72 命運多舛的戀人 Star-Crossed Lovers

Yuya et Mastani passèrent un pont de béton abandonné, une vieille ruine datant de l'Ancien Monde, et traversèrent les débris fumants d'une ancienne ville aux portes des montagnes. Ils n'y trouvèrent aucune âme qui vive.

Puis ils partirent par une route qui serpentait dans les collines, de plus en plus escarpées. Lorsqu'ils arrivèrent aux premiers sommets, ils découvrirent la vallée de Balasagun en contre-bas, d'où émanaient de grands voiles de magie bleue qui volaient haut dans l'atmosphère. 

Des résidus de sorts, d'invocations qui s'évaporaient lentement, montant vers le firmament au milieu des âmes de défunts. 

— C'est... terrifiant, murmura alors Yuya en se retransformant en homme. 

Sous leurs yeux, trois immenses armées se livraient bataille. Les armes de lumière des troupes du Kopet Dagh brillaient dans les lueurs bleutés du crépuscule, lançant des éclairs semblables aux rayons du soleil qui traversaient la nuit naissante. 

Des flammes et de grands boucliers lumineux émergeaient dans l'affrontement direct où les uniformes noirs du Dongnan apparaissaient clairement en première ligne.

Partout dans la vallée résonnaient les hurlements, les ordres, les claquements des armes, les sifflements des flèches et les coups de tambours de guerre. Un grand cor sonna depuis les montagnes au sud, annonçant l'arrivée de la cavalerie du Kopet Dagh.  

Face à eux, les Loups et leurs troupes de sorciers semblaient reculer, surpassés par la puissance des Sans-Pouvoirs et le nombre de Dongnaniens. 

— Je croyais que le Kopet Dagh ne se mêlerait plus des histoires des Loups, déclara Yuya en riant, soulagé de voir leur camp si proche de la victoire. 

— Ce ne sont que des armées d'hommes, gamin. Tu n'as encore rien vu des Loups... Ils sont organisés, et leur repli est totalement maîtrisé.  

Mastani semblait soudainement plus hésitante. 

— J'ai hâte de participer... Maître, ne vous laissez pas envahir par les doutes, nous devons faire ce qui est juste. 

Elle hocha la tête, pensive, et posa sa main droite dans son dos. Quelque chose n'allait pas. Le bossman préparait ces instants depuis des mois, il n'était pas normal qu'il se laisse faire sans réagir. De plus, elle n'avait encore vu aucun Esprit dans la bataille... 

Munetoshi gardait des cartes sous sa manche.

— Esprit du mont Watasabe. Donne-moi ta vue.   

Elle sentit la force brûlante du dragon remonter le long de sa nuque et prendre possession de son œil droit.Un monde bleu et violet lui apparut soudainement, dans lequel des rayons irisés se diffusaient depuis une large faille dans le sol, au milieu des armées. 

— Voilà pourquoi ils se replient... Ils essayent de concentrer leurs ennemis là où se trouve la fissure...

— Pourquoi cela ? 

— Pour que quand elle commence à s'ouvrir, ils soient immédiatement envoyés dans l'Autre Monde. La plupart de ces gens sont des Sans-Pouvoirs et des petits sorciers. Ils ne tiendront pas le choc... Ce sera comme si un gouffre béant s'ouvrait au milieu du champ de bataille. 

— Merde... Et il y a de plus en plus de monde là-bas ! Les troupes arrivent de tous les côtés !

— Il faut aller prévenir Aelius, déclara Mastani. Yuya, tu peux te transformer en aigle et le rejoindre. Il faut faire vite !

— Et vous, Maître ? 

— Je dois trouver Munetoshi... On se rejoint après, j'aurai besoin de toi pour l'affronter. 

Yuya regarda son maître dans les yeux sans répondre. Il savait qu'elle ne voulait pas qu'il la rejoigne. Elle disait cela pour qu'il parte avec la certitude qu'il... qu'il aurait été assez fort lui-même. Pour ne pas qu'il se sente exclu... Elle voulait l'affronter seule. Parce qu'elle savait qu'il y avait beaucoup de chances pour qu'elle n'en revienne pas.

— Maître, je sais ce que vous voulez faire... Et je refuse de vous laisser y aller seule. Je sais que vous êtes puissante, mais vous ne ferez pas le poids si—

— Si le Kopet Dagh n'est pas là pour assurer mes arrières. Yuya, dit-elle en l'attrapant par le bras, depuis notre rencontre, je t'ai vu grandir, j'ai fait ce que j'ai pu pour t'aider à comprendre ce monde et à y trouver ta place... et aujourd'hui c'est à toi de la faire, de devenir le maître de ton propre destin, et d'aider les futures générations de sorciers, de chamans. Ils auront besoin de tout ce que tu sais, de ta patience et de ta tempérance. 

