ACTE 1 - CHAPITRE 11 - L'Angre (1)

Un peu plus tôt dans la mâtinée

Lightstone avait abandonné ses collègues en bas de l'immeuble de la victime, lissant les pans de son manteau en cuir camelle tout en observant les deux comparses s'éloigner, bras dessus bras dessous sous l'ombrelle de la demoiselle. Il ne comprenait pas pourquoi l'un comme l'autre refusaient de sortir ensembles. Ils étaient bien trop proches pour n'être que de simples amis. D'un autre côté, on aurait aussi pu penser à un frère et une sœur, en les voyant tous les deux - bien qu'ils n'aient aucun lien de sang, il en était certain. Ces deux-là étaient amis d'enfance, un point c'est tout, le blond savait qu'il ne pourrait pas rattraper les années que ses amis ont eu le loisir d'accumuler avant leur rencontre. Enfin, avant ce fameux cours de boxe anglaise.
Il s'étira, repensant à ce fameux revers du droit qui l'avait mis au tapis, lui, le boxeur incontesté du club du collège à l'époque. Un sourire narquois étira ses lèvres. Axel en avait pris pour son grade par la suite. Comme quoi, c'est à l'infirmerie que se nouent les meilleures amitiés.

Traversant la rue, sans plus attendre, éloignant les songes du passé, le jeune homme poussa la porte vitrée du petit café-resto de l'Angre, l'odeur du tabac, de la gnôle et du vieux bois le prenant à la gorge.

Une série de table de deux était disposée le long de la vitrine, à droite du blond, s'enfonçant jusqu'à une porte indiquant les toilettes. Le comptoir et ses strapontins, en parallèle des tables, délimitait une petite allée exiguë faites d'un carrelage blanchâtre laissant voir de nombreuses tâches de graisses et de café. Light observa en face de lui le petit couloir conduisant à l'arrière salle, celle ci accessible par une allée semblable à celle menant au WC, avec quelques marches descendantes en sus. Les tables y semblaient similaires, pouvant cette fois-ci accueillir plus de monde. Étrangement, l'air y semblait plus stagnant, un léger rideau de poussière se laissant apercevoir de temps en temps à travers du faisceaux des pauvres ampoules à halogènes qui peinaient à éclairer l'entièreté de la salle.
Laissant son attention glisser en direction du comptoir, le blond observa l'automate d'accueil, approchant lentement d'un strapontin pour s'y asseoir. La machine s'activa, se tournant machinalement en direction du nouveau client de l'Angre. La voix synthétique raisonna dans ses tuyaux, la bande son se mettant en route.


« Bonjour ! Nous sommes fermé, veuillez revenir plus tard. »


Rapidement, un homme bedonnant d'1m90 de haut fit son apparition derrière le comptoir depuis la porte de ce que Light imaginait être les cuisines. Il portait un tablier couvert de tâche de graisse et de doigts, par dessus une vielle chemise mauvâtre et un jean délavé. Son visage, rond et rougit par le simple effort de marcher étant donné sa carrure, se déforma en un rictus de colère.


« On est fermé pour aujourd'hui jeune homme, au cas où tu n'aurais pas vu les flics devant ma porte.»


Le blond lui sourit avec courtoisie, sortant de la poche intérieure de sa veste un petit carton blanc, où l'on pouvait lire en toute lettre dactylographiée : Inspecteur Lightstone Portelli. Il ponctua son geste par quelques mots soigneusement choisis : 


« Je suis au courant en effet, je ne suis pas un client... J'ai des questions à vous poser sur Sarah, la fille qui travaille ici.»


L'homme sembla subitement se calmer, son regard de portant vers l'extérieur, les veinules de ses yeux rougis apparaissant aux yeux de l'inspecteur sans peine.


« Alors c'était bien la petite ? Je sais qu'elle habite de l'autre côté de la rue... »


Le blond opina simplement, lisant sans peine la tristesse du patron. Ce dernier passa une main dans ses cheveux bouclés, les rabattant en arrière. 


« 'Fait chier... Sarah était une bonne petite, charmante et bosseuse... Elle essayait de s'en sortir, elle méritait pas ça. 

- Vous la connaissiez bien alors ? 

- Pas vraiment... Elle s'est pointée un jour au bar, elle cherchait du travail et mon automate est un plutôt vieux modèle, j'ai pas les moyens de prendre un truc dernier cri, voyez ?»


