées comme des lames, dormaient mollement à l'abri des roches parsemant la montagne, ou voletaient nonchalamment dans le ciel illuminé.

Sur l'océan de glace et d'eau souple, des baleines au gigantesque œil empreint de sagesse, aux flancs gris striés de vert, perçaient les flots, envoyant s'écraser des gerbes d'eau sur des pans de banquise sur lesquels dormaient des phoques, ou des ours polaires.

- Voici le cœur de l'empire, bienvenue, déclara gravement Namjoon.

- C'est magnifique, souffla Taehyung.

Un sourire sans joie avait étiré les lèvres du roi alors que, éberlué, le jeune voyageur semblait vouloir absorber de ses yeux écarquillés l'immensité et la beauté du paysage.

- Oui, c'est magnifique, mais c'est calme et froid, surtout, releva le roi.

Taehyung posa ses coudes sur la pierre, le menton enfoui dans ses mains en coupes. Le pompon de son bonnet flottait drôlement dans le vent glacial qui courait autour d'eux.

- Il fait froid aussi, dans les airs, dit-il simplement. Et vide.

Il se tut quelques secondes, avant de reprendre.

- Mais pourquoi ne partez-vous pas ailleurs, Votre Majesté ? Pourquoi ne restez-vous qu'ici? Les Terres d'Emeraude, par exemple, connaissent un printemps éternel. Les oiseaux chantent continuellement, l'air y est bon, l'eau est claire et douce...

- L'avantage de cet endroit, justement, c'est que le climat est tellement hostile qu'il est très dissuasif.

Perplexe, le jeune voyageur se redressa pour dévisager le roi, oubliant tout des convenances, sous le regard silencieux de Yoongi, tapi dans leur ombre.

- Je ne comprends pas.

Le roi se retourna pour échanger un regard furtif avec son conseiller, et répondit :

- J'ai beaucoup d'ennemis. C'est le prix à payer quand son propre père a mis à feu et à sang une planète entière pour y faire régner, à sa mort, son fils unique. Alors, je reste ici, en sécurité, et je travaille ici.

- Vous devez être bien seul, murmura Taehyung, les yeux brillants.

L'empathie qui inondait de son visage émeut Namjoon qui, pourtant, se contenta d'un haussement d'épaules.

- On l'est tous un peu, non ?

Taehyung marmonna:

- Peut-être bien...

Ils retournèrent ensuite dans les entrailles du palais, au chaud dans une immense salle dans laquelle s'élevait un sapin resplendissant, d'un vert intense saupoudrée d'une neige qui ne fondait jamais.

Le sol, fait d'un parquet étincelant, rendait la pièce aux murs de glace bien plus chaleureuse surtout que, au plus grand bonheur de Taehyung qui avait retrouvé le sourire, il y faisait bien chaud.

Le voyageur s'était rapidement débarrassé des couches de vêtements dont il s'était enveloppé afin de braver les températures basses pour se ruer sous le sapin.

- Il est magnifique ! Comment faites-vous donc ?

Namjoon se contenta d'esquisser un petit sourire.

Taehyung avisa ensuite un énorme lit, à l'édredon couleur crème bien moelleux, au bout de la pièce.

Perplexe, il se figea.

Le roi se rapprocha en s'éclaircissant la gorge.

- Il s'agit de ma chambre d'enfant, expliqua-t-il. Je m'étais dit qu'elle était la pièce la plus conviviale du palais et...

- Je peux dormir ici ?

Surpris, Namjoon écarquilla les yeux.

- Oui, bien sûr ! Mais...

- Où dormez-vous, si vous ne dormez plus ici ?

- J'ai pris la chambre de mon père, à sa mort. De toute manière j'ai très peu dormi ici de ma vie...

Taehyung se mordilla les lèvres avant de se percher sur le matelas. Comme il s'y était attendu, il s'enfonça doucement sous son poids.

- Vous ne souffrez pas trop de la solitude, tout de même ? Demanda-t-il en tapotant un coussin.

- Oh que si, mais ai-je le choix ? Comme disait mon père, c'est le prix à payer pour régner.

