25 金秋廳 Le Palais de l'Automne d'Or
Keith Hudson se leva silencieusement, s'extirpant le plus lentement possible des draps où un corps était encore assoupi. Il prit un verre d'eau sur la table de chevet et sortit un tube de médicaments du tiroir en-dessous. Il en sortit une petite enveloppe contenant une poudre brune qu'il versa dans son verre avant de boire.
Putain de médecine dongnanienne avec son goût atroce. On peut même pas entretenir le cliché du détective dépressif tranquillement...
Il se retourna vers la femme étendue dans le lit et regarda son visage paisible, son petit nez pointu, ses cheveux noirs teintés de violet qui tombaient sur son front.
Il s'attarda plus longtemps sur ses formes plates mais graciles. Il le connaissait bien ce corps frêle, long, presque anorexique. Il pouvait en dire beaucoup, et pourtant, chaque fois qu'il le voyait, il devait tout découvrir à nouveau.
Il vit les cicatrices encore fraîches qu'avaient laissé sa chute de la pagode. Heureusement que Gillas s'était défait des Loups qui le pourchassaient pour la récupérer, pensa-t-il avec une certaine amertume. Ce n'était pas lui qui l'avait sauvée...
Elle se retourna dans le lit. Ce corps trop mince, trop pâle, c'était celui de Moira l'Invocatrice, et pour rien au monde il n'aurait eu l'audace de le considérer comme chétif. Il n'osait jamais la contredire lorsqu'elle lui demandait d'être plus brusque avec elle, et il n'osait même pas penser qu'il pouvait lui faire mal, car elle lisait très bien dans ses pensées. C'était lui, l'oisillon chétif entre les griffes du chat.
Il se dirigea vers le canapé où s'étalaient ses affaires et les siennes, qu'ils avaient jeté négligemment. Il enfila sa chemise de la veille et entendit Moira se bouger dans son dos. Lorsqu'il se retourna vers elle, elle avait remonté le drap sur sa poitrine et ramenait ses cheveux en arrière d'une main.
— Tu pars déjà ? Certaines choses ne changent jamais, dit-elle lascivement.
— 對 (dui, oui).Je dois faire mon rapport sur l'université Kunlun.
— Quoi, tu ne l'as pas encore fait ? Les détectives sont toujours en retard... J'étais en convalescence pendant deux jours et j'ai déjà rendu le mien !
— Mes supérieurs à moi ne me traitent pas comme un esclave.
Elle lui lança un regard noir et s'allongea à nouveau.
— Tu sais qu'il y a certaines choses qu'ils ne voudront pas entendre, venant d'un investigateur spécial d'Etat. Moi je peux dire les choses telles qu'elles sont parce qu'on considère que je n'ai aucun pouvoir politique et qu'on sait que je ne parlerai jamais devant une caméra.
— C'est quoi ton problème avec les caméras ?
— Je n'ai pas envie de voir mon reflet... dit-elle en baissant la tête.
Il s'assit sur le lit et tendit le bras pour lui caresser la joue.
— 好可惜 (hao kexi, c'est dommage), tu ferais une merveilleuse actrice...
— Et qu'est-ce que je dirais ?
— Ce qu'ils te mettent sur un petit carton plastifié, 表演一下 (biaoyan yi xia , en jouant un peu la comédie). "L'université a explosé des suites d'une fuite magique au sous-sol. La sécurité était défectueuse et nous ne savons pas encore à combien s'élève le chiffre des pertes. Les Loups de Midgard n'existent pas, vous ne craignez rien, citoyens du Dongnan, votre Etat veille à votre sécurité" récita-t-il froidement.
— "Vous n'avez rien à craindre, l'Etat a mis sur le coup l'investigateur spécial le plus lent de tout le Dongnan"
— 我以爲你喜歡這樣 (wo yiwei ni xihuan zheyang, Je croyais que t'aimais ça).
Il s'avança vers la porte de la chambre en récupérant ses vêtements les uns après les autres, comme un jeu de piste qui, il le savait, menait jusqu'à l'escalier, l'endroit où ils avaient commencé à se déshabiller la veille.
