27 海洋是我們的戰場 L'océan est notre champ de bataille
Le bateau, un vieux remorqueur de sauvetage remis à neuf pour servir à la chasse, tanguait sur l'eau. Il était soulevé sans cesse, passant sur le dos d'une vague avant de retomber lourdement, attendant de remonter dans la deuxième.
Grønvold était un excellent capitaine. Il naviguait au milieu des eaux sombres et brumeuses de la baie de 黑島 Heidao, gardant son cap malgré les ombres étranges et gigantesques qui passaient en-dessous de son bateau. Ces créatures semblaient immenses...
— C'est vraiment étonnant que les marins d'Outremer ne travaillent pas dans la région, remarqua Mastani depuis le pont avant, affichant son air nonchalant habituel, malgré les démons des profondeurs qui nageaient autour d'eux.
Elle avait la tête penchée au-dessus de l'eau, à moitié pliée sur la rambarde de sécurité. Yuya s'approcha prudemment derrière elle, sans oser passer sa tête par-dessus bord.
C'était la dixième fois qu'elle se balançait comme ça au-dessus du vide et l'attitude insouciante de son maître commençait à lui donner plus le tournis que le roulis des vagues.
Yuya dut s'appuyer lui aussi, pour ne pas vomir. Il avait l'impression que plus il était haut, plus le mouvement était insupportable. Peut-être qu'en renard, il tiendrait mieux le coup, pensait-il en essayant de garder une once d'espoir, malgré la triste réalité. Il n'avait pas le pied marin.
— Moi qui pensait que tous les natifs d'Outremer étaient tous fait pour sillonner les océans. Si vous n'avez même plus ça, qu'est-ce qu'il vous reste ? siffla un des homme d'équipage, un Occidental.
Yuya se retourna vers lui et le dévisagea froidement. Mastani s'arrêta pour se redresser contre la rambarde et regarder l'homme. C'était le beau brun avec qui elle avait essayé de passer la nuit au dortoir.
— Eh, tu me dois une nuit de sommeil, lui cria-t-elle en souriant sournoisement.
— Il y a assez de place pour tout le monde sur ce bateau, m'approche pas, sorcière ! cracha-t-il en insistant sur ce dernier mot.
Yuya se retourna vers Mastani. Elle n'avait pas perdu son sourire sournois. Il commençait à la connaître, elle s'apprêtait à se venger. D'un geste de la main, elle donna vie à une corde derrière le marin pour lui enlacer les pieds et le faire tomber. L'homme fut tiré en arrière d'un seul coup et tomba lourdement.
— Salope de sorcière, c'est justement pour ça que personne vous aime ! Vous vous croyez supérieurs avec votre magie de merde...
— Viens régler ça autrement si t'as peur de perdre, siffla Mastani en s'approchant pour lui présenter son avant-bras, en remontant son jinbei. Bras de fer ?
Comment pouvait-elle avoir envie de se battre sur un bateau qui tangue ? Yuya alla s'appuyer au centre du pont, loin des bords où les vagues venaient frapper le bateau.
— Bras de fer, acquiesça l'homme en se relevant.
— Pas de ça sur mon bateau, cria Grønvold depuis la cabine de pilotage à l'arrière du navire. Mastani, j'ai besoin de vous, je crois qu'on approche de quelque chose de gros, et qui fait des remous.
La sorcière lâcha un dernier sourire méprisant au marin et revint à la rambarde pour regarder l'horizon, face au soleil levant. Elle pouvait distinguer une forme dans les rayons du soleil qui peinaient à percer le voile blanc de la mer, et vit des formes longues qui émergeaient lentement des eaux devant eux.
Elle sentit une force magique qui se densifiait sous l'eau. Quelque chose de gros approchait, quelque chose de très gros.
Au moment où elle allait lancer un éclair à travers l'eau pour essayer de faire partir la créature, le vent se leva et une pluie diluvienne se mit à tomber sur le bateau, imbibant immédiatement la sorcière jusqu'à l'os.
Elle frissonna en pestant. Sa veste d'aviateur en peau de mouton était devenue si lourde qu'elle dut l'ôter.
Les vagues devinrent plus hautes et le bateau se mit à piquer du nez, l'obligeant à se cramponner à la rambarde.
— Putain, fais chier ! cria-t-elle, j'en ai marre de ce temps de merde, j'en ai marre de cette ambiance lourde, et par dessus tout... j'en ai marre de ces putain de fruits de mer géants !
Dans un élan de rage, elle courut sur le pont et sauta de la proue pour se jeter dans les eaux tumultueuses. Yuya n'eut même pas le temps de lui crier de revenir.
