Chapitre 5
Charlotte savoura avec appétit le sang de Stefan. Il avait un petit goût velouté qu'elle n'arrivait pas à nommer, s'approchant de la cerise. Ce nectar enivrant lui apporta toute la vitalité dont elle avait besoin, lui redonna sa force perdue. Le liquide caressait ses lèvres et glissait sur sa langue, presque de manière sensuelle. Ce sang, son sang, celui de Stefan, n'avait rien à voir avec celui de Mme Flowers, qui lui était d'une surprenante fermeté. Celui-ci était comme réconfortant, et à la fois gorgé d'énergie. Il était délicieux, exquis. Divin.
Charlotte perdait la tête, elle ne sentait plus rien d'autre que ce vin interdit qui réchauffait son corps. Mais elle fut brusquement ramenée à la réalité lorsqu'elle entendit la voix de Stefan, lointaine, qui lui demanda de s'arrêter. L'hérétique se détacha avec regret du cou du vampire, et se lécha les lèvres. Elle était repue.
La jeune femme remercia Stefan avec un sourire, qui s'effaça bien vite. Le vampire avait pâli. Charlotte s'inquiéta. Avait-elle abusé de l'offre de Stefan ? Elle avait accepté de se nourrir de lui, alors que lui-même ne s'était pas sustenté depuis cinq jours... Quelle égoïste !
_ Oh, Stefan...! Qu'est-ce que j'ai fait...
_ Ne t'inquiète pas, la rassura-t-il. Je vais bien. Et toi aussi.
Son regard était toujours aussi profond et couvant, mais les traits de son visage trahissaient une santé fragile. Il avait besoin de sang, bien plus que Charlotte. Alors elle repoussa ses cheveux pour exposer son cou, et incita le brun à boire. Il refusa net.
_ Non, Charlotte, je ne peux pas.
Sa voix était incertaine, presque craintive. Avait-il peur ? De quoi ? Il était vampire depuis plusieurs centaines d'années, il avait bu beaucoup de sang, avait fait et refait les mêmes gestes des millions de fois, pourquoi hésiter maintenant ?
_ Stefan, tu m'as nourrie alors que tu as plus besoin de sang que moi, et maintenant tu es blanc comme un linge... À moins que tu ne préfères t'abreuver de Bonnie, je suis ta seule option. Je peux au moins te servir à ça, non ?
_ Je ne peux pas boire ton sang, répéta le vampire, plus durement. Du moins, pas maintenant...
_ Comment ça ?
_ L'échange de sang a une connotation bien particulière, ce n'est pas un acte anodin. Les vampires le font dans un contexte... érotique, avoua Stefan, le regard fuyant.
Charlotte ne répondit rien. Il lui semblait qu'un fossé s'était soudainement creusé entre eux. Après cette explication, elle ne pouvait décemment plus lui demander de boire son sang. Ils étaient peut-être mariés, mais elle ne l'avait rencontré que dix heures plus tôt, tout au plus. Il était hors de question d'exercer de telles pratiques alors qu'elle ne se souvenait plus de lui, d'autant plus que c'était la fin du monde tout autour d'elle !
Cependant, Stefan devait contenter sa faim. Et ça, Charlotte y tenait.
Après un long silence à regarder le jeune homme contempler ses chaussures, elle déclara :
_ Demain matin, ce sera à mon tour de te nourrir. D'accord ?
Il acquiesça.
_ Il devrait s'être écoulé suffisamment de temps. Ça ne sera qu'un... repas ordinaire.
Ils rebroussèrent chemin et tâchèrent de dormir, sans franc succès.
☆
Charlotte n'avait pas beaucoup dormi, à l'instar de Stefan. Elle avait passé la nuit à réfléchir, à repenser à tout ce qu'elle avait appris depuis son réveil dans l'église.
À plusieurs reprises, elle avait surpris le regard de Stefan posé sur elle. Ses joues avaient pris une teinte rosée, ce que lui seul avait pu constater grâce à son acuité visuelle.
La jeune femme lui était reconnaissante de ne pas s'être nourri d'elle sans rien dire. Il aurait très bien pu se contenter de boire et de profiter de sa perte de mémoire pour mélanger leurs sangs. Mais elle avait compris dès leurs premiers échanges que Stefan était juste. Elle avait également saisi qu'il refoulait des sentiments forts à son égard, avec un succès variant selon les circonstances. Comme s'il se refusait à éprouver ce qu'il éprouvait, comme si cela lui était interdit. La perte des souvenirs de Charlotte y était sûrement pour quelque chose, et bien que la jeune femme ne se souvenait pas de lui, elle en avait un pincement au cœur. Savoir qu'elle faisait souffrir un homme aussi bon la rendait malade. Charlotte se jura une énième fois qu'elle retrouverait la mémoire coûte que coûte.
