16 昆侖大學 L'Université Kunlun
Yuya reprit conscience rapidement, bien avant Hudson. Il ouvrit les yeux et découvrit le pare-brise en morceaux qui avait explosé. La voiture s'était entièrement retournée après avoir heurté le lampadaire. Il était tombé contre le toit de la voiture et sa ceinture s'était détachée.
A travers les vitres fissurées, il voyait des jambes qui courraient dans tous les sens, des valises volaient, des scooters étaient abandonnées au milieu de la rue. Les gens fuyaient.
Il n'entendait encore rien, trop sonné par l'onde de choc qui avait tout soufflé. Il se tourna vers le détective et le trouva toujours attaché par sa ceinture de sécurité, le visage égratigné par les éclats de verre, les bras pendants à l'envers.
— Keith ? Monsieur l'investigateur ? Vous allez bien ?
Il s'approcha du détective et entendit son cœur battre faiblement. Il ne fallait pas qu'ils restent là. Il pouvait y avoir une deuxième explosion à n'importe quel moment. Yuya réfléchit un instant et décrocha Hudson pour le sortir de la voiture. Il le traîna sur le trottoir en regardant tout autour de lui.
Le restaurant de Hong n'existait plus, il s'était volatilisé dans l'explosion, tout comme le bâtiment à côté. Il ne restait plus que quelques grandes colonnes de béton noircies au milieu des décombres, devant lesquels la foule continuait de fuir en criant. Les gens regardaient tous dans une autre direction.
— Putain, qu'est-ce que c'est que ça ?
Yuya baissa la tête et vit que Hudson venait d'ouvrir les yeux. Il fixait la même direction que la foule. L'étudiant fit volte-face en entendant le bruit d'une nouvelle explosion.
L'université Kunlun, 昆侖大學. Elle était attaquée ! D'immenses volutes de fumée s'échappaient des grandes tours alors que des sorts multicolores volaient dans le ciel, tentant d'atteindre ce qui ressemblait à de grands oiseaux dans le ciel. Des sorciers capable de voler ? Yuya frissonna d'horreur, espérant que l'homme à ses côtés n'allait pas dire à voix haute ce qu'il pensait.
— Les Loups de Midgard, murmura Hudson.
Yuya baissa la tête et retint le tremblement dans ses bras en repensant à son école en flammes et à l'orbe de magie noire qu'il avait vu flotter au-dessus de lui. Il prit une grande inspiration et s'approcha du torse du détective, mis à nu par les éclats de verre.
— Je vais vous retirer ça.
— Tu sais faire un truc aussi avancé, petit ? demanda sarcastiquement Hudson.
— Il y a quelques jours j'étais incapable de faire un sort de bouclier de niveau deux, et en quelques minutes j'ai réussi à maîtriser une métamorphose de niveau six. Alors je ne me fierai plus au classement de difficulté académique.
— Faut croire que tu commences déjà à tirer parti des enseignements de ton maître...
Yuya concentra son énergie dans ses mains et commença à réciter les paroles du sortilège d'extraction des corps étrangers et de guérison. Mais rien ne se produisit.
Il sentit la panique le gagner et peina à se reconcentrer. Il reprit son souffle et se concentra sur la plaie, sur ce qu'il voulait voir guérir. Il se rappela la fraîcheur des bois, l'écorce des arbres qui cicatrisait et leur sève qui durcissait pour protéger la chair plus tendre.
Il ne sut pas dire si ces souvenirs venaient d'un moment de sa transformation en renard ou de son enfance en Outremer, mais ils lui rappelèrent le pouvoir de régénération de la Nature, et il se sentit soudainement animé par sa magie.
Ses mains pâlirent sous ses yeux avant de se teinter d'une lumière verte. De la magie de la Nature ? Non-humaine ? Sans incantation ? Il sentit un courant électrique le relier au sol où il s'était assis, à l'air qui flottait autour de lui, et au corps du détective.
Un tissu. Il se retrouvait soudainement au milieu d'un tissu magique, plus dense et fourmillant de vie que tous ceux qu'il avait jamais senti chez d'autres sorciers. Ce n'était pas un courant magique créé par la main de l'Homme.
C'était le ruissellement de la Nature qu'il venait de percevoir. Il concentra cette énergie entre ses doigts et Hudson pour la laisser oeuvre. Lentement, de petits éclats de verre sortirent des plaies et elles se refermèrent petit à petit.