L'étudiant comprit soudainement qu'il s'agissait là d'adieux. Il agrippa les bras de son maître et sentit les larmes couler le long de ses joues. 

— Maître, ne m'abandonnez pas...     

Elle ferma les yeux et le serra brusquement contre elle. 

— Yuya, je suis l'envoyé de la Destruction ici-bas, mon rôle n'est pas de construire, et je n'ai pas peur d'en finir. Il est temps que l'ère des Loups s'achève, et j'en fais partie. S'il te plaît, pars et laisse moi terminer ce que je dois achever. C'est mon rôle. Je... j'ai besoin de te savoir en sécurité pour pouvoir me battre vraiment. Va retrouver Aelius, c'est un homme bon qui saura te protéger.

Il s'écarta d'elle pour la regarder une dernière fois.

— Maître, qu'est-ce que je vais faire, sans vous ? 

— Rouler sur l'or et les crânes de tes ennemis, Yuya, je l'espère dit-elle en lui lançant un dernier sourire. Souviens toi que...

Elle ne termina pas sa phrase en baissant la tête pour cacher ses larmes.

— Non, ne te souviens pas trop de moi. Ça... j'ai jamais apporté rien de bon sur cette terre. Ça sera mieux comme ça, pour tout le monde, dit-elle finalement, en se retournant vers les montagnes. 

Elle s'éloigna d'un pas rapide et ralluma sa moto avant de l'enfourcher.

— Je me souviendrai de Mastani quand j'aurai un verre à boire, et je vous appellerai pour vous payer ma tournée ! cria Yuya, parce qu'on se reverra, Maître !       

Il essuya une dernière larme au coin de son œil et se transforma en rapace, partant immédiatement vers le sud. 


Mastani ne le regarda pas s'éloigner. Le cœur serré, elle conduisit sa moto sur encore un kilomètre, pour s'éloigner des combats. 

Lorsque les cris et les roulements de tambours ne furent plus qu'un écho lointain qui résonnait entre les montagnes, elle s'arrêta au fond d'une vallée encaissée où la végétation avait envahi les ruines d'un village de bergers. 

Là, elle descendit de sa moto et inspira profondément avant de prononcer ce nom d'une voix forte:

— Munetoshi Rokkaku.  

Un vent froid parcourut les montagnes, et la sorcière croisa les bras pour qu'il arrête de faire voler sa veste. Une forme fantômatique commençait à se dessiner devant elle, comme si la brume se densifiait. 

Le bossman en émergea doucement. Il avait revêtu son long manteau de kimono orné de dessins d'Outremer brodés et tenait ses cheveux noirs attachés à l'arrière de son crâne. Ils avaient poussé et sa barbe aussi depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, signe que son corps avait été en contact avec des sources de magie pures. 

Il resta à quelques mètres de la sorcière, comme s'il hésitait à s'approcher, malgré le sourire doux sur ses lèvres.

— Qu'est-ce que tu as ? Je te fais peur, Rokkaku ? grinça Mastani avec un rire amer. 

— Je n'oserai plus t'approcher sans ton consentement. 

Elle s'avança vers lui, le fixant les yeux dans les yeux, pleine de défi. Elle s'arrêta à moins d'un mètre, et contempla son visage sombre. 

— C'est que tu n'as rien compris. 

Brusquement, il la saisit par la taille et l'embrassa, d'abord froidement, puis plus tendrement, alors qu'elle serrait ses bras dans son dos pour se coller à lui. 

Elle frotta son visage contre le sien pour sentir son odeur, une fragrance d'iode, mêlée à la fraîcheur du santal et de la sève du pin rouge d'Outremer. 

Elle se plongea dedans en fermant les yeux et il la pressa plus fortement contre lui en caressant ses longs cheveux.   

Elle sentait ses pouvoirs devenir plus forts, plus impétueux lorsqu'ils entraient en contact avec son champ magnétique. Tout son corps se chargeait d'une énergie débordante, se gonflant d'un pouvoir qu'elle n'était pas sûre de pouvoir retenir de sa chair fragile. 

Alors qu'elle se sentait prête à déflagrer comme une étoile, il desserra son étreinte pour la regarder dans les yeux.

