13h - Eden
« Cher rêve, je serai présent pour ta création, et jusqu'à la fin de ta vie. »
- So far away
Agust D
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Le paradis est une figure de l'oubli.
La plénitude impérieuse du silence, l'étreinte infinie du bonheur, l'euphorie de l'éternité. Qu'ont-ils à envier au vide ? Ici, la quiétude ne peut être. Elle se traduit dans le chaos, le son, l'extase, le rire. Redéfinition de l'éden. L'horreur est dans l'oubli. Le susurrement glaçant de l'être déshumanisé.
Seokjin a toujours trouvé ironique la façon dont les choses ont évolué. De l'Homme à la créature, de la conscience à l'androïde, projection d'une image devenue obsolète. Qu'est devenue l'humanité, sinon un rêve perdu ? Rationaliser les faits jusqu'à désacraliser une espèce qu'on croyait absolue. Où se trouve l'Homme ?
« Monsieur ? »
Il retrouve les pourtours de la réalité avec un flegme feint.
À travers la fenêtre, derrière les gouttes de pluie, l'île fourmille de lumières, néons et artifices brûlants, dialoguant au rythme des cris synthétiques et sons diffus, atmosphère hypnotique. La tête lui tourne.
« L'on m'a informé qu'il s'agissait de votre premier séjour et j'ai jugé intéressant de vous octroyer un panorama exhaustif du lieu. »
Il voudrait vomir sa frustration, cracher sur cette voix enregistrée, fuir.
« Éden est un centre de loisirs créé en 2164 dans l'objectif de distraire et occuper nos classes dirigeantes de la charge qui leur est incombée. Le fondateur s'imaginait un lieu où l'Homme pourrait recréer à loisir son identité, purger ses passions, réaliser ses fantasmes et désirs inavouables. Je crois pouvoir dire sans trop m'avancer que notre Père s'est surpassé. »
Il trépigne.
Sa chemise se froisse chaque fois qu'il change de position, le poids de son arme absent contre sa hanche. Que ne donnerait-il pas pour quitter cette cabine étroite, ces rues obstruées, retrouver son monde de silence, partir, tout ignorer.
« L'île est scindée en sept arrondissements, à dessein exclusif. Si les usages sont spécifiques et déterminés, l'objectif est toujours de vous divertir ; c'est la raison pour laquelle un formulaire vous a été transmis. Nous souhaitons répondre au mieux à vos exigences et vos demandes seront notre priorité. Ainsi, le premier quartier est résidentiel : vous trouverez vos possessions dans l'un des appartements du troisième étage. Il vous suffira de suivre l'allée principale pour tomber sur le secteur destiné aux restaurants. Le quartier de... »
Il se demande s'il est censé apercevoir quelque chose à travers l'accumulation de perles d'eau stagnante, ignore s'il saura retrouver son chemin ou un semblant d'orientation dans ce dédale infernal. Il veut fuir. Maintenant.
« [...] Accueille tous les bars, boîtes et autres dispensaires. Les fumoirs sont évidemment à votre disposition. À l'ouest, vous trouverez casinos, jeux, et attractions divertissantes. Ici, la portion de l'île destinée au plaisir. Le septième est le quartier de nos employés, et est le seul dont l'accès n'est pas autorisé. Vous pouvez bien évidemment vous déplacer à loisir, mais veillez à toujours avoir sur vous votre badge de reconnaissance. Nos employés sont si naturels qu'ils se confondent aisément avec nos clients, et nous serions désolés d'arriver à certaines extrémités s'il arrivait que vous l'égariez. Je vous rappelle que tout ce que vous consommerez sur l'île a déjà été réglé : rien de ce que vous ferez n'aura de coût, ou d'incidence sur votre vie extérieure. »
L'Homme est terriblement imaginatif lorsqu'il n'est pas inquiété par la loi et ses conséquences. L'anonymat l'arrange autant qu'il le dérange. S'il est un inconnu ici, incapable d'être localisé et identifié, la situation est similaire pour ses congénères, à qui rien ne peut arriver.