Lorsque Bonnie fut réveillée, et après qu'elle se fût plainte de ne pas disposer d'un petit déjeuner digne de ce nom, le trio reprit sa route. La sorcière et le vampire marchaient avec assurance, sachant où aller. Ça n'était pas le cas de Charlotte, qui trébuchait à chaque changement brusque de direction. Elle avait l'impression de chercher son chemin dans un labyrinthe sans haie, ce qui était absurde. La jeune femme se heurta deux fois à Stefan, qui s'était arrêté pour réfléchir avant de poursuivre sa marche.
Ils marquèrent une pause à l'orée d'un petit bois, où le vampire avait aperçu un lapin.
La vie n'était donc pas complètement éteinte !
_ Je vous attends ici, je vous ralentirais dans votre chasse, déclara Bonnie.
_ Ce n'est pas un peu dangereux ? lui demanda Charlotte. Elena, Damon, ou le démon pourrait te trouver, et...
Elle n'acheva pas sa phrase, ayant peur de formuler à voix haute ce qui pourrait leur arriver si on les trouvait.
_ Ne t'en fais pas, je peux crier très fort si je le veux, plaisanta la rouquine. Allez vous nourrir, on ne sait pas quand est-ce que l'occasion se représentera.
Stefan lui adressa un signe de tête entendu et entraîna Charlotte parmi les arbres. Ils coururent à une vitesse folle pendant quelques minutes, puis le vampire s'arrêta soudainement. Charlotte eut le tournis à la pensée qu'elle avait parcouru plusieurs kilomètres en si peu de temps.
_ Tu sens cette peur ? murmura Stefan. C'est celle des animaux. Ils nous ont sentis, ils sont cachés.
L'hérétique n'avait pas conscience qu'elle pouvait déceler d'autres émotions que les siennes jusqu'à ce que Stefan le lui apprenne. En fait, cette faculté allait au-delà de la simple perception de la peur, du chagrin ou de la joie ; elle pouvait sentir les esprits, et même entendre les pensées. Charlotte en était à la fois effrayée et abasourdie. Ses capacités surnaturelles ne cesseraient pas de l'épater de sitôt !
_ On va leur bondir dessus et les... tuer ?
Stefan répondit par l'affirmative. La jeune femme n'était pas particulièrement ravie.
_ Ils n'ont rien demandé, ces animaux ! se révolta-t-elle.
_ Les humains aussi pratiquent la chasse, c'est d'ailleurs grâce à ça que la viande arrive jusque dans les assiettes, répliqua posément le brun.
_ Oui, eh bien je suis quasiment certaine que j'étais végétarienne, étant humaine !
_ Tu l'étais, en effet, et tu as tenu les mêmes propos après ta transformation...
Stefan eut un petit sourire, que Charlotte ne trouva pas aussi craquant que ceux auxquels elle avait eu droit jusqu'à présent. Elle ne voulait pas tuer d'animaux. Pourtant, elle avait ôté la vie à Mme Flowers... Après tout, qui était-elle pour décider de quelle espèce il fallait se nourrir ? La jeune femme se trouvait certes être une défenseuse du droit animal, mais assassiner un être humain était tout aussi immoral. Elle était dans une impasse. Quoiqu'elle décide de faire, elle l'aurait pour le restant de sa vie sur la conscience. Autrement dit pour l'éternité.
_ Ne pourrait-on pas plutôt continuer de se nourrir... entre nous ? hésita l'hérétique. On ne ferait de mal à personne, et...
Elle allait presque avouer que c'était plus agréable.
Stefan eut un nouveau sourire, qui eut cette fois plus d'effet sur la jeune femme. La vue de ce visage sublime éclairé par une lueur malicieuse faisait bondir son cœur de façon inexplicable.
Elle se remémora le plaisir qu'elle avait éprouvé quelques heures plus tôt, en laissant le vampire goûter à son sang. Cela lui avait procuré un bonheur sans pareil, la plongeant dans un état d'extase tel qu'elle en avait oublié tout le reste. Si elle planait autant lorsque Stefan s'abreuvait d'elle, elle se demandait comment elle se sentirait lors d'un échange de sang...
