24 第一節課 Première leçon
Yuya se retourna pour la trentième fois de la nuit, indisposé une fois de plus par les ronflements profonds du marin norvégien qui dormait dans le même lit que lui.
Le dortoir était minuscule, les quatre lits supposés pouvoir accueillir seulement quatre personnes étaient occupés par les six marins et Yuya. Mastani dormait à même le sol. Elle s'était un peu trop frottée à l'un des harponneurs après son cinquième verre de rhum, et il l'avait repoussé en la poussant du lit.
Elle avait passer les premières heures de la nuit à chantonner des paroles qui n'avaient aucun sens, dans son ivresse, puis elle avait dormi comme une souche jusqu'aux premières heures du matin.
Lorsque Yuya se leva finalement, décidant d'abandonner l'inconfort de son lit, elle se leva aussi et ils se rendirent tous les deux dans la pièce d'à côté, la grande salle où ils avaient dîné.
Le jeune homme s'assit à une table vide sans même un bonjour pour les autres clients qui s'étaient déjà levés. Mastani partit au comptoir se servir deux bols de soupe au poisson froide qu'elle apporta à son disciple.
— Quelle nuit, commença-t-elle.
— Vous parlez, vous avez bu jusqu'à la lie, puis vous avez chanté jusqu'à deux heure du matin avant de dormir comme un loir...
— Je chantais pour m'endormir... et ça a pris du temps parce que je chante mal, plaisanta-t-elle.
— Maître, je n'ai pas dormi de la nuit et... j'ai beaucoup pensé.
— Ah, c'est bien de penser, Yuya.
— Je me suis posé beaucoup de questions... Sur ce qu'on a vu à l'université Kunlun, et sur vous aussi...
— La soupe est encore plus mauvaise quand elle est froide, tu ne trouves pas ?
— Maître, s'il vous plaît. Pourriez-vous être aussi directe et franche dans vos réponses que dans votre magie ?
Elle leva les yeux vers lui, prenant une expression plus sérieuse.
— Quelles question ?
— Je voudrais savoir... comment vous m'avez trouvé ? Qu'est-ce que vous faisiez si près de mon école ?
— J'étais en train de retourner en ville après quelques missions pour le compte d'un collectionneur d'objets rares. Je ne devais pas passer par là, et puis j'ai senti une énergie étrange. La magie fantôme. Je n'avais aucune idée de ce que c'était, et puis je suis tombée sur des hommes portant les insignes des Loups. Ça m'a rappelé des souvenirs... Et je me suis sentie obligée de vérifier si ce n'était pas des gamins qui jouaient aux cons avec des symboles qu'ils ne comprenaient pas.
Yuya hocha la tête. Il avait compris tout cela, mais il allait pouvoir poser une autre question, qui lui tenait plus à cœur.
— Maître, quand j'étais avec le détective Hudson, il a parlé de votre passé. Il a expliqué que vous vous étiez introduite chez les Loups en devenant l'une des leurs. Qu'est-ce que... qu'est-ce qui vous a motivé à faire ça ?
Elle regarda un morceau de tête de hareng qui flottait dans sa soupe et le souleva parmi les autres morceaux.
— J'avais envie de me lancer dans une quête impossible. D'avoir une belle mort, dit-elle froidement.
Puis elle releva la tête et continua, en souriant cette fois:
— Et quel merveilleux choix pour la jeune suicidaire que j'étais. Ils m'en ont fait baver aux sélections, cette bande de fumiers. Je mangeais des trucs pire que ça, et j'avais des quotas à remplir...
— Des quotas ?
— ...De sorciers à tuer.
— Vous avez tué des sorciers pour devenir un Loup.
— Oui.
Yuya baissa la tête. Sa main droite se mit à trembler et il la cacha sous la table. 187, 187 morts, c'était ce qu'avait dit Hudson.
— Et aujourd'hui... vous n'entretenez plus de relations avec eux ? Vous ne... vous n'êtes plus des leurs ? demanda-t-il d'une voix fluette.
Elle le foudroya du regard. D'un geste vif, elle saisit Yuya par le col et l'amena sur la table, renversant son bol de soupe.
— Que crois-tu ? Que je t'ai sauvé pour mieux te manger plus tard, petit renard ?
— Pardonnez... pardonnez-moi, maître. Je ne voulais pas...
