67 假道伐虢 Utiliser les ressources d'un allié pour combattre l'ennemi commun
Hudson saisit une épée de bois sur un râtelier et s'avança face au centurion qui se dressait devant lui. Il esquissa un bref sourire que ne lui rendit pas son adversaire. Il fit la moue, déçu du manque d'agressivité du centurion en face.
En tant que petit nouveau parmi les officiers supérieurs, il était normal qu'il soit dénigré sans cesse. Il n'en attendait pas plus d'un centurion né et éduqué au Kopet Dagh qui devait le trouver bien barbare et faible...Mais non, au lieu de ça, son adversaire le traitait avec un professionnalisme froid et maîtrisé.
Ce dont Polius n'avait encore qu'un pressentiment infime, issu de son habitude à évaluer ses ennemis, c'était qu'Hudson n'avait absolument plus rien à perdre sur cette terre, ce qui le rendait bien plus redoutable qu'il ne l'avait jamais été.
La seule tension, la seule idée qui le maintenait encore en vie, c'était la mort des Loups, et c'est ainsi que l'Imperator l'avait formé. Il avait orienté toute sa colère, toute sa souffrance et son incompréhension vers un seul objectif: devenir assez fort pour conduire le Kopet Dagh à Balasagun.
Le centurion Polius s'avança sur le sable, faisant tourner son bâton au dessus de lui pour créer une zone inaccessible, dans laquelle il pouvait frapper sans risquer d'être atteint par une épée courte.
Sans même attendre, Hudson se mit à courir dans sa direction et bondit sur lui. Il fut repoussé d'un simple coup de bâton et s'écroula au sol. Le bruit de son impact fut couvert par les acclamations de la Première Cohorte.
Polius lui-même eut du mal à masquer sa satisfaction devant ce coup d'éclat trop facile.
Dans l'assemblée, seul les hommes de la Sixième Cohorte restèrent de marbre. Ils fixaient leur chef. Leurs visages tous si différents, aux teintes et aux formes variées, étaient crispés dans la même expression de honte et de rage.
Hudson se releva difficilement, essoufflé, son dos raidi par la nuit blanche qu'il venait de passer. L'Imperator avait raison, il ne manquerait plus les échauffements du matin...
Il tourna la tête vers le Seigneur de Guerre et celui-ci lui sourit discrètement. Il avait compris, lui. Il savait qu'une bonne attaque pouvait nécessiter un sacrifice.
Il se retourna vers Polius qui tournait autour de lui comme un loup attendant de trouver le bon angle d'attaque.
L'ancien détective fit quelques moulinets avec son épée en restant concentré sur son adversaire. Il avait changé de garde. Il tenait à présent son bâton de travers, les deux mains posées dessus, de la même façon qu'il l'avait repoussé auparavant, s'apprêtant à reproduire son geste... Estimant à tord qu'Hudson serait trop bête pour attaquer différemment, comme s'il avait déjà percé à jour son jeu.
Hudson esquissa un sourire. Voilà le point sur lequel la condescendance du Premier Centurion apparaissait clairement. Sans le dire ouvertement, il ne croyait pas cet étranger capable d'un stratagème plus élaboré.
Il limitait son champ d'action et la force de déploiement dont pouvait bénéficier le bâton s'il l'empoignait plus bas. C'était tout ce dont Hudson avait besoin.
D'un seul coup, il fonça à nouveau sur Polius, comme s'il allait retenter la même attaque en se jetant sur lui. Mais alors qu'il arrivait à portée de son bâton, il ralentit brusquement en laissant ses pieds glisser, soulevant le sable en jets qui vinrent masquer la vue de Polius un bref instant.
Hudson en profita pour le faire baisser sa garde d'un coup de pied puissant sur le bâton et lui asséna un coup de pointe de son épée dans sa cuirasse. Estomaqué, le centurion recula dans la poussière et mit un genou à terre.
