1. L'appel de la caféine

Arpentant les rues de Martini-sur-mer, je cherchais désespérément du regard un Starbucks. Au fond, je me doutais que j'avais peu de chances d'en trouver une dans une ville aussi petite. C'est pour cette raison que lorsque je tombais face à un café au style rétro, je décidai de ne pas chercher plus loin. Son allure digne des années soixante-dix m'attira tout autant qu'elle m'inquiéta, et c'est finalement mon besoin grandissant de caféine qui me fit franchir le pas de l'enseigne.

— Bonjour ! me salua chaleureusement la serveuse lorsque j'arrivais au comptoir. Qu'est-ce que je vous sers ?

— Un café. Noir.

— Du sucre ? Du lait ?

— Non. J'ai dit noir, répétai-je, irritée.

La jeune femme me lança un air étrange avant d'acquiescer. Peut-être que les gens avaient l'habitude de se montrer aimable, ici. Si c'était le cas, je risquais de vite me faire remarquer.

Quelques instants plus tard, elle me tendit un gobelet fumant et j'allai m'asseoir à une table près de la fenêtre. Confortablement installée sur la petite banquette turquoise, je savourais la première gorgée de ma boisson préférée et sentis tous mes muscles se détendre. Je fermai les yeux une minute, profitant de ce moment de solitude pour me relaxer au maximum.

— Excuse-moi ? m'interpella une voix.

Je sursautai, surprise, et me tournai vers celle qui m'avait parlé. Je découvris une fille de mon âge, de taille moyenne, les cheveux longs et bruns, et la peau légèrement basanée. Elle avait un style assez simple, un short en jean et un débardeur blanc. Seul le Fedora noir vissé sur sa tête lui donnait un look propre à elle.

— Tu es nouvelle en ville ? me demanda-t-elle.

Un peu étonnée qu'elle ait assez de facilité pour aborder une inconnue, je passai une main dans mes cheveux et répondis :

— Euh... Oui.

Son visage s'étira dans un sourire franc, affichant des dents parfaitement alignées. Une légère vague de jalousie me traversa en voyant sa dentition digne d'une pub pour dentifrice — c'était un sentiment que j'avais régulièrement depuis la pose de mon appareil dentaire.

— C'est bien ce qu'il me semblait. Je ne t'ai jamais vu dans le coin, et comme les vacances touchent à leur fin, ça m'aurait étonné que tu sois une touriste.

Je hochai lentement la tête, n'ayant aucune idée de ce que j'étais censée dire.

— Tu es arrivée quand ? m'interrogea l'inconnue.

— Il y a moins d'une heure.

— Je vois. Je suis sûre que tu vas te plaire ici ! On ne voit pas souvent de nouvelles personnes qui s'installent définitivement, mais je n'ai aucun doute que t'intégrera sans problème !

Je haussai un sourcil, ne sachant pas comment réagir face à son rapide flot de paroles. Finalement, elle me présenta sa main et dit :

— Je m'appelle Maria, et toi ?

Je jetai un œil à la main qu'elle me tendait sans prendre la peine de bouger.

— Ondine, répondis-je d'une voix morne.

Le visage de la jeune fille se figea sous le coup de la surprise. Ses joues s'empourprèrent et elle balbutia :

— Oh, euh... Ça a le mérite d'être direct ! (Elle laissa échapper un rire nerveux et se mit à triturer une de ses mèches de cheveux.) Je suis un peu gênée, je sais que je suis assez démonstrative mais je n'étais pas en train de te draguer et, si tu veux la vérité, je préfère les garçons. Ça ne veut pas dire que j'ai un problème avec ça, hein, c'est juste que...

Alors que Maria continuait de débiter ses explications, je clignai des yeux quelques fois, perdue. Finalement, je compris ce qu'il venait de se passer.

Inspire, expire, tentai-je de me raisonner alors que mon sang commençait à bouillonner, ne la tape pas. Elle ne pouvait pas savoir. Ce n'est pas de sa faute si tu as un nom de merde qui prête à confusion. Reste calme, compte jusqu'à dix...

— Je n'étais pas en train de t'inviter à dîner, la coupai-je un peu sèchement, je répondais juste à ta question. Je m'appelle Ondine.

Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle comprit son erreur. Ses cils se mirent à battre à toute vitesse alors qu'elle bafouillait quelques excuses :

— Ah... Euh... merde. Je me sens tellement bête ! Je suis désolée !

— Pas la peine de t'excuser, maugréai-je, c'est pas de ta faute si j'ai un prénom pourri.

