71 APOLLO SAVROCTONE L'Apollon Tueur de Serpent
La tempête... Un mur de sable, d'eau, de vents brûlants roulait sur le désert, comme les rouleaux d'une vague qu'aucune digue ne saurait arrêter.
Hudson sentit sa jument s'emballer et tira sur les rênes pour lui faire relever la tête. Elle piaffa d'impatience en soufflant bruyamment et se mit à racler le sable de ses sabots.
— Tu as hâte d'en finir avec lui ? Moi aussi, souffla le Centurion.
Il se rappelait trop bien du sorcier à la barbe blonde qui avait envoyé Moira voler par-delà les ruines de l'université Kunlun. Il était temps que cet enfoiré paye pour ses crimes. Un des derniers Loups a avoir obéi aux ordres des précédents bossmen, l'un des seuls à avoir échappé au courroux d'Aelius... Sa simple existence était un affront à l'Imperator.
Il leva son bras tenant son épée, et la pointa vers la vague qui fonçait sur eux.
— Sixième Cohorte, il est temps de prouver votre courage au Kopet Dagh ! Ne laissez aucun de ces chiens contempler l'aube ! Qu'ils périssent tous ce soir, criblés des flèches du Fils du Soleil !
— Pour l'Imperator ! crièrent tous ses archers en levant à leur tour leurs épées.
En poussant un hurlement de rage, Hudson talonna sa monture qui partit à l'assaut des dunes. Il sentit autour de lui la présence des cinquante hommes avec lesquels il s'était entraîné pendant des semaines.
Cinquante guerriers venus du monde entier, prêts à décocher les flèches de lumière imprégnées d'un phosphore magnétique qui avait pour propriété de limiter la Magie et de se répandre dans le système sanguin. Ces flèches solaires feraient tomber les Loups du ciel, avant qu'ils n'aient le temps de dévorer les astres, avait dit l'Imperator.
Les cavaliers s'élancèrent sur l'étendue de sable, se rapprochant de plus en plus du mur mouvant. Hudson serra les dents et rangea son épée pour armer son arc et préparer trois flèches entre ses doigts, comme on lui avait appris à l'entrainement.
Il ferma les yeux une fraction de secondes pour concentrer ses sens de Pisteur sur la magie qui animait la tempête. Il sentait la fureur, la puissance phénoménale que Tyros prélevait directement de l'Autre Monde grâce à une fissure non loin... Il n'était pas seul. Il y avait une centaine de Loups avec lui, qui avançaient à cheval à l'arrière du mur. Une équipe de nettoyage, chargée d'éliminer tous les soldats que la tempête n'aurait pas éliminée.
Ils n'étaient plus qu'à une centaine de mètres, et les cavaliers pouvaient maintenant entendre le déferlement des éléments qui s'écrasaient contre le sol avant d'être à nouveau soulevés par le vent comme un gigantesque rouleau-compresseur de sable et d'eau.
Hudson pouvait sentir le sens rotatif des vents magiques à l'intérieur de la tempête. Il hurla ses ordres à ses hommes une dernière fois, avant que le sable l'empêche d'ouvrir la bouche. Une centaine de sorciers à cheval. Diviser les archers en deux groupes. Attaquer en cisaille. Eviter Tyros. Le Centurion se chargerait de lui.
Il leva son arc vers la source de magie qu'il sentait au-devant.
Il tendit la corde de toute la force de ses bras, jusqu'à ce que sa main qui tenait la flèche n'arrive à hauteur de son aisselle, et décocha une flèche de phosphore.
Sans même attendre de voir si elle touchait sa cible, il tendit à nouveau son arc et tira une nouvelle fois, puis une troisième. Les trois flèches disparurent les unes après les autres dans la tempête et il dut attendre une fraction de secondes pour voir les lumières pâles de trois explosions au fond de ce mur de sable.
Il n'était plus qu'à cinquante mètres, et l'impact avec le mur semblait maintenant inévitable.
Hudson serra les dents. Est-ce qu'il avait bien calculé la trajectoire du vent pour savoir ce qu'allaient toucher ses flèches ?
Pour toute réponse, il vit la tempête faiblir soudainement, et le sable se mettre à tomber en cascades, alors que les vents n'étaient plus assez puissants pour le soulever. Il entendit le bruit sourd d'un monstre gigantesque qui tombait au sol, mortellement touché.
Oui, il avait fait mouche.