Taehyung plissa le front avant de le fixer.

- Il était comment, lorsqu'il était vivant ?

- Absent. Et sérieux. Trop, même. Intransigeant, exigeant.

- Vous n'avez pas eu d'enfance ?

- Pas vraiment, non, admit le roi. Et vous ?

Taehyung soupira avant de s'allonger, en étoile, sur le lit.

- Mes parents m'ont laissé orphelin lorsque j'étais très jeune. Je ne les ai même pas connus. Gamin des rues, je ne survivais que grâce à la générosité des gens puis, dès que j'ai rencontré Singularité, je suis parti. J'ai quitté ce village pour découvrir d'autres horizons, surtout pour fuir mon passé, la misère, et j'ai donné. Ce n'était pas prémédité, mais c'est arrivé ainsi et j'ai trouvé ma vocation dans cela. J'étais né pour rendre les gens heureux.

Il marqua une pause et reprit.

- Partout sur mon passage, aux quatre coins du monde, j'ai découvert que les gens vivaient, contrairement à mes espérances, dans un état de dénuement pire que ce j'avais connu. Alors, j'ai donné tout ce que j'avais, j'ai donné de l'amour, de la vie, c'était facile de donner sans compter, d'apporter du bonheur. Au départ c'était simplement des petites attentions, des mots remplis de compassion, de gentillesse, et Singularité, en cracheur de bonbons qu'il est, m'avait bien aidé. Puis, j'ignore comment, mais j'ai commencé à me retrouver responsables de prodiges qui ont construit mon mythe, je suis devenu une idole vivante. Ma réputation a rapidement été faite : sans rien demander, on m'offrait le logis, et le couvert, gratuitement, on recherchait ma présence.

- Et avec tout cela, êtes-vous plus heureux ?

- Je suis heureux bien sûr, devant le bonheur, la joie des gens. C'est contagieux, vous savez. Mais je me suis senti encore plus seul que jamais et, surtout, je ne suis pas devenu riche. Les gens, qui prétendent m'aimer, m'adorer, ne me connaissent en réalité pas. Ils ne voient à travers moi que ce qu'ils veulent voir et, surtout, ils font porter les conditions de leur bonheur sur moi. Ils ne veulent rien savoir de moi, ils me laissent à leurs portes, toujours. A la lisière de leurs coeurs je dois garder mes secrets, ma noirceur pour moi.

Namjoon le regardait en silence, mais avec une bienveillance qui poussa Taehyung à poursuivre, étendu sur le lit.

- Ils me croient parfaits, tous, sur-humain. Je suis un mythe, un fantasme, qui panse les plaies, chasse les fléaux, un feu de joie dans leurs existences mornes. Mais je ne suis qu'un être humain!

Sa voix se fêla alors qu'il se redressait pour dévisager Namjoon, les yeux brillants, perdu.

- C'est... c'est la première fois que je me confie ainsi, à coeur ouvert, avoua-t-il d'une voix tremblotante. La première fois qu'on m'écoute, au lieu de me repousser quand j'essaie de m'exprimer sur ce que je ressens, au fond de moi.

Namjoon accueillit ses propos d'un signe de tête.

- J'ignorais en effet que vous puissiez receler cette part de vide, en vous. Je m'en excuse. On a tendance à vous idéaliser rapidement, quand on ne vous connaît qu'au travers les témoignages enthousiastes de ceux qui vous ont déjà aperçu.

Taehyung esquissa un pauvre sourire, au milieu d'une douce rivières de larmes salées.

- Je m'en suis rendu compte à mes dépens, soupira-t-il en se rallongeant sur les coussins.

- J'imagine alors que vous devez sans cesse porter un masque? S'enquit Namjoon en s'asseyant au bord du lit.

- Malheureusement, oui. Que je sois triste, fatigué ou autre, je dois toujours feindre une authentique bonne humeur, m'investir pour les autres, me dévouer entièrement aux autres.

Il tourna la tête vers le roi, qui semblait le comprendre.

- Je ne suis jamais moi. Ici, justement, il n'y a personne, personne ne me regarde, je n'ai pas peur de montrer qui je suis, d'exprimer qui je suis.