Light posa à nouveau ses yeux vers la machine branlante, cette dernière datant au moins d'une vingtaine d'année, si ce n'était plus... Ses pièces n'étaient même pas en alliage de cuivre et de bronze. Il opina à nouveau en direction de l'homme, l'invitant à poursuivre. 


« Elle semblait motivée et n'avait plus un rond pour payer son loyer. Je me suis dis que je pourrais l'embaucher, l'histoire d'une semaine ou deux. Elle s'entendait bien avec les clients, elle faisait bien son boulot alors j'ai finis par l'embaucher définitivement le mois dernier. C'était pas grand chose mais elle avait de quoi vivre, qui est plutôt pas mal quand on y pense vu l'époque à laquelle on vit !  »


Le quarantenaire sembla chercher l'approbation du jeune homme de son regard brun, ce dernier se penchant simplement en arrière, les bras croisés sur sa poitrine. 


« Pas faux. Vous faisiez les bons samaritains alors ? Vous l'avez embauché par dépit ?
- C'était une brave fille, elle méritait pas de finir à la rue. Elle était tombée amoureuse du mauvais gars, avait quitté sa campagne pour venir ici avant de se faire lâcher comme une vielle chaussette trouée et sans endroit où aller. J'ai un cœur, j'allais pas la laisser finir comme ces filles qui traînent la nuit pour avoir de quoi manger et qui finissent crevée dans un coin sans que personne en ait quelque chose à foutre. »


Machinalement, le tenancier du restaurant avait pris un chiffon, nettoyant le comptoir déjà bien lustré. Il était rongé par un chagrin et une haine que le blond avait du mal à saisir. La plupart du temps, un patron ne se soucis pas de son employé, même dans une si petite structure. Il semblait parler en connaissance de cause, Light en était certain. Mais si c'était bien le cas, il allait à présent avancer en terrain miné. 

Posant à plat ses mains sur la surface de bois, il se redressa légèrement, se faisant plus sérieux et assuré. 


« Plus je vous écoute, et plus j'ai l'impression que vous teniez à elle, monsieur...» Il venait de capter qu'il n'avait toujours pas demandé son prénom au monsieur en face de lui. Prenant conscient de son erreur, il s'enfonça sur son siège, soupirant. « Vous pouvez m'appeler Wallas Brook,» ria presque l'homme, captant le malaise de l'inspecteur. 


Le blond esquissa un sourire de connivence, grattant sa mâchoire par tic. 


« Monsieur Brook, du coup... Vous sembliez proche de la victime. Je veux dire, plus qu'un patron et une employée, vous voyez ce que je veux dire ?
- Vous pensiez que j'avais des relations avec Sarah ?
- A vous de me le dire, Monsieur Brook.»


Ils se jaugèrent du regard un court instant, le restaurateur se redressant. 


« Ma fille est morte dans un accident de voiture, il y a deux ans. Elle aurait eu le même âge que Sarah aujourd'hui. Je me suis simplement dit que si c'était ma fille, j'aurais souhaité de quelqu'un fasse quelque chose pour elle. »


Cela semblait honnête. L'homme, aussi grand et imposant soit il, respirait à présent la tristesse et la mélancolie.
Lightstone attrapa un calepin dans sa veste, ainsi qu'un stylo bille, notant brièvement quelques mots, tout en parlant. 


« Sarah vous a-t-elle parlé d'un événement étrange qui serait arrivé ces derniers jours ? Quelque chose de suspect ?

- Pas que je sache... Elle se plaignait de quelques clients un peu trop collants et grossiers mais je les ai mis dehors, ils n'ont pas demandé leur reste... » Puis il sembla pensif, soudainement. « Par contre, il y a un truc qui a changé avec Sarah... Elle portait une bague au majeur, en or... Je lui ai demandé qui lui avait offerte, soucieuse qu'elle se fasse encore avoir par un pauvre type mais elle m'a garantie que c'était un bon ami qui lui avait offert, ils étaient ensemble au collège... Elle pensait que ça pourrait être le bon.

- Et vous savez comment s'appelle cet ami ? 

- Derek quelque chose, je n'ai pas noté je vous avoue, elle avait l'air d'y croire vraiment à cette histoire. Même si je trouvais bizarre qui lui fasse un cadeau pareil. »


Pour Lightstone, le plus bizarre était le fait qu'Emilia n'avait mentionné aucune bague durant sa vision.
Il entoura cette information par réflexe. C'était sans doute un détail sans importance. Mais dans une enquête, tous les détails comptent.

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