« Puisse votre rêve se réaliser. »
Derrière son désintérêt apparent, Seokjin écoute, absorbe, accumule. Les informations stagnent, se connectent et sont traitées. Il sait ce qui le fait tiquer : le sixième arrondissement n'est jamais mentionné. Cette omission annonce beaucoup d'horreurs.
Mais une promesse est une promesse.
Pour la première fois depuis le commencement de son plan, Seokjin se laisse envahir par une vague d'espoir. Que l'adage se concrétise. Que ses informateurs soient fiables. Que cette entreprise folle ne se solde pas par un échec. Qu'en renonçant à la chaleur de son foyer, aux bras de sa famille et de ses amis, en mettant en danger des années de combat, il savait ce qu'il faisait. Que rien n'a été inutile, que tout soit possible, que rien de ce qu'il a sacrifié ne soit en vain.
L'homme sort de la voiture dès qu'elle s'arrête, claque la porte dans sa précipitation, son badge dans le creux de sa paume de main.
La pluie l'accueille comme une vieille amie, suintante et chagrine sur ses épaules affaissées. Elle est l'unique témoin de son dernier instant d'hésitation, là, dans la grisaille et le goudron, lui rappelle son confident disparu. Un moment suspendu où la peine laisse place à la rage. Il traverse la route sans penser aux lames acérées qui percent sa veste de costard et, chargé d'eau, reprenant courage, il allonge le pas jusqu'au bar.
Il a treize heures. Il sait où aller. Il sait quoi dire. Il sait où fuir.
Un androïde assimile des habitudes, s'imprègne des ordres et ne fait qu'appliquer ce qu'il reçoit comme consigne. Il reprend toujours la même place, les mêmes mouvements, et ne change qu'à condition de lasser ses interlocuteurs. La dernière mutation remonte à plusieurs mois : Jin sait où le trouver.
Le cabaret est immense.
Cathédrale de vitres, fenêtres infinies grimpant jusqu'à un plafond tout en transparence, où à travers le verre les étoiles apparaissent timidement. Leur scintillement, salut discret dans sa direction, lui rappelle les nuits de cavalcade, teintées de rires ensommeillés et de rêves de liberté. L'avenir était à leur portée.
Ici, à l'entrée, des politesses factices. Là, derrière le comptoir, des risées moqueuses.
Hésitant, maladroit, tout à coup incertain, il avance vers le bar où s'agitent les serveurs, essuyant ses paumes moites contre son pantalon de suie. Il a quitté la société depuis trop longtemps, ne sait plus se tenir, dissimuler son dégoût, masquer son mépris. Il hait cet endroit superficiel, l'hypocrisie de ces murs illusoires, les rappels permanents de richesse et de prospérité. Lorsque les populations économisent des vies entières dans l'espoir d'avoir - et ce, l'espace de quelques heures - la possibilité d'accéder à un centième de ce confort, les politiques se prélassent chaque fin de semaine dans l'immense parc, dépensent des fortunes, jouent. Ils jouent.
L'insalubrité, les plats trop chiches, le froid, l'anxiété constante, c'est son lot à lui et les siens. Non, les politiques, eux, s'amusent.
« Tu es seul, mon joli ? »
Seokjin absorbe son hurlement et ravale ses larmes.
L'être est magnifique.
Lèvres roses, paupières fardées, joues dessinées. Il respire la sensualité et la volupté, vêtu de cette large chemise de soie cintrant sa taille, une main posée délicatement sur la courbe de son verre de vin, ses cheveux d'ébène espacés pour dégager son front.
Il l'a retrouvé. Jimin.
Jimin, les cils noirs et épais, le sourire si grand qu'il séduit ses yeux, le rire tonitruant, l'humour facile, la vivacité d'esprit. Jimin, les expressions bravaches, les manières attendrissantes, les silences entendus, les baisers volés. Jimin. Un instant, Seokjin a le fol espoir qu'il l'ait reconnu, qu'il sache qui il est, qu'il l'enlace, l'embrasse, le ravisse. Un instant, et tout s'effondre.
