58 FILIVS SOLIS Le Fils du Soleil


Les tentes octogonales avaient été dressées en hauteur, sur un plateau rocheux qui servait de promontoire et de fortification naturelle à l'armée. La forteresse naturelle avait été simplement renforcée de longs remparts de sable et de bois, et on avait creusé des douves au fond desquelles étaient dissimulées des pieux. 

Une stratégie peut être ancienne et rudimentaire, mais efficace. C'est ainsi qu'Aelius avait toujours organisé ses campements. Etre capable d'organiser une bonne défense en moins d'une journée était primordial pour que ses troupes puissent se reposer tranquillement après des jours de chevauchée dans le désert. 

Le Seigneur de Guerre contemplait la forêt de tentes brunes, rouges et ocre qui s'offrait devant lui. Les lourds étendards carmins volaient au vent, agitant l'aigle d'or cousu sur chacun d'eux comme s'il battait des ailes en se préparant à piquer vers sa proie.

Bientôt viendra notre heure, mon ami, pensa Aelius en observant les bannières. Oui, bientôt un Empire rayonnant unirait les Etats d'Eurasie, conduit par l'œil de l'aigle, tenu entre ses serres, animé par le souffle du lion, protégé par ses griffes.  

Il regarda les montagnes à l'est au-dessus desquelles s'élevaient de lourds nuages de poussière rouge. Le souffle brûlant des dunes s'était levé. Cela annonçait une tempête de sable.  

Le Seigneur de Guerre quitta l'ombre rafraîchissante de sa tente pour descendre la colline sur laquelle avaient été installés les généraux.

Sa lourde cape d'un rouge sombre usé par le sable claqua lourdement dans le vent, alertant les hommes autour de l'arrivée imminente de leur chef. Il n'avait toujours pas retiré sa cuirasse et ses gantelets de cuir depuis son retour au camp et passa une main sur ses cheveux longs et aplatis sur son crâne. Ils avaient bien poussé depuis ses dernières années dans le monde "civilisé"... 

Il eut un sourire grimaçant. Il ne ferait plus l'erreur de les couper avant les Etats Généraux des Etats d'Eurasie, il n'avait plus que faire de tous les codes et rites de quelques chefs de tribus et Seigneurs de Guerre. Bientôt ces territoires lui appartiendraient, et il n'aurait plus à se couper les cheveux pour qui que ce soit. Et surtout pas pour cette parodie de Sénat peuplé de chefs méprisants et fiers.  

Il descendit le long de la pente menant aux quartiers des supérieurs. Sur son chemin, les hommes s'inclinaient militairement et les gradés faisaient claquer leurs poings contre leurs cuirasses. L'un d'eux fit son signe de respect avant de s'approcher du Seigneur. 

— Imperator, l'Européen que nous avons trouvé en amont de la rivière a repris ses esprits. Il est prêt à parler. 

— Qu'en est-il des deux Dongnaniens ?

— Le plus jeune n'a pas survécu à la noyade. L'autre est en état de choc thermique. On a un médecin compétent occupé à le soigner...

Aelius se retourna vers son lieutenant en fronçant les sourcils. Il savait ce qu'il voulait dire par là. Ils avaient des blessés graves dans le camp qui avaient besoin d'une attention médicale particulière, et l'idée même d'occuper un membre de l'unité médicale avec un Dongnanien révulsait en plus haut lieux. 

Pour les soldats du Kopet Dagh, le Dongnan n'était qu'une nation de faible et de paysans, incapable de s'illustrer par autre chose que par sa démographie et ses grandes villes de commerce où fleurissaient des écoles de magie qui entraînaient les jeunes à devenir des aristocrates repus. 

Mais ces derniers temps, l'Etat "démocratique" était devenu la cible de vives critiques dans toute l'Eurasie. Des incompétents qui laissaient les Loups de Midgard s'engraisser sur leurs terres sans réagir. Des faibles sans armée. Leur manque de réactivité était la raison pour laquelle les Loups devenaient de plus en plus dangereux et s'en prenaient à de petits Etats frontaliers d'Eurasie.

Dans l'esprit des soldats, c'était la passivité du Dongnan qui les privait de soutien alors qu'ils étaient en pleine campagne militaire contre un ennemi aussi volatile et inconsistant que de la brume. 

L'Imperator ne répondit pas. Il n'expliqua pas pourquoi il était important d'avoir un médecin pour maintenir ce Dongnanien en vie. Pas à un lieutenant. Il n'avait à se justifier à personne de ce grade. Sur le champ de bataille il était "Imperator", général victorieux, mais une fois rentré à la capitale, il n'en restait pas moins Seigneur de Guerre du Koppet Dahg. 

Et dans les deux cas, son jugement était sans appel. 

— Amenez-moi l'Européen. Et les chiens. 

Son lieutenant contint un léger sourire de satisfaction. Il savait ce que l'Imperator avait en tête.  Comme tous les stratèges de guerre, il préférait les approches maîtrisées ayant un impact profond à celles qui pouvaient paraître trop discrètes. Et comme tous les gradés qui suivaient l'Imperator, il avait vécu assez longtemps de combats d'arène eurasiennes pour savoir apprécier les claquements de mâchoires des chiens de guerre. 

Aelius descendit vers le "quartier des écuries", la partie du campement qui avait été organisée autour de l'entretien des chars et des chevaux qui devaient rester frais et prêts à partir. 

Un maître palefrenier vint à sa rencontre et il s'en détourna immédiatement pour lancer un sourire paternel à un jeune apprenti qui tentait de maîtriser un étalon à la robe noir jais. 

D'une main, l'Imperator saisit la bride des mains du jeune garçon et la tint droite sans exercer de pression. L'animal cessa de ruer presque aussitôt, comme si cette présence puissante et calme l'apaisait.