Sans attendre que je l'y invite, elle s'installa en face de moi.

— Je ne savais même pas que ça existait. Ondine..., répéta-t-elle pour elle-même. Comment... Comment est-ce que tes parents en sont venus à le choisir ? Ça a une signification particulière ?

Je poussai un long soupir d'exaspération.

— Absolument pas. Ma mère n'avait aucune idée de comment m'appeler. Tout le monde lui faisait des suggestions, mais rien ne lui plaisait et elle n'arrivait pas à se décider. Au final, elle s'est retrouvée à accoucher sans savoir comment m'appeler. Du coup, elle a fait ce qui lui semblait le plus logique : elle a laissé le destin faire. Elle a ouvert son bouquin de prénom et en a pris un au pif. Et tu sais quoi ? Le destin est une pute.

Maria me fixait de ses prunelles marrons d'un air songeur. En tant normal, les gens s'inquiétaient lorsqu'ils m'entendaient faire ce genre de discours, car ils devinaient rapidement que je faisais partie de cette catégorie de personne qui détestait tout et n'importe quoi. Pourtant, la latina n'avait pas l'air repoussée par mon caractère ronchon. Au contraire, elle hocha la tête d'un air entendu et déclara :

— Change de nom.

— Hein ?

— Si tu détestes autant ton prénom, change-le.

Je laissai échapper un rire nerveux.

— Parce que tu crois qu'on peut choisir un autre nom du jour au lendemain, juste comme ça ?

Elle haussa les épaules.

— Dans ta condition, oui. Tu viens juste d'arriver, personne ne te connaît. Tu peux très bien décider de te faire appeler Isabelle ou Gertrude ou je ne sais quoi. Personne ne saura la vérité !

Je fronçai les sourcils, peu convaincue.

— Sauf que je me ferai cramer dès que les cours reprendront. Les profs vont m'appeler Ondine et ce sera fini.

Maria secoua la tête.

— Crois-moi, les gens ici ne se prennent pas la tête. Dis-leur qu'il y a eu une erreur, qu'Ondine est ton deuxième prénom ou quelque chose du genre, et ils ne se donneront même pas la peine de vérifier.

J'ouvris la bouche, prête à trouver une autre bonne raison pour laquelle c'était impossible, quand je me retins. Et après tout, pourquoi pas ? Un léger frisson me parcourut l'échine à cette idée. Je secouai la tête. Non, c'était stupide. Personne ne me croirait. Quoique... comme l'avait si bien dit Maria, personne ne savait qui j'étais...

— Alors ? m'interrogea-t-elle. Qu'est-ce que tu en penses ?

Je me mordis la lèvre, hésitante.

— Je... je sais pas.

— C'est à toi de voir, continua-t-elle. Soit tu restes Ondine, et tu grimaces dès que quelqu'un t'appelle, soit tu choisis un prénom à la hauteur de tes attentes.

Elle marquait un point. Mon prénom me faisait grincer des dents dès que je l'entendais — je préférais même quand ma mère m'appelait Poussinette, c'est pour dire ! C'était sans compter le nombre de moqueries auquel j'avais eu le droit au collège. Est-ce que j'avais vraiment envie de prendre le risque que ça recommence ici ? Définitivement pas.

Je pris une grande gorgée de café pour me donner du courage avant de lancer :

— D'accord. Je vais le faire. Je vais changer.

Cette simple idée m'emplit d'un étrange sentiment d'excitation. Bye-bye Ondine Pepper !

Maria tapa dans ses mains telle une gamine surexcitée.

— Génial ! Alors, tu as une idée de comment tu vas t'appeler ?

Mon visage se décomposa instantanément. Je n'avais jamais réfléchi à la question. Une multitude d'options me vinrent à l'esprit, seulement je n'avais aucune idée de comment faire mon choix. Ce n'était pas une décision à prendre à la légère. Après tout, j'allais devoir entendre ce nouveau prénom pendant un moment !

— Je... je ne sais pas, avouai-je. Je n'ai jamais songé à ça ! J'ai une tête à m'appeler comment ?

— Ah non ! s'exclama la jeune fille. Je ne propose rien, moi. C'est à toi de choisir. Mais si tu veux mon avis, tu ferais mieux de ne pas te prendre trop la tête avec ça.

Je fis la moue, mécontente qu'elle refuse de m'aider. Je finis par sortir mon téléphone de ma poche et ouvris ma bibliothèque musicale.

— Qu'est-ce que tu fais ? me demanda Maria.

— La même chose que ma génitrice a fait à ma naissance. Laisser le hasard décider.

