14h - Perséides cachées

« J'ai collé la bouche de ces enfoirés au cœur pauvre pour qu'ils ne puissent plus jamais dire "Pourquoi tu continues à l'ouvrir ?" Mâche-moi et mords-moi, on dit que le goût est sympa ! »

- Monster

RM

———

Do

Mi

La senestre s'échappe fiévreusement contre les touches d'un piano désaccordé. D'une délicatesse propre à l'artiste, ses phalanges anguleuses glissent contre les touches nacrées de celui-ci. L'une d'elles n'existe plus, un peu plus loin, elle s'est échouée. Si l'on se concentre un peu, il est possible d'entendre l'ombre d'une respiration. Elle semble se perdre dans la mélodie qui n'a rien de mélodieuse, belle ironie. Et les sanglots étouffés qui s'entrecoupent, la rendant faiblarde à mesure que le Do résonne avec violence. L'interprète s'en retrouve presque marginal, lui-même éloigné de cette fausse symphonie qui se dessine vaguement à travers les pulpes de sa senestre. Oui, il est gaucher. Il ne joue jamais de la main droite, et pourtant ce soir, sa dextre se mêle finalement à la danse funèbre.

Elle tape, contre ce clavier en nacre, abîmé par le temps, marqué par les siècles précédents. Un beau piano à queue, comme il s'en fait rare désormais. Il a toujours été là, au fond de cette pièce, longtemps avant. L'instrument paraît avoir vécu plus que lui, avec son allure un peu bancale et le verni de sa surface effrité sur les côtés. Pourtant, si on concentre nos pupilles avec plus d'attention sur cette enveloppe charnelle, son corps voûté hurle à l'évidence. Lui aussi, est grandement amoché. Son corps tordu sur l'assise en velours, personnifie avec une insolence profonde la tige d'une fleur meurtrie par les flocons d'un hiver gelé. Le bouquet a-t-il été coloré un jour ? Le souvenir est si lointain qu'il ne se souvient.

Les pétales sont tombés, un à un, et le Ré détonne.

Il est grandiose ce Ré, car il parvient à cacher ses pleurs. Pas longtemps, certes, mais assez pour que l'illusion d'un apaisement certain se crée au fond de lui. Il résonne, tout droit contre son cœur. Un rire le prend, soudainement. La débilité l'a visiblement atteinte elle aussi, ou alors les coups l'ont rendu ainsi. Il ne sait pas : il ne se souvient plus. Un cœur ça n'a pas d'sentiment, c'est simplement vital. Alors, pourquoi, à cet endroit il a si mal ? Pourquoi, plus les minutes passent, plus ce dernier semble brûler sous le joug d'un incendie incontrôlé. Les flammes l'emportent, et l'Enfer s'bat constamment avec lui. Le Ré éclate sur le piano, il a envie de vomir. Horrible symphonie.

Il a envie de hurler, mais la faveur lui est refusée. Sa voix, rocailleuse, se coince au fond de sa gorge. Elle se noie dans le tsunami de ses sanglots infinis. Sa main tremble, tout le monde l'ignore. Ce n'est qu'un détail de plus, pourtant criant de vérité. Ses phalanges se courbent sur les touches du piano. Il n'est plus détendu. Y a le Mi qui embrasse le Sol, un peu plus loin. L'accord ne sonne pas très joli, et pourtant, c'est tout c'qu'il offre, ce soir. Il lui manque le Fa, à Yoongi.

Do,

Ré, Mi,

Sol, Sol.