Yuya retira ses mains du torse de l'investigateur et les regarda avec étonnement, alors que la lumière qui les imprégnait faiblissait. Comment avait-il fait cela ?
— Eh, gamin. C'est joli tes mains brillantes 非常漂亮亮 (feichang piaoliangliang, joli brillant), mais faut qu'on y aille avant qu'ils disparaissent !
Yuya sortit immédiatement de ses rêveries. Et un "merci" ? pensa-t-il sans oser le dire à voix haute. Hudson était déjà debout, se dirigeant d'un pas leste vers l'université où avait lieu le combat. La magie l'avait totalement revigoré, comme Mastani dans le commissariat, pensa le jeune étudiant.
Il prit la suite d'Hudson au pas de course, alors que le détective accélérait à l'approche des rues du quartier étudiant.
— Monsieur Hudson, comment comptez-vous vous défendre et attraper des Loups si vous ne maîtrisez pas la magie, lui demanda Yuya en courant.
— Tu n'as pas besoin de magie pour estropier un homme, petit. Au risque de te paraître démodé et barbare, une balle en acier fait autant de dégâts qu'une boule de feu ou qu'un rayon laser, seulement elle est plus précise, et elle reste bien plantée dans le corps.
Yuya ne réalisa pas immédiatement de quoi il parlait. Tout le monde avait abandonné l'utilisation d'armes mécaniques depuis des centaines d'années, laissant les outils mortels de l'Ancien Monde être oubliés, avec toutes leurs guerres barbares.
Il se retourna pour voir le bâtiment en ruine où il avait mangé des 章魚燒 (takoyaki) quelques temps auparavant. Non, les guerres d'aujourd'hui étaient toujours aussi barbares.
— Et vous avez assez de... munitions ?
Hudson releva son trench au niveau de la ceinture pour montrer ses deux holsters à revolvers. Des revolvers... Des Smith and Wesson tout droit sortis d'un vieux film de l'Ancien Monde. Ce n'était plus démodé à ce stade, c'était tout simplement fantasmagorique.
— Ne t'inquiète pas, 小屁孩兒 (xiao pihai'r morveux). D'un trou en acier dans le cœur, personne ne peut guérir. J'ai pas besoin de lancer autant de feux d'artifices que vous avec mes jouets.
Ils passèrent au milieu d'une grande place de dalles couvertes de poussière, de cendres et de débris. L'université avait été construite sur le modèle d'un ancien temple chinois, et la porte d'entrée Sud avait été détruite, répandant des tuiles noires et des statues représentants des dragons et des tigres sur la place.
Yuya leva les yeux et vit une femme en noir qui se tenait sur la terrasse d'un des bâtiments, les yeux rivés vers la pagode centrale d'où étaient projetés de grands éclairs.
— Les éclairs que tu vois viennent de ton ami, Tyros, expliqua Hudson en levant la voix tant les bruits de combat se faisaient de plus en plus forts.
Il y avait le craquement de la foudre dans l'air, les cris d'incantations et les sifflements ardents des déflagrations qui frappaient les bâtiments.
Au moins y avait-il de la résistance, ici, pensa amèrement Yuya.
— Putain, elle est là, elle aussi, murmura soudainement Hudson, en voyant un immense serpent d'une vingtaine de mètres de long, aux écailles noires, qui s'enroulait autour de la pagode pour commencer son ascension. Il partait vers le toit, suivant les mouvements circulaires de la femme en noir sur la terrasse plus bas.
— Cette invocation... C'est Moira l'Invocatrice ?
— Moira la lâcheuse, ouais, 這個騷屄啦 (zhe ge saobi la), cette pétasse, grogna Hudson en plaquant sa mèche sur son crâne.
Yuya plissa les yeux et vit plus clairement la femme au loin. Assit près d'elle, son disciple était en train de réciter des incantation dans un cercle magique, pour canaliser de l'énergie pour maintenir cette invocation gigantesque.
Hudson poussa un juron en le voyant lui-aussi.
— Et voilà son nouveau pantin... Quelle manipulatrice cette nana...
— Vous la connaissez ?