Je pris une profonde inspiration et appuyai sur le bouton de lecture aléatoire, le cœur battant. J'esquissai un sourire quand je vis le titre de la chanson s'afficher. Je mis sur pause avant même que la musique ne démarre et relevait la tête vers Maria.

— Je sais comment je vais m'appeler.

Une lueur de malice brillait dans les yeux de la latina.

— Comment ?

— Dani. À partir de maintenant, je m'appelle Dani.

— Dani..., répéta-t-elle. J'aime bien.

Elle me tendit de nouveau sa main et rajouta :

— Ravie de te rencontrer, Dani.

Cette fois-ci, je serrai sa main dans la mienne.

— Moi de même.

J'esquissai un sourire et repris un peu de café. Dani Pepper. J'aimais bien. Peut-être que le destin n'était pas toujours contre moi finalement.

— Tu rentres en quelle classe ? me demanda alors Maria, changeant brusquement de sujet.

— Seconde. Et toi ?

— Pareil ! Il n'y a qu'une classe de seconde, on sera forcément ensemble !

Mes yeux s'agrandirent.

— Une seule ? m'écriai-je. Il y a si peu d'élèves que ça ?

— C'est une petite ville, mais au moins tout le monde se connaît ! D'ailleurs, est-ce que ça te dirait que je te présente au reste de ma bande, ce soir ?

Je fronçai les sourcils.

— Ce soir ? Où ça ?

Maria se tourna vers la vitre à sa droite et s'assura que son Fedora était bien en place.

— Au Circus. C'est la seule boîte de nuit qui ne passe pas des musiques d'un autre siècle.

Je laissai échapper un rire nerveux. Une boîte de nuit ? Et puis quoi encore !

— T'es sérieuse ? On a quinze ans, c'est pas un peu tôt pour traîner en boîte ?

Elle balaya mon argument d'un coup de main.

— N'importe quoi ! Écoute, je ne sais pas à quoi ressemblent les nightclubs de là où tu viens, mais ici il n'y a rien à craindre. La majorité des gens qui s'y rendent sont des jeunes entre quatorze et vingt ans. Circus, c'est le lieu où tous les ados de la ville se retrouvent. On y va surtout pour danser ou juste traîner, personne ne boit vraiment d'alcool.

Je la regardai d'un air suspicieux, peu convaincue.

— C'est très calme, insista-t-elle. Je te jure.

— Si tu le dis. Mais dans tous les cas, ma mère ne me laissera jamais sortir en boîte.

— T'inquiète pas pour ça, m'assura Maria, je m'en occupe. Je suis super douée avec les adultes. Dis-moi juste où tu habites, et je viendrai te chercher à huit heures.

Je pesais le pour et le contre. La proposition de Maria me plaisait bien. Je n'avais jamais été très sociale, et l'idée de rencontrer des jeunes de mon âge par l'intermédiaire d'une autre avant la rentrée me rassurait. En plus, comme elle l'avait dit, Martini-sur-mer ne semblait pas vraiment être une ville à problème. Alors qu'est-ce que j'avais à perdre ?

— Deal ! m'exclamai-je. Je loge à la maison d'hôte en bord de mer. C'est à une vingtaine de minutes à pied d'ici.

Maria hocha la tête.

— Je vois où c'est. Mais... pourquoi vous être installés dans une maison d'hôtes ?

— Parce que ma mère sort avec le gérant. C'est pour ça qu'on a déménagé.

— Je comprends mieux ! (Elle se leva et cala son sac à main sur son épaule.) Je viens te chercher tout à l'heure, alors !

Je la saluai de la main alors qu'elle partait, et repris mon gobelet pour terminer mon café. Cela faisait à peine une heure que j'étais arrivé à Martini-sur-mer, et non seulement j'avais changé de prénom, mais en plus je m'étais fait une amie. En une simple rencontre, Ondine était morte et avait laissé place à Dani, une nouvelle moi qui était bien partie pour être plus cool et plus sociale. Finalement, peut-être que cette nouvelle vie ne s'annonçait pas si mal que ça.


🍹🍹🍹

Dani pense donc pouvoir mener une petite vie tranquille à Martini-sur-mer... Hahaha, naïve petite !

J'espère que le prologue ainsi que ce premier chapitre vous auront plu !

Qu'avez-vous pensé de Dani ? De Maria ?

N'hésitez pas à me donner vos impressions sur ce début !

J'ai plusieurs chapitres d'avance, aussi j'hésite encore à poster une ou deux fois par semaine, à voir si j'écris la suite aussi vite que les premiers chapitres !

Des bisous 😘

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