Une perle invisible tombe sur le clavier, en un ploc silencieux. Avec une vigueur fatiguée, les notes s'envolent, et ne reviennent jamais. Il a mal, partout. Des ecchymoses parcourent son corps. Il a un bleu sous la pommette, et son mascara a coulé. Un de ses faux-cils n'est plus en état. Et son élégant rouge à lèvre bordeaux a glissé jusque sur la courbe de son menton. Quel dommage. Il était beau, pourtant, son maquillage. Aujourd'hui, ça avait été la première fois qu'il s'était décidé à porter des faux-cils. Il s'était trouvé magnifique. Elle, s'était trouvée magnifique. Âcre, sa mâchoire se tord douloureusement : quelle belle connerie, le féminin et le masculin. Qu'est-ce que ces deux règles lui pourrissent la vie, chaque matin. À travers le miroir, il se voit comme il le veut, et pas comme la Société le souhaite. Femme un jour, homme le lendemain. Le spectre est si grand, que chaque possibilité s'offre à lui.

Rien,

Rien.

Pourtant, les taches bleuâtres le long de ses bras sont bien là. Les douleurs le long de ses côtes également. La peur aussi, elle est présente. Tout le temps, à chaque instant : elle ne dort pas. Elle sommeille, c'est tellement différent. Il ne devrait pas avoir peur, non ? Et bien, c'est le cas : Yoongi est terrifié. La terreur le saisit, provoque de grands vertiges. Le frisson remonte devant le dédain des autres, eux aussi humains. L'anxiété se moque de lui, du haut d'son trône doré. Sourire aux lèvres, elle l'observe chaque soir, fermer les yeux avec appréhension.

Et s'ils venaient le chercher dans son sommeil, pour le tuer ?

Pour ce qu'il était,

Représentait,

Ressentait.

Il ne faut pas lui en vouloir à ce pauvre garçon. Depuis longtemps, il n'est plus le bout d'vie souriant que l'on connaissait de lui. Il l'a compris y a bien longtemps, tout de même ; qu'il n'était ni homme, ni femme. Juste lui, son maquillage, ses costumes trois-pièces qu'il achetait avec ses petites économies. Il ne faut surtout pas lui en vouloir à c'gosse. Parce qu'on l'sait, que c'est dur de s'assumer, si jeune. Il n'a que seize ans, après tout. Et le soutien qu'il mérite est aux abonnés absents.

On l'aime, c'Yoongi.

Pour ses phalanges tordues.

Pour ses ombrelles presque creuses.

Pour sa silhouette, son rouge à lèvre bordeaux et cette mélodie qui n'est pas si mélodieuse.

ˏ ˋ ☽ ˎˊ

Il avait vu le Diable, ce matin-là, à travers le miroir.

Ce dernier avait eu un sourire qui lui déchirait les lèvres jusqu'aux oreilles, cinglant. Dans l'ombre, droit, immobile, il l'avait observé. Ses yeux vibrants d'une noirceur abyssale l'avaient détaillé, en silence. Son aura, malsaine, l'avait transpercé. Cette image avait éveillé en lui une horrible terreur, rationnelle. Le souvenir vague d'épaisseur écrasait encore sa poitrine. Pourtant, en y repensant dans la journée, une « futile » question s'imposa à lui. Il avait vu le Diable, oui, mais lequel ?

Le sien,

Le leur ou

Le tien.

Anesthésie volontaire, ses souvenirs lui hurlaient pourtant leur importance. Yoongi avait oublié. Il ne se souvenait plus. Il ne voulait pas se souvenir, en réalité. Si jamais il se laissait guider à nouveau par ce dernier, tout ce qui lui reviendrait serait le Fa qui s'était envolé. Ce Fa, cet égoïste, qui voulait trouver sa liberté. Encore et encore, et encore. Ce Fa, destructeur, porteur de la vraie mélodie, qui s'était acquitté de ce clavier nacré avec la seule et unique volonté de s'envoler. Encore, et encore, et encore. Ce Fa qui voulait s'échapper, disparaître à jamais. Encore et encore, et encore. Yoongi ne lui en voulait pas. Le Fa avait simplement fui l'horrible symphonie de son esprit. Et lui, il avait oublié, encore.

