43 汪洋大海 L'océan sans fin


Daigon attendait patiemment au bord de l'eau, brossant la coque de la barque. En le voyant au loin, Yuya eut l'impression de voir son père lorsqu'il nettoyait son bateau de pêche. Il entendait presque le bruissement du vent dans les hautes herbes de l'île aux Poissons Volants et le chant des cigales géantes qui nichaient dans la forêt tropicale de l'île.

Est-ce que ses parents avaient appris pour l'incendie de son école ? Est-ce qu'ils le croyaient mort, comme tous les autres ? 

La tristesse l'assaillit soudainement, perçant un trou dans son cœur. 

Pourquoi tout cela lui revenait-il si soudainement ? Sur cette île étrange, froide et peuplée de fantômes, les souvenirs de son enfance agissaient comme des rayons de soleil qui traversaient les nuages et lui procuraient un peu de chaleur. 

Il eut soudainement envie de partir, de les retrouver. L'idée de sa mère pleurant sa disparition, de son père ne sachant plus quoi raconter au village et de sa grand-mère regardant tristement la mer lui devint insupportable. Qu'étaient-ils devenus ? 

 Peut-être que... Peut-être qu'il n'aurait jamais dû les quitter. 

Il soupira en sentant son cœur se charger plus encore et une main se posa sur son épaule.

— Ça va aller, Yuya, dit soudainement Mastani. 

Il leva la tête vers elle et essaya d'esquisser un sourire.

— Je ne peux même pas aller les retrouver, Maître. Je n'ai rien accompli. Je n'ai rien fait de ce qu'ils avaient espéré.

— Ils seraient heureux simplement de te savoir en vie. Le reste n'a pas d'importance. Pas pour ceux qui tiennent vraiment à toi... 

Yuya acquiesça. Il eut l'impression de les sentir à ses côtés. De sentir leurs sourires. Au fond, ils avaient toujours été avec lui. C'était leur souvenir qui l'avait poussé à se transformer en renard, et qui l'avait sauvé. 

La sorcière le prit dans ses bras et le serra contre elle un instant. Il se laissa faire sans réagir, plongeant son visage dans le jinbei couvert de cendre et de soufre de son maître.  

— Mais nous ne pouvons pas y aller maintenant, ajouta-t-elle, ton île est beaucoup trop au sud. Nous allons reprendre le bateau à Wakkanai 稚内市 pour nous rendre dans l'Etat Mandchou. 

— Nous ne retournons pas au Dongnan ?

— Non. J'ai peur qu'une enquête au mont Watasabe ne nous rende "indésirables"... La tolérance de l'Etat pour la sorcellerie a beaucoup de limites, surtout en Outremer et quand cela implique des massacres... Mais bon ! Le monde est bien assez grand pour qu'on s'y cache de qui on veut, non ? finit-elle plus joyeusement.

Yuya soupira, exaspéré par le manque de compassion de son maître. 

Des hors-la-loi. Voilà ce qu'ils étaient à présent. En y réfléchissant bien, c'était comme ça que Mastani vivait et lui avait appris à vivre. Entre les gargotes miteuses, les receleurs et contrebandiers qui lui servaient d'amis, elle avait déjà l'habitude de ce mode de vie à la dure. 

Et cela n'effrayait plus Yuya. Il savait qu'avec elle, il s'en sortirait toujours. Comme deux renards vivant de rapines aux abords des villes, se dit-il. En fait cette idée l'excitait plus qu'autre chose.

— J'ai hâte de découvrir d'autres pays ! s'écria-t-il en sentant sa peine qui le quittait peu à peu. 

La Mandchourie. Les forêts boréales, les steppes verdoyantes, la Nature sauvage et les avant-postes de l'humanité dont parlaient les romans d'aventuriers dongnaniens partis à la recherche de créatures légendaires du Grand-Nord, le cerf géant de l'Amgu, le couple de panthères à tête d'or de la Rivière Noire...