— Vas rendre ton rapport, investigateur Hudson, avant que je n'ai envie de te changer en tortue... Et n'oublis pas tes affaires avant de partir, parce que si je te vois revenir sonner chez moi, je ne t'ouvrirai pas.
— C'est noté, répondit-il avec un rire jaune.
Il sortit de la chambre et descendit les escaliers de bois blanc menant au salon. Il tomba nez-à-nez avec Gillas, dans son bel habit violet d'enfoiré d'étudiant à la con, avec sa boucle d'oreille en or de Madras qui lui tirait le lobe. Hudson aurait aimé voir la boucle devenir lourde au point de lui arracher l'oreille...
— Tiens, Hudson, aboya Gillas avec un sourire mauvais, le maître ne vous a pas invité pour le petit déjeuner.
— Mêles-toi de ton cul, disciple de mes deux.
— Qu'est-ce que tu dis ? J'ai rien entendu, désolé, faut que je monte prendre la relève.
Putain, et ça c'est un prince, grommela intérieurement Hudson en claquant la porte.
Il se retrouva dans une petite court intérieure aménagée en jardin floral. Qui aurait cru qu'une invocatrice de rang national vivait dans cette petite maison traditionnelle du vieux quartier ? Pas Hudson, c'était certain. Il était chaque fois étonné du pittoresque de sa maison.
Dès le moment où il posa le pied dehors, il fut terrassé par l'humidité et la chaleur. Et encore, ce n'était que le début de la journée...
Il quitta la court qui donnait sur une rue passante du vieux bourg de Yunhai, et héla immédiatement un taxi. Alors qu'un véhicule jaune approchait en ralentissant, il dût faire un effort supplémentaire pour rester calme et garder des pensées simples. Il monta dans le taxi et indiqua sa destination:
— 中區警察管 (zhongqu jingchaguan, commissariat central), entrée 7, au bureau des Communications.
Le chauffeur acquiesça sans discuter et partit, laissant la vieille musique romantique de karaoké en dialecte du sud du Dongnan prendre l'initiative du monologue. Dès qu'ils eurent dépassé le paté de maisons, Hudson se pencha en avant et rectifia:
— Finalement nous allons au 金秋廳,le Palais de l'Automne d'Or.
Le chauffeur haussa les sourcils et changea de direction sans rien dire.
Le détective sourit et entreprit de reboutonner correctement sa chemise. Voilà, maintenant il pouvait s'autoriser à réfléchir. Il n'était plus susceptible d'être écouté par Moira. Elle faisait une trop bonne télépathe pour qu'il prenne de risques.
Dès qu'il avait eu cette idée, il s'était empêché d'y penser en se concentrant sur autre chose. L'alcool l'y avait énormément aidé, mais la nuit passée avec Moira avait été bien plus efficace pour l'empêcher de penser à un autre sujet.
Au final elle avait brouillé les pistes elle-même, se dit-il non sans satisfaction. Si elle n'avait pas été aussi douée, peut-être aurait-il eu le temps de repenser à son idée.
Elle pensait qu'il allait au commissariat pour passer une communication directe avec la capitale et expliquer à ses supérieurs comment il avait échoué à attraper le bossman. Peut-être même que ça la faisait rire de s'imaginer qu'il perdrait son poste, qu'il serait viré, et qu'elle le laisserait revenir auprès d'elle comme on jette un os à un chien errant.
Mais ce n'était pas à l'ordre du jour. Non, son passage dans l'Enfer monstrueux de l'orbe noire lui avait remis les idées en place.
L'Etat ne ferait rien d'efficace. Le Dongnan avait peur, pas des Loups, mais de ses voisins. Et il était évident que l'Etat n'arriverait pas à régler le problème seul.
Hudson le savait, il lui fallait trouver les véritables motivations des Loups avant le Dongnan pour montrer à l'international le danger qu'ils représentent, pour mettre en place un groupe d'intervention avec des sorciers plus puissants, et une puissance militaire supérieure à celle du Dongnan. L'Etat n'était pas prêt à affronter le dieu de la Mort qu'il avait vu dans l'orbe, il en était persuadé.
Et il savait qui contacter pour passer à l'international...
Le taxi s'arrêta non pas devant l'entrée principale du Palais de l'Automne d'Or mais dans une petite rue d'où sortaient les commis de cuisine. Hudson sortit et se dirigea directement vers l'entrée de service.