Un lourd soupir s'échappe de ses lèvres craquelées, le lendemain. D'une léthargie naturelle, ses paupières s'entrouvrent. Le début d'une énième journée commence, encore. Il s'est réveillé. Un faible bâillement s'échappe ensuite, et il se tourne sur le côté gauche. Ses bras glissent sous la bosse informe de sa taie d'oreiller bordeaux. Elle est de la même couleur que son rouge à lèvre préféré, cette simple pensée arrache un maigre sourire à son esprit encore endormi. Le brouillard lui lance de grands appels de phares. Il l'invite à revenir vers lui, à s'endormir, à vie. La tentation arrive aussi. Elle ne veut pas que le garçon se lève, aujourd'hui. Yoongi aussi ne le souhaite pas. Il veut dormir jusqu'à en perdre la notion du temps. Il veut sombrer dans les bras d'Hypnos. Et être protégé par la présence rassurante de Morphée.

Soudainement, une aspérité attaque le bout d'sa langue. Elle s'enfonce dans sa trachée, jusqu'au fond de sa gorge. La sensation est douloureuse et un liquide visqueux semble vouloir remonter, ce qui le fait finalement se redresser. Partiellement, un drap recouvre son corps. La couverture s'est échouée au sol, dans la nuit probablement. Il est vrai que quand la lune chantonne, Yoongi il bouge beaucoup. On se demande contre quoi il se bat lorsque des rêves sans rêve l'emportent. On pense qu'il hurle quand il dort. On ne pense pas, on sait : il crie. Y'a des larmes aussi parfois. L'ébène le sait lui-même parce que quand il se réveille y'a ses joues qui sont mouillées. Il est comme ça Yoongi, il dort, sans vraiment s'reposer. Il dort pour tenter de se réparer. Dans son sommeil, il rêve secrètement comme un gosse de cinq ans que le Fa retrouve sa place sur les touches de son clavier désaccordé et que la mélodie s'accorde avec son esprit.

Le froid l'agresse rapidement lorsqu'il sort définitivement, bien que sa morsure ne soit que passagère. Il se penche difficilement en avant, attrape sa couverture abandonnée et la balance à travers son lit. Lentement, l'esprit encore brumeux, il se dirige vers la coiffeuse au fond de la pièce. Elle est belle, vraiment. Authentique, on ne peut que l'admirer. Yoongi l'avait récupérée une fois, un soir d'été. Puis, un jour qu'il s'ennuyait, il s'était mis en tête de la restaurer. Elle était plus belle qu'avant, si possible. Certes, elle était immobile, mais elle avait une âme. Un bout d'la sienne, à Yoongi. Et c'est pour ça qu'il l'aimait tant, secrètement. La coiffeuse, blanche, brillante, boisée, représentait une énorme partie de son être. Il l'affectionnait énormément, et se disait chaque fois que son regard se posait dessus qu'elle l'accompagnerait jusqu'à la fin d'sa vie.

Une fois assis devant celle-ci, son regard se pose à travers son reflet. Il ne l'aperçoit que partiellement, comme si sa vision se bloquait volontairement. Comme chaque matin depuis deux ans désormais, débute un rituel. Lentement, la pulpe de son index vient caresser les courbes extérieures de son faciès aux traits fatigués. Ce dernier glisse contre l'angle de son menton, puis retrace l'ossature de sa mâchoire. Il passe ensuite sur ses pommettes, elles sont un peu creusées. Yoongi a perdu un peu de poids, c'est vrai. Son majeur vient se mêler au chemin, venant parcourir le bout de son nez, aquilin. Ce petit jeu dure quelques minutes, lui laissant le temps de souffler un peu.

Puis, il attrape un pot noir un peu plus loin. Il étale un peu de la matière crémeuse sur son visage, en mouvements circulaires, une minute. Le grain de peau à présent hydraté, son flacon presque vide de fond de teint est vite fait prisonnier de ses mains. Il attrape également son éponge, verse une noisette de fond de teint, et tapote doucement chaque recoin de son visage. Il est doux, dans ses gestes. Inconsciemment, il s'apporte la douceur que personne ne lui donne. Et ne lui a jamais donné. Il soupire, toussote, ce n'est pas le moment. Un blush lui fait ensuite de l'œil, il l'étire sur ses pommettes avec délicatesse. La couleur pêche de ce dernier réchauffe directement son teint.