D'un geste ferme, il ralentit sa monture et fit signe à ses hommes de faire de même.
— Armez vos arcs ! cria-t-il maintenant qu'il avait tout le temps de le faire.
Le mur tomba dans le bruit assourdissant des centaines de tonnes de sable qui roulaient sur les dunes. Mis à nu, une centaine de sorciers apparurent derrière les torrents de sable, à une trentaine de mètres d'eux.
Ces pauvres idiots ne s'étaient pas encore préparés, ils ne s'attendaient pas à ce qu'un de leurs généraux ne tombe aussi facilement. Ils méprisaient les Sans-Pouvoirs et ne s'attendaient pas à ce qu'ils représente un quelconque danger.
— Tirez !
Comme si le soleil avait soudainement pointé ses rayons sur les Loups, une volée de flèches lumineuses transperça instantanément des dizaines de Loups. Ils tentèrent de dresser des boucliers magiques, comme ils en avaient l'habitude face aux autres sorciers, mais les projectiles au phosphore traversèrent implacablement toutes les barrières énergiques pour transpercer leurs cibles.
Profitant de l'avantage de cette surprise, Hudson donna l'ordre de lancer une deuxième volée. Ses hommes tenaient eux aussi plusieurs flèches entre leurs doigts, habitués au même entrainement au tir rapide.
La deuxième salve fit encore plus de morts, alors que ses soldats avaient leur champ de vision totalement dégagé et qu'ils profitaient de l'effet de panique que provoquaient leurs armes.
— Tirez ! cria une troisième fois Hudson, pour voir les sorciers restants à l'arrière se cacher derrière les cadavres de leurs montures et de leurs frères.
Le Centurion eut un sourire noir. Voilà, ce à quoi ressemblait une guerre. Des morts, du sang, des boucliers humains, et aucune magie, aucun sortilège pour s'assurer la domination totale. Ces sorciers, comme ceux que Zhang Hui avait si bien formé, tombaient de haut.
Ils n'étaient rien.
Ses hommes chargèrent les Loups restants, les chassant jusqu'aux derniers.
Hudson se tourna vers l'Esprit de la Foudre qui commençait à se dissiper dans l'air, alors que son invocateur le caressait une dernière fois, agenouillé à ses côtés.
Tyros portait le blouson noir des Loups et s'était couvert le visage de peintures de guerre bleues, mais ses larmes avaient coulées dessus, créant de longues traînes pâles en-dessous de ses yeux.
Il se releva d'un bond en voyant Hudson approcher à cheval, sortant une flèche du carquois accroché à sa selle.
— Toi ? s'écria Tyros en montrant l'Esprit qui mourrait, c'est toi qui a fait ça ?
— J'ai transpercé ton serpent, oui sorcier. Comme j'ai tué La Sirène, comme je vais te tuer aussi...
— Tu n'as pas tué La Sirène, sale menteur, cracha Tyros en condensant la magie autour de lui, il s'est laissé mourir pour te protéger, lâche ! Tu lui dois la vie, et tu essaies de t'attribuer la gloire de sa mort !
D'un seul coup, il libéra la puissance de ses éclairs et Hudson décocha une flèche qui absorba toute l'attaque. Son cheval se cabra et il le talonna pour qu'il fonce sur Tyros. Il sortit son épée phosphorescente et la pointa vers le Loup.
— Tu n'as pas compris, Tyros ? Toi et ta secte, vous n'en avez plus pour longtemps. Vous mourrez les uns après les autres, et votre Magie ne vous sauvera pas.
— C'est ce que tu crois ? Mastani est en route, peu importe qui meurt à présent... Le Monde du Soleil Bleu émergera bien et les Loups dévoreront les étoiles !
Le sorcier lança ses éclairs non pas sur Hudson mais sur sa monture. Son adversaire était peut-être protégé d'une cote de maille anti-magie, mais son cheval ne l'était pas du tout.
L'animal poussa un hennissement de souffrance et tomba raide mort, écrasant la jambe du Centurion de tout son poids.
Hudson se retrouva prisonnier de sa jument, et la douleur intense qui en suivit le crispa totalement, jusque dans sa mâchoire qu'il ne réussit plus à desserrer. Il avait la jambe cassée.
Il vit Tyros s'avancer vers lui. Merde. Son épée avait glissé sur la dune, un peu plus bas. Il fallait qu'il gagne du temps.