Les hommes de la Sixième se mirent à pousser des cris de joie et Hudson se redressa pour tendre la main à son adversaire. Encore essoufflé, Polius la saisit et se releva à son tour pour le remercier du regard, sans aucune animosité. Le Centurion de la Cohorte d'Auxiliaires venait de lui enseigner l'humilité et l'anticipation.
— Tu te bats comme un fauve, Centurion, le félicita Polius en le gratifiant d'une tape dans le dos.
— Je n'aurais eu aucune chance contre toi sans tout ce sable, Centurion Polius, répondit-il humblement.
— Ah... ce satané sable... C'est l'arme des stratèges depuis la nuit des temps. Et ce sera notre premier adversaire pour nous rendre à Balasagun...
— Oh non, intervint soudainement l'Imperator en désignant le ciel de sa main droite. Notre premier adversaire sera la pluie...
Hudson vit la foule de centaines d'hommes qui levaient tous la tête simultanément et frémit, impressionné par la synergie générale qui animait tous ces soldats. Il leva à son tour la tête et vit au loin d'immenses nuages noirs qui se dressaient au-dessus du désert.
— De la pluie en plein hiver ? demanda quelqu'un dans la foule.
— C'est un sort des Loups, répondit Aelius en se tournant vers le nord. Ils veulent nous retarder en nous mettant la météo à dos...
Ils virent alors d'immenses éclairs zébrer le ciel par intermittence, alors qu'une forme gigantesque, serpentant comme un dragon, semblait s'y tapir.
— C'est Tyros et ses Esprits de Foudre, comprit Hudson.
Il se tourna vers l'Imperator, attendant sa réaction. Aelius resta droit, fixant le ciel d'un air sombre, tandis que tous se tournaient vers lui. Suivant le protocole en cas d'attaque, deux écuyers apparurent, lui apportant son armure et sa cape pour le préparer au combat.
—Nous venons de recevoir le ravitaillement... Et tous nos hommes sont prêts au combat, dit-il en lançant un regard à Hudson, il est temps pour nous de partir à la rencontre de l'ennemi. Qu'on aille me chercher l'émissaire du Dongnan. Et les officiers des transmissions.
Sans discuter, quatre soldats s'écartèrent du groupe pour aller chercher ce qu'il avait demandé, et les centurions, Hudson, Polius et deux autres qui étaient venus en spectateurs, s'approchèrent de l'Imperator.
— Doit-on ordonner de plier le camp ? Il nous faudra une demi-journée pour ranger et préparer tout le matériel, déclara un officier.
— Cela n'a pas d'importance. Tant que nous avons les vivres et les munitions, nous pourrons tenir jusqu'à la guerre. Tout n'est plus qu'une histoire de rapidité à présent. Il faut savoir oser et calculer à la fois, ne pas s'enfermer dans un plan arrêté, profiter des occasions et des circonstances...
— ... et ne faire que le possible, continua Polius en hochant la tête.
Ces mots, tous les hommes du Kopet Dagh les connaissaient. Ce n'étaient pas ceux de l'Imperator, ils avaient appartenu à un empereur de l'Ancien Monde, connu pour ses victoires et plus encore pour sa grandeur dans la défaite. Le Seigneur de Guerre se les était appropriés dans son propre essai sur l'art de la guerre, De Ars Belli et leur étude était obligatoire pour tous les officiers supérieurs.
Hudson les avait lus tous les jours. Les termes étaient peut-être un peu pompeux, poussiéreux, et déliés de toutes réalités concrètes, mais c'était dans la bouche de l'Imperator que ces mots retrouvaient leurs dorures impériales et leur valeur martiale.
— Oui, préparez vos cohortes en ordre de marche. Nous n'avons pas une demi-journée. Abandonnez les tentes et tout ce qui ne servira pas au combat. Ils veulent nous ralentir dans les dunes en les gorgeant d'eau et en provoquant des orages... Nous allons donc passer par les montagnes plus à l'est.
— C'est le territoire du Dongnan, Seigneur, intervint Polius.