Avec automatisme, il passe ensuite aux yeux. Il dégaine calmement son tube de mascara, à la brosse épaisse comme pas deux. Il l'apporte ensuite sous ses cils, et la brosse tournoie vers la hauteur. Il répète l'action plusieurs fois, sur les deux yeux. Dans l'action, sa bouche s'entrouvre en un rond parfait de concentration. Ça l'rend mignon, mais il ne le sait pas. Il ne le saura jamais, de toute façon. Il lève ensuite les yeux vers le plafond quelques secondes, attendant que le produit sèche un peu. Ses cils épousent désormais le dessus de ses pommettes avec beauté, et ses yeux d'chat pourraient vous clouer d'admiration en un seul regard.

Un frisson remonte ensuite, d'excitation. Un sourire sincère déchire ses lèvres, lorsque ses yeux se posent sur un élément qui occupe le meuble. D'une main faussement tranquille, Yoongi attrape le rouge à lèvre. L'impatience se dévoile, et il n'hésite pas à retirer le capuchon argenté de ce petit tube de maquillage. Il en observe la couleur, la tête en mouvement ballant. Elle est sublime, bordeaux. Elle lui rappelle la couleur de milliers de bourgeons en fleurs. Ses prunelles mordorées brillent. Elle est foncée, mais élégante. Sa robe l'amène à penser au goût âcre d'un bon vin français. Et soudainement, un rire brut et sincère le prend. Il en dit des conneries, Yoongi. Aléatoires, et qui l'illuminent. Il n'a jamais goûté à un vin français. Et pourtant, malgré la bêtise de sa comparaison, il décide que désormais son rouge à lèvre bordeaux représente un bon vin français.

Timoré, son prochain mouvement l'est.

Doucement, le raisin caresse la chair de ses lèvres. D'abord en bas, puis en haut. Il retrace, avec une lenteur tremblante le creux qui habille le milieu de sa lèvre supérieure. Une forme de cœur un peu tordue, singulière. Un soupir, bouleversé, faible, transperce ensuite le silence de la pièce. Ses pupilles brillantes se redéployent sur son reflet. Étrangement, ou pas, il le perçoit.

Là, Yoongi n'oublie pas.

Il se souvient et se souviendra de la pensée qui venait de le traverser. Elle était rapide, limite volatile. On pourrait presque croire en une chimère passagère.

Une larme, vagabonde.

« Je suis si jolie, aujourd'hui. »

ˏ ˋ ☽ ˎˊ

Bruyante se fait la respiration de l'homme devant lui. D'un aplomb qu'il ne se reconnaît pas, l'ébène soutient ce regard à la lueur aussi brumeuse que l'orage. Le sien est limpide, de regard. L'homme face à lui referme doucement le journal tenu entre ses mains aux phalanges abîmées par les années. Puis, son regard quitte le sien pour se poser sur son verre empli d'un alcool ambré. Il mordille sa lèvre, contrarié, et attrape ce dernier sans plus d'hésitation. Et là, en une fraction de seconde, d'un mouvement violent, il l'envoie contre son fils. Juste à temps, ce dernier l'évite, le cœur battant.

Le rejet est difficile à accepter, même si cela fait plusieurs années qu'il se prépare à cette seule et unique éventualité. La Corée, quel beau pays. Enfin, non, pardon, quel beau pays seulement à la télévision. La réalité en est tellement plus erronée. Le noiraud le sait, qu'ici, il ne pourra jamais être lui-même à cent pour-cent. La conservation de cette société étant encore trop présente, trop ancrée pour qu'il puisse s'épanouir ici et se laisser guider par de jolis sourires.

Il déglutit, parce que c'est douloureux. Cette vérité lui compresse le thorax, autant que le regard écœuré que lui offre son paternel à l'heure actuelle.