- Vous êtes chez vous, lui offrit chaleureusement Namjoon.

Taehyung sourit.

- Et vous, souffrez-vous aussi de devoir porter un masque?

- Personne ne me connait, on me hait simplement pour l'héritage de mon père que je n'ai pas choisi. Et pourtant, je suis contraint de tenir les rênes, sinon le monde entier repartirait en guerre, le sang coulerait de nouveau alors j'essaie de garantir sa stabilité au maximum, au détriment de mon propre bonheur.

- Vous n'aimez donc pas vivre enfermé?

- J'ai l'impression de mourir chaque jour un peu plus, confia avec une grimace le roi.

- Vous pourriez fuir, quelques jours, sur le dos de Singularité? Proposa Taehyung qui s'était tourné à plat ventre pour fixer Namjoon. Tout le monde le connaît, vous ne craignez rien en restant avec lui.

Ce dernier fit mine de réfléchir avant de déclarer.

- Je dois avouer que l'idée est fort tentante. Pour ce qui est de votre pauvreté, j'ai la chance d'être riche. Je peux vous offrir toutes les richesses du monde, tout ce que vous voulez.

Ils échangèrent un sourire sincère, qui les réchauffa intérieurement.

- Vous êtes le roi du monde, n'est-ce pas ? C'est d'ailleurs pour cela que vous aviez pensé à moi pour vous épouser. Je suis le roi des cœurs. Vous êtes riche et moi pauvre, vous êtes décrié et moi adulé, vous vivez enfermé ici, dans votre tour de glace alors que je suis un nomade qui parcourt incessamment le monde. Mais, au final, nous sommes semblables, tous les deux. Et nous avons tellement à offrir à l'autre.

Namjoon hocha la tête.

- Nous souffrons tous deux de la solitude, murmura Taehyung.

Tous deux couchés sur le chaud édredon, sous la seule surveillance muette de Yoongi, les deux princes au désert dans le cœur s'étaient repus dans le silence du tracé de l'aurore boréale, au milieu des étoiles scintillantes que la voûte cristalline dévoilait.

Puis ils avaient parlé de nouveau, calmement et le cours d'eau de leurs propos s'était changé en cascades, le flot de plus en plus bruyant et intense à mesure que de nouveaux barrages cédaient.

Les heures s'étaient ajoutées, amenuisant durablement le reste de temps qu'il leur restait avant le départ de Taehyung, à dix-neuf heures et ils s'étaient retrouvés tous deux, assis sur le matelas, à rire bruyamment alors qu'ils caressaient Singularité qui s'était incrusté en quelques bonds dans la pièce, sous les douces moqueries des deux fiancés.

Et Yoongi avait le cœur brisé, en miettes, devant l'éclosion de leur attirance mutuelle, de leur amour, si pur, si beau.

Il avait, durant toutes ces années d'isolement, pensé être le seul privilégié à être la source et le témoin du sourire du roi, de ses éclats de rire, le seul dans la confidence de ses adorables fossettes.

Mais à présent, il y avait Taehyung.

Il avait fait entrer le loup dans la bergerie et, comme il l'avait craint, il s'était retrouvé éclipsé, relégué dans l'ombre des subordonnés muets et anonymes de Namjoon.

Oui, il était jaloux, oui il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même pour avoir eu l'idée de cette union, mais cela ne l'empêchait pas de souffrir atrocement.

Alors, malgré lui, alors que la joie se faisait une place à chaque minute un peu plus vivace dans l'âme de Namjoon, un feu alimenté par le charismatique et ingénu Taehyung, il regardait l'heure.

À chaque minute, à chaque instant, pour tromper le fardeau de sa mélancolie, il sortait sa montre à gousset de sa poche.

Chaque seconde était interminable, pour lui, et était semblable à une torture.

Une heure passa, puis deux, et trois.

Minuit sonna, brutalement, quelque part. Une cloche lente qui sonnait comme une promesse.

Elle éveilla le roi du monde et le roi des cœurs qui sursautèrent brusquement, se levant d'un bond, avant de se dévisager, le visage grave.

