49 稚内之北極光 L'aurore boréale de Wakkanai
Yuya se réchauffa les mains en les frictionnant rapidement, écoutant le vent qui miaulait dans la charpente du temple.
Cela faisait trois jours qu'ils étaient coincés par la tempête. Le vent dehors soufflait contre les vitres et faisait tanguer les murs de bois. La neige avait totalement recouvert la route et on ne voyait plus les lumières chaudes du village de pêcheurs dans la baie.
Les jours raccourcissaient de plus en plus, et de gros blocs de glace venus de l'Arctique commençaient à flotter devant le port comme d'immenses fantômes blafards à la dérive. Bientôt, la baie allait geler et il serait impossible d'accoster. Wakkanai serait pris dans la glace jusqu'au printemps...
Mastani, allongée près d'une petite lampe à huile, fixait inlassablement la petite flamme vacillante. Cela faisait deux jours qu'ils avaient épuisé leurs réserves de riz et de saké. Deux jours qu'elle était devenue insupportable.
C'était des : "Tu voudrais pas sortir aller chercher à manger Yuya ? Qu'est-ce qu'on s'ennuie... Si seulement on avait de l'alcool..." à longueur de journée...
Elle prenait leur enfermement philosophiquement, se contentant d'attendre, alors que son disciple ne supportait plus cette situation.
Qu'est-ce qui les empêchait d'aller en ville trouver un endroit plus chaud et accueillant pour y dormir ? Ils n'auraient qu'a le faire avec un crédit " a durée indéterminée". Ils étaient hors-la-loi, non ? Ou ils pouvaient bien travailler un peu pour manger !
Mastani avait tout refusé en bloc. L'ascète devrait faire partie de tous les enseignements, avait-elle répondu. Il fallait apprendre à endurer des choses plus difficiles, et à peser la mesure de la moindre chose possédée, jusqu'à la simple poignée de riz.
Mais pourquoi maintenant ? Parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire... Et que son maître avait envie de se reposer après ces dernières semaines à la poursuite du bossman.
Le feu dans l'âtre au milieu de la pièce n'était plus que des braises que Yuya tentait désespérément de raviver. Il s'appliquait à le faire sans l'usage de la magie. Au moins cela demandait plus d'efforts et lui faisait passer le temps. Il détestait cette situation. Le temps qu'ils passaient enfermés ici réduisait leurs chances de trouver un bateau partant pour le continent, et l'hiver qui arrivait allait bientôt rendre toute traversée impossible.
Était-ce qui allait arriver ? Ils allaient rester bloqués tout l'hiver et au printemps, ils découvriraient un soleil bleu recouvrant la terre, et ils auraient échoués à cause d'une simple saison ? D'une putain de saison de merde ?!
La sorcière se mit à glousser dans son coin en entendant son disciple s'énerver intérieurement. Elle se redressa, saisit une statuette de bouddha à côté d'elle et prit un pinceau dans le tiroir en bois de l'autel. Elle se rassit et se mit à dessiner des cornes et une langue pendante sur le visage serein du bouddha.
Dormir dans un petit temple à l'écart de la ville, comme des mendiants... Yuya pesta. Et avec ce temps, il n'avait même pas pu voir les aurores boréales de Wakkanai...
Si au lieu d'attendre le Vindsang pendant une semaine ils étaient partis avec les derniers pêcheurs, ils serraient déjà de l'autre côté. Cela faisait maintenant plus de dix jours qu'ils étaient coincés là...
— Calme toi, Yuya. Mets ce temps à profit pour méditer et développer tes pouvoirs.
— Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Vous ne m'apprenez jamais rien !
Il eut envie d'ajouter: "et pourquoi dois-je tout apprendre de vous par la bouche des autres ? Ne pourriez-vous pas me dire définitivement qui vous êtes, pourquoi le bossman vous parle-t-il ?", mais il était encore trop bien éduqué à la méthode d'Outremer pour oser poser des questions aussi personnelles.
— Tu veux que j'attire des monstres pour que tu testes à nouveau ta métamorphose en ours ? dit-elle non sans y proposer là une réponse à ses dernières pensées.
— Qu'est-ce qu'un ours pourrait bien faire contre les Loups de Midgard ?
— Ne sois pas si négatif, un ours ou un renard, ça fait toujours une bonne cible pour distraire l'attention, plaisanta-t-elle.
— Vous ne pouvez pas m'apprendre à parler aux Esprits et à me lier à eux, comme vous le faites ? dit-il en regardant les tatouages qui dansaient sur sa nuque.
Elle leva les yeux vers lui et lui lança soudainement la statuette couverte de peinture. Il l'attrapa au vol, observant le bouddha transformé en oni et se rendit compte trop tard que ses mains étaient à présent elles aussi couverte d'encre noire. Elle le piégeait toujours avec une facilité déconcertante, et à chaque fois, il se faisait berner comme un bleu.
— Tu veux savoir faire ça ? Mon pauvre Yuya, tu es encore bien trop naïf pour t'adresser directement à des Esprits...
Il lâcha la statuette et s'essuya sur son pantalon à présent troué.
— J'ai beaucoup appris ces derniers temps ! Je peux essayer !
Elle réfléchit un instant en regardant la tenue rapiécée de son disciple et sourit. Il y avait un peu de ce qu'ils avaient emporté de Yunhai, un peu d'Outremer, mais surtout beaucoup de poussière et de cendres sur leurs vêtements à tous les deux. Un sourire naquit sur son visage.