— Ne rêve pas trop, petit. La Taïga n'est pas notre destination... Mais tu devrais pouvoir y apprendre quelques trucs intéressants. 

— Apprendre ? Vous allez m'apprendre quelque chose, maître ?

— Moi ? T'apprendre quelque chose ? Ahah, quelle blague. Tu veux que je t'écrives un petit manuel d'exercices avec ? Non Yuya, ce n'est pas comme ça qu'on apprend la vérité. Il faut que tu en fasses l'expérience, gamin. 

Ils arrivèrent au niveau du moine et Yuya s'inclina devant lui.

— J'ai senti une force démoniaque émaner des ruines, vous allez bien ? s'enquit immédiatement l'homme.

— "Démoniaque", qu'il dit... maugréa Mastani en perdant son sourire.

— Euh, maître, je ne vous ai pas dit ce que Daigon m'a raconté à propos du bossman, intervint Yuya pour calmer le jeu 

— Vous nous raconterez tout ça rapidement, une fois qu'on aura quitté cette île. Il faudra ensuite que nous partions pour l'Ouest. Nous allons à Balasagun.      

Daigon fronça les sourcils et regarda Yuya. Il avait peur pour l'adolescent avec cette femme étrange. 

— Je n'ai jamais entendu parler de cet endroit.

— Pas étonnant. C'est "démoniaque", répondit la sorcière avec un sourire mesquin.

Il garda les yeux posés sur Yuya et lui fit très légèrement signe de la tête. Un signe de désapprobation. 

Le jeune étudiant baissa les yeux humblement. Le Tengu avait peut-être une trop haute opinion de lui. Il n'était pas le jeune apprenti chaman dont il rêvait, ou l'éveilleur de consciences qui allait conduire une nouvelle révolte en Outremer. 

— Pas tout de suite, en tout cas, murmura soudainement Mastani à son attention. L'Outremer aura son heure, crois-moi. Tâchons simplement que cela n'arrive pas à cause des Loups et de l'ouverture totale de la Fracture. 

Yuya resta bouche-bée. "L'ouverture totale de la Fracture" ? C'était ce vers quoi ils allaient ? Il frissonna.

— Que dites-vous ? s'enquit Daigon. 

— Rien qui vous concerne, siffla la sorcière d'un ton cinglant.    

L'ancien marin ne répondit pas, il eut un autre regard inquiet pour Yuya. 

Ils montèrent tous dans la barque et elle la conduisit jusqu'à la rive en face. Alors qu'ils touchaient le sable de la plage, Yuya prit la parole. Il savait que son maître n'avait pas l'intention de faire un kilomètre de plus avec son ami chaman, et il n'avait pas envie que la situation ne se dégrade encore entre eux. 

— Maître, Daigon m'a raconté qu'il a croisé le bossman à deux reprises lorsqu'il était chasseur de monstres. Une fois à peine quelques mois après la chute des Rokkaku. 

— Que faisait-il ?

Le Yamabushi se tourna vers la mer. Lui aussi trouvait le moment opportun pour prendre la parole, avant de les quitter définitivement. 

— C'était... au port de Thoothukudi dans l'Etat de Nouveau Madras. A l'époque j'étais sous contrat avec un baleinier qui partait vers les mers plus au sud et il avait essayé de s'enrôler avec nous. C'était un gosse. Il s'était hissé sur le pont de notre baleinier et s'était mis à donner des ordres. A l'époque, ça nous avait fait rire, on s'était moqué de lui et on lui avait dit d'aller plutôt faire un apprentissage dans les cuisines de l'auberge du port, histoire d'apprendre le respect avec le chef... 

