2 新巫師 Nouveaux Sorciers

Yuya regarda son nom sur la feuille de verre et remonta le dernier trait du deuxième caractère, d'un simple frottement des doigts, à quelques centimètres du verre. Le nom se corrigea instantanément. 優也. Voilà, il était prêt à rendre sa dissertation. Le plus pur style personnel, si particulier aux cours de rhétorique du Dongnan. Il releva la tête pour regarder le reste de la salle d'étude.

Les lumières irisées des lampes magiques avaient diminué en intensité, pour que les élèves ne se perdent pas en contemplation au milieu des étagères de livres et des immenses vitraux représentants les premières grandes batailles du Nouveau Monde. Yuya ne pouvait même pas apercevoir le haut plafond, tant la pièce était plongée dans l'obscurité. Il était entouré de têtes encore baissées, penchées sur leurs feuilles de verre aux faisceaux blanchâtres. Il écrivait toujours trop vite.

Est-ce que le professeur Ruosi allait se moquer de son écriture comme d'habitude ? Cela faisait déjà deux ans qu'il avait changé de région pour intégrer cette prestigieuse école de magie, et pourtant, il avait toujours du mal avec les caractères du Dongnan continental. 

Il fallait pourtant qu'il s'y fasse, ici il n'était plus sur l'ancienne île du Japon, le District d'Outremer.Mieux valait cacher ses origines montagnardes et la graphie trop simplifiée et aérienne de ses caractères.

Le District d'Outremer avait cessé d'être une région développée lorsque les eaux avaient englouti toutes les plaines. Au fil des siècles, ses habitants avaient survécu sur les flancs de montagne, se baladant d'îles en îles grâce à des funiculaires longs de centaines de kilomètres. 

Même les Seigneurs de Guerre ne s'y intéressaient pas. La terre des montagnes avait été trop appauvrie par la pollution des Anciens, et les gens n'avaient plus que leurs enfants à vendre pour acheter des semences de bonne qualité.

On leur apprenait à naviguer et ils faisaient de bons chasseurs de grands poissons, mais encore fallait-il qu'ils survivent à la saison des typhons. Voilà une chose qui n'avait pas changé entre le monde des Anciens et celui de la Fracture, pensa Yuya, ces fichus typhons.

Ses pensées le rendirent nostalgique un instant. Il revit les temples millénaires qui trônaient sur les montagnes, surplombant paisiblement la mer de nuage, comme d'anciens dragons de légende. Qu'il aimait son district. Il y avait grandi comme un prince, au milieu des nuages et de l'océan, acclamé par tout le village pour sa disposition naturelle à la magie.

Comme son père avait été fier lorsqu'il avait fait léviter sa paire de baguettes au-dessus de son bol pour la première fois. Comme sa mère avait pleuré, sachant pertinemment que les autorités du district allaient lui enlever leur fils pour l'envoyer se former sur le continent. Tout le village s'était cotisé pour lui offrir un uniforme standard, pensant qu'il reviendrait forcément major de sa promotion, alors qu'il peinait à sortir du groupe des cancres...

Il apprenait les livres par-cœur, il connaissait le nom de toutes les incantations de son niveau, il savait tracer tous les types de cercles de base et produire tous les enchantements possibles. Mais on lui reprochait de manquer de potentiel et de volonté. Ses sorts étaient faibles et sans substance, ils ne duraient pas plus de quelques secondes. Et pourtant, il tentait de lire les livres des Anciens, de s'attacher aux premiers temps de l'écriture pour comprendre les magies antiques.

Tout ce qu'on lui enseignait à l'école était le fruit d'un savoir qui n'avait que trois-cent ans. Les premiers sorciers d'après la Fracture s'étaient inspirés des livres des Anciens pour théoriser et canaliser la magie. 

Ils en avaient fait un outil humain en réapprenant des techniques magiques qui avaient été considérées comme de simples croyances du temps des Anciens. Le vaudou africain, la santeria aux Caraïbes, la magie féminine du XXème siècle en Europe, l'alchimie taoïste chinoise, les techniques de répulsion bouddhistes, le chamanisme des anciens Turques et de l'Altaï, tout avait été compressé, émulsionné et distillé pour en faire un seul et unique courant de magie. Tout devait être schématisé, organisé, étudié par palliers.

Peu importe tout ce qu'il apprenait, Yuya restait incapable de se concentrer comme les autres élèves sur ces schémas compliqués.

