48 閻摩之窝子 L'antre de Yama

L'escouade se retrouva alors à l'abri dans une immense salle de bois sombre, couverte de statues bouddhistes représentant des démons aux multiples visages et aux têtes démultipliés, dansants sur des squelettes.

— Le bouddhisme tibétain m'a toujours fait froid dans le dos, murmura alors Sun en observant les visages pâles des bodhisattvas peints sur les murs.

— 保持專注 (baochi zhuanzhu, restez concentrés). Dommage qu'on ait pas Dawan pour nous guider, siffla Hudson. Je sens énormément de magie tout autour de nous... Ça vient du sous-sol. Suivez moi.

Il sortit ses deux revolvers et passa par une petite porte au fond de la grande salle pour rejoindre un escalier désert.

La pression magique commençait à devenir extrêmement forte tout autour de lui, désorientant ses sens, mais il sentait qu'il approchait de son but. Il pouvait percevoir l'énergie encore fragile et pourtant débordante de très jeunes sorciers.

Il passa par une succession de petites salles peintes en rouge, ornées de peintures murales terrifiantes, faiblement éclairées par des torches. 

Dans chacune d'elles étaient peints des hommes avançant face aux démons et aux créatures magiques, portant des torches... Parce qu'il n'y avait plus d'étoiles dans le ciel pour les guider. Hudson comprit immédiatement ce que racontaient ces fresques. Elles représentaient les épreuves de Voyageurs du Voile.

Des Voyageurs du Voile ? Qu'est-ce que c'est que ça ? C'est ce qu'on cherche ? demanda Moira en entrant dans son esprit. 

— 管妮的事 (guan ni de shi, mêle-toi de tes affaires), sorcière, lui répondit-il sèchement.

Cette façon qu'elle avait d'entrer dans son cerveau lui devenait vraiment insupportable. Elle voulait le dominer et l'écraser en l'empêchant de posséder quoi que ce soit, jusqu'à ses propres pensées...    

Ils arrivèrent finalement devant une porte de fer forgé, gravé des formes du dieu des Enfers, Yama.

Un vent froid en provenance de la porte traversait la pièce, faisant vaciller les flammes des torches.

L'énergie que dégageait la pièce derrière déroutait totalement le pisteur. Il pouvait sentir une magie noire ancienne et puissante suinter de cette porte, comme s'il allait réellement trouver un portail vers un monde de mort au-delà. Le souvenir du dieu noir qu'il avait vu dans l'orbe lui revint à l'esprit et il resta paralysé devant la gravure de Yama, observant ses gros yeux ronds le fixer avec colère.

La seule chose qui le rassurait vraiment était la présence des enfants qu'il sentait toute proche. Ils étaient là, juste un peu plus loin.

Moira s'approcha doucement en faisant charger un sort d'attaque entre ses mains.

— Bouge-toi ou laisse-moi faire, Keith. On a pas toute la journée.

Il lui lança un regard méprisant en grimaçant et recula. Quelle chieuse quand même... Pouvait pas demander les choses gentiment ? Sa tentative de sauvetage à l'université Kunlun ne les avait pas tellement rapproché, avait-il constaté. Et puis, même si elle le niait publiquement parce que ça ne faisait pas très "politiquement correct", elle n'avait aucun respect pour ceux qui n'étaient pas sorciers...

Je t'emmerde, Keith.

Il sentit la poudre lui monter au nez. Ah oui, et en plus d'être chiante et méprisante, elle était invasive.

Il se reconcentra sur la porte. Elle ne pouvait pas sentir cette sensation de mort au-delà de la porte, c'était une magie noire mais fine, qui laissait simplement une impression inexplicable de malaise à ceux qui n'avaient pas les sens assez développés pour la sentir. Et Moira ne pouvait sentir cette énergie qu'à travers la lecture de ses pensées. Elle devait s'imaginer avec mépris que cela faisait simplement parti de ses souvenirs de pauvre petit Sans-Pouvoirs choqué. Quelle enfoirée...

Elle lança son sort et fit voler la porte dans la pénombre de la pièce suivante. Tous restèrent immobiles devant, sentant une brise froide aux odeurs de terre remonter vers eux.