— Exact. Nous allons demander à notre allié de nous y rejoindre et de nous prêter main forte. Cela nous donner un aperçu de sa vitesse de déploiement.
Tous acquiescèrent. C'était exactement ce qu'ils avaient besoin de savoir sur les nouvelles armées de sorciers préparées par le Dongnan. Ils les savaient faibles et mal entraînés, mais ils ignoraient tout de leur capacité de déplacement.
Et une guerre éclair d'un assaillant faible pouvait faire d'immenses dégâts sur des endroits stratégiques. Cette tactique leur permettrait d'arriver à Balasagun plus rapidement, épaulés des sorciers, mais aussi de préparer les guerres futures.
— Zhang Hui va s'en apercevoir, intervint alors Hudson.
— Oui, il est présomptueux mais pas idiot, lui concéda l'Imperator. Mais peu importe. Il n'a pas d'autres choix que d'accepter. Sinon il passera à côté de la victoire militaire qui fera sa carrière.
— Qu'il ne raterait pour rien au monde, comprit le centurion.
D'immenses éclairs illuminèrent alors le ciel, et la pluie se mit à tomber sur tout le camp. Le tonnerre fit trembler la terre et les cieux, et toutes les bêtes du camp se mirent à hennir, aboyer et meugler en même temps, apeurés et excités par l'électricité ambiante. En quelques secondes, les hommes se retrouvèrent trempés de la tête aux pieds, à patauger dans la boue, au milieu du chaos.
Hudson sentit l'excitation et l'énervement gagner le cœur des soldats. Que pouvaient-ils faire contre un orage ? Tirer des volées de flèches dans les nuages en espérant qu'ils touchent un sorcier ?
Un nouvel éclair déchira le ciel en tonnant comme si toute une réserve de bombes venait d'exploser au-dessus de leurs têtes. L'ancien détective vit l'émissaire attaché au pilori qu'on traînait dans la boue pour l'amener à l'Imperator et les officiers des communications qui accourraient, chargés de leur matériel. Malgré l'ambiance apocalyptique, il avait l'intention de lancer une communication ?
Si Aelius devait s'entretenir avec Zhang Hui, il ne pouvait pas le faire au beau milieu d'une attaque. I
Il fallait aussi gagner du temps pour que l'armée puisse démonter le camp et partir avec le ravitaillement dans les montagnes.
Hudson fixa le ciel noir au-dessus de lui et vit à nouveau la forme serpentant de l'Esprit dans les nuages. Il inspira nerveusement en repensant au Dieu Noir qu'il avait vu à Yunhai et se tourna soudainement vers l'Imperator.
Aelius le regardait déjà. Comme s'il lisait en lui, comme s'il connaissait le cheminement du raisonnement de son officier, comme s'il savait déjà ce qu'il allait proposer.
— Imperator, il faut couvrir nos arrières et protéger notre repli.
— Prends cinquante archers de ta cohorte et va faire descendre ce faiseur d'orages de son nuage, lui ordonna-t-il simplement en guise de réponse.
Hudson hoqueta. Cinquante archers ? C'était bien peu face à un ennemi en nombre, dissimulé dans une tempête.
Il ne contesta pas l'ordre du Seigneur de Guerre et s'inclina pour partir. Alors qu'il se dirigeait vers le quartier de sa cohorte, il vit à nouveau l'Imperator, entouré de ses autres officiers, sous une tente choisie au hasard, qui s'adressait à Zhang Hui par l'intermédiaire d'une caméra plantée à même le sol.
La tente était ballottée sous les rafales de vent et Aelius était obligé d'utiliser sa voix forte et sèche pour qu'on l'entende dans les hurlements de la tempête. Le Seigneur de Guerre gardait son air dur et imperturbable malgré le chaos dehors, et Hudson ne put s'empêcher de sourire en le voyant. Aux côtés du Kopet Dagh, il n'avait plus peur de l'Apocalypse.
Il fit appeler son sergent pour réunir ses hommes et partit seller un cheval.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top