Chapitre 13 - 2015
Jeudi 21 mai 2015.
Après avoir passé un peu plus d'un mois au foyer d'urgence, le papa et la belle-mère de Mathilde étaient venus la chercher dans le cadre des vacances scolaires. Techniquement, il n'avait pas le droit vu qu'elle était placée au foyer. Cependant, personne ne pouvait nier son droit de visite et d'hébergement. Quelques semaines après, il avait eu la garde exclusive provisoire de Mathilde accordé par le juge des enfants. Puis, plus tard, le juge aux affaires familiales lui avait accordé la garde exclusive permanente.
La mère de Mathilde, elle, comme prévu, n'avait pas demandé de droit de visite et d'hébergement. Mathilde n'avait donc plus de contact avec cette dernière.
Dès qu'il eût la garde exclusive de Mathilde, son papa avait fait les démarches nécessaires pour l'inscrire dans le collège juste à côté de la maison. Il avait refait la chambre que Mathilde occupait pendant les vacances avec l'aide cette dernière pour qu'elle puisse prendre ses marques dans un premier temps, et pour lui changer les idées dans un second temps.
Puis, comme il avait très bien vu l'état de détresse de sa fille et que celle-ci tenait à garder un suivi psychiatrique, il avait pris un rendez-vous avec le centre médico-pédo-psychiatrique pendant l'été. Malheureusement, la liste d'attente était conséquente et elle eût à attendre plusieurs mois pour avoir son premier rendez-vous.
Arrivé en septembre, Mathilde dû affronter une nouvelle rentrée scolaire. Bien qu'elle n'eût pas fini son année de 5ème, elle avait été acceptée en 4ème. Le papa de Mathilde était ému de pouvoir assister pour la première fois à une rentrée scolaire de sa fille, alors il avait été fier de l'accompagner et l'encourager en présence de sa compagne.
Lorsqu'elle eût mis les pieds dans l'établissement, elle avait essayé de ne pas céder à la panique qui grandissait en se répétant qu'elle était dans un nouveau collège, dans une nouvelle ville, une nouvelle région, une nouvelle partie de la France, très loin de là où elle vivait avant.
Mathilde avait préféré rester dans son coin les premiers jours. Elle appréhendait beaucoup trop les interactions sociales pour aller voir ses camarades. Alors elle avait passé ses premières récréations enfermée dans les toilettes à envoyer des messages à Calandra, avec qui Mathilde avait repris contact lorsqu'elle s'était refait un compte sur les réseaux. A cet endroit, elle était sûre que personne ne la remarquerait pour venir lui parler ou l'embêter. Mais, un matin où un de leurs professeurs tardait à venir les chercher dans la cour, quelques camarades lui avaient adressé la parole pour faire connaissance avec elle.
Une fille blonde lui avait alors proposé de l'intégrer à son groupe d'amis. Mathilde, un peu anxieuse à l'idée de socialiser, avait tout de même acceptée car cela partait d'une bonne intention et que refuser aurait été impoli.
C'est à partir de là que, tous les matins, elle rejoignait ce groupe qui se réunissait dans la salle d'étude avant la sonnerie de huit heures. Mathilde s'était dit, au début, que sociabiliser avec eux pourrait lui permettre de calmer ses angoisses et d'aller mieux petit à petit. Cependant, ses idées noires restaient et tournaient en permanence dans sa tête. Elle restait toujours silencieuse auprès d'eux et n'intervenait presque pas, sauf quand on lui posait des questions. Et, même si elle avait été contente qu'on l'ait invité à venir passer du temps avec d'autres personnes, elle ne pouvait jamais rester trop longtemps autour d'eux sans finir par être oppressée. Alors, pour remédier au sentiment d'étouffement, elle s'éclipsait toujours au bout d'un moment. Comme elle ne disait jamais grand chose et qu'elle ne faisait jamais de bruits, le groupe n'avait jamais rien remarqué. Ils s'étaient d'abord contentés de lui demander où elle était passée, puis, en voyant le schéma se répéter, ils avaient arrêté de poser la question, ce qui allait très bien à Mathilde.
Elle se sentait seule psychologiquement partout où elle allait et tout le temps mais, de manière paradoxale, elle ne ressentait pas vraiment l'envie d'avoir des interactions avec les autres. Elle se disait que moins elle créait de liens avec les autres, moins elle souffrirait. Alors, après plusieurs semaines, elle avait été fatiguée de s'éclipser en permanence et avait décidé de passer ses journées dans son coin.
Puis, un jour, une fille de sa classe était venue vers elle et, quand bien même Mathilde essayait de lui faire comprendre gentiment qu'elle préférait lire tranquillement plutôt que lui parler, cette dernière continuait à insister pour ne pas la laisser seule. Alors Mathilde avait accepté de passer du temps avec elle.
Mais, malgré tout ça, elle ne se sentait pas moins seule psychologiquement. Et plus le temps passait, plus elle observait les autres apprécier de sociabiliser entre eux, et plus elle se disait que quelque chose clochait chez elle.
Après des mois à montrer l'indifférence qu'elle avait pour les autres à travers son regard vitreux, parfois elle rentrait chez elle les yeux humides après avoir pleuré sur le chemin car elle souffrait de son propre comportement. Mathilde profitait de pouvoir rentrer chez elle à pieds par un chemin peu fréquenté pour se remettre en question, réfléchir à comment changer tout ça, et, quelques fois, elle s'autorisait à craquer.