_ On pourrait, en effet, commença le brun, mais notre sang n'est pas renouvelable. Il nous faut nous réapprovisionner, tu comprends ? Mais si tuer te dérange tant, ce que j'entends complètement, tu peux ne pas le faire. Seulement, tu ne seras pas entièrement rassasiée, et ta proie souffrira de son manque de sang. C'est à toi de voir.
Préférant épargner une longue souffrance à ses futures victimes, Charlotte se résigna.
_ Tu as gagné, souffla-t-elle.
_ Parfait, sourit le vampire. Suis-moi !
Il lui attrapa la main et l'entraîna dans une course folle après une biche. Ensemble, ils bondirent et l'empêchèrent de prendre la fuite. Ensemble, ils allongèrent leurs canines et mordirent le cou de l'animal. Le liquide avait un goût fade. À la première gorgée, Charlotte eut envie de recracher, mais elle s'en abstint et continua à boire. Elle sentit très vite le quadrupède défaillir. Une fois les veines de la biche asséchées, les deux prédateurs prirent d'assaut une nouvelle proie. Puis une autre, et une autre. Charlotte ne s'en lassait pas, l'excitation l'habitait. Stefan partageait cette sensation. Partager le sang de leur gibier était presque aussi enivrant que de sentir les crocs du vampire percer sa peau. Dans l'euphorie du moment, les jeunes mariés ne comptaient plus leurs victimes. Ils aspiraient vie sur vie, âme sur âme, jouissant de la sensation de renouveau que cela leur procurait.
_ Je ne m'étais pas autant abreuvé depuis des lustres.
Charlotte eut un sursaut en entendant la voix de Stefan résonner dans sa tête.
_ N'aie pas peur, la télépathie est un don commun à tous les êtres surnaturels. Ça ne demande quasiment aucun effort, la rassura-t-il.
La jeune femme était sceptique, mais elle visualisa un fil reliant sa tempe à celle de son ami, et le courant passa de lui-même. Les pensées se transmettaient aussi facilement que des SMS. Charlotte était admirative de toutes les possibilités qui s'offraient à elle. Le vampirisme n'avait pas que des inconvénients !
_ Tu m'entends ? Waouh, c'est génial !
Stefan était visiblement amusé de l'enthousiasme de Charlotte. Il souriait encore et encore, à chaque hoquet de surprise, à chaque soupir d'émerveillement. La jeune femme adorait plus que tout la chaleur que dégageait le sourire du vampire. La bonne humeur lui allait vraiment bien, le rendait radieux. Et sa beauté n'en était que décuplée.
Charlotte se rendit compte qu'elle dévisageait Stefan. L'amusement avait quitté son regard, c'était désormais des yeux d'une tendresse abyssale qu'il posait sur elle. Elle en eut le souffle coupé.
_ Dis... Tu crois que tu pourrais me partager quelques souvenirs par télépathie ? pensa timidement la jeune femme.
_ Ça ne vaudrait pas tes propres souvenirs.
_ Ça m'est égal, je veux pouvoir mettre des images sur ce que vous m'avez raconté. S'il te plaît...
_ Que veux-tu voir ?
L'espoir anima Charlotte. De nouvelles réponses allaient lui être apportées !
_ Nous, répondit-elle à haute voix. Nous deux, je veux dire... Nous sommes mariés, alors je...
_ Bien sûr.
Stefan se rapprocha de Charlotte, et plongea ses iris verts dans les siens. Puis la jeune femme fut enveloppée dans un des souvenirs du vampire. Celui de leur premier baiser. C'était assez particulier, car elle avait connaissance des sentiments éprouvés par Stefan à ce moment-là, elle voyait à travers ses yeux, mais elle n'avait aucune idée de ce qu'il en avait été de ses pensées à elle.
Dans ce souvenir, Stefan avait d'abord pris délicatement le visage de Charlotte entre ses mains, avait joint son front au sien, puis après de longues secondes de contemplation il avait posé ses lèvres sur celles de la jeune femme.
Charlotte voyait que Stefan ne s'était concentré sur rien d'autre que leur baiser, car aucune autre notion ne lui était transmise. Elle ne sentait plus qu'une douceur infinie, la caresse du souvenir s'était emparée d'elle. Charlotte aurait aimé avoir gardé cet instant en mémoire, mais elle n'en avait plus aucune trace. Elle était frustrée. Et se sentait coupable. Pauvre Stefan...