"J'avais rigolé comme tout le monde, et puis je lui avais trouvé quelque chose de différent, à ce gosse... Je me souviens qu'il était parti sans rien dire, et quand il nous a quitté, j'ai vu quelque chose dans son regard. Il m'a rappelé le visage de son père, qu'on voyait sur tous les avis de recherche d'Outremer avant qu'ils ne soient tous anéantis. Il n'y avait pas beaucoup de gars de l'Archipel comme moi, et je crois être le seul à m'être aperçu de son identité.

"Quand j'y repense, je me dis que j'aurais dû le prendre sur notre baleinier. Ça avait l'air d'être un pauvre gamin triste et perdu, qui jouait au pirate pour ne pas avoir à être lui-même... Qui avait besoin d'un semblant de famille.

— Vous l'avez laissé partir ? Sans prévenir qui que ce soit ? demanda Mastani en l'écoutant attentivement.

— Que voulez-vous ? Tout le Dongnan le pensait mort, il venait d'y avoir une répression sanglante en Outremer contre tous les chamans et beaucoup d'innocents avaient péri. Je crois que j'avais peur. Peur que tout cela ne recommence... J'ai essayé de le suivre dans la ville pour voir où il partait. J'ai trouvé l'enfant en train de parler seul, devant les vagues. A l'époque je me suis dit qu'il était peut-être perturbé avec tout ce qui  était arrivé à sa famille. Je n'avais pas encore rencontré les Yamabushi .Je n'avais pas idée de toutes les souffrances qu'il avait dû éprouvé.    

  — Ni qu'il s'adressait réellement à quelqu'un... souffla Mastani en repensant à l'Esprit de l'eau. Et ensuite ?  

Yuya s'écarta d'eux pour regarder lui aussi la mer. Il avait déjà entendu ce récit, et il se plut cette fois-ci à s'imaginer le port de Thoothukudi dans le sud du royaume de Nouveau Madras. Une longue berge de bois, des bateaux indiens aux voiles rouges semblables à des ailerons d'espadons, des tamariniers et des palmiers dansant sous une brise trop légère pour rendre la chaleur supportable, qui soulevait la poussière. Il aimait se représenter une atmosphère brûlante et étouffante, pleines de lumières équatoriales, comme celles qu'il aurait pu voir s'il avait choisi la vie de marin.

— Je l'ai vu le lendemain matin, embarquer à bord du navire d'Agung Bamgang Baderan.

— Le pirate javanais ? demanda Mastani. Je croyais qu'il avait disparu à la même époque, emportant avec lui le trésor royal du Royaume de Nouveau Madras. 

— C'est exact. Je crois qu'il était en train de prévoir son coup à Thoothukudi justement...

— Pourquoi aurait-il pris avec lui un enfant avant de voler un trésor pareil, alors ? demanda soudainement Yuya en réalisant que ce détail lui avait échappé.

— Parce qu'Agung Bamgang savait que le dernier des Rokkaku était un chaman puissant... répondit son maître, pensif. Et qu'il savait que l'enfant qu'il prenait avec lui allait devenir un prince des océans... 

— Peut-être, en tout cas, le pirate et son navire ont disparu peu de temps après le vol du trésor. Certains disaient que c'était parce qu'il avait trouvé une île dans le Pacifique où il avait pu couler une retraite tranquille, lui et son équipage, d'autres disaient avoir vu son bateau dans un typhon au large de l'Outremer.

— Un bateau dans un typhon ? demanda Mastani, sceptique.

— Oui. Un bateau fantôme.

Yuya frissonna et se retourna vers son maître. Elle ne laissa rien transparaître sur son visage. Après ce qu'ils avaient vu à l'université Kunlun avec les chasseurs de kraken, c'était malheureusement l'hypothèse la plus plausible.

— Et la deuxième fois que vous l'avez croisé ?

