Chapitre 11 - 2014

Mardi 10 juin 2014.

Hier, après avoir refusé catégoriquement pendant plusieurs jours le rendez-vous médiatisé avec sa mère dont lui parlait les éducateurs, Charlotte, une des éducatrices, convoqua Mathilde dans le bureau. Cette dernière, pensant qu'ils avaient jeté l'éponge pour cette idée, prit place sur la chaise, face à elle, l'air sereine. Seulement Charlotte n'en avait apparemment pas décidé ainsi.

"Vu que t'as refusé de poser une date, je voulais te dire que t'as le rendez-vous médiatisé avec ta mère et la psychologue demain à onze heures."

Mathilde avait soupiré et demandé si ce rendez-vous était vraiment nécessaire. Charlotte avait donc hoché la tête après l'avoir informé qu'il fallait qu'elle fasse une liste des affaires qu'elle aimerait que sa mère lui ramène. Alors Mathilde avait obtempéré et avait rendu une liste.

Du moment où elle eût quitté le bureau jusqu'à aujourd'hui 11h, elle n'avait pas arrêté de consulter l'heure. Pour se détendre, elle avait passé le reste de sa journée avec Corentin en essayant d'éviter Angel. Corentin était arrivé quelques jours après elle. Et surtout, ils venaient du même collège et avait leurs cours d'allemand ensemble. Mais ils ne s'étaient jamais parlés avant de se retrouver nez à nez dans le même bâtiment du foyer.

Mathilde et Corentin essayaient d'éviter Angel au possible car il était lourd mais aussi parce qu'il avait des réactions disproportionnées et imprévisibles.

Ce jour-là, quand elle était entrée dans le bureau de la psychologue du foyer, Mathilde trépignait. Elle venait à peine d'entrer dans la pièce qu'elle voulait déjà repartir en courant. Voyant qu'elle était assez tendue et déjà énervée, la psychologue tendit à Mathilde une feuille et des crayons de couleur.

"Pour te détendre."

Elle commençait alors à dessiner des choses aléatoires. Mathilde s'en fichait de mal dessiner, le but était d'occuper son esprit. Elle était tellement tendue que, lorsque la porte s'ouvrit sur sa mère qui portait un gros sac, elle ne prit même pas la peine de tourner la tête vers elle. Mathilde avait préféré rester tête penchée sur la feuille et continuer ce qu'elle avait commencé.

Pour chaque question posée, que ce soit par la psychologue ou par sa mère, elle répondait sans lâcher des yeux son dessin. Mais, plus sa mère lui sortait des gentillesses et plus Mathilde s'énervait. Elle savait désormais que les gentillesses étaient fausses chez elle, que tout n'était que perversion et manipulation. Alors, plus sa mère prononçait des phrases de mère naïve victime de sa fille violente qu'elle aimait assez fort pour ne pas lui en vouloir, et plus la force qu'elle mettait sur ses crayons augmentait. C'est quand Mathilde eût entendu sa mère la prévenir que si elle voulait vraiment vivre chez son père, elle ne demanderait pas de droit de visites et d'hébergement, car elle ne pouvait pas faire de longs trajets avec son "genoux malade", qu'elle finit par déchirer la feuille à force d'appuyer.

Remarquant le stade actuel d'énervement de Mathilde, la psychologue l'autorisa à quitter la salle si elle le souhaitait. Mathilde avait répondu un simple "oui". En se levant elle entendit sa mère balbutier quelque chose d'une voix qui se voulait affectueuse.

"Est-ce que je peux au moins te serrer dans mes bras avant que tu t'en ailles ?"

Le cœur de Mathilde se serra instantanément. Elle avait beau ne plus reconnaître sa mère dans la personne qui était installée sur la chaise à côté d'elle depuis leur bagarre, elle avait eu une relation mère-fille fusionnel pendant très longtemps. Son regard se posait sur sa mère pour la première fois depuis que cette dernière était entrée dans la pièce.

Ses pensées se bousculaient dans son esprit. Et elle était partagée entre l'ignorer ou écouter sa demande avant de prendre le sac et tracer sa route. C'est là qu'elle se mit à réaliser que c'était peut-être la dernière fois qu'elle verrait sa mère de sa vie. 

Alors, elle s'était décidée. Mathilde s'était avancée vers sa mère et avait accepté les bras de cette dernière autour d'elle. Maladroite, elle ne savait pas vraiment quoi faire de ses bras alors elle l'entoura aussi sans serrer son étreinte, contrairement à sa mère. Elle crut entendre un "tu vas me manquer" de la part de sa mère mais se dit qu'elle devait sûrement rêver. Et si elle ne rêvait pas, c'était sûrement pour les apparences devant la psychologue. Au fond, tout était calculé.

Mathilde se dégagea ensuite, prit le sac et quitta le bureau de la psychologue sans se retourner. Lorsqu'elle rejoignait son bâtiment, qui était à l'opposé de celui de l'administration qu'elle venait de quitter, elle essayait de garder la face. Elle n'aimait pas être au centre de l'attention ni paraître faible, alors pleurer en public était une des dernières choses qu'elle aimait faire. Cependant, lorsqu'elle prit la porte du bureau de Charlotte pour rentrer dans le foyer, les efforts qu'elle avait fait jusque là pour ne pas pleurer commencèrent à perdre de leur efficacité. 

Lorsqu'elle tourna la tête vers Charlotte, elle lui adressa un sourire qui se voulait convaincant. L'éducatrice lui avait alors demandé si ça allait. Mathilde répondit un "oui" très rapide, sinon elle savait qu'elle allait craquer. Charlotte insista alors à nouveau, pas convaincue. Mais cette fois-là Mathilde s'était contentée de continuer sa route vers sa chambre.

Arrivée là-bas, elle avait posé le sac en vrac et n'avait pu retenir ses larmes plus longtemps. Mathilde avait l'impression d'avoir perdu sa mère. Elle s'était assise contre la porte avec cette idée en boucle dans sa tête, et s'était laissée aller en pleurant jusqu'à n'en plus pouvoir. 

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