L'amertume revient à la charge, accablante, pleine de ressentiment et de douleur, fait saisir à son esprit dissident l'information évidente, celle qu'il remue et ressasse encore et encore, depuis plus d'un an.
Jimin a oublié. Seokjin a été effacé.
Jin le sait. Le savait. Et il a décidé seul de prendre cette mission à sa charge.
Désormais, il s'interroge, regrette, manque rebrousser chemin.
S'il avait su que le retrouver serait si simple, il aurait envoyé un escadron, n'aurait jamais fait le déplacement. S'il avait eu un aperçu de la douleur qui le prendrait, il aurait refusé. Il se serait contenté d'attendre, de travailler dans le calme de son bureau, d'essayer d'oublier, de ne pas espérer. Mais une promesse est une promesse.
Retrouver les androïdes raflés et leur rendre leurs souvenirs : c'est Seokjin qui porte le poids de la mémoire des autres. Parce que la mémoire, c'est permettre la possibilité d'une conscience.
L'être ne semble pas relever sa maladresse, le décalé de son maintien. Seokjin appartient si peu à cet univers, avec ses grands yeux naïfs et sa gaucherie ridicule. Il secoue la tête, balbutie, parvient à répondre par la négative sans jamais fermer les lèvres, suspendu dans sa propre surprise.
« Que dirais-tu d'un verre ? »
Il veut l'embrasser, le toucher, l'aimer, lui rappeler.
Seokjin ne le croit pas, refuse de croire, de le voir. Jimin n'est pas. Ou pas tout à fait.
Il y a des failles dans la reproduction et la perfection ne peut qu'imiter ce qui a été. Jimin est mort. Jimin est là. Jimin n'est plus. Il n'est qu'une pâle copie fabriquée et remodelée de ce que son amant a été. Seokjin ne veut pas oublier, ni aimer ce double, ce voleur de mémoire et d'au revoir. Jimin est le rappel d'une société qui ne laisse plus le choix.
Seokjin le hait. Pour ce qu'il est, ce qu'ils ont fait, ce qu'il est devenu.
Avec Seokjin, Jimin avait eu le choix.
Lorsque tous les androïdes décidaient d'oublier leur passé, Jimin avait voulu garder en mémoire les marques, les coups, les pleurs, la rage et l'impuissance. Conserver les images de la violence subie pour rester en colère. Pas que Jimin ressentait une quelconque amertume contre la société - ce bourreau avait fait assez de dégâts pour qu'il lui donne une place si importante dans son existence - mais entretenir le souvenir, c'était maintenir son histoire à lui. Son individualité.
Jimin s'était battu corps et âme pour la conserver.
Élève studieux, il avait accepté d'apprendre tous les réflexes que Seokjin lui avait inculqués, ces bouts d'adage à répéter, sans arrêt, jusqu'à ce qu'ils deviennent un automatisme. Et sur le chemin, Seokjin était tombé amoureux.
Et les mots lui brûlent la langue.
Je t'aime.
Silicone et métal. Même si la mort ne trompe personne, le deuil s'oublie. Mais pas ici. Ici, Seokjin défie l'autorité, dérange l'ordre et s'insurge. Les rebelles n'ont pas droit au pardon. Mais parfois, la société fait des exceptions. De cruelles, des doigts pointés vers ceux qui modifient les règles et se les approprient.
La société fait oublier.
« Tu ne m'as pas dit ton nom ?
- Tu n'en as pas besoin.
Tu le connais, voudrait ajouter Seokjin. Tu devrais t'en rappeler, Jimin.
C'est le premier mot qui avait été prononcé devant lui, lorsque les rebelles l'avaient sauvé. Le premier mot qu'il avait retenu. Un dialogue incongru, déplacé, qui avait pris place dans l'obscurité. Seuls les traits concentrés de Seokjin étaient faiblement éclairés, alors qu'il s'activait au-dessus du corps désarticulé de l'androïde.
