Chapitre 1
Deux jours.
Cela faisait deux interminables jours que la jeune femme fouillait les décombres de Fell's Church à la recherche d'indices quelconques. Elle n'avait rien trouvé d'utile, ses découvertes se résumant à des noms à demi effacés sur des boîtes aux lettres, de vieux cadres photos sur lesquels apparaissaient des personnes dont elle ne se souvenait pas, et un miroir rayé dans lequel elle avait pu revoir son visage sali et pâle.
Il lui avait été difficile d'affronter cette vision d'elle, de découvrir cet air perdu et craintif, ce fantôme sans passé qu'elle était devenue, cette ombre esseulée. Elle avait rapidement détourné le regard, ne voulant pas faire face à ces yeux remplis d'incompréhension. Les larmes avaient coulé, dessinant des sillons sur sa peau couverte de saleté. Le vide hurlait en elle, lui rappelant chaque seconde qu'elle avait tout perdu, qu'elle n'avait rien, pas même de quoi regretter. Elle trouvait cela bien pire que d'avoir des souvenirs qui éclairciraient ses pensées, au moins elle comprendrait sa situation et saurait peut-être quoi faire. Là, seul le noir répondait à ses questions. Le silence de sa mémoire lui était insupportable. Elle ne pouvait pas même refaire le monde avec des "si", ni chercher le corps d'un être cher parmi les morts éparpillés qui pourrissaient sur le sol, ni culpabiliser pour un faux pas qu'elle aurait commis. Elle ne pouvait que se morfondre sur son propre sort et errer sans réel but dans les rues morbides et désertes de la ville.
La jeune femme avait cherché une mairie, ou du moins ce qu'il pouvait en rester, espérant trouver des informations sur elle telles que son prénom, sa date de naissance, son domicile, son parcours scolaire, sa famille... Malheureusement, elle avait certes décelé l'écriteau "Mairie" tombé parmi les ruines, mais toutes les archives papier avaient brûlé et les ordinateurs étaient hors service.
Elle demeurait au point mort. Elle n'avait qu'un nom, un simple nom à consonance italienne. Salvatore. Rien de plus.
La faim et la soif la tenaillaient et rendaient la situation encore moins vivable. Il n'y avait aucune denrée comestible dans les maisons délabrées, aucun point d'eau où se désaltérer.
La jeune femme, épuisée, se décida à quitter la ville en quête de quelqu'un pour l'aider. Ces ruines n'avaient rien à lui offrir. Chancelante, elle marcha au-delà du panneau souhaitant la bienvenue à Fell's Church. Avec un certain découragement, elle s'aperçut que la route l'obligeait à s'enfoncer dans les bois. Bien qu'il faisait jour, elle n'était pas rassurée, le feuillage des arbres était si dense qu'il laissait difficilement passer les rayons du soleil. Elle se demanda si quelqu'un pourrait l'entendre et la localiser si elle criait. L'envie d'essayer lui brûlait la gorge, mais elle s'abstint par peur... Par peur de quoi ? De tomber sur une personne malveillante ? De toute façon, il ne doit pas y avoir la moindre vie humaine à des kilomètres à la ronde, se dit-elle pour se redonner un peu de contenance.
Elle continua son chemin sans quitter la route. Il était hors de question de s'aventurer dans la forêt, elle se perdrait à coup sûr et ne ressortirait jamais d'entre les arbres. Elle marcha, marcha, jusqu'à en avoir mal aux pieds. Ses jambes réclamaient du repos, son estomac criait famine, sa langue ne demandait rien de plus qu'un peu d'eau. Au loin, elle crut voir un portail qui se dressait encore fièrement malgré la rouille. Ou bien hallucinait-elle ? Le corps de la jeune femme ne répondait plus, elle était tombée, trébuchant sur sa longe robe. Elle tenta d'avancer à quatre pattes vers le portail. Elle vit les contours d'une maison. Elle rampait pour s'en approcher. Mais ses paupières ne s'ouvraient plus, ses muscles étaient à bout.
Elle perdit connaissance.
☆
Ses yeux clignèrent lentement. La lumière d'une lampe l'aveuglait.
Une lampe ?
La jeune femme ouvrit entièrement les yeux. Elle était allongée sur un canapé outrageusement confortable, au milieu d'une pièce tapissée d'un papier peint passé de mode depuis au moins trente ans. Le mobilier datait d'un autre siècle, mais avait bien traversé les décennies. Des tableaux et des photos habillaient les murs et ornaient l'imposant manteau de cheminée qui trônait au centre de la cloison à laquelle la jeune femme faisait face. Un feu crépitait joyeusement et semblait danser sur les bûches qu'il consumait lentement. La pièce était chaleureuse et pleine de vie, et de toute évidence la personne qui habitait le domaine n'était plus toute jeune.
Elle voulut se redresser pour laisser ses pieds nus entrer en contact avec le tapis à l'aspect moutonneux, mais une douleur sur le flanc droit lui arracha un cri et elle se laissa retomber sur le sofa.
Une dame d'un âge avancé accourut vers elle, une trousse de soin aussi grande qu'une valise à la main.