— Tu viens de me donner une idée. Et puis je suppose qu'on a pas grand chose d'autre à faire en attendant le Vindsang. Tu veux parler à un Esprit alors ? Je vais t'en présenter un avec une forme humaine, histoire de faciliter la communication pour une première fois.
Elle remonta son jinbei sur sa côte droite et Yuya découvrit un tatouage qu'il n'avait jamais vu sur son corps. Une forme simple mais ancienne, qu'il n'avait vu que quelques fois au cours de ses deux années d'études de l'Ancien Monde. Cela ressemblait à un cœur à l'envers terminé par une sorte de manche. Où avait-il vu cela récemment ?
— Qu'est-ce que c'est ?
— Un as de pique. Tu ne dois pas connaître, ça vient de... de jeux de carte. A ton avis, qu'il y a t-il derrière un as de pique ?
— Un Esprit lié à la chance ?
— Hahaha, la Chance dans des jeux de carte ? Tu vois, tu es bien naïf Yuya. Non, il s'agit d'un Esprit du Hasard, et de la Mauvaise Fortune. Une forme ancienne qui a été choisie parmi les Hommes pour incarner un Esprit de la Nature.
— Cette personne a donc vécu en tant qu'humain ?
— Oui, ça arrive parfois, que la vie d'un être soit si harmonieuse avec les valeurs d'un Esprit, que son essence se mêle à celui-ci pour continuer d'exister au-delà de la mort. Tu es prêt à le rencontrer ?
— Je... Oui ! finit-il par dire avec entrain.
Il fallait qu'il s'y mette, qu'il se prépare à ce genre de choses.
Mastani hocha la tête en souriant et posa deux doigts sur l'as de pique. Elle se concentra dessus et la magie autour d'elle se mit à vibrer d'une énergie ardente et corrosive. Elle devint si dense et pesante que Yuya se sentit tiré vers le sol.
Mastani arrêta soudainement, retirant ses doigts au dernier moment. Elle leva les yeux vers son disciple, une goutte de sueur perlant sur son front.
— Je dois te prévenir, il va falloir qu'on change de planque après ça... Et... Ne l'appelle pas "Esprit", il aime pas ça. Il préfère le terme de "Démon".
— Mais alors, pourquoi est-ce que...
Elle reposa ses doigts sur le tatouage et une puissante onde de magie ébranla toute la pièce. Les braises dans l'âtre grandirent jusqu'à devenir des flammes qui léchaient le plafond. Un bruit de tonnerre commença à tonner à l'extérieur, par-dessus le hurlement de la tempête.
— Couche-toi, Yuya !
Le disciple se jeta au sol juste à temps. Une onde de flammes jaillit du tatouage et se déploya en un anneau incandescent qui explosa dans le temple. Les poutres fondatrices de l'édifice furent sectionnées d'un seul coup et les portes explosèrent.
— Maître, attention !
Yuya courut à ses côtés et tendit ses bras en l'air pour déployer un bouclier magique. Le plafond de bois et de tuiles du temple s'écroula sur eux. Le jeune homme n'eut même pas à prononcer d'incantation. Il sentit la force de sa volonté et une énergie plus primitive qui œuvrait avec lui pour maintenir le bouclier. L'Esprit de l'ours.
— Yaaaaha ! s'écria Mastani en riant d'un rire dément, dégage-moi cette merde de ruine avant qu'il n'arrive ! Et n'oublie pas, à genou pour le roi ! Le roi des rois !
Des flammes dansaient autour d'eux, consumant tout ce qui restait du temple. Yuya replia le bouclier au creux de sa main et concentra l'énergie de l'ours qu'il lui restait pour la rediriger vers les morceaux de temple qui étaient en train de flamber autour d'eux. Il expulsa l'énergie de sa main d'un seul coup et propulsa les ruines dans l'obscurité de la tempête.
Ils se retrouvèrent à découvert au milieu du vent et de la neige, alors que des roulements électriques emplissaient les bourrasques.
C'est alors qu'il l'entendit. D'abord comme un crissement strident. Puis il entendit une mélodie derrière, plus lourde, chargée, lente comme la marche d'un monarque, semblable à des tremblements de terre.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Ça, Yuya, c'est le hurlement de sa basse.
Des cris aigus résonnèrent dans le vent accompagnés par les accords de plus en plus clairs.
— Et ça ?
Mastani lui lança un sourire doux et releva la tête vers les cieux, humant l'air chargé d'une puissante odeur de cigare et de whisky.
— Ça ce sont les supplications des âmes des milliers de femmes qu'il a conquises de son vivant. Tu les entends bien ? Elles veulent toutes qu'il reparte de l'Autre Côté pour être à leurs côtés. Elles détestent le sentir revenir sur terre.
Yuya ne sut pas s'il devait être émerveillé ou une fois de plus dégoûté par les fréquentations de la sorcière. Même les Esprits autour d'elle étaient lubriques...
La neige se mit à fondre devant eux et le vent se calma. Ils étaient enfermés dans un dôme sur lequel la tempête ne pouvait frapper. Le sol devint brûlant et Yuya monta sur une des anciennes dalles de pierre du temple, tandis que Mastani ôtait ses geta pour poser la plante de ses pieds directement dans le sol ardent.
— A genoux devant le roi, dit-elle simplement.
Retour à Yuya et Mastani dans ce chapitre ! Ça vous a plu ?
J'ai parsemé des indices sur la personne cachée derrière cet Esprit comme le Petit Poucet parsème son chemin dans la forêt avec des briques ensanglantées. Qui a compris de qui il s'agissait ? Un bisou de Mastani pour le/la gagnant-e !
Un nouvel indice ? C'était un homme qui partageait l'amour pour la boisson de Mastani !
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