5 | Ça c'est le Karma, Bébé !
— Et maintenant, accueillons le Dynamik Crew !
Le Maître de cérémonie, gominé et tiré à quatre épingles s'écarte de la scène, et aussitot, nous envahissons l'espace. Notre chorégraphie calée au millimètre près, produit immédiatement l'effet escompté. Les gens tapent des mains au rythme imposé par la musique et nous nous déhanchons parfaitement jusqu'à la dernière note.
Comme prévu, j'enchaîne avec mon solo. Je suis dans mon élément, je danse avec passion. Je termine mon tour, et les invités applaudissent et les visages illuminés de sourires indiquent que nous avons une fois de plus été à la hauteur.
Après avoir salué notre public, nous rejoignons les loges. Je tombe « encore » sur Marcel – plus beau que jamais dans son smoking noir impeccable. Il se tient là, adossé au mur, la tête légèrement penchée sur le côté droit, les bras croisés sur sa poitrine, affichant ce sourire tendre dont il ne se départit jamais.
— Où vas-tu Danika ? me demande Emryn qui voit ma trajectoire dévier.
— J'arrive. Laisse-moi deux minutes et je vous rejoins pour le débrief.
— Sois pas en retard cette fois-ci !
— C'est bon ça va, j'en ai pour deux secondes là !
Transpirante, j'essuie mon visage humide avant de poser ma serviette autour du cou. J'avance vers Marcel qui m'accueille de sa voix grave :
— Danika... Sacrée Danika !
— Sacrée je ne sais pas, mais je suis bien Danika !
J'accompagne ma phrase d'un rictus niais, que je ne parviens pas à contrôler.
Comment réussit-il à me rendre bêtasse à ce point ?
Son teint brun, ses bouclettes savamment domptées, son charme fou, ainsi que son sourire à damner un saint, me rendent toute chose. Y'a pas à dire, tout me plaît chez cet individu et je le dévore littéralement des yeux.
— Tu m'avais dit que tu dansais, mais c'est bien au-delà de ce que j'imaginais. Tu as été incroyable ce soir !
— Merci. Ce que tu dis-là, me touche.
— Ça te touche, mais tu ne me rappelles jamais.
— Wouai. Je sais. Désolée.
— J'ai dit ou fait quelque chose de mal ?
— Non, pas du tout.
— Alors quel est le problème ?
— C'est pas toi le problème, c'est moi.
— Voilà « LA » stratégie des filles qui n'assument jamais de dire qu'elles ne sont pas intéressées, souffle-t-il agacé.
— C'est pas ça Marcel !
J'ai si honte. Je voudrais lui expliquer que je ne veux plus me tromper. Lui dire que j'ai aimé à en perdre la raison et que ça m'a énormément coûté. Je voudrais qu'il sache que ça m'achèverait de me faire avoir à nouveau, mais au lieu de ça, je me tais.
— J'aimerai apprendre à mieux te connaître, Danika.
Nzambe na ngai*, il est trop chou !
— Désolée, je n'sais pas y faire.
— De quoi as-tu peur exactement ?
— Qui te dis que j'ai peur ?
— Si ce n'est pas de la peur, qu'est-ce qui passe alors ?
— Je...
— On a passé un moment extra et je pense vraiment que toi et moi, ça pourrait coller.
— J'crois que je n'suis pas prête, voilà tout.
— Je comprends. Je n'insisterai pas dans ce cas, annonce-t-il déçu.
Je suis à la fois soulagée et désolée, parce que Marcel a l'air d'être un bon gars. Gênée, par notre échange, je fais diversion :
— Et sinon, qu'est-ce que tu fais ici, toi ?
— La banque pour laquelle je travaille finance ce gala. Je pilote les opérations de partenariats, ajoute-t-il en souriant.
— J'comprends mieux. Bon... J'vais y aller.
— D'accord. T'as mon numéro, appelle-moi quand t'es prête.
J'émets un rire maladroit en guise de réponse.
Je me déteste d'être comme ça !
