Mastani dévala les escaliers en quelques secondes, suivie de près par Yuya. Ils arrivèrent dans le couloir où presque toutes les portes étaient à présent ouvertes. Des clients en sortaient en titubants sous les effets de l'acool, poussés par les serveuses et les vigiles.

Il y avait visiblement quelque chose à cacher sur ce qui était en train de se passer, sinon ils n'auraient pas hésité à intervenir immédiatement. 

Toutes les pièces semblaient vides, sauf celle qui leur faisait face, d'où s'échappaient les cris terribles de plusieurs femmes. Les trois mafieux tatoués qu'ils avaient croisé étaient réapparut au bout du couloir, tenant chacun un sabre et un pistolet à rayon. 

— Eh, vous les sorciers ! Attendez avant d'entrer, la police  va arriver, héla l'un des hommes. 

Mastani ne tourna même pas la tête vers eux. Elle écoutait les cris à l'intérieur de la pièce et n'entendait plus rien d'autre. Concentrée sur la porte, elle densifiait à nouveau l'air autour d'elle dans un torrent de magie qui faisait grésiller les ampoules de tout l'hôtel. Sa magie semblait perturbée par une force étrange, qui la rendait plus violente, plus corrosive. 

— Yuya, tu es un peu jeune pour ce que tu vas voir, mais il va falloir entrer et te battre. Sans magie.

— Sans magie ? s'écria Yuya terrifié. Même avec, je ne saurais pas comment faire !

— Ils vous apprennent vraiment rien à l'école, grogna-t-elle alors qu'il approchait. Ne te mets pas devant moi, je suis bourrée et énervée.  

Yuya recula d'un pas et elle ouvrit la porte d'un geste brusque. A l'intérieur, une dizaine d'hommes en pagne était en train de jouer au lancer de couteau avec une serveuse dont le kimono retombait sur ses coudes, alors que sa collègue se débattait faiblement face à trois ivrognes qui essayaient de lui arracher sa ceinture. L'un d'eux lui avait ouvert le visage avec un couteau dont Yuya vit immédiatement les reflets argentés. 

Il jeta un œil à la sorcière à ses côtés. Ses grands yeux s'étaient réduits à deux orbes vertes dans lesquels dansaient deux minuscules points noirs. Ses lèvres bougeaient frénétiquement alors que sa mâchoire était serrée. Et ce n'était pas une incantation.

Soudain, d'un seul coup, elle fit sauter la porte coulissante de son rail et la balança dans la pièce pour séparer les ivrognes qui essayaient de déshabiller la serveuse. Elle se jeta immédiatement sur eux et esquiva un coup de couteau avant de l'attraper pour le retourner contre son possesseur et l'entailler profondément à la poitrine. 

Yuya vit la dizaine d'hommes se tourner vers elle en braillant. Ils étaient tous ivres, mais armés. Sans réfléchir, il courut dans la pièce et attrapa une table basse pour l'utiliser comme bouclier et protéger Mastani des premiers couteaux qui volèrent vers eux. 

— Pourquoi est-ce qu'on utilise pas la magie, demanda-t-il en soutenant la table au-dessus d'eux.

— Parce que si on utilise la magie dans l'enceinte de l'établissement, la patronne ne m'autorisera plus à venir boire ici, cria la sorcière d'une voix bourrue avant de passer sous la table pour distribuer des coups de poings et de pieds. 

Ahuri, Yuya la suivit en lâchant son bouclier improvisé et entra dans la rixe en donnant un coup de pied à un homme qui essayait de se relever après une estocade en plein vendre de Mastani. C'était beaucoup plus dur que tout ce qu'il s'était imaginé, il avait du mal à viser, il avait l'impression que ses coups n'étaient pas assez forts et précis. 

Lorsqu'il reçut son premier coup de poing dans la poitrine, il tomba en arrière, sonné par la violence du coup, et réalisa qu'il fallait aussi qu'il se défende. Il n'avait pas le temps de voir d'où venaient les coups, mais il devait réagir plus vite. Il se releva d'un bond et roula sur le côté pour esquiver le balayage d'un des ivrognes. 

Au niveau du sol, il remarqua que tous les hommes portaient les mêmes pantalons pour ceux qui en avaient encore, des treillis militaires. Des miliciens ? Tous ces hommes avaient beau être ivres, ils n'en restaient pas moins des masses de muscles secs de soldats.  

Il vit Mastani casser le bras d'un homme en lui bloquant contre une poutre et  rattraper un couteau lancé sur elle en l'interceptant à pied joint entre ses deux semelles de geta. A cet instant, les trois mafieux qu'il avait vu plus tôt entrèrent dans la pièce pour récupérer les serveuses, mais aucun ne vint les aider. 

Yuya sentit un souffle sur sa droite et évita juste à temps un coup de pied qui visait son visage. Il se retrouva face à un homme d'une quarantaine d'années, un étranger au visage sombre et à la moustache brune qui le surprit. Un Eurasien. A y faire plus attention, ils étaient tous eurasiens. 