— Ça se pourrait... Rappelle-toi de ça, Yuya. Ne touche pas aux femmes qui portent des corsages par-dessus leurs chemises. 不吉利 (bu jili, ça porte malheur)
Yuya ne comprit pas. Il tourna à nouveau la tête vers la sorcière dont la robe noire volait au vent comme les ailes d'un corbeau, concentrée sur sa magie. Un éclair vola dans sa direction et fut immédiatement détourné par un simple mot de Moira, comme si elle pouvait défaire toutes les attaques.
Elle continua ses mouvements circulaires de la main droite et leva la gauche pour faire apparaître une orbe blanche au-dessus d'elle.
Yuya sentit l'irradiation magique de ce sort malgré la distance qui le séparait d'elle. Il hoqueta d'émotion face à tant de puissance. Moira était magnifique, grandiose même.
Elle allait lancer son sort lorsque le ciel s'assombrit soudainement. Yuya sentit le pouvoir étrange de la magie fantôme dont il avait déjà fait l'expérience à l'Hirondelle Bleue, et il vit toutes les lumières magiques du quartier être absorbées d'un seul coup. Une énergie négative qu'il reconnaissait se mit à planer au-dessus de l'université.
L'orbe noire qui avait détruit son école, pensa-t-il avec stupéfaction. Il voyait clairement la boule sombre qui était en train de se former au-dessus de la terrasse où se tenait Moira, aspirant le sort qu'elle avait mis du temps à préparer ainsi que toutes les lumières.
Alors c'était un Loup de Midgard qu'il avait vu à l'Hirondelle Bleue...
Gillas de Madras se releva pour tenter de lancer une boule de feu contre l'orbe, mais son sort fut immédiatement absorbé. L'invocation du serpent géant commença à faiblir, l'immense reptile s'essoufflait, perdant de la force. Il se tordit sur lui-même alors que des sorciers s'étaient mis en groupe à un étage de la pagode pour attaquer sa tête à l'aide de lames de magie.
— Il faut qu'on aille les aider, murmura Yuya.
Il partit en avant, vers l'entrée du bâtiment sur lequel se tenaient les sorciers. Hudson le suivit en poussant un juron, peu pressé de retrouver Moira.
— Vous voyez cette boule noire sur la terrasse ? C'est la magie fantôme qu'on a déjà croisé en ville, expliqua Yuya, il faut qu'on trouve un moyen de l'arrêter. C'est une bombe à retardement. Je crois qu'elle se charge avec la magie que l'on utilise pour les combattre.
Ils franchirent une longue allée de couloirs décorés dans un style chinois ancien, plein de meubles en bois et d'estampes affichées aux murs. L'université Kunlun avait un don pour la nostalgie de l'Ancien Monde.
— Elle se nourrit de magie, alors ? Tu as déjà vu ça dans un livre ? Ça m'a pas l'air d'être une magie bien conventionnelle...
Ils se mirent à gravir les escaliers au pas de course.
— Alors toute résistance est inutile, comprit Yuya. Plus on se bat, plus on les rend forts. Ce sort... C'est la nouvelle arme de destruction massive pour sorciers.
Hudson l'arrêta alors qu'ils arrivaient au dernier étage, menant à la terrasse. Il mit un bras devant lui et sortit ses revolvers. Il afficha un sourire soudain qui effraya l'étudiant.
— Pour sorcier, 你説了 (ni shuo le, tu as dit). Alors peut-être que j'ai une chance avec mes deux amis ici présents.
Ils sortirent et arrivèrent enfin sur la terrasse. Moira se retourna vivement vers eux, prête à les foudroyer sur place. Son visage pâle était couvert de suif et ses mèches colorées avaient disparues sous la cendre qui imprégnait ses cheveux. Ses grands yeux noirs renvoyaient des éclats de colère étranges. Comme si elle était aussi apeurée.
— Keith ? Qu'est-ce que tu fiches ici ? On a fait évacuer l'université, dégage !
— Moi aussi, je suis ravi de te revoir, ma belle...
— On a pas le temps pour ça, Keith. Laisse-moi travailler.
— Tu as la situation bien en main on dirait...
— Et vire ce gamin d'ici, pourquoi est-ce qu'il est en tenue de policier ?