Anxieux, il joua un instant avec la bague en cèdre à son majeur, gravé de motifs de baleines à cornes, un cadeau d'Outremer qu'on offrait aux fils marins envoyés en mer pour la première fois. 

Il n'avait jamais obtenu la deuxième bague qu'il était censé porter au doigt avec celle-ci, celle en os de baleine, qu'on offrait aux valeureux qui rentraient de leurs première chasse. Il n'était jamais retourné chez lui, et il n'en aurait pas le courage avant d'avoir fini ses études et obtenu un poste de sorcier de district, pour faire la fierté du village.

Sorcier en charge du district d'Outremer... Si seulement. S'il arrivait au moins à écrire correctement ses dissertations et ses sortilèges, peut-être pourrait-il prétendre à un poste de sorcier de quartier dans une des villes fortifiées, ou simplement de technicien magique. Il n'était clairement pas aussi doué que tous les autres étudiants issus des grandes villes.

Ils avaient grandi en allant aux cours du soir pour enfants doués de pouvoirs, et ils avaient tous pris de l'avance en vue d'examens d'entrée en école de magie, prévoyant leur réussite des années à l'avance. Comment pouvait-il lutter avec eux, lui le garçon des îles dont les seuls cours du soir avaient été l'observation des baleines qui passaient près de son île et la pêche aux crabes ?

Il sentit le regard du professeur Ruosi se poser sur lui et se prépara à relever la tête pour lui présenter sa feuille. Il ne raterait pas cet examen, il en était certain. Il serait dans les premiers. Mais les notes qu'on lui attribuerait pour sa pratique des sortilèges le couleraient...

Il leva légèrement sa feuille de verre, mais à l'instant où il tourna la tête pour la présenter, il fut stoppé net dans son mouvement. Une onde de choc venait de retentir au-dessus du bâtiment, suivie d'un grand tremblement de terre.

Sans un bruit, sans un cri, le professeur dessina un cercle d'un grand geste circulaire du bras droit, enfermant tous les étudiants de la salle dans un dôme protecteur. Comment avait-il fait pour matérialiser un bouclier aussi rapidement, sans même murmurer d'incantations ?

Yuya fixa le vieil homme à la peau noire et aux cheveux blancs crépus. Le professeur observait la structure de son sort anxieusement, sans rien dire. Pourquoi était-il si calme ? L'étudiant vit le plafond de la salle d'étude qui commençait à s'effondrer. Les poutres en bois et le béton se brisaient sur le dôme magique, alors qu'il tremblait de plus en plus, semblable à une flamme vacillante. Ce n'était pas un exercice.

— Yuya, ne restez pas à là sans rien faire ! Aidez vos camarades à maintenir le bouclier !

Le jeune homme réalisa alors que tous les autres élèves s'étaient levés, silencieusement, et s'étaient mis à alimenter le sort du professeur en psalmodiant une incantation de protection. Pourquoi était-il le seul à ne pas avoir réagi ? Il s'en voulut immédiatement et se sentit inutile.

Personne n'avait perdu son sang-froid, la réaction et l'utilisation de la magie avait été instantanée pour tous ses camarades, comme un mécanisme instinctif, apprit après des années d'entrainement au point d'être devenu un réflexe naturel. Tous sauf lui.

Il se leva et écarta sa chaise pour ne pas être gêné pendant l'incantation, lorsqu'il sortit une sensation étrange envahir son corps. Il fut soudainement atteint de vertiges, comme s'il venait de respirer du gaz. 

C'était une vague de magie, d'une puissance qu'il n'avait encore jamais ressenti. Comme si une nappe de plomb venait de tomber sur lui, si lourde qu'elle en devenait étouffante. Voilà ce à quoi ressemblait un sort offensif, réalisa-t-il avec horreur. C'était la première fois qu'il subissait un.

Il regarda la cinquantaine d'élèves autour de lui. Ils étaient tous concentrés sur leurs incantations, mais le bouclier du professeur Ruosi faiblissait. Ils sentaient eux aussi cette accumulation de magie. 

Ils étaient peut-être trop bien formés pour se poser des questions, pour avoir peur, mais il n'en était rien de Yuya. Qui pouvait oser attaquer une école de magie d'Etat du Dongnan ? Et surtout, quel sorcier pouvait libérer une quantité d'énergie pareille ?

— Professeur Ruosi, qu'est-ce qui se passe ?