Jimin pourrissait au fond d'un lupanar désaffecté. Débranché, abîmé, détruit. Les anciens propriétaires l'avaient abandonné en changeant de site, laissé s'altérer leur propriété. Des mois de réhabilitation, de reconnexion et de travail acharné, devenus nécessaires pour rendre vie à l'androïde. Jusqu'à ce que Seokjin trouve un point d'accroche, une phrase et que Jimin parle.
« Avant toi, il y avait le silence. Le silence, moi et le vide. Un résonnement creux, mon propre raisonnement, la réalité de mon existence, puis rien. Il y avait l'obscurité, l'odorat, le silence, encore, en boucle. Et la lumière, d'un coup. »
Ses mots avaient frappé fort, juste, fait méditer Seokjin et redonné courage. Ce dernier participait à son premier raid de sauvetage, alors que le mot « Rébellion » n'était encore qu'une vague dénomination, rien qu'un nom, posé sur un groupe dessoudé et révolté. De simples individus, persuadés de la capacité de conscience de ces fabrications technologiques. Des âmes humaines, opposées au traitement subi par leurs propres créations.
Les rebelles s'étaient construits, organisés, retrouvés, avaient fini par trouver des alliés. Donner une chance aux androïdes de se reconstruire n'étant plus suffisant : il avait fallu les sortir de leur misère.
Jimin ne pouvait être envoyé qu'ici.
Il est des endroits innommables sur terre. Des lieux infestés par les espèces les plus sordides, les êtres les plus abjects. Les parcs. Ces îles factices en sont la représentation la plus brutale. Un endroit où Seokjin aurait aimé ne jamais se retrouver. Constructions insupportables, entreprises du sexe, de l'alcool, de la drogue et de la violence, elles rassemblent le plus grand nombre d'androïdes et constituent les chiffres d'affaire les plus hauts. De pauvres robots dépourvus de leur faculté de décision, serviles, tabassés, humiliés, violés, torturés, tués par des êtres humains.
L'humanité dans son pire apparat. Seokjin avait promis de le retrouver s'il advenait qu'ils soient séparés. Peu importait l'endroit, lui rendre son intégrité, toujours le chercher. Et il s'y tiendrait, même s'il fallait rester sur cette île monstrueuse, y vivre un temps, côtoyer les pires horreurs.
Et pour cela, il a treize heures.
« Quelque chose de fort, dans ce cas. »
La réponse semble plaire à son vis-à-vis.
L'être penche son corps vers lui, dans une attitude trop familière, trop lui, trop Jimin, ses doigts frôlant son avant-bras, déferlante de souvenirs, aperçu fugace de leur passé commun, avant qu'il ne se lève pour aller commander. Seokjin s'en veut d'être si rouge, de sentir ses joues le brûler, son cœur s'épuiser dans sa cage thoracique.
Il y a ce sentiment, cette mélodie qu'il n'ose troubler, en sa présence, de peur de chasser cette image furtive, ce rêve qui s'inscrit sur sa rétine et le brûle. Seokjin écoute lorsque ce Jimin parle, médite, récite, même s'il n'est plus son Jimin. Il se laisse s'illusionner.
S'il disait son nom, se souviendrait-il ? Parviendrait-il à se remémorer la maladresse de leur premier baiser ? La franchise de son aveu amoureux ?
Il ne veut pas de suite tenter son expérience. Il sait que tout se jouera à une seule et unique phrase. Ses mois de travail et de recherche n'auront pas été en vain. La persévérance de Jimin n'aura pas été perdue. Son humanité sera sauvée.
S'il gagne cette bataille, les rebelles gagnent la guerre.
« Que cherches-tu, ici ? »
Un verre a été déposé devant lui, mais il n'ose pas y toucher de suite, hésite. Le retour de l'androïde suspend ses réflexions et ses résolutions, et il pense à sa question plus qu'il ne devrait. Que cherche-t-il, après tout ? Réaliser sa promesse ? Retrouver son amour ? Prouver qu'il est capable de changer les choses ? Donner une chance aux androïdes de se libérer de leurs contraintes ? Permettre aux rebelles de remporter la manche ? Un mélange ardu de toutes ces réponses. Aucune qu'il ne puisse exprimer sans risque. Il sait que ce Jimin ne pose la question que parce qu'il a été formaté. Il n'interroge pas par envie, mais bien parce qu'il a une tâche très particulière, qu'il se doit d'accomplir.