— ... mais tu es enfin là, soupira-t-il comme s'il répondait à ses propres questions. 

Elle vit dans son regard un tourment profond, une forme d'instabilité pleine de doutes et de regrets. Même si la présence de la sorcière le réconfortait, il était nerveux. Il ne s'était visiblement pas attendu à tant d'acharnement de la part du Kopet Dagh. 

Lentement, Mastani baissa la tête en saisissant sa main avant de la relever vers lui.

— Il est encore temps d'arrêter, Munetoshi. Tant qu'il existera deux mondes, il y aura toujours un endroit où nous pourrons fuir, trouver un refuge et être ce que nous sommes sans être jugés par les Hommes. Laisse tomber ton plan et partons. 

Il s'esclaffa tristement et saisit la main de la sorcière pour l'embrasser. 

— Je ne veux plus fuir comme nos ancêtres. C'est ce refus d'apparaître aux yeux du monde qui a causé la chute de ton clan, comme du mien... Le monde ne doit plus tomber aux mains de tyrans qui se lancent dans une course à l'armement pour dominer les autres. 

— Les Sans-Pouvoirs ont le droit de se défendre, ils ont le droit d'être libres... 

Qu'est-ce que ça pouvait lui faire au fond ? Ces gens représentaient seulement des inconnus, des êtres différents qui l'avaient toujours forcé à vivre en paria.

Il la serra dans ses bras et plongea son visage dans sa nuque. Elle tressaillit en sentant des larmes couler dans son cou.  

— Tu es tout ce qui me reste, Mastani. Tyros et La Sirène sont morts... Il n'y a plus de Loups des anciens clans... Nous ne sommes plus que tous les deux, toi et moi. Et... je ne veux pas t'affronter...

Il retira ses bras en baissant la tête, et dans leur éloignement soudain, elle sentit le vide immense qui l'habitait, la solitude et la tristesse dans laquelle il vivait constamment. 

C'était un sentiment insupportable, auquel elle ne savait pas comment réagir. Sa colère, son obstination et son optimisme avaient toujours eu raison de toutes ces émotions froides et terribles, et c'était la première fois qu'elle les ressentais vraiment.

— Munetoshi, ce n'est pas le monde qu'il faut sauver... c'est toi, dit-elle en essayant de le rattraper par la main. 

Il commençait à se dissiper comme un fantôme.

— Nous nous retrouverons dans le Nouveau Monde, Mastani, je te le promets, dit-il en disparaissant. 

— Non ! Munetoshi ! Reste avec moi ! cria-t-elle alors qu'elle se retrouvait à nouveau seule dans les montagnes. Ne... ne me laisse plus seule... 

Elle ferma les yeux et passa une main sur son visage pour essuyer ses larmes. Merde, ce n'était pas possible. Il disparaissait une fois de plus, la laissant seule avec ses dilemmes. Elle se sentait à présent envahie du même sentiment de vide infini que lui. 

— Merde, et qu'est-ce que je fais maintenant ? 

...

Maintenant, il est temps que tu viennes en aide aux tiens. Tu veux revoir Munetoshi ? Tu veux que ton disciple survive à cette guerre ?  tonna soudainement une voix sombre, sortie d'un autre monde.     

Mastani frémit en reconnaissant l'empreinte magique de l'Esprit qui venait de parler. L'Empereur du Ciel Sombre,  le dieu noir du bossman. 

— Tiens tiens... Tu peux parler maintenant ? On a réussi à t'offrir la liberté ? 

Il est temps pour toi d'œuvrer au destin de tous les Esprits, Reine du Royaume Terrestre...   

— Je n'ai aucune allégeance envers toi, dieu de l'eau. Même dans le Monde des Esprits, tu devras répondre de tes actes lorsque tu auras dérégler l'ordre des Deux Mondes. 

Il y aura un ordre nouveau, Mastani. Et j'en serai la clé. Maintenant rejoins la plaine de Balasagun et libère le monde de ses chaînes, déchire le Voile...

  — Je vais me rendre à Balasagun, dieu de mes deux... Et je vais cogner si durement tous tes fidèles qu'on oubliera tout de toi, jusqu'à ton nom ! 

D'un coup de pied, elle ouvrit le sol en deux et s'y plongea entièrement. Elle se propulsa à travers la terre dans un rugissement tellurique, qui fit trembler les montagnes. L'onde de choc fut si puissante qu'on sentit un séisme même au milieu de la bataille qui faisait rage à quelques kilomètres de là.   

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