— Eh, mon gars, c'est pas ici l'entrée, lui beugla un cuisinier.
— Ah oui ? Pourtant je vois une porte...
Il glissa un billet entre les doigts de l'homme et passa devant lui pour entrer. Un peu trop facile.
Il longea un couloir de service où les chariots portant des assiettes filaient dans tous les sens, puis il arriva dans un grand hall couvert d'un tapis rouge bordeaux, où la hauteur des lustres rivalisait avec celle des tableaux classiques de l'Ancien Monde.
— Vous vous êtes perdu, monsieur ? lui demanda une voix plus imposante que celle du cuisinier.
Cette fois-ci, même deux billets risquaient de ne pas être suffisant. Il se retourna et se trouva face à un garde du corps en costard. Un peu trop bien habillé et poli pour être de la sécurité de l'établissement. Il devait appartenir à quelqu'un d'important. Peut-être l'homme qu'il cherchait.
— Je suis venu pour un rendez-vous avec... votre employeur, tenta-t-il.
Vous avez du culot Mr Hudson. Venir ici sans mandat... tonna une voix dans sa tête. Hudson ressentit une immense douleur percer son crâne comme un pieu. Il s'attrapa la tête des deux mains et dût mettre un genou à terre. Ses sens de pisteur étaient totalement bouleversés, il eut du mal à retrouver son équilibre.
Le garde s'approcha de lui et avant qu'il ne l'ait touché, Hudson se releva pour lui donner un coup de crochet du droit, suivit d'un coup de pied au genou pour le déstabiliser. Le Goliath ne réagit pas, il lui colla une gifle qui fit tomber le détective. Il resta au sol, sonné.
— Le boss vous avait senti venir, dit soudainement le garde du corps, il vous attend.
— C'est vrai qu'il est réputé pour sentir venir les flics, marmonna Hudson.
Le colosse saisit le détective par le cou et le releva avant de le jeter contre le mur. Au lieu de s'y écraser le nez, Hudson se sentit passer au-travers. Ça n'avait jamais été un mur, c'était un couloir, et il tomba sur sa moquette dans un bruit sourd.
Putain d'illusions. Il se releva et essaya de continuer tout droit dans le couloir. C'était un labyrinthe d'illusions, et peu importe quelle porte il choisirait, quel escalier il déciderait de monter, il finirait par arriver là où le créateur du sort voulait qu'il arrive.
Il marcha quelques minutes à travers un couloir d'hôtel aux boiseries sombres et raffinées, entrecoupé de vases absolument tous identiques. A mesure qu'il avançait, le mur du fond s'éloignait. Un couloir sans fin. C'était exaspérant, lassant, énervant, et il n'avait pas le temps de jouer à ça.
— Arrêtons de jouer, voulez-vous, cria-t-il tout à coup dans le silence du couloir, je viens pour une affaire importante !
Ne croyez-vous pas que c'est ce qu'ils disent tous ? fit la voix qui venait de nulle part. Une affaire importante, une offre incroyable... Ouvrez la prochaine porte que vous voudrez, Mr Hudson, et vous trouverez la sortie.
— Les Loups de Midgard se sont reformés ! 他們有新的老大 (tamen you xin de laoda, ils ont un nouveau chef) !
Je sais déjà tout cela, Mr Hudson. Vous ne m'apprenez rien, maintenant sortez avant que je ne vous redirige vers ma cage aux chiens.
Hudson s'arrêta en sentant la douleur dans sa tête revenir.
— Leur nouveau bossman... il a des pouvoirs qui dépassent l'entendement.
Étrangement, la voix ne répondit pas cette fois-ci.
Au bout d'une trentaine de secondes, une porte s'ouvrit toute seule et Hudson vit une grande pièce donnant sur une baie vitrée. Un bureau vide trônait au milieu, sur lequel un seul caractère était gravé, 惠, Hui.
Grand retour de Hudson ! Avez-vous apprécié de retrouver ce personnage ?
Et que pensez-vous de Moira en la voyant en dehors de son antagonisme avec Mastani ?
Photo: Four Season Hotel Beijing
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