Le maître palefrenier s'approcha pour réprimander le jeune et l'Imperator l'arrêta net d'un simple regard. Il tourna la tête vers le garçon d'un air moins dur.

— C'est un beau destrier dont tu t'occupes. A qui appartient-il ? demanda-t-il d'une voix grave qui gardait l'animal tranquille.

— A... Au général Mauricus répondit l'apprenti d'une voix fluette.     

Aelius étudia l'animal de son regard perçant avant de rendre la bribe à l'apprenti. 

— Ne lui donne pas d'eau froide, et fais attention à sa jambe antérieure, il ne va pas tarder à boiter, et je ne voudrais pas que notre général de division de lanciers nous fasse faux-bond aux prochains kilomètres.    

— Je... Je vais m'en occuper immédiatement, Imperator.    

Le garçon s'inclina profondément et s'éloigna en lançant un regard terrifié à son palefrenier. Ce dernier essaya de s'approcher d'Aelius, en vain puisqu'il essuya un nouveau refus gratiné d'un regard noir. 

Non, Aelius ne venait pas aux écuries pour discuter de sable et de vent avec les palefreniers. Il venait là pour voir ses chevaux, les magnifiques pur-sangs eurasiens que sa famille élevait depuis des générations. C'était eux le véritable moteur de leur armée. Une armée capable d'aller au plus près des sources de magie ouvertes par les Loups, de marcher pendant des jours sans s'arrêter, de s'enfoncer dans les recoins les plus désolés du monde, jusqu'aux Villes Englouties du désert... 

Là où toutes les machines s'enlisaient, là où toutes les armes magiques devenaient inutiles, ses chevaux continuaient d'avancer, insensibles aux Esprits, affamés par l'appel du sang. Car c'est ainsi que ces chevaux avaient évolué au fil des siècles de la Fracture. On leur avait appris à aimer la guerre, le carnage et la chair humaine. 

L'Imperator observa avec satisfaction ses juments aux robes plus claires, semblables aux nuances du désert, qui étaient en train de s'échauffer à la vue des chars à deux chevaux qu'on nettoyait à l'eau. Si elles avaient été lâchées à cet instant, elles n'auraient pas hésité à piétiner les conducteurs de chars pour se placer directement devant, attendant qu'on les harnache des sangles qui les mèneraient au combat. 

Il avait vu cette scène des dizaines de fois pendant son enfance, quand il accompagnait son père en campagne, et il sentait toujours la même excitation l'envoûter. Il ressentait l'enthousiasme presque insupportable qui survenait avant la bataille, et l'impression grisante de vivre ses derniers instants à chaque fois qu'il préparait ses troupes. 

Bientôt, c'est pour bientôt, calmait-il ses chevaux intérieurs. 

— Le prisonnier a été installé comme vous l'aviez demandé, Imperator, il est prêt à parler, intervint soudainement le lieutenant, bousculant quelques conducteurs de char en approchant.

Aelius hocha la tête et le suivit jusqu'au bord des palissades de bois de la porte, à l'entrée du camp. C'était là qu'avaient lieu les interrogatoires, pour éviter d'avoir à laisser trop de traînées de sang dans tout le camp lorsqu'il fallait aller les accrocher sur des croix à l'extérieur. 

L'homme avait été assit à même le sol, en plein soleil, au pied d'un poteau. Autour de lui se trouvaient deux maîtres-chiens qui tenaient leurs deux molosses fermement à l'aide de lourdes chaines. 

Tous les hommes en armes couvert de plastrons usés par le soleil, avec leurs capes carmin et leurs casques luisants, qui faisaient apparaître des ombres sur leurs visages tannés par le soleil, tous ressemblaient à des démons féroces face à ce misérable Européen vêtu de cette ridicule combinaison noire moulante. 

Voilà donc ce que le Dongnan avait à offrir... C'était là ce qu'il envoyait à Shangri-La pour combattre les Loups. 

Aelius eut un sourire dégoûté. Ce que soufflait le peuple des caravanes était donc vrai... Il n'y avait plus que lui pour stopper les Loups et rendre à l'Humanité ses enfants... 

Aussi barbares soient-ils, les Karakhitans n'étaient pas prêts, les autres Etats étaient trop peu organisés, et les royaumes du sud de la péninsule indienne étaient trop occupés à chasser des monstres marins qui menaçaient leurs côtes depuis quelques mois. 

L'Imperator saisit l'une des chaines d'un des maîtres chiens et calma instantanément le molosse surexcité en lui présentant le plat de sa main, une énorme rottweiller d'un noir luisant. 

Tous les hommes autour retinrent leur souffle alors que le chien cessait de battre de la queue pour approcher son museau de la main de l'Imperator pour la lécher docilement. 

Les animaux eux-mêmes respectaient son autorité. 

Il tourna alors la tête vers le prisonnier. Il était temps que le Dongnan aussi apprenne à courber l'échine devant le Fils du Soleil. 

Car oui, il était le seule à pouvoir défaire les Loups, le seul à pouvoir protéger tous les astres lumineux. C'était eux qui lui donnaient sa force. 

Ses chevaux et son char pouvaient piétiner des démons et les écraser de leurs lumière. Son glaive brillant pouvait briser toutes les magies. Ses flèches pouvaient transpercer des sorciers, traverser tous les sorts. Comme des rayons de soleil tranchant les ténèbres. 


https://youtu.be/qf8KvOhGEc4

Photo: Image tirée du film Bajirao Mastani

Avez vous aimé ce premier chapitre du cycle latin ? (je dis ça pour la langue du titre, d'ailleurs merci à @Claire_Quilien pour son aide en traduction ! ) 

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