Il fit le lien rapidement avec ce qu'avaient dit les mafieux juste avant. La police allait arriver. Ces soldats étaient des étrangers. Les vigiles de l'hôtel n'osaient pas intervenir car ces hommes étaient sous une forme de protection diplomatique en tant que soldats d'une armée étrangère à Yunhai. Ils avaient tous les droits sur n'importe qui ici. 

  — Maître, ce sont des soldats du Karakhitar ! La police va arriver, il faut arrêter le combat !

  — Tu crois que je ne suis pas au courant, le bleu ! Ces enfoirés vont s'en sortir sans même une mise à pied, c'est sûr ! beugla-t-elle entre deux coups de poing. 

Elle attrapa une bouteille de vin de prune et la vida d'une traite, entre deux esquives, puis elle jeta le flacon vide sur le crâne d'un soldat chauve qui s'écroula, sonné.

—... mais il est hors de question qu'ils s'en sortent indemnes ! continua-t-elle.

Yuya se retira dans le fond de la salle et vit que les croupiers et les vigiles s'étaient massés à la porte pour les regarder se battre. Ils criaient pour encourager Mastani. "Défonce-les, sorcière ! démonte-lui les os !". 

Une femme plus âgée que les serveuses s'était installée parmi la foule, les bras croisés, fixant la scène avec une moue sévère, hochant de temps en temps la tête en signe d'approbation face aux coups que prenaient les soldats. L'Hirondelle Bleue, pensa immédiatement le jeune homme.

Mastani sonna l'un des hommes d'un coup de boule et rebut à une autre bouteille dont le contenu n'avait pas encore été totalement répandu au sol. Elle allait frapper un nouvel adversaire lorsqu'elle s'arrêta brusquement et se tourna vers la porte, comme si quelque chose l'avait déconcentré. 

Yuya sentit quelques secondes après ce qui avait perturbé la sorcière. La "magie bizarre" qu'ils avaient senti en arrivant venait de refaire surface, comme un fantôme surgissant du néant. Il revit le croupier au regard noir et se rendit compte qu'il fixait la sorcière. 

Yuya essaya de le héler mais avant qu'il ait pu faire quoi que ce soit, il se retrouva face à un adversaire immense. 

Mastani, trop déséquilibrée par cette magie dont elle ne pouvait trouver la source, reçut un coup en plein visage qu'elle n'esquiva pas. Elle tomba en arrière et tenta de se redresser, mais un coup de pied vola dans ses côtes et un soldat s'assit sur elle pour la marteler de coups. 

— Maître, utilisez votre magie ! cria l'apprenti en essayant de se battre contre l'homme qui lui faisait face. 

Mastani était à terre, le visage en sang. 

 — Je... serai pas bannie de l'Hirondelle Bleue... grogna-t-elle d'une voix presque inaudible.

Yuya pesta contre son entêtement ridicule. Elle ferma les yeux, et le soldat la jeta de l'autre côté de la pièce comme un poids mort. La magie étrange devint plus forte, le jeune homme sentit qu'elle se chargeait de colère. Cette magie appartenait bien à quelqu'un. Yuya essaya de retrouver le croupier, mais il n'était plus parmi les autres.

 — Eh, toi, le sorcier déguisé, fais quelque chose ! cria-t-il à la salle, comme s'il était encore quelque part.

Hors de lui, il esquiva l'homme face à lui et le renversa en lui sautant dessus par le côté. Il ramassa un pied de table cassé et se mit à le frapper au visage avec. La foule se mit à l'encourager: "vas-y, gamin !" 

— Eh, toi !   

Il se jeta sur l'adversaire de Mastani qui était de dos et le mordit profondément au cou. Le sang dans sa bouche réveilla quelque chose d'animal en lui. Il repensa à la chair, à l'odeur de l'humus, à la terre, à la forêt, à la sorcière qui le serrait dans ses bras alors qu'il enfonçait ses petites griffes dans son tee-shirt. 

Yuya se métamorphosa immédiatement. Il devint renard. D'un bond assuré, il grimpa le long du dos nu du soldat et se jeta sur son cou sans protection. Il sentit le cœur battre et enfonça ses crocs pointus dans la jugulaire de l'homme. Le sang se mit à affluer dans sa bouche, si fortement qu'il faillit s'étouffer avec. 

Il allait enfoncer ses crocs plus profondément encore en secouant la tête lorsqu'une force extérieur le tira en arrière, l'arrachant à sa prise en lui tirant la queue. 

Il glapit de douleur et lâcha prise, laissant le temps à son ennemi de le lancer contre la poutre centrale de la pièce, contre laquelle il tomba brutalement. Juste avant de sombrer dans l'inconscience, il vit le visage de l'Hirondelle Bleue grimaçant d'une moue de désapprobation fatiguée. Merde, Mastani avait dit pas de magie...    

Mauvais augure pour le début de leur aventure commune, comment pensez-vous que Mastani et Yuya vont s'en sortir ? 

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? 

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