— C'était deux ans plus tard. Du côté de Surabaya en pleine République de Malacca, dans une île portuaire où j'essayais d'écouler ma pêche. Je faisais partie d'un équipage de crabier qui ratissait les fonds dans la région. Plus ou moins légalement. Lorsque le dernier Rokkaku est arrivé au port... ce n'était... Ce n'était déjà plus un enfant. Ni un mousse. Il est arrivé à bord d'un torpilleur du Dongnan volé. Et il en était le capitaine. A ses côtés, il y avait quelques membres de l'équipage d'Agung, et des sorciers. Vous imaginez le village de pêcheurs, quand les gens ont vu un torpilleur aux couleurs du Dongnan débarquer dans le port. C'était la panique totale. J'ai dû quitter l'endroit rapidement parce que ma vente de crabe n'était pas exactement des plus légales, et qu'un navire de guerre du Dongnan dans un Etat rival allait forcément attirer les autorités. 

Mastani ne put retenir un frisson d'appréhension. Elle avait enfin un récit qui liait le petit garçon qu'elle avait découvert dans ses ruines au chef des Loups de Midgard. Tous les éléments s'assemblaient, et elle y voyait de plus en plus clair. Munetoshi avait invoqué un Esprit de l'Eau suite au massacre de son clan, et il l'avait renfermé de l'autre côté au lieu de le prendre avec lui, pour une raison qui échappait encore à la sorcière. Puis il avait pris le large, avec l'intention de prendre le commandement d'un navire. Pourquoi ? Pour être le capitaine dont il avait toujours rêvé ? Pour fuir les fantômes de son passé ?

Comment était-il passé de l'équipage d'Agung à un torpilleur du Dongnan ? Et de ça à bossman ? C'était à peu près à l'époque où Ashmodaï, Azazel et Feng Hui s'étaient mis à régner en tant que bossmen. Et pourtant elle n'avait jamais entendu parler de lui. Même Azazel qui était capable de reconnaître la puissance magique de n'importe quel sorcier, n'avait jamais parlé de lui. Le derneir des Rokkaku avait-il vécu sur les mers jusqu'à ces dernières années, inconnu du monde qu'il s'apprêtait à chambouler ?

— Comment était-il, le bossman ? insista Mastani, sa curiosité poussée au vif.   

— Il était... terrifiant. Je ne sais pas avec quels démons il avait pactisé, mais l'énergie autour de lui était perturbée. A l'époque je n'aurais pas su la nommer, mais il dégageait une aura particulière. Aujourd'hui je dirais que c'était celle des Esprits Marins. Ce sont ceux avec lesquels les chamans traitent le moins. Nous préférons les Esprits d'animaux terrestres ou les élémentaires. Les créatures marines sont plus difficiles à comprendre, leur monde nous est inconnu. Lui... Il était déjà bien au-dessus de tout cela. Il avait apporté avec lui les nuages et les vents violents d'un début de typhon. 

— Quelque chose de surnaturel, même pour un chaman issu d'un clan ancien, comprit Yuya. 

  — Et ses hommes autour de lui étaient... silencieux. Ils obéissaient à des ordres inaudibles, et tous agissaient avec la même discipline solennelle. J'avais l'impression qu'ils avaient tout affronté ensemble. Ce sont des comportements de marins qu'on ne voit que dans les équipages expérimentés qui travaillent ensemble depuis des dizaines d'années. C'est en le voyant ainsi qu'il m'a vraiment fait l'effet d'un roi. 

Mastani hocha la tête discrètement et croisa les bras.

— Il nous reste donc à trouver comment il est passé de pirate à bossman

— Cet homme... reprit Daigon, il n'a rien à perdre sur cette terre. 

— Je sais. Et c'est parce qu'il n'a rien qu'il est capable de parier absolument tout. Pour un rêve.

—Que veut-il ? s'enquit Daigon.

— Supprimer les sorciers et... je pense qu'il veut ouvrir la Fracture. Pour laisser la Magie donner l'avantage à la Nature face aux Hommes.   