_ Ne bougez pas, mon petit ! Il faut encore que je désinfecte toutes ces plaies et que je vous fasse quelques points de suture. Je sais que vous pouvez guérir seule, mais un petit coup de pouce n'a jamais fait de mal à personne.
Sa voix était mélodieuse et chevrotante, on aspirait à l'écouter. Cette femme avait des histoires à raconter, des belles comme des tristes ; elle avait vu des choses. Ses yeux fatigués avaient la couleur d'un jean délavé et ses lèvres s'étaient amincies avec le temps. Des rides creusaient son visage jovial. Son attitude était un peu enfantine, mais elle dégageait une sagesse qui inspirait le respect chez ses interlocuteurs.
_ Excusez-moi, Madame... Merci beaucoup pour votre aide... Mais qui êtes-vous ? Est-ce qu'on se connaît ?
La vieille dame lui adressa un regard inquiet.
_ Oh, ma petite Charlotte, vous avez dû recevoir un sacré coup sur la tête !
Charlotte...
Le prénom glissa dans son esprit et s'aligna devant son nom. Charlotte Salvatore. Elle était Charlotte Salvatore. Satisfaite par cette première révélation, elle ne posa pas d'autre question pendant que sa bienfaitrice soignait ses maux. En revanche, la femme aux cheveux blancs se montra bavarde.
_ Je vous ai trouvée là, devant chez moi, dans les pommes. Dieu, que j'ai eu peur ! Nous vous pensions morte, comme tous les autres... Pauvre Fell's Church, cette vieille ville... On peut dire qu'on a connu meilleur temps pour un mariage, n'est-ce pas ? Oh, mais ce n'est peut-être pas encore le bon moment pour en plaisanter, excusez-moi mon petit... Je n'en reviens pas que vous soyez vivante, je veux dire, quel miracle ! Le brave Stefan était dévasté, la petite Bonnie pleurait comme une madeleine... Vous avez perdu tous vos amis, votre famille... Pauvre Meredith, oh oui, pauvre Meredith... Et quelle mouche a piqué Damon ! Damon, Seigneur...! Elena, cette vipère, a certainement quelque chose à voir là-dedans, tout comme ce satané renard, je vous le dis ! Dites-moi si je vous fais mal mon petit, je n'ai plus de quoi vous anesthésier, j'ai tout utilisé pour la jolie Bonnie... Non, vous en êtes certaine ? Bien. Oh, ma petite Charlotte, c'est atroce ce qui vous est arrivé ! Votre mariage... !
Elle continua ainsi jusqu'à ce que le dernier point de suture fut appliqué. Elle lui offrit du thé et un sandwich, que la jeune femme apprécia tel un festin. Charlotte avait une migraine foudroyante et gémissait de douleur au moindre de ses mouvements. Elle n'avait rien compris aux paroles de la vieille dame et ne chercha pas à comprendre, du moins pas dans l'immédiat. Elle était exténuée.
_ Il va falloir vous changer, mon petit. Il doit rester des vêtements dans l'armoire de Stefan dans la chambre du haut. Oh, et je vous ai fait couler un bain, venez, je vais vous aider à monter les marches.
_ Merci infiniment, Madame...
_ Flowers. C'est Madame Flowers, ma petite Charlotte, dit-elle avec un sourire.
_ Je crois pouvoir marcher sans trop de problèmes, Madame Flowers.
_ Ne dites pas de bêtise ! Allez, donnez-moi votre bras... Oh hisse ! Voilà...
Mme Flowers passa le bras de Charlotte autour de ses épaules et l'aida à se lever avec la plus grande délicatesse. Charlotte se demanda quel âge avait sa sauveuse pour pouvoir ainsi la soulever, mais n'osa pas poser la question de peur de se montrer impolie.
Elles gravirent un nombre considérable de marches et traversèrent trois couloirs avant d'atteindre la salle de bain. Mme Flowers vola au secours de la jeune femme en la voyant peiner à s'extirper de sa robe, et après l'avoir faite entrer dans l'eau elle partit lui chercher des vêtements propres dans la chambre qu'elle avait évoquée plus tôt.
L'eau du bain prit rapidement une teinte grisâtre à cause des résidus de poussière et de cendre. La chaleur se répandit dans le corps endolori de Charlotte et ses muscles se détendirent. Elle voulut réfléchir à tout ce que Mme Flowers lui avait dit, mais son cerveau ne se montra pas coopératif ; il voulait du repos. Alors, après un bref coup de savon, Charlotte quitta la baignoire et enfila les vêtements apportés par la vieille dame. Ils étaient beaucoup trop grands pour sa petite taille, mais elle n'y prêta pas attention et sortit de la salle de bain à la recherche d'un lit où s'écrouler. Mme Flowers l'amena deux pièces plus loin, et la jeune femme put enfin se glisser sous une couette et dormir. Elle chercherait davantage de réponses le lendemain, à son réveil, quand elle aurait repris des forces. Pour l'instant, elle se sentait lourde...
Dans le noir, elle se murmura son nom. Elle sourit pour la première fois. Elle était quelqu'un. Elle était Charlotte Salvatore.
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