— Mastani ? Qu'est-ce que tu racontes ? Jamais cette sorcière ne se battra pour vous ! Elle a déjà failli te tuer, et elle finira le travail et—
Tyros posa un pied sur le corps de la jument et Hudson poussa un cri de douleur.
— Non, mais elle sera contrainte d'ouvrir la Fracture. Elle est la seule à pouvoir le faire. Et notre bossman sait comment l'y contraindre. A l'heure où je te parle, elle est en chemin, et d'ici quelques jours, le Voile se déchirera.
— Putain de merde... siffla Hudson tremblant de douleur, le Kopet Dagh vous réduira en cendres bien avant...
— Je ne sais pas ce que La Sirène a pu voir en toi, mais tu n'as pas d'avenir dans le prochain monde. Aucun de tes Sans-Pouvoir n'en aura. Seul les sorciers survivront, sous le règne de la Reine des Puissances Terrestres et du Roi des Forces Célestes.
Il tendit la main pour faire charger un nouvel éclair dans sa paume. Un dernier pour immoler le Centurion.
— Ferme ta gueule, avec tes conneries évangélistes... grogna Hudson en sentant ses forces le quitter peu à peu.
— Vous aurez beau vous battre jusqu'au bout, la sorcière Mastani et le bossman régneront...
Hudson vit alors l'électricité, les fibres lumineuses dans la main de Tyros qui grandissaient. Il ne ferma pas les yeux. Il les laissa grands ouverts, prêts à affronter la mort.
S'il mourrait aujourd'hui, c'était en tant que Centurion du Kopet Dagh, en étant le héros dont il avait toujours rêvé. Ses hommes étaient en train de décimer les Loups, et ils couvraient la retraite de l'Imperator. Il avait accompli sa mission...
Mais est-ce que cela serait suffisant pour sauver le monde ? Alors qu'il faisait face à sa propre mort, il sentait l'ombre d'un doute l'assaillir. Et si... et si le Kopet Dagh n'était pas suffisant pour préserver les Hommes du Soleil Bleu ?
Il se mit à respirer bruyamment et glissa une main sous la selle pour essayer d'extraire sa jambe.
— Une dernière tentative de survie désespérée ? se mit à rire Tyros, vas-y, Centurion, rends-toi ridicule jusqu'au bout !
Hudson se mit à gémir de douleur alors que la selle lui broyait les os.
— Bon, tu m'as assez fait pitié, maintenant—
Avant qu'il n'ait pu finir sa phrase, le Centurion sortit une flèche brisée du carquois sous la selle et transperça la main du sorcier.
Tyros poussa un hurlement de douleur et avant qu'il n'ait pu répliquer de l'autre main, Hudson retira la flèche pour le tirer vers lui, le laissant l'écraser de tout son poids, et lui planta la pointe de phosphore dans le cœur.
Tyros mourut sur lui en quelques secondes, vomissant du sang sur le visage du Centurion qui n'arrivait toujours pas à se dégager.
Impuissant, il passa de longues minutes à fixer le soleil du désert, ne pouvant qu'écouter les cris et les fracas des armes contre les sifflements des sorts par-delà la dune où il était coincé.
Sentant le soleil commencer à lui brûler les yeux, il tenta de tourner la tête vers le sable et vit alors un cavalier approcher.
— Centurion ! Hé, par ici ! J'ai retrouvé le Centurion !
Le galop sourd de chevaux dans le sable résonna dans la tête d'Hudson. Était-ce le soleil qui lui jouait des tours ? Un mirage ?
— Aidez-moi à soulever le cheval !
Il sentit le poids sur son corps disparaître soudainement.
— Centurion ? Vous allez bien ?
— Ma... ma jambe...
— Il faut qu'on rattrape le reste des troupes rapidement, le Centurion a besoin d'un médecin !
— Prenez les chevaux restants, tout le monde est là ?
— Combien... combien de morts ? demanda Hudson en se sentant submergé par la douleur.
— Douze, Centurion. Mais nous avons totalement éradiquer la menace. Est-ce que vous voulez qu'on prenne la tête du général des Loups de Midgard ? L'Imperator sera très satisfait...
— L'Imperator... Je dois... je dois le prévenir...
— Nous allons le rejoindre.
— Je dois lui dire que... que le bossman n'est pas notre seul ennemi.
— Qu'est-ce que vous dites ?
— Il faut aussi tuer la sorcière. Il faut tuer Mastani.
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