« Je m'en vais demain. » Il observe son père une dernière fois. Il sait que celle-ci le serait. Puis, le cœur comprimé, ses talons le mènent en direction de l'escalier.

L'anhédonie semble atteindre son âme lorsqu'il arrive dans la pièce silencieuse. Elle l'a complètement touchée, en réalité. Misérable être dont l'espoir s'est éteint. Il a suffi d'un instant pour que la chimère s'envole, et ne revienne jamais. Il y a cru, c'est vrai. Il a placé sa foi dans une réalité qui n'a pourtant rien à voir avec la sienne. Il s'en trouve si ridicule, désormais. La sensation l'écrase, et ne le laisse pas respirer. Il a mal, Yoongi. Y'a son organe dans la poitrine qui le brûle, et il ne sait pas comment apaiser cette sensation. C'est la première fois que la douleur est si insupportable. Il essaie d'se rassurer, de s'dire qu'elle va disparaître à jamais. Et pourtant, elle augmente, encore et encore. Lancinante, elle brise l'ossature de ses cotes. Elle fait naître avec frivolité des perles aqueuses contre ses yeux mordorés. Cette paire d'yeux, tellement belle et unique. Elle n'est plus qu'un trou béant de vide. C'est effrayant à regarder, à admirer. Y'a la joie qui pleure, pas loin. Et y'a l'espoir qui s'endort sur le chemin.

Nous, on regarde. On regarde, et on s'demande de quoi sera fait le lendemain. C'est dur d'imaginer un avenir lorsque les fondations s'écroulent et qu'on a pas encore la force de les reconstruire. Instable ombrage, les nuages détonnent plus haut. Il ne le voit pas, Yoongi. Lui, il ne voit plus. Il l'a décidé. Il ne sait plus, ne se souvient plus, ne voit plus. Y'a que la souffrance qui ressort à chaque fois. Lui, il a décidé qu'il ne la ressentirait plus. Pourtant, dans le silence de la pièce, y'a des sanglots qui s'élèvent. Il croit bien que ce sont les siens, ouais. Il ne se l'avoue pas, et verrouille la porte en bois. Elle grince, écho inconscient de ses sentiments.

L'enveloppe corporelle presque courbée d'une énorme fatigue, il s'approche de son piano. Un sourire se pose sur la courbure de ses lèvres asséchées. Il n'a pas son rouge à lèvre bordeaux. À travers des souvenirs qui lui sont lointains ; il sait que cet instrument est son unique ami. Et le plus vieux, aussi. Il lui a tout dit, avec des sons. La mélodie veut dire plus que mille mots, pour lui. Elle ne parle pas, elle chante. Elle ne pleure pas, elle danse. Elle ne perd pas espoir, elle. Il est magnifique, son ami. Rare, aussi : un Bösendorfer modèle 290, dit " Impérial ", et qui dispose de 97 touches, soit 8 octaves complètes.

Hésitant, il s'assoit sur le petit banc molletonné. Il déglutit, et ses phalanges glissent contre les touches nacrées. Un long moment, il ne bouge pas. Il fixe, seulement. Les touches, et le vide. Il se demande depuis quand il n'a pas ri. Il se dit qu'il n'a peut-être jamais ri de sa vie. Il a du mal à respirer, d'un coup. Tristement, son faciès se tord lorsqu'il tente de contenir ses pleurs. Il se sent si pathétique de réagir ainsi. Ridicule, ridicule, ridicule. Il inspire, expire en tremblant. Il est perdu. Et un instant, il a envie de mourir. La sensation est si soudaine, mais si forte. Elle résonne en lui. Elle tourne et tourne dans son esprit. Il n'a que dix-huit ans, Yoongi. Et pourtant, il est éreinté d'la vie. Il a vécu, trop certainement. Il a subi, énormément. Et en cet instant, il a l'impression que jamais le Fa ne reviendra accompagner sa mélodie.