Un prostitué formaté n'interroge pas par curiosité. Alors Seokjin répond par une autre question :
« Qu'y a-t-il dans le sixième quartier ? »
L'être esquisse une moue machinale que Seokjin pourrait reproduire de mémoire, tant il connaît ce réflexe boudeur. La moindre contrariété, la plus petite ridule, jusqu'aux fossettes sous ses yeux. Seokjin sait et connaît ces traits par cœur. Les apercevoir signifie beaucoup. Si les mécanismes les plus primaires sont restés, c'est que quelque part, enfouies, résident des parcelles de mémoire. Une preuve, un espoir, une attente.
« Si tu n'y es pas, c'est que ça ne t'intéresse pas. »
L'inflexion est douce, presque sirupeuse, un reproche sous-jacent perçant à travers les mailles du filet. Un secret qui ne demande qu'à s'extirper de ces lèvres, à éclater au grand jour. Seokjin sait y faire, connaît et reconnaît les recoins de l'esprit où circulent les indices du mystère.
« Et si j'y allais ?
- Tu ne peux pas. »
La réplique est immédiate, systématique. Une réponse enregistrée, apprise, récitée. Mais pas assez profondément pour que Seokjin ne puisse toucher aux fondements du monument. Là où le bât blesse.
« Qui peut s'y rendre, dans ce cas ?
- Les clients intéressés. »
Et soudainement, Seokjin ne veut plus savoir.
« Et qui ne veulent ni sexe, ni soirée alcoolisée. »
Les battements de cils de l'être sont un assentiment suffisant. Seokjin se sent pris de pitié, murmure sans le vouloir.
« Que vous font-ils, Jimin ? »
Et l'incompréhension transparaît par vague sur les traits de l'être, lui offrant trop de similitudes avec son Jimin pour qu'il se retienne de lui toucher la joue. Sa main tendue étonne à peine son vis-à-vis. Son index suit sa course sur le seuil de sa pommette, descend jusqu'à cette mâchoire, évite ces lèvres, saisit ces traits familiers. La peau y est douce, flexible, tendre.
Tout le contraire de celui qu'il aime.
Jimin est un orage.
Le crépitement d'un ciel sur le point d'exploser, le grondement du tonnerre qui se prépare. Tout monte, grimpe, gonfle, atteint des sommets. Les masses nuageuses, le gris de la pluie, le silence qui précède la déflagration. Un instant suspendu avant le tumulte et le bruit. La précipitation qui inonde et redouble d'intensité.
Il n'y a pas d'éclaircie.
C'est ce qui le différencie d'autrui. Il y a dans ses regards bien des mots, synthèses et hypothèses. Des blessures impossibles à exprimer. De la poésie sous les paupières, un cauchemar dans la pupille, de la magie sur le bord des cils, et des étincelles absorbées par une obscurité qui ne s'effacera pas. Il ne parle pas. Les mots, ils n'ont plus de sens quand on les répète trop. Ils deviennent un peu étranges en bouche, et un jour, on se demande même ce qu'ils peuvent bien signifier.
Jimin est un rêve qui ne finit jamais.
Il ne sait pas quand il a commencé, ou s'il l'a créé. Peut-être n'est-il que le souvenir de milliers d'images, sons et sensations, une mémoire donnée et recalculée, un parallélisme avec une vie achevée et arrachée.
Il en est une réminiscence, pourtant.
Seokjin voudrait s'enfuir. Il est terrifié à l'idée de s'être trompé.