Yuya sentit l'excitation monter en lui. En entendant cela, il s'était senti soudainement plus joyeux. De l'espoir. Mastani tourna la tête vers lui en percevant son entrain. Elle le fixa froidement et il grimaça pour essayer de cacher son sourire.

Ce projet c'était... C'était tout ce dont devaient rêver les chamans, les habitants d'Outremer. Un monde où l'avancée technologique du Dongnan ne représenterait plus rien, où il n'y aurait plus de sorciers pour opprimer le peuple de l'Archipel.

— Mais... c'est un rêve de chaman, maître. Je veux dire... N'est-ce pas ce à quoi nous aspirons tous ? 

— Tu crois que les sans-pouvoirs y aspirent, Yuya ? La vie est déjà dure pour eux, alors imagine si l'univers tout entier leur devenait hostile. Ils ne seraient plus à l'abri nulle part. Et tous les Esprits comme celui de Watasabe seraient relâchés sur terre. Non, c'est inacceptable, nous avons besoin d'un équilibre entre les deux côtés de la Fracture. 

Daigon regarda la sorcière différemment. Les sourcils légèrement plus haut, il ne semblait plus si renfrogné. Il se mit à étudier son visage et remarqua soudainement la tête d'un dragon qui remontait le long de son cou. 

— Alors que défendez-vous, au juste ?

— Les choses telles qu'elles sont. Le monde dans lequel nous vivons est peut-être dur pour tout le monde, mais je ne pense pas que l'Apocalypse soit une solution. 

— Vous me rappelez une sorcière dont j'ai entendu parler il y a quelques années. Une jeune aventurière pleine d'idéaux qui s'était liée à un général téméraire pour affronter un gang dans le désert. 

La femme haussa les sourcils.

— Mais... ça ne peut être vous, à ce que j'ai entendu dire, la sorcière était belle comme le soleil et délicate comme la rosée sur des épines de pin.

Yuya se mordit les lèvres pour ne pas rire. Il ne pensait plus goûter au légendaire humour farceur des Tengu. Il était aussi amère pour les humains que ce que lui avait raconté sa grand-mère. 

Mastani foudroya Daigon du regard.

— Vous avez raison. Moi je suis belle comme la lune et délicate comme une barre de fer dans vos parties atrophiées... Et je crois qu'on en a assez appris de vous. Yuya, tu es prêt à partir ? Transforme-toi rapidement. 

— Quoi ? Maintenant ?

— Dépêche-toi gamin. 

Il se concentra sur son corps de renard et se transforma. Mastani ramassa ses vêtements et les noua entre eux. Daigon s'agenouilla pour se retrouver face à son museau et sortit un long collier de prières en graines de lotus. 

— Prenez cela, Maître Renard, dit-il en lui passant par-dessus le cou. Ce collier vous protégera des envoûtements. C'est la seule chose que je peux vous offrir, bien que j'aimerais pouvoir vous donner plus pour assurer votre sécurité...

— Pfff, dites tout de suite qu'il est en danger avec moi... se plaignit Mastani.

Daigon lui offrit son regard le plus noir avant de se retourner vers le renard.

—  Vous êtes l'espoir d'Outremer, ne l'oubliez pas. J'attendrai votre retour pour vous enseigner la voie des chamans. 

Le renard hocha la tête et huma le collier à son cou. Il sentait l'encens, le camphre et le santal. Il avait vraisemblablement été béni par le Yamabushi

— Je vous attendrai au Mont Hiei, conclut-t-il avant de se redresser et de se retourner vers la sorcière. 

— Alors, on s'embrasse pas ? fit-elle en lui faisant face. 

— Vous, tâchez de faire ce que vous promettez au monde... Vous n'êtes peut-être pas...

Il s'arrêta pour la regarder de la tête aux pieds non sans un air dégoûté. Il posa le regard sur ses tatouages qu'elle ne cachait plus de la cape et dont il pouvait sentir l'énergie puissante qui s'en échappait. Une énergie démoniaque.

