Chapitre 2

— Attendez, vous dites que cette fille est votre sœur, mais que vous ne la connaissez pas ? lâcha Ella.

La légiste semblait un peu dubitative, et Chloé ne pouvait pas lui en vouloir. Lucifer avait déclaré que l'inconnue était de sa famille avec son habituel manque de tact. La jeune femme jeta un regard vers la possible adolescente, assise sur une table d'autopsie. La policière remarqua que la petite n'avait pas l'air dans son assiette. Les genoux repliés contre son torse, les mains serrées autour de la tête, elle vrillait des yeux hagards autour d'elle.

— Exactement, mademoiselle Lopez, affirma Lucifer. Je suis certain que cette fille est ma sœur.

— Ecoutez, Lucifer, je vous aime beaucoup, je ne peux pas vous laisser l'emmener sans certitude absolue qu'elle est bien de votre famille.

— Mais je ne veux pas l'adopter, je dis juste que c'est ma sœur, que vous ne perdiez pas votre temps à la chercher dans le registre des personnes disparues. Placez-la dans un foyer, ça ira très bien.

— Lucifer, je peux vous parler un instant ? intervint Chloé.

Ils sortirent de la pièce.

— Vous ne pouvez pas laisser un ange partir dans un foyer ! asséna-t-elle.

— Pourquoi pas ?

— Parce que cette petite a vraiment l'air traumatisée, et que si elle possède des capacités semblables aux vôtres ou à celles de votre frère, elle pourrait devenir dangereuse.

— Dans ce cas-là, je vais appeler Amenadiel, et il va régler le problème.

— Amenadiel vient de devenir père, il a d'autres chats à fouetter. Vous êtes la personne la plus à même de vous occuper d'elle.

— Non lieutenant. S'il était question de faire son éducation sexuelle, là, je serais le plus à même de la guider.

— Lucifer, je vous en prie. Vous reprochez à vous frères et sœurs de ne pas vous avoir aidés quand vous avez été bannis ? Ne refaites pas la même chose avec elle.

Le Diable soupira.

— Très bien... Mais je la confie à Amenadiel dès que possible.

Bon, c'était déjà mieux que rien.

Ils rejoignirent la salle où se tenaient la légiste et l'adolescente, qui à présent se balançait légèrement d'avant en arrière.

— Je retire ce que j'ai dit, mademoiselle Lopez, je vais m'occuper de l'avorton.

— Attendez, vous êtes bien sûr à cent pourcents que c'est votre sœur ? insista-t-elle.

— Oui.

Il montra du doigt la cheville de l'inconnue. Chloé remarqua qu'elle était ceinte d'un bracelet en argent, en apparence une tresse toute simple.

— C'est le genre de cadeau que mon père nous offre. Cherchez autant que vous voulez, vous n'en trouverez pas de semblable.

Ella réfléchit, puis se décida :

— Je vous donne mon accord le temps que je vérifie qu'elle est bien celle que vous dites. Je vous fais confiance, Lucifer, mais professionnellement, je peux pas. Le fait qu'elle ait un bracelet à la cheville, c'est pas suffisant, désolée.

— On peut toujours essayer de lui demander, tenta Chloé, notant que l'ange avait levé les yeux vers eux.

Elle se pencha vers l'adolescente, qui riva son regard dans le sien.

— Tu comprends ce que je dis ? demanda la policière.

L'inconnue hocha la tête.

— Génial, commenta Chloé avec un sourire rassurant. Est-ce...

L'ange opina de nouveau.

— Attends, je n'ai rien dit.

— Elle ne comprend peut-être rien, intervint Lucifer.

Cette fois, le témoin fit « non » de la tête, avec un geste éloquent du médium qui eut l'effet appréciable de surprendre le Diable. Puis elle montra l'ange déchu, de l'index cette fois.

« Oui. »

— Tu veux dire que c'est bien ton frère ? comprit la policière.

« Oui. »

— Le problème est réglé, alors, lâcha Ella, toujours aussi déroutée.

— Tu pourrais nous dire ton nom ? demanda Chloé à son interlocutrice.

« Non. »

— Tu n'arrives pas à parler ?

« Oui. »

— C'est pas grave. On va te montrer une liste de prénoms, et tu vas nous désigner le tien.

« Non. »

— Pourquoi ?

La petite eut un geste d'impuissance.

— Oh, désolée. Tu n'as pas le droit de nous le dire ?

« Non. »

— Tu ne veux pas le dire ?

« Non. »

— Tu... Tu ne le connais pas ?

« Oui. »

Lucifer, qui s'était désintéressé de la conversation au point de lire le dossier de l'affaire, leva un regard interloqué.

— Alors ça, c'est imprévu, lâcha-t-il.