Ses rendez-vous hebdomadaires avec l'infirmier-psychiatre du centre ne lui servait pas à grand chose car elle n'arrivait pas à parler. L'infirmier lui posait des questions, voyait son mal-être, mais Mathilde, un peu perdue, répondait toujours vaguement, par des "je ne sais pas" ou finissait carrément par pleurer. Il avait essayé alors de l'intégrer dans un groupe de paroles avec d'autres jeunes mais ce fut un échec. Elle écoutait les autres parler et restait muette sauf, là encore, quand on lui posait des questions.
Seule la psychiatre qu'elle voyait une fois tous les deux mois, pour faire des bilans et voir son évolution, arrivait à la faire parler un peu. Sans savoir pourquoi ni comment, Mathilde arrivait à s'exprimer avec elle, mais seulement sur le présent. Alors elle s'était dit que c'était peut-être parce que cette psychiatre lui faisait penser à Dr Anne.
Assise en face de sa psychiatre, Mathilde revint alors à la réalité au moment où son papa eût quitté la pièce. Tout en tirant sur les manches de sa veste pour être sûre que les petites cicatrices faites par les lames qu'elle utilisait pendant ses "crises" ne soient pas visibles, elle releva la tête vers Dr Hélène et lui adressa un sourire gêné à cause du silence.
Quand cette dernière lui eût demandé comment se passait l'école, Mathilde avait hésité de très longues minutes avant de répondre. Avant de prendre la décision de se forcer à parler, elle avait fixé l'horloge à droite du bureau tandis que son esprit pesait le pour et le contre. C'est comme ça que Mathilde lui avait confié qu'elle avait appris qu'une fille de sa classe utilisait le mot "zombie" pour parler d'elle dans son dos, sous prétexte qu'elle était très pâle et qu'elle avait des cernes très sombres dû à ses troubles du sommeil et son anxiété. Elle avait continué en lui racontant la fois où une autre camarade de classe l'avait piqué dans le dos avec une punaise après lui avoir proposé un câlin. Mathilde avait accepté la proposition par politesse et par peur de blesser la personne avec un "non". Mais elle avait regretté amèrement après qu'on lui ait dit que c'était pour vérifier si elle ressentait la douleur ou si elle était une "morte-vivante". Et, comme Mathilde, habituée à la douleur physique, n'avait pas bougé, ils avaient conclu qu'elle était bien une morte-vivante en ricanant.
Dr Hélène l'écoutait attentivement en fronçant les sourcils. Mathilde se demandait si, comme elle, cette dernière pensait que si cela arrivait c'est parce qu'elle méritait ce genre de traitements.
Une fois l'heure terminée, Dr Hélène rappela le papa de Mathilde. Lorsque ce dernier reprit place sur la chaise à côté de celle où était assise Mathilde, la psychiatre s'éclaircit la voix et décida de lui parler franchement. Sans dire au papa de Mathilde ce que cette dernière lui avait confié, elle lui avait dit qu'elle trouvait l'état de sa fille inquiétant. Elle avait continué sur sa lancée en lui disant qu'à ses yeux et sous réserve qu'il soit d'accord, la mise sous traitement médicamenteux de Mathilde devrait être envisagée.
Lorsque le papa de Mathilde sortit du centre pour rejoindre la voiture en compagnie de sa fille, il était resté silencieux. Il ne savait pas quoi penser et ne comprenait pas pourquoi la psychiatre de sa fille voulait la mettre sous cachets. A ses yeux, sa fille avait repris les cours normalement, faisait une bonne année avec des notes correctes et des bulletins mélioratifs. Et, même si tous ses bulletins répétaient qu'elle ne participait pas assez, il ne remarquait aucun signe de mal-être chez Mathilde lorsqu'il la voyait à la maison.
En réfléchissant un peu, il ne trouvait pas sa fille très expressive. Sa compagne et lui avaient beau essayer de lui faire plaisir par différents moyens, ils n'arrivaient jamais à voir le bonheur dans les yeux de Mathilde. Ils avaient le droit à pleins de remerciements et de sourires mais ne savaient jamais ce qu'elle ressentait au fond d'elle. Même lorsqu'il avait annoncé à Mathilde, qui adorait parler anglais, qu'elle irait deux semaines en séjour linguistique en Angleterre, il avait eu le droit à un enthousiasme modéré. Comme si elle se retenait de se réjouir.
Après le dîner, il avait demandé à Mathilde de rester à table pour qu'ils puissent parler tous les deux du rendez-vous qui le rendait perplexe. Il avait l'impression que sa fille lui passait des choses sous silence. Et, après ce que lui avait dit la psychiatre, il ressentait encore plus le besoin de comprendre.
Inquiet et voyant que sa fille ne se confierait pas à lui, il lui demanda alors si elle était heureuse ici. Mathilde, elle-même perdue et incapable de pouvoir répondre, se contenta de regarder ailleurs pour ne pas craquer devant lui. Il tenta le tout pour le tout en lui disant que si elle n'arrivait pas à le rassurer, la savoir en Angleterre, trop loin pour ne pas se faire un sang d'encre pour elle, allait être dur pour lui.
Mais ce que son papa ne savait pas, c'est que Mathilde faisait actuellement son maximum pour le rassurer.
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