Chapitre 10 - 2014

Samedi 31 mai 2014.

Mathilde avait passé un week-end d'enfer la semaine dernière. Au sens littéral du terme "enfer".

Après une énième dispute avec sa mère, où cette dernière l'avait mis plus bas que terre tandis que Mathilde était assise sur son lit, attendant que la tempête passe, elle sentait, au fond, qu'elle ne pouvait plus rester dans cette situation. Le climat était terrible. Et plus le temps passait, plus elle réalisait que sa mère était toxique. 

Alors, le samedi après-midi, après s'être habillée en vitesse et avoir entassé les affaires qui lui étaient nécessaires dans son sac, elle avait pris la décision de partir. Elle avait un plan sans vraiment en avoir un. Mathilde avait en tête ce que lui avait dit son papa avant qu'elle ne rentre dans le sud-ouest ;

"Si jamais il y a un clash, que ça va beaucoup trop loin, va directement au commissariat et raconte leur tout, d'accord ?"

Avec ça, il lui avait donné de l'argent au cas où elle ait à prendre un taxi pour rejoindre l'hôtel de police. Puis Mathilde était sortie de la voiture pour rejoindre l'appartement. Au départ elle avait pensé que son père délirait et qu'elle pouvait supporter, qu'elle avait les épaules pour. Mais plus le temps eût passé et plus elle se disait que si son père lui avait dit ça, c'est qu'il savait sûrement de quoi il parlait. 

Mathilde avait commencé à faire ses affaires lorsqu'elle avait entendu la porte d'entrée claquer, signifiant que sa mère était sortie. La voie était donc libre. Elle s'élança, son sac sur le dos, jusqu'à la porte d'entrée. Seulement, après le premier pied mis dans le salon elle se stoppa net en entendant le pianotage du clavier de l'ordinateur de sa mère. Elle avait pris le temps de réfléchir quelques secondes mais s'était dit qu'il valait mieux continuer car elle l'avait sûrement entendu arriver.

Elle continua alors son chemin en jetant un coup d'œil rapide à sa mère. Celle-ci releva immédiatement la tête et demanda à sa fille d'un ton accusateur où elle comptait aller comme ça. Après avoir balbutié un faible et tremblant "à la bibliothèque", Mathilde se trouvait dans le hall d'entrée et tendait la main vers la porte, si près du but. 

Mais en l'espace de quelques secondes elle entendit des pas rapides et vit sa mère se glisser entre elle et la porte afin de lui barrer le passage. Surprise, Mathilde mit du temps à réagir. Comment sa mère avait pu se déplacer si vite alors que celle-ci avait toujours dit que l'opération qu'elle avait eu au genoux l'empêchait de faire quoi que ce soit ? 

En deux temps trois mouvements la mère de Mathilde avait retiré les clés de la serrure et les avait mis en hauteur, beaucoup trop haut pour la taille que faisait Mathilde. La panique et les larmes montèrent petit à petit chez Mathilde. Elle se sentait comme prise au piège et pensait qu'elle n'allait jamais pouvoir partir de là.

Après que sa mère lui ait hurlé de lui donner le sac qu'elle avait sur ses épaules, Mathilde courra dans sa chambre et, les mains tremblantes, déverrouilla son téléphone portable en vitesse pour taper un message pour son papa.

"Appelle les flics vite qu'ils viennent."

Dans la précipitation, Mathilde reverrouilla son téléphone sans pouvoir se rappeler si elle avait appuyé sur envoyer. Elle était prête à vérifier lorsque sa mère vint lui arracher le téléphone des mains avant de lui aboyer de lui donner aussi son ordinateur portable. Mathilde s'exécuta mais tenta le tout pour le tout pour reprendre son cellulaire, mais en vain. Lorsque sa mère glissa celui-ci sous le canapé, Mathilde se colla au tapis pour tenter de le récupérer et aperçu alors l'écran allumé qui lui faisait comprendre qu'elle avait un appel entrant de "Papa".

Mathilde soupirait, elle imaginait deux possibilités. Soit il appelait pour avoir de ses nouvelles, soit il appelait après avoir reçu le message bizarre de sa fille. Elle partit du principe qu'il avait reçu le message et qu'il s'imaginait bien la situation actuelle. Maintenant que la police était sûrement prévenue, son esprit s'éteignit, elle espérait juste pouvoir partir d'ici.