— Ça te convient si on te donne un nom le temps de découvrir le vrai ? demanda la policière.

« Oui. »

— Lucifer, une idée ?

— Jamie ? proposa Ella.

— Pas question ! rétorqua Lucifer. Et c'est moi le frère, c'est à moi de la nommer, quand même.

Et dire qu'il y avait quelques minutes, il voulait l'envoyer dans un foyer...

— Parce que vous avez une meilleure idée, Lucifer ? intervint Chloé.

— Euh... Seth !

— C'est le nom du père de la victime que vous venez de lire dans le rapport, je me trompe ? soupira la légiste.

— C'est un beau nom.

— Un nom d'homme, fit remarquer Chloé.

— Les temps changent, il faut savoir évoluer ! N'est-ce pas, Seth ?

L'ange hocha la tête. Visiblement, ce nom lui plaisait.

— Donc, je peux la désigner sous le nom de Seth Morningstar dans le rapport ? demanda Ella.

L'adolescente acquiesça de nouveau, empêchant toute discussion de la part du Diable.

— Les examens sur elle ont donné quelque chose ? s'enquit Chloé.

— Je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai pas réussi à lui faire une prise de sang. Sinon, ce petit ange s'est prêté à tous les examens sans broncher. Et c'est pas beau à voir. Lucifer, les radios sont dans le dossier.

Le patron du Lux lui rendit les documents. Il ne sembla pas remarquer que sa sœur venait de pousser un gémissement en appuyant ses paumes contre ses tempes. Chloé serra doucement l'épaule de la petite pour l'apaiser.

— Regardez ça, lâcha la scientifique en montrant les photographies. Je n'ai jamais vu autant de fractures remodelées, et pourtant, j'en vois passer, ici, des malheureux.

— C'est cohérent avec les blessures d'un enfant battu ?

— Ça l'aurait été sans les brûlures et les entailles... Pour ne pas parler des griffures et morsures. Ça ressemble à de la torture.

Seth secoua vigoureusement la tête.

« Non, non, non, non, non. »

— Seth, tu peux nous dire la vérité, on te protégera, tenta Decker.

La protéger de quoi, Chloé ? De Dieu ou je ne sais quelle autre entité céleste ? Du haut de tes misérables facultés d'humaine ?

Lucifer semblait penser la même chose, mais ne dit rien.

« Non » répéta l'adolescente.

La policière se rembrunit. Elle avait vu assez d'enfants battus dans sa carrière pour savoir que certains craignaient trop leurs bourreaux pour avouer être victimes de maltraitance.

— Autre chose, Ella ? demanda-t-elle.

— Aucune trace de viol ou d'agression sexuelle, quelle qu'elle soit. L'imagerie montre que les ailes sont bien des vraies. Elle possède des muscles surnuméraires permettant de les bouger. Au fond, la thèse du docteur Hodgins me semble de plus en plus intéressante. Enfin, pour ce qui est de la manipulation génétique.

— Hodgins ? répéta Lucifer. C'est le nom du frisé ? Qu'est-ce qu'il fait là, d'ailleurs ?

— Il travaille pour l'institut Jefferson à Washington, dans une section collaborant avec le FBI. Il a une réputation de génie en ce qui concerne l'entomologie, les excréments animaux et tous les composés organiques ou non que l'on peut trouver sur un cadavre. La victime est assez haut placée, et quelqu'un dans les hautes sphères a demandé à ce qu'Hodgins vienne aider. Il a accepté au pied levé.

— La victime était haut placée ? répéta Chloé.

— Pas qu'un peu. Nicholas Compton, quarante-six ans, directeur d'une entreprise de textile, Butterfly, spécialisée dans les vêtements de luxe inspirés des animaux. Une affaire florissante lui ayant rapporté des millions. Il était très influent sur le plan politique, mais il se bornait aux réseaux sociaux pour véhiculer ses idées. Casier judiciaire vierge, marié, trois enfants. Il était fils unique, et ses parents sont morts depuis quelques années. Le sang retrouvé sur Seth était bien le sien, mais la localisation des blessures rend encore plus improbable la possibilité qu'elle l'ait tué. Sa taille ne correspond pas.

— On n'a pas retrouvé l'arme du crime ?

— Non, mais vu les blessures, il s'agissait d'un couteau à viande comme on en trouve dans les grandes surfaces. La victime a été tuée dans le parking, et n'a pas été déplacée.

— Etrange. Un meurtre au couteau de cuisine évoquerait plus un homicide non prémédité... Mais ça ne colle pas avec le lieu du crime...

La policière réfléchit.

— Seth, est-ce que tu connai...

Elle se figea. L'adolescente n'était plus là.

— Evidemment ! s'agaça Lucifer. Vous voyez ce que je subis, avec une fratrie pareille ?

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