— ... vous n'êtes peut-être pas celle que le monde attend, mais vous êtes certainement ce dont il a besoin. 

— La vérité n'est pas toujours plaisante et lumineuse, sourit-elle. 

Il sortit un masque en forme de crâne de corbeau d'un pan de sa robe et finit par sourire en le regardant.

— Je crois que c'est une leçon qu'il me reste à apprendre, moi aussi, alors tâchez d'accomplir votre mission pour me prouver que cet enseignement est réellement important. 

Il posa le masque sur son visage et sa peau changea subitement de couleur. Elle noircit et des plumes commencèrent à le recouvrir. Le bec de son masque se couvrit d'une chair sombre et Daigon disparut entièrement sous le Tengu.     

Il ne parla plus. Il émit un sifflement strident en direction de Mastani, un avertissement, et deux immenses ailes noires sortirent de sa robe. Il tendit une main griffue en direction de Yuya pour le bénir d'un mudra de puissance et s'envola. 

Les deux sorciers le virent partir vers le sud, volant rapidement dans les courants d'air d'altitude. 

— Ahhh... Mais quel prétentieux ! s'exclama alors Mastani. Heureusement qu'on l'a plus sur le dos ! 

Le petit renard se mit à grogner pour montrer sa désapprobation. Le Yamabushi était un homme respectable qui lui avait sauvé la vie ! Et qui avait essayé de lui faire profiter de ses enseignements !

— Ouais, très intéressant, siffla la sorcière. Bon dépêchons-nous. Tu es prêt pour un petit voyage souterrain ? Il faut qu'on arrive rapidement à Wakkanai si on veut avoir une chance de retrouver Grønvold.    

Grønvold ? pensa Yuya. Elle savait donc où se trouvait le Vindsang ?

— Avant qu'on ne le quitte, je lui avais demandé de nous y retrouver. On va l'attendre là-bas, il a beaucoup d'affaires à régler entre sa chasse dans le nord et ses recherches autour de Heidao. 

Mais Maître, on a pas le temps d'attendre ! Il faut arrêter les Loups de Midgard.

— Et qui va payer la traversée, jeune disciple impatient ? Je suis à sec, et toi tu l'étais déjà à moitié quand je t'ai fait les poches à Kitajima. On vivra comme on pourra c'est tout. Rien de dur dans une ville de pêcheurs en zone subarctique. Y aura forcément plein d'alcool, et qui dit alcool dit pigeons à détrousser !

Yuya désespéra et se tourna vers le sud, espérant voir encore l'ombre du Tengu  pour le héler, lui dire de revenir, que finalement il partirait bien avec lui pour le mont Hiei, mais il n'y avait plus que des nuages océaniques à l'horizon. Avant qu'il n'ait pu penser à autre chose, Mastani le saisit par le ventre et le souleva d'une main. 

— Accroche-toi, Yuya ! C'est reparti pour la balade de ta vie !

D'un bond, elle sauta dans le sable et s'y enfonça entièrement.    


Photo: Port de Hualien au couché du soleil, Taïwan, juillet 2018

Avez-vous apprécié ce chapitre ? Ça devait être l'avant-dernier en Outremer, mais finalement les préparatifs vont prendre un peu plus de temps que prévu ;)

Il était long, c'est vrai, mais il était nécessaire pour moi de conclure cette partie ;) 

Et que pensez-vous des histoires de Rokkaku et de son passé ? Ça mériterait presque un tome 2, mais j'aime aussi l'idée d'une narration indirecte et des voyages que peuvent susciter les récits racontés par des personnages eux-mêmes, comme vous avez déjà pu le voir avec Yuya et les récits des révoltes d'Outremer avec le Dongnan. 

Je pensais vous mettre la musique d'Assassin Creed Black Flag pour l'ambiance pirates des mers, mais je pense que le récit de Daigon devrait vous suffire pour le bruit des vagues XD

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