Ils n'entendirent pas la porte heurter un mur ou le sol. C'était comme si elle avait disparu dans le vide.

Moira entra dans la pièce et disparut dans le noir. Hudson, Sun et Devesh restèrent à l'entrée, attendant nerveusement d'entendre un signe de vie de sa part.

— Mais qu'est-ce que vous attendez, bande d'incapables, cria Moira depuis les ténèbres, dépêchez-vous !

Ils entrèrent tous les trois en pressant le pas et se retrouvèrent dans le noir total. Hudson se retourna vers la sortie et vit que la lumière de l'autre pièce n'entrait pas dans celle-ci. Elle semblait lointaine, comme si ses quelques pas l'avaient déjà séparés d'une centaine de mètres de l'entrée.

Il entendit les sorciers réciter répétitivement des formules pour créer de la lumière, mais aucun n'y parvint.

— Voilà ce qui se passe quand on fait trop confiance à la magie. J'aurais mieux fait d'apporter une lampe torche... On avance tout droit. Signalez-vous pour qu'on se repère. Devesh, tu es là ?

— Je suis là !

— Moira ?

— Je suis là, aller on se magne... répondit-elle en reprenant la marche, faisant claquer ses talons sur le sol en pierre.

— Sun tu es là ?

Il n'y eut que le silence pour lui répondre.

— Sun ? demanda le sorcier Bengali, elle était à côté de moi quand on est entré !

— Putain de merde, jura Hudson, elle est peut-être passée devant... Ou sur les côtés, on a aucun moyen de sonder la profondeur ou la largeur de cette pièce.

— Je ne sens plus sa magie, déclara Moira.

Alors qu'ils s'étaient arrêtés, paniqués, ils virent l'entrée derrière eux disparaître dans le noir total.

Hudson se retrouva sans plus rien autour de lui à garder à l'œil comme point de repère. Il ne pouvait plus dire d'où il venait, où étaient les autres, où il allait.

— Eh ! Vous êtes là ?

Il n'entendit aucune réponse. Plus rien, pas même les talons de l'invocatrice qui frappaient le sol.

— Fait chier ! Les gars ? Moira ?

Le silence et l'obscurité totale dans laquelle il se trouvait se firent soudainement plus pesants. C'était psychologique. Juste psychologique, tentait-il de se persuader. Il ne fallait pas qu'il se laisse aller, il fallait qu'il se fixe une direction et qu'il marche droit jusqu'à ce qu'il rencontre un mur. Ensuite, il n'aurait plus qu'à suivre où il le mènerait.


Hudson se mit à marcher. Il avança, un pas après l'autre, faisant attention au sol irrégulier, les mains tendues en avant à la recherche d'un mur. Les ténèbres qui l'entouraient étaient remplis de cette énergie macabre. 

Il avait l'impression que le froid et la mort lui collaient à la peau, alors qu'il sentait toujours une brise caresser son visage. Quelque chose lui disait de ne pas suivre cette brise. Elle avait quelque chose de morbide...

Il marcha pendant ce qui lui sembla être des heures entières. Alors que les ténèbres commençaient à le rendre totalement fou. Parfois, il avait l'impression d'entendre des bruits de pas. 

Il se retournait parfois, appelant Moira et les autres, alors qu'à d'autres moments, il avait l'impression d'entendre un rire lugubre résonner dans la pièce.

Sentant la folie et l'angoisse s'emparer totalement de lui, il s'arrêta et s'assit par terre, incapable de continuer plus longtemps.

— Faites-moi sortir d'ici... Vous entendez ? Je veux sortir ! JE VEUX SORTIR ! 我要出來啊!

Silence.

Ses mains se mirent à trembler. Il les serra contre son visage en se forçant à calmer sa respiration devenue trop rapide. 

Il craquait. Il n'en pouvait plus, cette salle était sans fin, peut-être qu'il avait tourné en rond, peut-être qu'il ne marchait plus depuis longtemps et qu'il rêvait... Implorant, il releva alors la tête.