Les souvenirs ébranlent aisément les résolutions. Ils s'enfoncent dans les toiles savantes de la mémoire, tissent, à mesure que temps passe, les fils d'un univers impossible à défaire. Leur univers. Familier, sans paraître ordinaire. Jamais tout à fait sien. Sur ces pièces, ces meubles, ces objets, ces foyers abandonnés, il y a des rires et des pleurs, de la colère et de la haine. Contre ces murs, beaucoup d'amour, aussi. Sous forme de ressentis, et de Jimin. Jimin. Ouvrir un carnet, effleurer une page, se remémorer un geste, une parole, le tic-tac absurde d'une montre, la sienne, la nuque courbée, l'odeur de bois, la chaleur qui enfle. Jimin qui murmure des secrets, Jimin qui écrit, Jimin qui apprend, Jimin qui est tout, pour lui.
Ils ne s'étaient jamais quittés. Dépendants, toujours à la recherche du contact de l'autre.
Et un jour, il y avait eu une rafle.
Seokjin et Jimin étaient chargés des courses, une mission en théorie aisée et sans difficulté puisqu'elle ne consistait qu'à récupérer de quoi les sustenter. Ils avaient été forcés de se séparer dans les rayons pour éviter de perdre du temps, fuir le regard scrutateur des vigiles. Rien n'indiquait leur nature, ni leurs intentions. Seokjin filait, entassait, avait presque terminé. Et il y avait eu un cri.
Il avait de suite compris, lorsque les militaires avaient débarqué : quelqu'un avait signalé l'androïde, dénoncé sa présence, commis l'irréparable.
Un androïde seul ne peut qu'être un dissident.
Ils avaient emporté Jimin, l'avaient fait disparaître, effacé toute trace de son existence.
On punit les rebelles, et la meilleure façon d'y parvenir est de détruire l'intimité.
On avait dit à Seokjin de ne pas avoir d'espoir, que tout serait perdu, qu'il fallait désormais faire son deuil. Que peu importait la forme dans laquelle il retrouverait Jimin, il ne serait plus jamais le même. Parce que le gouvernement efface tout libre-arbitre, parce que l'État fait des androïdes trop conscients des poupées de chiffon. Parce que les androïdes libres sont réduits à l'état de fonctions.
Mais les rebelles répondent toujours. S'ils leur font oublier, ils leur feront se rappeler.
Jimin fait partie de sa mémoire, et si cet univers n'est pas entièrement sien, Seokjin a promis de le rendre à son propriétaire. Il ne fait que le garder. L'humain a espéré, cherché.
Et Jimin est là.
Jimin et son regard plein de malice, de promesses consenties et d'amour invisible.
Peu importe qu'il lui échappe lorsqu'un terme semble approprié, que les sentences s'effacent avec la résurgence de la pluie. Jimin est toujours là. Un continuum, un cercle, un infini. Seokjin, Jimin, Seokjin. L'un a disparu, l'autre demeure, le dernier existe. Seokjin est amoureux de Jimin.
« Il est des mondes que tu ignores.
- Montre-moi. »
Qu'y a-t-il à changer dans un monde où il est impossible d'agir à grande échelle et où l'on est forcé d'opérer dans l'ombre ? Les diktats font ce qu'ils sont.
Un humain incapable de se battre et un androïde amnésique.
Jimin va oublier parce qu'il n'est qu'une machine, Seokjin va disparaître parce qu'il n'a rien de différent. Tout est réel et rien ne l'est.
Mais Seokjin murmure.
« Cher rêve, je serai présent pour ta création, et jusqu'à la fin de ta vie. »
Et Jimin se souvient.
———
Elle se reconnaîtra, alors : Joyeux anniversaire, ma belle. J'espère que ta soirée sera douce et nos retrouvailles proches.
Un énorme merci à la merveilleuse organisatrice qu'est Lhazareen, pour tout le travail fourni en amont et au fur et à mesure, malgré cette période chargée.
Et enfin, à vous, jolis lecteurs, merci de m'avoir lue, d'avoir commenté, d'être si motivants et motivés par ce calendrier. Je suis curieuse d'entendre vos théories, vos réflexions, et me doute que vous aurez des questions ; n'hésitez pas à m'interroger.
Plein de poutous, et à très vite, j'espère.
*traduction des paroles de BTS par Bangtan Fansub et Peachisoda
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