Elle le reposa sur sa chaise et reprit son calme.
— Tu dis ça parce que tu ne comprends pas le comportement de leur chef. Je sais. Moi non plus je ne comprends pas pourquoi il nous a épargné.
Le disciple prit une légère inspiration avant de sortir sa prochaine phrase.
— Il avait l'air de vouloir vous faire rester...
La sorcière entreprit d'éponger la soupe répandue sur la table avec une serviette en papier.
— Je sais.
Yuya n'ajouta rien, sentant qu'elle avait l'intention de poursuivre.
— Tu as déjà eu... l'impression que sans avoir vécu bien longtemps, et peu importe le nombre de personnes que tu avais déjà connu, tu retrouvais toujours les même visages, les même attitudes, les même personnalités, les même aspirations ? Comme si tous les hommes t'étaient communs et familiers ?
— Eh, vous voulez dire être désabusé ?
— ... comme si tu avais déjà croisé tout l'univers au cours de tes vies précédentes et que celle-là n'était qu'une accumulation d'expériences déjà refroidies, dont tous les mécanismes t'apparaissent clairement...
— Vraiment TRÈS désabusé ?
— ... et le sentiment profond que ce monde n'ait plus d'intérêt pour toi que si tu peux t'amuser à le faire dysfonctionner, à briser ses mécanismes, à sortir de ses immuables schémas qui se reproduisent à l'infini ?
— Mais... ce n'est pas ce que vous faites, maître. Vous n'êtes pas comme ça.
— Je l'ai fait, fut un temps. Mais cette sensation de répétition est restée.
— Est-ce que moi aussi je vous fait l'effet d'une copie refroidie ?
— Haha, Yuya. Tu m'es familier, mais tu n'as rien d'une copie prévisible et ennuyante. Ton visage et ton esprit encore naïf et sauvage sont extraordinaires, mais les légendes les plus anciennes parlaient déjà de héros avec ton esprit et tes capacités insoupçonnées, tu les incarnes différemment, c'est tout. Non, ce que je voulais dire en parlant de ça, c'est que le nouveau bossman des Loups ne me laisse pas cette impression. Je n'ai jamais vu ce qu'il est chez un autre humain, je n'ai jamais ressenti sa magie avant, et je n'arrive pas à anticiper ses actions, à entrer dans son mécanisme pour le comprendre et le briser. C'est comme essayer de saisir de la fumée...
— Vous êtes amoureuse, maître, conclut Yuya d'un ton sérieux.
Outrée, Mastani partit en arrière sur sa chaise et posa un poing sur la table.
— Répète ça pour voir, gamin ! De quoi je me mêle ? Il n'est pas question de ça ! Qu'est-ce que tu peux y comprendre, toi, du haut de tes seize ans ? C'est plus compliqué que... que de l'amour, ces choses là ! Ce n'est pas parce qu'un type me donne du "reine de je sais pas quoi" et qu'il m'invite à rester boire un thé que ça me rend...
Yuya baissa la tête humblement, puis souffla plus bas:
— Vous n'arrivez même pas à le dire. "Amoureuse".
— C'est vraiment un mot de merde, on dirait un mot de gosses qui jouent à la dînette, cracha-t-elle. Etre amoureuse, putain. Ne t'avises plus de refaire ce genre d'association foireuse, Yuya.
— Oui, maître, répondit-il docilement, non sans esquisser un sourire.
Elle pesta encore une fois et commença à se calmer en grattant sa cuillère en bois contre la table.
— Mais avouez quand même qu'il n'est pas mal pour une femme de votre âge, ajouta soudainement Yuya d'une voix plus forte.
— "Une femme de mon âge" ?! explosa-t-elle en se levant d'un bond.
— Eh, vos gueules dans la cantine, y'en a qui aimeraient profiter de la matinée, cria quelqu'un depuis une des chambres adjacentes.
Yuya se tordit de rire en voyant son maître piquer un fard. Elle ne put lui en vouloir plus longtemps pour sa malice. Après tout, elle avait choisi pour élève un métamorphe-renard. Elle s'esclaffa et l'attrapa par les hanches pour le soulever au-dessus de la table avant de le laisser retomber sans le lâcher, dans un semblable de lutte libre.