Gillas dévia une flèche magique qui fonçait vers eux en invoquant un bouclier et se retourna vers le jeune homme. Yuya resta paralysé en le voyant créer des invocations si rapidement. Il avait des cercles d'invocations déjà prêts sur des parchemins qu'il n'avait plus qu'à activer pour les lancer. Son visage dur d'homme du sud semblait marqué par la fatigue et la peur. Ses sourcils étaient si froncés que des rides s'étaient formées entre ses yeux.
— Tous les étudiants qui ne combattent pas avec leurs maîtres doivent rejoindre l'annexe de l'université, de l'autre côté de la ville, fit Gillas en s'approchant de Yuya.
Alors qu'il allait lui attraper l'épaule pour lui ordonner de redescendre, il s'arrêta en reconnaissant son visage.
— Moira, il est pas de chez nous. C'est le disciple de Mastani !
La sorcière se tourna immédiatement vers Hudson. Elle le foudroya du regard, abandonnant totalement son serpent géant qui se dissout autour de la pagode.
— Alors tu fréquentes cette catin ? Je ne pensais pas que tu avais si mauvais goût... et que tu étais tellement en manque.
— Ces choses là ne te concerne plus, Moira. Ne vas pas me dire que maintenant je t'intéresse, simplement parce je travaille avec ta rivale ? 這麽小氣... (zheme xiaoqi, comme c'est mesquin)
— Je te reprendrais si ça pouvait la rendre folle, glissa Moira avec un sourire mauvais, soulignant les courbes de son corps en faisant descendre son index le long de son bassin.
— Toujours un plaisir de savoir que je ne suis qu'un outil pour toi.
— Ne fais pas la victime, Keith, tu avais besoin de moi aussi pour ouvrir les archives de l'université. Et puis ça ne te déplaisait pas d'être mon objet non plus.
Hudson se massa la tempe avec l'un de ses revolvers en souriant, laissant une vague de souvenirs agréables remonter dans son esprit.
— Mais putain, est-ce qu'on peut retourner combat, s'écria soudainement Gillas en invoquant un nouveau bouclier au-dessus de la terrasse, les Loups sont en train de détruire l'université !
Les autres combattants s'étaient mis à reculer face aux assauts répétés des Loups. On pouvait voir en contrebas les sorciers de la secte qui commençaient à progresser dans la cour centrale.
— On n'a plus d'issue de secours, commenta Hudson en les voyant approcher.
— On n'arrive pas à détruire cette orbe là-haut, expliqua Gillas en faisant charger un sort d'invocation. Elle absorbe la magie et la matière, on a déjà essayé de lui balancer des objets solides.
— Qu'est-ce que tu proposes, demanda Hudson en observant la sphère qui grandissait à vue d'oeil.
— Gillas, tu vas rester ici pour nous couvrir de sorts de protection pendant que je vais monter dans la pagode avec ces deux-là pour tuer le sorcier derrière ce sort, répondit Moira.
— Maître, laissez-moi vous accompagner, intervint Gillas, vous ne pouvez pas faire confiance à ces deux-là.
— Justement, il n'y a que toi en qui je peux faire confiance pour couvrir notre ascension. Tu crois que je vais laisser un disciple de Mastani me protéger des Loups ? Une fois dans la pagode, ils n'auront qu'à rester en vie pour occuper les sorciers, pendant que je ferai le nécessaire.
Gillas acquiesça et se tourna vers Yuya.
— J'espère que Mastani t'a enseigné un minimum de choses, s'il arrive quoi que ce soit à mon maître, je te tue, gamin, c'est compris ?
Yuya hocha la tête, terrifié. Hudson l'attrapa par l'épaule brutalement et le tira vers la sorcière. L'étudiant comprenait enfin pourquoi le détective était si à l'aise avec les sorts. Il avait fréquenté l'invocatrice...
Elle prononça des mots d'une langue que Yuya ne connaissait pas et un immense aigle de magie apparut sous leurs yeux. Elle se hissa sur son cou et invita les deux hommes à la rejoindre. Hudson monta sans hésitation et Yuya fut bien forcé de suivre sans protestations, face au regard terrifiant de la sorcière.
Avez-vous aimé ce chapitre ? Comment pensez-vous que les sorciers vont s'en sortir face aux Loups de Midgard ?
A votre avis, qui est à l'origine de l'orbe ? Je pense que vous vous en doutez, alors préparez-vous à LE rencontrer !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top