Il se pencha par-dessus le bateau, et vit une grande lumière rouge illuminer subitement les lourdes vagues qui se brisaient contre la coque du remorqueur. L'éclair de couleur étrange fit apparaître les ombres immenses de larges tentacules.
— Calamar géant, cria un marin en voyant la forme de la créature.
— Messieurs, sortez vos harpons ! s'époumona Grønvold dans le vacarme apocalyptique de la mer et du ciel déchaînés.
Les hommes autour de Yuya se mirent à courir dans tous les sens, traversant le pont sans éprouver de difficulté à le descendre et à le remonter lorsque le bateau montait sur les vagues. Ils sortirent de longs harpons reliés à des cordes de fer et les placèrent sur de grandes arbalètes mobiles qu'ils devaient tenir à deux.
Face des méthodes si archaïque, Yuya se mit à craindre pour sa sécurité. Mais... ils n'avaient pas de "véritables" armes pour lutter contre la créature ? Des fusils laser, des boucliers de protection, des grenades aquatiques ?
A cet instant, un marin passa devant lui et lui fourra deux objets aux formes rondes dans les mains. Yuya regarda l'homme s'éloigner vers une arbalète avant même de baisser les yeux sur ce qu'il tenait entre ses doigts. Des grenades. De simples grenades avec des goupilles semblables à des ouvre-boîte... Comme dans les guerres de l'Ancien Monde.
Ce remorqueur et ces marins n'en étaient-ils pas tout juste sortis, finit-il par se demander, à mener leur guerre sur leur pavillon bondissant comme s'ils cherchaient à faire du rodéo sur des baleines.
Yuya vit les hommes ballottés sur le pont qui attendaient la prochaine vague descendante pour lancer leurs harpons, comme des archers attendant que l'ennemi approche, tandis que le capitaine maintenait son bâtiment dans la course des flots, alors que les vagues venaient se briser sur sa cabine.
Pour se redonner du courage et travailler en rythme, les hommes se mirent à chanter en chœur, un chant de marins qui sonnait étrangement au milieu des hurlements du vent et de la pluie.
Le jeune étudiant sentit l'énergie magique brute qui émanait de ces hommes, et sa force le frappa comme un marteau. Il dut agripper solidement à un tuyau. La magie était de même nature pour chacun d'entre eux. Ils étaient une équipe, des coéquipiers, liés dans leur quête des océans, au-delà de leur individualité.
— Sorcière, hurla Grønvold dans le vent, montrez-nous la bête ! Marquez-la de votre lumière, que nous la marquions de nos fers !
Une lumière d'un rouge vif traversa alors l'eau et les tentacules du calamar apparurent comme des spectres qui s'étaient dressé au dessus de l'eau, se préparant à retomber sur le remorqueur.
— Haha, il n'est pas arrivé, le jour où mon Vindsang devra sombrer, s'écria Grønvold en riant, à l'assaut !
Les harpons volèrent dans la tempête, sifflant au milieu des flots. Ils firent tous mouche, sauf un qui fut aspiré par une force magnétique à côté du bateau. Yuya s'approcha du bord pour regarder lorsqu'il sentit quelque chose heurter la coque.
— Eh, là ! protesta le capitaine en reprenant le contrôle de la barre qui avait vrillé un instant sous la force du coup. Vérifie que le bateau n'a rien, petit !
Yuya s'approcha de la rambarde, luttant avec les vagues et pencha sa tête en avant. Il trouva Mastani accrochée magnétiquement à la coque. Elle était sans cesse recouverte par les immenses vagues qui la frappaient. Alors que de la main droite, elle se maintenait contre le bateau, de la main gauche elle tenait fermement le harpon perdu.
— Le calamar résiste à la magie, hurla-t-elle à son disciple, il la bloque et je ne peux pas m'approcher plus près. Dis à Grønvold de viser ses yeux !
— J'y vais !
Il remonta le pont au milieu des marins qui préparaient leur deuxième salve de harpons. Lorsqu'il arriva au niveau du capitaine, il le trouva en train de tenir la barre d'une main, tandis que de l'autre, il affûtait son propre harpon contre la base en acier de sa barre.
— Ces maudits démons des mers résistent aux attaques magiques, n'est-ce pas ? fit-il en riant, c'est qu'ils ont besoin de rencontrer le vieux Torvald pour savoir de quel côté de la Fracture ils ne sont pas les bienvenus ! Prends la barre et tiens là quand on brise !
Le capitaine attrapa l'étudiant de sa main armée du harpon et le plaça devant lui, les mains sur la barre. Il lui appuya sur les phalanges en faisant vriller la barre pour lui montrer comment réagissait le bateau.
— "Quand on brise" ? Qu'est-ce que ça veut dire ? s'écria Yuya, terrifié.