- Plus que dix-neuf heures, murmura Taehyung.

Namjoon acquiesça alors que le plus jeune des deux étouffait un bâillement. Cette vision tira un sourire affectueux au blond.

- Allez, fit-il. Vous devez être fort éprouvé par votre long voyage, vous feriez bien de dormir.

- Je peux... rester éveillé... toute la journée, protesta Taehyung.

- Les bâillements sont devenus votre nouveau signe de ponctuation, répliqua d'un ton léger Namjoon. Dix-neuf heures, c'est beaucoup. Dormez neuf heures pour récupérer, il nous en restera dix.

Vaincu par un énième bâillement, Taehyung finit par céder.

- Alors, protesta-t-il, les bras croisés comme un enfant capricieux. Restez dormir avec moi.

Namjoon se pencha pour déposer un baiser sur son front. Les yeux déjà fermés, un sourire de contentement sur le visage, Taehyung se laissait aller sur le matelas, la tête délicatement posée sur un oreiller moelleux.

Il sentit, derrière ses paupières closes, les lumières s'éteindre, puis il perçut la présence, chaude et rassurante, de Namjoon à ses côtés.

L'odeur de lavande qui émanait de la literie, le parfum boisé de son fiancé, tout était pour lui, enfant des rues orphelin, qui avait donné plus d'amour qu'il n'en avait reçu, réconfortant.

Alors qu'il plongeait dans le sommeil le plus doux et le plus serein qu'il n'ait jamais connu, lui, qui chaque nuit se réveillait en sursaut après un énième cauchemar qui le ramenait sans cesse à ce passé poisseux et douloureux qu'il avait voulu fuir toute son existence, il sut.

Il sut qu'il était, apaisé, à l'endroit exact où il aurait toujours dû être.

Yoongi, lui, tournait les talons, la mort dans l'âme.

Une part de lui avait voulu que Namjoon décline l'invitation, et tienne compagnie comme toutes les nuits à son conseiller, son meilleur ami, qu'ils dénouent ensemble les fils de ces dernières heures, que Yoongi recueille ses confidences, comme d'habitude.

Mais il n'en était rien.

Au lieu de cela, Namjoon avait accepté, tournant le dos à Yoongi, une fois encore.

Le jeune homme désigna la porte close d'un signe du menton à deux gardes plantés dans le couloir, et tous deux se postèrent pour veiller sur la sécurité des deux dormeurs.

Et, la mort dans l'âme, le jeune homme continua sa traversée silencieuse.

Rongé par la souffrance, il se jetait dans l'incendie de ses souvenirs, qui lui lacérèrent un peu plus la peau, le brûlant vif à mesure de son périple.

Il revoyait sa mère, sa mère qui l'aimait tant, et qu'il aimait tant. Il le voyait le couvrir de caresses, lui dire que pleurer quand il avait mal, c'était normal, cela montrait qu'il était sensible.

Il revit son père, robuste, toujours un sourire sur le visage, ce colosse aux pieds d'argile qui couvraient, dès qu'il rentrait à la maison le soir, sa mère d'un regard rempli d'amour.

Il se souvenait de leurs rituels, tous les samedis soirs, leurs fondues et leurs raclettes dans leur chalet, le rire cristallin de sa mère, la voix bourrue de son père qui faisait rire aux éclats, par ses imitations grotesques, sa petite sœur qui babillait sur sa chaise haute.

Puis plus rien.

Le néant, la mort, la destruction.

Leurs habitudes, la chaleur de leur vie commune, tout avait volé en éclats, soufflé par une bombe, alors que Yoongi était parti seul, dans la forêt, ramasser du houx pour l'offrir à sa mère, un jour de vacances.

Il avait vu les avions, monstres de métal vomissant des tempêtes de feu, vrombir dans le ciel si pur de décembre.

Et il avait vu sa maison voler en éclats.

Son père, sa mère, ByeolAh, qui étaient restés dans le chalet.

Les chantonnements de sa mère lorsqu'elle préparait à manger, les gesticulations de son père pour divertir sa soeur, tout cela avait été soufflé.