— Pitié... Faites-moi sortir d'ici... Je vous en supplie...

Il sentit un bruissement très léger dans le noir, et il eut la sensation que le plafond tombait soudainement sur lui. Il s'écroula au sol et se laissa porter par le sommeil. Il n'eut pas l'impression de s'endormir, car il était déjà dans le noir, dans un espace étrange, rêvé. 

Il n'eut pas non plus l'impression de se réveiller. 

Ce qu'il perçut, c'était seulement qu'il avait reprit conscience après un laps de temps indéfini. Peut-être seulement quelques secondes. Peut-être des heures. Il ne sut pas s'il ouvrait les yeux ou si, comme dans un cauchemar, il gardait les paupières closes tout en ressentant une réalité monstrueuse l'entourer. 

Il eut l'impression de se relever, de toucher un sol froid et humide avant de se mettre debout sur ses deux pieds. 

Il avait du mal à respirer, comme si son cerveau avait désappris cette action si naturelle. Il devait penser à son souffle pour le matérialiser, comme si sa conscience parvenait à peine à le faire exister. Putain, c'était trop pour lui. Même cette conscience était trop dure à maintenir. Il avait l'impression de devoir porter son corps, son esprit, comme si ce n'était que des objets désassemblés, disloqués. Qu'est-ce qui faisait qu'il se sentait encore être là, alors ?  

Un vent froid assaillit tout son corps et il se mit à rire, bêtement, trop heureux de sentir un élément extérieur influer sur son corps. Il était encore conscient, conscient... conscient...

Son corps cessa soudainement d'exister, et il sentit ce qui restait de lui être emporté par le vent froid, comme de la brume. Comme de l'encre dans le torrent d'une rivière. Il sentait son esprit tourner dans tous les sens, ballotté dans les ténèbres, persécuté par le néant. 

Il eut l'impression que des heures passèrent, alors qu'il était dans cet état d'hébétude totale. Lorsque cela prit finalement fin, il ressentit à nouveau son corps. Il était devenu lourd, plus lourd qu'il ne l'avait jamais été, et ses membres étaient devenus raides comme du bois. 

Il ouvrit difficilement les yeux et les couleurs et les formes s'assemblèrent lentement. Il vit les parois rocheuses de la grotte dans laquelle il se trouvait, il fut aveuglé par la lumière puissante des torches sur les murs, et il mit du temps avant de comprendre ce qu'étaient tous les petites sphères empilées devant lui. Des crânes. Des crânes humains...   

Il crut pousser un cri d'horreur mais rien ne sortit de sa bouche. Il ferma les yeux et colla son front contre la pierre pour ne plus regarder ce spectacle terrifiant. Il réalisa alors que la vision qu'il venait d'avoir lui montrait les crânes légèrement en-dessous par rapport à lui... Il était donc sur un lit de pierre, ou...

Il sentit une présence dans son dos.

— Te voilà, démembré, allongé sur l'autel des morts...   

Et prêt à recevoir à nouveau la vie. continua la voix dans son esprit. 

Une main glacée saisit son visage et on le força à avaler le contenu d'un bol. Un liquide blanchâtre semblable à du lait de fleur coula dans sa bouche. Il sentit son corps s'alourdir à nouveau et ferma les yeux. 


Vous avez pu écouter l'introduction de l'album Lake of Solace de Deep Mountains 深山, un groupe de Doom Metal chinois que je trouve absolument formidable tant pour les textes que pour leur esprit. Si vous lisez de la poésie antique chinoise, surtout tout ce qui est apparenté de près ou de loin au pays de Chu, vous trouverez beaucoup de rapport à la nature, à l'eau, et un questionnement sur l'humanité dans un monde peuplé d'esprits.  

J'ai pensé écrire une fiction sur le thème ou l'ambiance des Chants de Chu écrits par Qu Yuan entre le IVème et le IIIème siècle avant notre ère, mais je ne me sens pas encore assez déprimée pour passer mes journées à écouter du Deep Mountains. 

Et vous ? Plutôt Doom, tourment éternel et attrait pour le mystique nocturne ou plutôt Heavy puissant et solaire ? 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top