Il mordille sa lèvre inférieure, jusqu'à la faire saigner. Cette douleur atténue l'autre, plus sourde. Lentement, presque avec léthargie, ses phalanges caressent les touches, et en naît une mélodie. Elle n'est pas comme les autres, celle-ci. Brisée, désordonnée. Elle semble monter, puis redescendre. Elle ne transmet pas, elle fait plus que ça. Là, Yoongi parle. Il hurle, pleure, se déchire, chante, rit. Il rit, oui. Sa mélodie chantonne, un instant. Le problème, c'est que cette sensation n'est que passagère. Bien vite, la mélodie s'éprend d'un autre rythme. Un violent tsunami surgit. Il dévore tout sur son passage, et s'mêle à l'incendie. Et oui, surprise. Alors que vous aviez tous le regard rivé en direction des vagues, plus loin, sur la rive, une autre catastrophe se déchaînait.

Yoongi ne le sait pas, mais l'incendie attend depuis plusieurs années maintenant. Calme, sournois, et attentif. Les flammes prenaient doucement, sous un sol abîmé. Le feu n'était que minime, au départ. Rien que deux ou trois flammes facilement arrêtables. Puis, petit à petit, il s'était transformé. Désormais, une chaleur angoissante s'en échappait. Un halo de couleurs rougeâtres apparaissait. Et surtout, la colère grimpait. Avec une rapidité affolante, elle atteignait son pic, ici.

Et soudain, Yoongi n'entend plus.

Affolé, il se redresse. Son index ripe contre le Mi, en un accord totalement imparfait. Ses oreilles bourdonnent, et ses yeux papillonnent. Il n'entend plus. Il ressent, seulement. La colère a pris totale possession de son esprit. Légitime, certainement. Il ne sait pas. Il n'est plus en mesure de savoir, putain. Au bout du chemin, la douleur elle disparaît. Et pourtant, il a encore mal. Cette fois-ci, c'est la haine qui le tiraille. Il est en colère, contre vous tous et contre lui-même. Il la déteste, cette majorité silencieuse qui observe les plus malheureux sans oser bouger l'ombre d'un orteil. Il la hait, cette Société stéréotypée. Il se déteste, pour ne pas accepter ce qu'il est.

Elle, lui, juste être soi-même.

À présent debout, son regard se dépose un peu plus loin. Le creux de ses yeux tombe sur une forme, et il en observe le bois uniforme. Il s'approche, doucement. Il regarde, silencieusement. Puis, il arrête de se demander. La batte désormais en main, il se tourne avec vivacité vers le piano. Il trône, fier, ancien. Et soudainement, Yoongi le hait. Il le déteste, car il n'entend plus sa mélodie. Elle n'existe plus. Elle aussi, elle a disparu. Il comprend, que le Fa ne reviendra jamais. Ce piano est cassé, bordel. C'est complètement abscons de continuer d'espérer. L'agitation de son esprit le rend agressif. On ne peut lui en vouloir pour autant. Le cerveau se court-circuite pour se maintenir. Instinct inévitable, la destruction semble être la solution.

La raison le quitte. L'animosité s'anime et ses phalanges fourmillent. Les prunelles déchirées par des sillons salés, la batte a un mouvement. Le premier d'une longue série. Cette dernière arrive sur le coffre du piano, l'entrave. Elle l'atteint d'une force inhumaine. Le bras gauche de cet être détruit est animé par une colère presque irréelle. Il frappe, et frappe. Le bois de la batte embrasse le boisé du piano. La chaleur de l'incendie embrase la fraîcheur de l'océan. À eux deux, ils provoquent un méli-mélo de sentiments. Le monde n'existe plus, plus rien n'existe maintenant. Le temps s'est arrêté, et plus haut, l'orage gronde. Il semblerait que le ciel réagisse devant cette catastrophe causée par l'Homme.