La stupeur laissant place à l'horreur, Yoongi avait hurlé.

Il avait hurlé si fort qu'il en avait perdu la voix.

Il avait hurlé si fort qu'il en était tombé à terre, sur le lit de neige, laissant tomber son panier rempli de houx aussi rouge que le sang.

Puis, les yeux embués, il avait hoqueté avant de se ruer vers le chalet pulvérisé. Un soldat s'était trouvé à quelques pas de là, il l'avait retenu alors, rempli de haine, Yoongi s'était débattu comme un forcené, l'avait mordu.

Mais il n'était âgé que de six ans.

Que pouvait un si petit garçon contre l'autorité et la violence des adultes ?

À bout de force, épuisé, il avait fini par s'endormir.

Il s'était réveillé dans un lit chaud et duveteux, une petite tête blonde au grand sourire encadré par des fossettes le regardant avec curiosité.

- Bonjour, je m'appelle Namjoon, et toi ? Avait dit l'inconnu.

Et, depuis, seuls enfants de ce palais de glace si froid et si vide, ils avaient sympathisé jusqu'à devenir les deux meilleurs amis du monde.

Ils s'étaient épaulés, continuellement. Quand l'un flanchait, l'autre était là pour le soutenir.

Yoongi avait rencontré en la personne du jeune prince un petit garçon brillamment intelligent et malheureux, trop mature pour son âge. Lui était hanté par la perte brutale de sa famille.

Ils étaient devenus réciproquement tout le monde de l'un et de l'autre, la force d'équilibre qui ne faisait pas basculer l'autre dans le vide.

Cela s'était montré encore plus vrai lorsque Yoongi avait fait la lumière sur la mort de ses parents : orchestrée par le général, le père de Namjoon, qui voulait éradiquer toute opposition.

Monsieur Min, cet homme joyeux et rempli d'amour pour sa petite famille, était un résistant, un opposant à la dictature militaire instaurée par le général. Un héros.

Les deux amis, encore des enfants, l'avaient appris par hasard, lors d'une cavalcade teintée de rires joyeux qui les avait conduits jusque dans le cabinet du général, qui avait été en déplacement à ce moment-là.

Sitôt avoir lu la liste des opposants au régime, éliminés, Namjoon s'était figé. Il avait pâli. Il n'avait pas osé relevé la tête vers Yoongi qui était en train de lire au-dessus de son épaule, et s'était enfui en courant, terrassé par la nouvelle.

Son père était un monstre. Il était la cause du malheur de son meilleur ami, le responsable de ses cauchemars.

Yoongi l'avait retrouvé sur la tour, sur l'autre flanc de la montagne, frigorifié, replié sur lui-même, assis sur le sol verglacé contre la muraille.

Dans sa panique, dans son horreur, il n'avait pas pensé à s'envelopper de son lourd manteau de fourrure, ni à enfouir sa tête sous son bonnet.

En silence, l'orphelin l'avait enroulé dans un plaid chaud, avant de s'asseoir à ses côtés.

Sans un mot, ils étaient restés de longues heures, une éternité, immobiles, comme figés telles des statues de glace, sous la nuit noire striée d'étoiles plus lumineuses les unes que les autres.

Ces dernières avaient fini par attirer l'attention de Namjoon : la tête machinalement posée sur l'épaule de Yoongi, qui s'était déjà dévissé le cou pour essayer de percer le mystère des astres, il s'était à son tour lancé dans des hypothèses lumineuses comme des feux d'artifices.

- Là, une étoile filante ! Avait finalement glapi Yoongi, perçant le silence de son cri vif et instinctif en se levant sur ses deux pieds, le doigt pointé sur la nuit.

Namjoon s'était levé à son tour, grimaçant en étirant ses membres ankylosés, et s'était hissé sur la pointe des pieds pour s'appuyer contre le mur dentelé.

- Il faut faire un vœu, avait-il déclaré sentencieusement.

Yoongi s'était mordillé la lèvre.

- Je fais le vœu de ne jamais être séparé de toi, avait-il fini par annoncer bravement.

- Mais t'es bête ! Si tu le dis à haute voix, il ne se réalisera pas.