— Je vais t'apprendre le respect, disciple impertinent, dit-elle en jouant. Fais voir ta défense au corps à corps.
D'un geste de la main, elle repoussa les tables vides autour d'eux et se jeta sur lui pour le faire tomber. Trop maladroit, il n'esquiva même pas et se laissa tomber au sol comme un poids mort.
— Où est passé l'agilité légendaire du renard, Yuya ? J'ai l'impression d'avoir secoué un sac de patates ! Essaye de me faire tomber !
— Maître, j'ai pas dormi de la nuit et j'ai mal au dos.
— Raison de plus pour être vif et agile. Tu as plus de chances de faire des fautes !
L'étudiant tenta de se jeter sur elle et elle l'esquiva en se décalant simplement. D'un rapide coup de pied circulaire, elle le fit tomber par terre.
— Quoi, encore au sol ? Tu aimes ça ?
— Non, répondit Yuya essoufflé.
— Alors relève-toi. On t'as pas appris à te battre en école de magie, hein ?
— Non, dit-il en se levant.
— C'est bien. Tu auras toujours un coup d'avance sur eux, alors. Mais essaye de gagner un coup d'avance sur moi aussi, petit. Sois imprévisible, attaque là où je ne t'attends pas.
Alors que Yuya se redressait pour partir à l'assaut, les marins de Grønvold sortirent de la chambre, les uns après les autres, et s'installèrent dans la salle pour regarder la leçon du maître.
Yuya s'avança vers elle, plus lentement cette fois-ci. Il avait compris qu'il ne pouvait pas vaincre en fonçant tête baissée. D'un bond, il s'élança pour donner un coup d'une main, avant de changer de pied d'appui pour donner un coup de l'autre. Mastani para les deux sans efforts et Yuya se retrouva bloqué. Elle l'attrapa par le ventre et le souleva avant de le laisser retomber.
— Pas mal, dit-elle en frappant sa veste qui avait pris la poussière du sol, mais change de pied d'appui quand tu frappes, pour donner plus d'impulsion à tes coups.
— Oui, maître.
— On va passer à la vitesse supérieure. Pas que tu t'améliores, hein, mais je commence à m'ennuyer. Tu te souviens de la télékinésie que tu as employé hier ? Concentre cette idée dans tes poings. Essaye de me frapper avec, comme si ton esprit se prolongeait dedans et que tu pouvais aller au-delà.
— Je ne suis pas sûr de comprendre, fit Yuya en baissant sa garde.
— Dommage pour toi, petit.
Elle sauta au sol et d'un coup de pied remontant vers lui sans le toucher, elle le fit décoller du sol et tomber contre le mur derrière eux. Elle tendit sa main vers lui et la ramena contre ses hanches d'un geste sec, et Yuya fut tiré par une main invisible, beaucoup plus rapide et violente que de la simple télékinésie magique.
— Télékinésie de combat petit. Accompagne tes sorts de gestes, et tout ton corps deviendra l'arme, le mouvement sera ton impulsion.
Yuya hocha la tête, encore sonné, et se remit instinctivement en piste, remontant faiblement sa garde. La sorcière se mit à rire.
— Ça ira comme ça, Yuya. Assez pour aujourd'hui, sinon tu vas tourner de l'œil quand on prendra le bateau.
Yuya hocha la tête, reconnaissant et épuisé, puis il commença à ranger les tables et les chaises que son maître avait écarté, en disciple bien sage. D'un revers de la main, Mastani fit rassembler tous les meubles à leur place d'origine et son élève n'eut plus qu'à s'asseoir. Il s'affala sur sa chaise alors que Torvald Grønvold s'approchait.
— Surprenante, sorcière, vous êtes surprenante... On lève l'ancre dans une heure. Dites au-revoir au continent et préparez vos affaires.
Rapide petit chapitre de transition !
L'apprentissage de Yuya est toujours de mise !
Espérons que leur traversée des eaux de Heidao se fasse sans soucis !
Au fait, petite question pratique, vous écoutez les musiques que je vous met en média entre les parties du texte ? Et les photos vous plaisent ? J'essaie de proposer vraiment toute la gamme possible de l'univers sensoriel de Mastani, si je pouvais sortir un parfum "relents de saké et musc de renard carbonisé", je vous jure que je le proposerais sur Wattpad !
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