La fureur est asphyxiante, et à l'aide de cette batte, il s'en débarrasse. Il est désespéré, Yoongi. Si on écoute, y'a plus que le silence, la mélodie elle s'est envolée. Il se sent abandonné, Yoongi. Il est brisé, aussi fragile qu'un petit enfant. Il pleure, si fortement. Et son cœur se déchire brutalement. Le vide en prend possession, et les abysses l'avalent. Il est perdu. Et tout c'qu'il souhaite, c'est qu'on lui montre le chemin. Alors, il frappe, il envoie la batte contre les touches de nacre. Le Do s'échappe, et le Ré le suit rapidement. Il n'est plus rassurant, c'Ré. Il est inexistant. La tristesse est si puissante qu'elle lui donne envie de vomir ses tripes. Il frissonne, hurle en silence. Pas un seul instant un son ne s'échappe d'entre ses pulpes. Y'a que la batte qui parle pour lui. Son estomac se tord dans tous les sens, et bientôt, il se courbe.

Une crampe le prend, la batte glisse et roule. Elle aussi, elle s'en va. Bientôt, y'a du vomi sur le sol. Et y'a Yoongi qui pleure, fort. Il tremble sous la douleur. La brûlure de son âme est étourdissante. Et cette constatation l'effraie. Sa respiration est saccadée, totalement désordonnée. Il finit par tomber lourdement contre le parquet. Ses ombrelles s'abattent avec difficulté sur la fenêtre qui laisse passer l'obscurité.

L'effritement de la lune est timide, ce soir. Majestueuse, elle l'observe d'en haut, brille d'un éclat singulier contre l'angle des barreaux de la cellule qui l'emprisonne, à la forte odeur de pisse. Cette pièce, c'est sa prison à lui. Un goût âcre glisse soudainement contre son palais et bien vite ses lèvres se tordent en une expression amusée sous l'énième constatation de son involontaire captivité.

La lune est moins timide, quelques minutes après. Elégante, les rayons de son astre se déposent partiellement sur la surface d'un sol abîmé par l'Homme. Il se pourrait même qu'elle vienne valser contre l'épiderme blanchâtre de Yoongi. Elle épouse l'ombre de ses courbes tordues, remontant jusque dans ses prunelles creuses. Le spectacle est beau. La lune lui apporte un triste réconfort au milieu de tout ce chaos. Les bras ballants le long du corps, le souffle lent et l'esprit aussi léger qu'une ancre de marin : il observe une liberté qui ne lui appartient plus.

Une liberté qui ne lui a jamais appartenu en vérité.

Volée, bafouée.




Plus haut dans l'ciel, à une hauteur que l'être humain ne peut s'imaginer, les perséides cachées se déchaînent.

Elles éclosent sous le son d'un trouble sanglot.

Elles frôlent un espace sans gravité sous le tsunami d'un seul être.

Elles éclatent en une pluie d'étoiles, majestueuses et laissent s'échapper une timide couleur bordeaux.

Les Perséides se rejoignent, et bizarrement, elles semblent valser.

Elles se trémoussent sous le silence de cet incendie.

La mélodie d'une seule personne, abîmée.

Ici, y'a le Fa qui rejoint le Mi.

Et enfin, y'a une sublime mélodie.

———

Bon, je ne sais pas combien de lecteurs et lectrices vont voir cela puisque nous sommes déjà le 14 et avec ce type de calendrier tout le monde ne s'accroche pas. Cependant, je souhaite remercier les personnes qui auront lu ce p'tit OS.

J'ai voulu parler d'un sujet qui m'intéresse et m'importe énormément. Je n'en ai pas parlé en détails, préférant rester assez abstraite et ne pas dire d'imbécilités mais j'espère tout de même avoir fait passer le message que peut importe le genre que l'on a ou l'absence de genre on mérite tous le soutient et le bonheur.j'espère que vous avez passé un bon p'tit moment et que vos yeux ne saignent pas trop.

une petite mention spéciale pour absolune qui m'a fait participer au projet ( joyeux anniversaire mocheté) et je tenais également à remercier le groupe de correctrices du projet pour leur travail et leur temps.

la bise.

-ASTERISKONI


*traduction des paroles de BTS par btsdiary et Chimounet

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