Ainsi rabroué, frappé par cette vérité, l'orphelin avait frémi et, lorsqu'une autre étoile avait fusé dans le ciel, il avait pris soin de ne remuer que les lèvres alors qu'il reformulait son vœu.

Yoongi ferma les yeux alors que les larmes abondaient sur son visage pâle, aussi pâle que la neige.

Ses pas l'avaient mécaniquement porté jusqu'au sommet de cette tour, comme au souvenir de cette journée où, pour toujours, leur amitié avait été scellée tacitement.

Le vent hurlait autour de lui, le froid lui mordait sauvagement la peau, mais la douleur, l'inconfort qu'il éprouvait n'était rien à côté de celle de son cœur lacéré.

Au-dessus de lui, les étoiles ne scintillaient que faiblement, éclipsées par la splendeur de l'aurore boréale, effrontément peinte sur le ciel noir.

Comme Taehyung l'avait chassé, irrémédiablement, de la vie de Namjoon.

Yoongi n'était plus le soleil de Namjoon mais son ombre, que l'on ne voyait plus mais qui était pourtant là, partout, dans ses pas.

Yoongi n'était plus rien pour lui, alors que Namjoon était devenu, plus que jamais, son point d'ancrage, l'orphelin se sentait comme semblable au satellite qui tournait en orbite autour de lui, sans fin.

Mais il avait perdu sa gravité, il n'avait plus rien auquel se raccrocher. Il appartenait dorénavant au néant, alors il chuta.

Namjoon battit des paupières, engourdi de sommeil.

Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas dormi aussi paisiblement, mais son horloge biologique se rappelait à lui.

Il se frotta le ventre avant de se redresser et, illuminé par le doux halo de l'aurore boréale qui les couronnait, il découvrit Taehyung, endormi à poing fermé sous la chaude couverture.

Ses longs cils étaient retombés sur ses pommettes, il semblait pareil à un ange.

Le roi se pencha pour lui déposer un baiser sonore sur le front puis se leva doucement, quittant la chambre sur la pointe des pieds, craignant de le réveiller.

Namjoon ignorait l'heure actuelle, mais il savait que Yoongi le saurait, lui.

Il adressa un vif coup d'oeil aux gardes qu'il rencontra après avoir doucement ouvert la porte et s'aventura dans les dédales du couloir, emprunta les escaliers en colimaçon jusqu'à la chambre de son ami.

Namjoon était impatient à l'idée de le remercier chaleureusement d'avoir eu l'idée de lui trouver le roi des cœurs comme parti, de lui raconter à quel point il se sentait bien à ses côtés, vivant, entier, serein, aimé.

Oui, aimé, lui le mal-aimé, haï par tous ses sujets pour les exactions de son père.

Il toqua à la porte.

Le silence lui répondit.

Il recommença plus vivement, avec plus de force.

Le vent, pernicieux, siffla.

Les sourcils froncés, il ouvrit la porte.

La chambre était déserte, le lit fait au carré, il n'y avait aucun signe de Yoongi.

Le cœur battant, mu par un mauvais pressentiment, Namjoon se précipita dans les escaliers, trébuchant et glissant à de nombreuses reprises, mais se relevant à chaque fois.

Il se précipita dans le tunnel creusé dans la montagne, grimpa quatre à quatre les marches accédant à la tour dentelée.

Le froid glacial le frappa vivement.

Il remonta les épaules, se frictionna les bras et songea, avec une pointe de mélancolie, à la fois où Yoongi l'avait trouvé-là, frigorifié, sans manteau.

Mais Yoongi n'était pas là pour veiller sur lui.

Le cœur lourd, Namjoon s'avança jusqu'au parapet.

Les dragons dormaient paisiblement, la terre de glace sommeillait toujours.

Quelle heure était-il ?

Il n'était assurément pas dix-neuf heures.

Il baissa la tête.

Yoongi était là, immobile.

Statue de glace, il se trouvait là, sur le dos, couché sur le lit de neige, un sourire éclatant et apaisé illuminant son visage pour l'éternité, le regard rivé sur les étoiles étincelantes pour toujours.