Une longue plainte l'arracha à sa rêverie.
Bonnie !
Le vampire et l'hérétique cavalèrent à toute vitesse retrouver leur amie à l'orée du bois.
La rouquine leur faisait dos, raide comme un bâton. Précautionneusement, Charlotte s'approcha d'elle et posa une main sur son épaule, lui demandant si elle allait bien. Bonnie fit volte face sans prévenir, ce qui faillit causer une attaque à la jeune blonde. La sorcière posa ses yeux sur elle sans la voir, son regard était vitreux. Lorsqu'elle ouvrit la bouche, ce fut une voix grave qui n'était pas la sienne qui s'exprima :
_ Je suis au Royaume des Ombres, mon temps est compté. Je n'ai pu échapper à son contrôle qu'un instant, il le reprendra dès qu'il s'en apercevra. Faîtes vite. Le portail est encore ouvert pour quatre jours, il est à Graceland, à Memphis dans le Tennessee. Il faut lier les poignets de Bonnie pour la faire passer pour une esclave, tous les humains en sont là-bas, et je préfère ne pas évoquer le sort des humaines... Soyez prudents, tous les deux.
Bonnie se tut et ses genoux se dérobèrent. Stefan et Charlotte l'aidèrent à conserver son équilibre et s'échangèrent des regards incrédules.
_ Bonnie, que s'est-il passé ? la questionna la jeune femme.
_ Il s'est passé quelque chose ? balbutia la sorcière. Vous faites une de ces têtes !
_ Bonnie, tu nous as transmis un message de Damon, affirma Stefan. C'était sa voix.
_ Damon ? s'inquiéta Charlotte. Il peut prendre possession de l'esprit de Bonnie ?
_ Non, il nous a simplement envoyé un message et Bonnie l'a reçu.
_ Qu'est-ce que j'ai – pardon – qu'est-ce que Damon a dit ? demanda la rouquine.
_ Il est au Royaume des Ombres, sous l'influence de quelqu'un qu'il a désigné comme "il" ; sûrement le démon, expliqua Stefan. Ce n'est donc peut-être pas Elena qui l'a manipulé... Le portail se referme dans quatre jours et se trouve à Memphis. Et il a parlé de te lier les poignets...
Bonnie écarquilla les yeux.
_ En quel honneur ?!
_ Il va falloir te faire passer pour une esclave pour qu'on accepte de nous ouvrir le chemin. Il n'a pas parlé de Charlotte, il doit probablement la penser morte. Il va falloir te lier aussi les poignets, par précaution, déclara le vampire.
_ Il en est hors de question, dit Charlotte d'un ton catégorique. Et qu'est-ce qui nous garantit que ce n'est pas un piège ?
_ C'en est peut-être un, conçut le vampire, mais c'est la seule véritable piste que nous ayons. On doit se dépêcher, Memphis n'est pas vraiment la porte d'à côté, et on a quatre jours.
_ On n'y sera jamais à temps ! se plaignit Bonnie.
Charlotte, elle, n'était pas convaincue par ce plan. Elle avait un mauvais pressentiment. Certes, elle était novice en magie, mais elle savait écouter son instinct, et celui-ci lui dictait de ne pas se laisser entraîner dans ce périple. D'après ce que lui avaient dit ses amis, ce Royaume était pire que l'Enfer, et elle ne voulait y mettre les pieds pour rien au monde.
Une pensée égoïste la traversa : pourquoi risquer sa vie pour quelqu'un qu'elle avait oublié ? Charlotte se ressaisit aussitôt. Damon était le frère de Stefan, et par conséquent, son beau-frère. Elle devait l'aider, malgré sa réticence.
_ Ne t'en fais pas, on y sera avant la fermeture du portail, assura Stefan à Bonnie. Charlotte ? Tu te sens de nous suivre ? Tu as moins à craindre avec nous qu'en restant seule, tu sais...
Il était prévenant, à l'écoute, comme toujours. Charlotte revit le souvenir que le vampire lui avait partagé. Elle se souvint de sa promesse de recouvrer la mémoire. Ce n'était pas en se séparant de ses amis qu'elle en apprendrait davantage sur son passé.
Elle acquiesça.
_ Je vous accompagne.
Stefan prit Bonnie dans ses bras, et commença à courir à une vitesse ahurissante. Charlotte lui emboîta le pas. Elle ne parvenait pas à se défaire de l'idée qu'elle regretterait cette décision...
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