Sans réfléchir, Mathilde commença à crier sur sa mère. Elle en avait marre et voulait savoir la vérité. Alors elle avait reprit, une par une, toutes les accusations qu'elle avait entendu sa mère dire sur sa propre famille à elle ainsi que celle de Mathilde, et lui demanda les vraies versions. Comme unique réponse elle avait droit au visage enragé de sa mère qui lui assénait des insultes en l'attrapant et la poussant. En essayant de se dégager, Mathilde crut entendre un "mais t'es vraiment une connasse" venant de sa mère. Elle réussit à se dégager et dévisagea sa mère. Elle ne la reconnaissait pas. Ce n'était pas sa mère qu'elle avait devant elle mais quelqu'un d'autre, animée par la haine et la souffrance.

Alors qu'elle reculait, Mathilde continuait de fixer sa mère qui affichait un sourire victorieux en coin.

"T'es folle, ma pauvre fille."

Dépitée, elle aurait aimé pleurer mais rien ne sortait. Mathilde fixait un point sur le mur, elle n'arrivait plus à penser. Elle avait l'impression de n'avoir pas d'autre choix que de rester ici jusqu'à la fin de ses jours. Et encore une fois, comme tous les jours depuis trois mois, elle espérait que cette fin arrive très vite.

Après avoir rassemblé ordinateurs portables, cellulaires, téléphones fixes et les clés dans un sac qu'elle était fière d'annoncer qu'elle garderait auprès d'elle tout le temps pour que Mathilde n'y ait pas accès, sa mère tira une chaise et dicta à Mathilde de s'asseoir dessus car les gendarmes allaient bientôt arrivés. Pendant de longues minutes, Mathilde, qui avait garder sa veste, était restée muette sur la chaise et continuait de dévisager sa mère avec incompréhension.

Lorsque les gendarmes étaient arrivés, ils prirent Mathilde à part et allèrent parler avec elle dans sa chambre. Après s'être assise sur le bord de son lit, elle regardait de manière indifférente tour à tour les deux gendarmes, bras croisés et visage dur, qui lui faisaient face.

"Alors comme ça on tape sur sa maman?"

Mathilde, incrédule, réprima un rire et secoua la tête. Ils n'avaient vraiment rien compris, en fait. Ils haussèrent le ton lorsqu'ils remarquèrent qu'elle ne les prenait pas au sérieux et lui firent la morale comme s'ils savaient pourquoi ils étaient vraiment là.

Avant de partir, les gendarmes avaient conseillé à la mère de Mathilde de contacter les services sociaux si la situation était insupportable pour elle. Mathilde, dans sa chambre, avait haussé les sourcils en entendant ça. C'était le monde à l'envers.

Après ça elle était restée dans sa chambre, allongée dans son lit et elle avait décidé qu'elle y resterait allongée tant qu'elle n'était pas sûre que sa mère était couchée dans le sien. Alors elle avait occupé son week-end, enfermée dans sa chambre, à lire le deuxième tome de Divergente en essayant d'ignorer la peur croissante qu'elle avait de sa propre mère. Cette dernière avait d'ailleurs décidé de ne plus adresser la parole à Mathilde, ni même de la regarder et encore moins de s'assurer qu'elle mange.

Lorsqu'elle décidait de dormir, elle se réveillait tout le temps en sursautant. Après avoir vu le vrai visage de sa mère, Mathilde avait développé une sorte de paranoïa, elle avait souvent l'impression de voir une ombre qui l'observait dans l'entrebâillement de la porte de sa chambre. Et surtout, elle avait développer la peur que sa propre mère la tue dans son sommeil.

Quand Mathilde se levait c'était uniquement lorsqu'elle était à peu près sûre que sa mère dormait pour grignoter quelques calories de quoi tenir un peu. Elle décidait du moment pour se levait lorsqu'elle n'entendait plus le pianotage de clavier et les talons insupportables de sa mère qui tambourinaient le sol. 