Marcel s'avance et s'arrête à deux millimètres de moi. Il me surplombe de son mètre quatre-vingt-quinze et sans que je ne sache comment, il atteint mon visage et dépose ses lèvres sur les miennes.
J'aime la sensation de volupté que ce baiser laisse en moi. J'ai envie d'hurler : « Oui ok Marcel, je suis prête tout de suite ! ». Pourtant, je n'en fais rien.
Tout ça parce que les bétabloquants de mon cœur m'empêchent de faire un pas en avant. Marcel se redresse et me libère de son étreinte. Mon regard se perd un court instant dans ses yeux vert-noisette.
Si je le fixe une seconde de plus, je serai capable de le suivre jusqu'au bout du monde.
Je me ressaisis et lui indique qu'il est temps pour moi de rejoindre mon crew. Il prend ma main droite et l'embrasse avec délicatesse.
— À bientôt Danika.
— À bientôt !
Je regagne les loges le cœur battant. Le débrief vient juste de commencer, j'ai du mal à me concentrer. Si je m'écoutais, je dirais que ce type me correspond. Malheureusement, à chaque fois que je me suis écoutée, ça a été la cata.
En fait, j'ai surtout pas envie de confier ma vie amoureuse à l'algorithme d'une Appli.
En réalité, j'ai besoin de temps pour restaurer mon cœur brisé. Je ne veux pas imposer mes insécurités à Marcel, il mérite une femme stable et épanouie. Avec moi, c'est loin d'être le cas !
*
[ Quelques semaines plus tard ]
Saleté de pluie !
Paris c'est bien, sauf lorsqu'il se met pleuvoir à torrent, alors qu'il faisait grand soleil cinq secondes avant. Évidemment, je n'ai pas mon parapluie et je me retrouve trempée jusqu'à l'os après qu'un conducteur pressé ait roulé sans précaution, sur une flaque d'eau géante.
J'ai la poisse, c'est pas possible !
J'aimerai rentrer chez moi, mais j'ai un rendez-vous que je ne peux plus esquiver. Cela fait un moment, qu'Anjali souhaite me présenter son nouveau crush. Un gars rencontré sur Match Your Love il y a peu et cette fois-ci, je n'ai pas le choix.
Ce Victor l'obsède ! Je m'inquiète parce que lorsque ma Jaja aime, ça déborde de partout.
Moi, l'amour dégoulinant, ça m'angoisse.
Mais voilà, Anjali est ma meilleure amie et la savoir heureuse m'importe plus que le reste. Impossible donc de lui servir l'excuse de l'averse, elle m'en voudrait terriblement.
J'observe mon reflet dans une vitre d'abribus, j'ai carrément l'air d'une plouc tombée dans la Seine. Je décide donc de m'arrêter dans une boutique afin me procurer des vêtements secs, ainsi qu'un parapluie.
La vendeuse me scrute d'abord avec dégoût, avant d'être prise de compassion quand je lui expose la situation. Elle m'aide même à me constituer un nouveau look. Cette dépense fortuite ne m'arrange pas du tout, mais je ne me vois pas arriver au rendez-vous comme une demie-clocharde. En plus, la connaissant, Jaja a dû dresser un tableau dithyrambique de moi. Je ne voudrais pas la faire mentir.
Ma dignité rétablie, je remercie la commerçante pour son aide précieuse et je m'engage hors de la boutique. Et comme un pied de nez fait à ma vie, le soleil réapparaît plus brillant que jamais dans un ciel bleu dégagé.
Si Jaja était là, elle me dirait : « Ça c'est le Karma, Bébé ! »
Heureusement, il me reste la danse. Dans ce domaine de ma vie au moins, tout va bien. Parce que pour tout le reste, Karma ou pas, il ne m'arrive que des tuiles !
Espérons qu'un de ces jours, l'horizon se dégage devant moi. En tout cas je l'espère fort. Moi aussi j'ai l'droit d'être heureuse !
***
*Nzambe na ngai signifie « Mon Dieu » en Lingala (dialecte Congolais)
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