— Yuya, je vous ai dit d'aider vos camarades ! cria le vieil homme avant de reprendre moins fort: puisque vous ne faites rien, vous allez sortir du cercle et partir chercher le directeur Zhen !

Terrifié, Yuya regarda la porte de la salle d'étude menant à l'étage, là où se trouvait le bureau du directeur. Il ne passerait jamais la porte, pensa-t-il. D'un bref coup d'œil au reste de la salle, il comprit que si le directeur ne venait pas les aider, il allait tout de même mourir sous les décombres des sept étages de bois et de béton qui allaient lui tomber dessus. Il s'approcha de la limite du cercle et regarda en l'air pour évaluer la distance qui le séparait des prochains débris qui allaient tomber.

Il murmura une incantation de protection et un petit dôme d'énergie apparut au-dessus de sa tête, comme un misérable parapluie de toile. Il vit l'air inquiet du professeur qui se tournait vers lui et avala difficilement sa salive. Ce n'était pas avec des sorts de ce niveau qu'il allait s'en sortir, réalisa-t-il amèrement. 

Son petit dôme s'épaissit soudainement, couvert d'une couche d'énergie rouge. Yuya se retourna vivement. Il vit le professeur le marquer d'un signe de protection et sentit la magie recouvrir tous ses membres.

— Professeur, vous n'allez pas tenir si vous dépensez votre énergie pour-

— Dépêche-toi Yuya, l'interrompit le vieil homme d'un geste de la main.

Le garçon acquiesça, reconnaissant, et s'aventura à l'extérieur du cercle. Le bouclier au-dessus de son crâne supporta le poids d'un énorme débris de béton et il sursauta en sentant la magie le faire voler en poussière. Le professeur lui avait laissé une protection d'un niveau qui dépassait ce que les étudiants avancés pouvaient proposer. Il ne fallait pas qu'il échoue.

Il ouvrit une porte et s'engouffra dans un couloir dont le plafond avait commencé à s'effondrer. Il fallait qu'il prenne un escalier, monte trois étages et entre dans la zone privée de l'école pour accéder au bureau du directeur, s'il y était...

La force magique qui oppressait l'école s'intensifia brutalement et Yuya tomba à genou, sonné par la puissance que son corps subissait comme un étau se refermant sur lui. Jamais il n'avait perçu pareille menace. Ses dents commençaient à claquer toutes seules, alors que ses mains tremblaient frénétiquement. Il fallait qu'il se ressaisisse.

Alors qu'il allait se relever, il entendit le bruit assourdissant d'une explosion et le sol s'affaissa sous ses pieds. Il poussa un hurlement terrifié et se colla contre le mur du couloir alors que le parquet s'effondrait. 

Un son semblable au tonnerre fit trembler l'édifice et l'escalier au bout du couloir disparut dans la poussière. Des cris retentirent plus bas et Yuya sentit que le sort de protection qui le recouvrait était en train de disparaître.

— Professeur ! appela-t-il inutilement. Professeur, tenez bon !

La magie autour de lui s'affaiblissait. Son cœur se serra en comprenant d'où elle venait. Ce qu'il sentait, c'était la vie qui quittait son professeur au travers du sort qui était en train de se dissiper. Il pouvait percevoir l'énergie vitale du vieil homme et son empreinte magique qui diminuaient ensemble. Si Ruosi ne survivait pas, alors c'est que personne ne s'en sortait là-bas, dans la salle d'étude.

Il n'arrivait plus à se concentrer. Il ne comprenait pas, il ne pouvait pas comprendre. Pourquoi les attaquait-on ? Pourquoi s'en prendre à des étudiants ? Tout cela n'avait aucun sens !

Il regarda les escaliers en ruine et se retourna vers le couloir menant aux cuisines et au réfectoire. Il ne pouvait plus rien faire pour le directeur ou les autres élèves. Il fallait qu'il survive. 


Et voilà le premier chapitre de Mastani ! Qu'en pensez-vous ? Est-ce que vous commencez à adhérer à l'univers ? Ne vous inquiétez pas, ça va venir ! N'hésitez pas à laisser un commentaire, à voter et à vous abonner si ça vous a plu ^^ 

Bien sûr, je vous ai vendu de la romance, mais on a un putain d'univers a installer avant d'y penser, les gars ! Je veux vous poser, tranquillement, sûrement, et vous faire prendre l'air pour un peu plus que quelques chapitres.  

https://youtu.be/Je0JeHkq3GY

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