— Ton maître dis que tu apprends vite. Alors apprends vite la navigation.
Il lui donna une ultime tape sur l'épaule avant de sortir de la cabine. Yuya se retrouva seul à manœuvrer le Vindsang, usant de toutes ses forces pour maintenir le bateau dans sa trajectoire. Il comprit ce que signifiait "quand on brise" lorsqu'il passa la première vague.
Elle leur tomba dessus et le pont disparut un instant sous des tonnes d'eau noire. Inquiet, Yuya guetta devant lui pour voir s'il ne venait pas de jeter des marins par-dessus bord.
Les hommes avaient tenu bon. Ils étaient à présent à genoux et tentaient de remettre sur pied les lourdes arbalètes dont les harpons étaient tombés sous la violence de la vague.
La deuxième vague gigantesque approchait. Yuya poussa en avant la manette qui lui semblait contrôler la puissance du bateau pour accélérer en montant la vague. Lorsqu'il redescendit, il eut l'impression que le choc était moins dur et les hommes dehors n'eurent pas à rester couchés sous une nouvelles vague arrivant de front.
Il vit alors Grønvold sur le pont supérieur, devant la cabine, qui chantait avec ses hommes, s'apprêtant à jeter son harpon à la seule force de ses bras.
Un nouveau éclair rouge éclaira les eaux et les tentacules harponnées apparurent au-dessus du bateau. Les deux énormes yeux noirs et brillants de la bête étaient dissimulés derrière ses immenses bras, ils étaient difficilement accessibles.
Et pourtant, d'un geste sûr, Grønvold lança son harpon entre deux tentacules.
Le fer partit dans un œil et le calamar tressaillit, levant ses longs bras vers le ciel un court instant. Ce fut assez pour qu'un deuxième harpon parte de sous le bateau, là où se trouvait Mastani, atteignant l'autre œil par en dessous.
La bête se cabra silencieusement, ses grands yeux répandant un liquide incolore sur son corps visqueux.
— Bien joué, maître ! s'écria Yuya sans faire attention au calamar blessé qui laissait tomber ses tentacules sur le pont. Le Vindsang s'enfonça soudainement dans l'eau sous le poids du monstre.
— Jetez-le à l'eau ! cria le capitaine en faisant de grands signes à ses hommes.
Ils se mirent en équipe autour des membres visqueux pour les passer par-dessus bord, et réussirent finalement à se débarrasser de la bête qui disparut dans les profondeurs.
Sa magie se dissipa avec lui et les vagues se calmèrent, alors que la pluie se transformait en un crachin de brouillard, blanc et clair, beaucoup plus sain que les torrents noirs qui s'étaient abattus sur le bateau. Mastani remonta sur le pont et essuya ses longs cheveux noirs.
Grønvold reprit place à la barre en donnant une nouvelle tape à l'épaule du jeune homme.
— Bravo gamin, un vrai marin ! Un hourra pour le jeune Yuya qui nous a conduit face au calamar !
— Hourra ! Hourra ! crièrent tous les hommes en chœur, communiquant leur énergie formidable au jeune étudiant.
Il sourit béatement, incapable de réagir, trop émerveillé par ce qui venait de se produire. Il venait d'assister à son premier combat de mer. L'événement que tous les jeunes d'Outremer attendaient lorsqu'ils partaient en mer pour la première fois. La raison pour laquelle il méritaient leur bague en os de baleine lorsqu'ils rentraient.
Il avait vécu son initiation avec des marins blancs et une maître d'oeuvre eurasienne, mais c'était comme tel, sa première chasse, et c'est tout ce qui comptait.
Il se tourna vers Mastani qui avait entendu ses pensées alors que les marins commençaient à chanter un vieux chant de l'Ancien Monde, "Sally Brown". La sorcière lui sourit et pointa l'horizon qui se dégageait peut à peu face à eux.
Ils venaient de dépasser la zone brumeuse des eaux de 黑島 Heidao, et l'océan blanc et gris de ce début de matinée leur apparaissait plus clairement. Yuya plissa les yeux en cherchant dans l'horizon ce que son maître pointait du doigt.
Une forme noire émergeait de la ligne d'horizon, comme les dents aiguisées qui sortaient de la mer. Des montagnes.
Outremer.
Yohoho ! Voilà un chapitre qui ravira les fans de Melville, moussaillons !
Qu'en avez-vous pensé ? Avez-vous senti l'appel de l'océan, le goût de l'eau salée, l'envie de beignets au calamar à la romaine vous a-t-elle titillé l'estomac ?
Et avez-vous apprécié Santiano ? Du bon vieux schlager teinté de vieilles musiques de marins pour le bonheur des amateurs de musique populaire germanique !
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