Stupéfait, Namjoon eut un geste de recul.

Choqué, il ne sut quoi penser, ses pensées tourbillonnaient et s'emmêlèrent, telle une pelote de laine dont il ne pouvait saisir le fil, sa vision se brouilla, le monde tournoya comme une toupie démente autour de lui. Et lui, sous l'assaut de ses émotions, fit un autre pas en arrière, s'arrachant à la vue de son meilleur ami, son frère.

Son plus fidèle confident, son pilier, l'épaule sur laquelle il s'était toujours appuyé, la personne en laquelle il avait le plus confiance en ce monde, celui qui lui avait offert la clé du bonheur, en lui donnant Taehyung, son amour naissant.

Puis, la tempête dans son esprit se calma, ses pensées se démêlèrent, et il y vit un peu plus clair.

Le roi leva la tête vers la voûte céleste, aurore boréale sur fond noir, saupoudré d'étoiles. Une larme de glace coula de sa paupière close pour tomber sèchement sur le sol.

Le coeur brisé, il se rendit compte qu'à présent qu'il avait gagné son amour, il avait perdu son meilleur ami, son plus fidèle conseiller, son frère. À peine le vide de son esprit s'était-il rempli de couleurs, que le reste s'était dissous, dans la disparition de Yoongi.

Inspirant profondément pour se donner du courage, Namjoon s'avança pour s'appuyer contre le parapet, et contempler la statue de glace.

Pourquoi était-il tombé?

Il l'avait indéniablement voulu, c'était évident, aucun ennemi ne pouvait pénétrer la forteresse.

Oui, Yoongi avait voulu laisser la place entière à Taehyung, et s'était retiré, comme si le coeur de Namjoon ne pouvait pas avoir assez de place pour eux deux. Sans doute, bien évidemment, n'aurait-il pas eu recours à ce choix s'il avait été rassuré par rapport à Taehyung, si Namjoon lui avait garanti qu'il le voulait pour toujours à ses côtés, s'il n'avait pas été tant obnubilé par le roi des coeurs, occultant le garde des coeurs.

En voulant lui offrir le bonheur, il s'était sacrifié et par ce geste, avait arraché une partie de l'âme de Namjoon.

- Yoongi, murmura le roi. Tu me manques, reviens.

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Bonsoir,

Cette fois-ci, c'est à mon tour de vous proposer mon OS qui, j'espère, vous aura laissé de doux paysages hivernaux en tête, et qui vous aura fait ressentir un petit panel d'émotions.

J'ai particulièrement aimé l'écrire, et je me suis sentie extrêmement flattée lorsque charliegyr m'a invitée à rejoindre ce projet que je trouvais, dans son concept même, déjà merveilleux.

Bien qu'intimidée au départ, en me retrouvant au milieu de tant d'auteurs de talents, j'ai rapidement voulu me surpasser et c'est pour cela que j'espère sincèrement que cet OS vous aura plu.

Mais, plus que tout, plus que même l'émulation qu'a provoqué cette réunion d'auteurs, je crois que la beauté de ce projet c'est la découverte, tant humaine qu'artistique, car je crois vraiment que la maîtrise des mots, la beauté du verbe, la poésie des textes est de l'art.

J'ai adoré lire chacun et chacune des auteurs de ce Calendrier de l'Avent, et je vous invite fortement, à la fin de ce recueil, alors que Noël sera passé, de vous lancer vous aussi à la découverte des uns et des autres. Car chacun a ses points forts, chacun vous marque à sa manière dans son univer propre, chacun mérite d'être lu, avidement, avec fascination ou tendresse, et relus, et partagés! Je vous invite donc fortement à aller à la rencontre de tous ces merveilleux auteurs inconnus, et ça fera durer le plaisir qu'a pu vous procurer ce Calendrier de l'Avent!

Et avant de conclure, un grand merci à l'adorable Lhazareen pour sa ténacité et pour son investissement, et un grand big up à l'équipe de correction pour le travail accompli!

Passez de bonnes fêtes,

unkiwibreton

*Traduction des paroles de BTS par Army France

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