Puis, le lundi matin, 11h, elle s'était faite réveillée par un coup sec dans sa porte. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle aperçut un des deux gendarmes qu'elle avait vu deux jours avant qui se tournait pour rejoindre le salon. Mathilde les avait rejoins en silence et avait pris place sur le canapé à côté de deux femmes inconnues comme on le lui avait demandé. Les gendarmes lui avaient demandé de remonter les manches de sa veste pour vérifier qu'il n'y ait pas eu d'autre bagarre depuis leur visite samedi. Mathilde, un peu réticente, avait découvert ses avant-bras remplis de griffures tout en baissant la tête pour éviter un quelconque regard ou jugement.

Les gendarmes prirent à part sa mère sur le palier de l'appartement pour discuter avec elle tandis que les deux femmes se présentaient à Mathilde. Elle avait donc à côté d'elle une assistante sociale et une éducatrice. A ce moment-là, elle ne comprenait pas vraiment ce qu'on lui voulait. 

Puis sa mère revint s'asseoir en face de sa fille et des deux personnes qui travaillaient pour les services sociaux et, pleine d'assurance, sortit le téléphone de Mathilde. Elle l'avait accusé, devant les deux femmes, de recevoir des images à caractère pornographique sur son téléphone et d'être "nymphomane". Mathilde ouvrit de grands yeux dans un premier temps, pas vraiment sûre d'avoir bien entendu ce que sa mère venait de dire. Elle n'avait jamais imaginé que sa propre mère serait capable de raconter des mensonges à son sujet dans le seul but de l'humilier et la salir. Pouvait-elle encore la considérer comme sa mère à ce stade ? 

Les services sociaux, après quelques minutes, étaient repartis, laissant seules Mathilde et sa mère. Mathilde retourna alors dans sa chambre en espérant qu'elles reviendraient la chercher vite. Elle avait relevé qu'elles allaient revenir dans l'après-midi pour décider d'un placement en foyer. Et, vers 13h, sa mère l'appela sèchement. Elle lui avait préparé une assiette sur la table à manger.

"Je te préviens, les services sociaux reviennent dans pas longtemps, t'as intérêt de dire que je t'ai fait à manger."

Mathilde ne savait pas vraiment s'il fallait répondre alors elle se contenta d'hocher la tête. Elle n'avait pas la force de répliquer et elle avait bien trop peur d'elle. Elle mangea alors et repartit directement dans sa chambre après.

Les deux femmes étaient revenues vers 15h. Leur présence était rassurante pour Mathilde, c'est pourquoi celle-ci les avait rejoins directement. Mathilde restait silencieuse pendant que les trois femmes discutaient ensemble d'un placement en foyer. La mère de Mathilde se confondait en remerciement auprès des deux femmes pour leur proposition, expliquant qu'elle ne savait plus quoi faire avec sa fille.

Avant de partir, une des deux femmes avait accompagné Mathilde jusqu'à sa chambre pour qu'elle prépare un sac. L'assistante sociale en profita pour lui poser des questions sur la relation qu'elle avait avec sa maman depuis la bagarre. Alors Mathilde avait décidé de lui raconter honnêtement, sans oublier que la seule fois où sa mère avait pensé à s'assurer qu'elle mange et lui avait adressé la parole avait été ce midi.

Entourée des deux femmes des services sociaux, Mathilde quittait enfin cet appartement dans lequel elle était prise au piège. Elle avait l'impression de pouvoir enfin respirer. Installée à l'arrière de leur voiture de fonction, elle répondait aux questions de l'éducatrice et de l'assistante sociale tandis qu'elles traversèrent la ville pour se rendre au foyer d'urgence.

Installée dans une chambre où elle était seule, Mathilde pouvait enfin se reposer. Au départ, chaque matin, lorsqu'elle sortait de sa chambre, Emmanuel, un de ses éducateurs, venait l'informer que sa mère avait appelé pour prendre de ses nouvelles. Il lui demandait ensuite si elle souhaitait qu'il la rappelle pour elle. Le premier jour, Mathilde avait simplement répondu que non, elle ne souhaitait pas. Puis, les jours qui avaient suivi, pour faire gagner du temps à tout le monde, elle avait préféré répondre avant qu'Emmanuel n'en arrive à sa proposition un simple "Non merci, ça ira".

Puis, à la fin de la semaine elle s'était réveillée sans question d'Emmanuel. Elle en avait déduit que, même si sa mère avait appelé le foyer pour avoir de ses nouvelles, il avait compris que sa réponse resterait toujours la même. Et c'était mieux ainsi.

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