Chapitre 4
Je ne fis rien jusqu'au soir à part m'enfiler les épisodes d'une nouvelle série que j'avais commencée. Le soleil brillait mais je n'avais aucune envie de m'aventurer seule dehors. Une balade m'angoissait. Les rues m'affolaient. L'ennui prit le pas sur ma couardise et je m'apprêtai. Je m'appliquai à étendre le mascara sur mes cils, à habiller mes paupières de fard rosé, à couvrir mes lèvres de rouge et à boucler mes cheveux raides. L'envie de plaire était présente depuis le début, depuis que Gabriel avait posé ses yeux sur moi et malgré mes réticences et ma procrastination, nous étions bien, ensemble. Nous apprenions à nous connaître.
Je fus présentée à tous ses amis et nous nous attablâmes tous autour de la petite table en verre du salon. Un jeu d'alcool, pathétique. Je ne connaissais personne à part mon copain : les invités venaient de sa fac de droit. À les voir enfiler les shoots de vodka, j'avais du mal à voir en eux de futurs juges et avocats...
— Gabriel ! Action ou vérité ?
— Vérité, répondit-il sereinement.
Je levai les yeux au ciel. Fallait-il vraiment s'abaisser à de telles banalités ?
— Alors, tu l'as déjà baisée ?! ricana le mec qui avait posé la question.
Mes joues s'enflammèrent et à mon malaise s'ajouta une indignation sourde. Pour qui se prenait-il ? Et pourquoi diable la honte me rongeait-elle lentement ? Gabriel rit en le traitant d'imbécile puis reprit plus sérieusement :
— Non.
Sa réponse sembla en choquer plus d'un mais ils s'abstinrent de la commenter.
— Kalie, c'est bien cela ?
Je posai négligemment mon regard chocolaté sur l'organisateur de la soirée. Il prenait un malin plaisir à me torturer et à se moquer de moi.
— Vérité pour moi aussi.
J'haussai un sourcil, attendant une autre preuve de sa curiosité déplacée.
— Comment as-tu rencontré Gabriel ?
Je me détendis.
— J'ai travaillé un temps au théâtre, je prenais les affaires des spectateurs et je les guidais à leurs places. Il... est arrivé seul et en partant il a fait exprès de me laisser sa veste. Dans la poche j'ai trouvé un petit papier, avec son numéro, et un mot.
— C'était quoi, le mot ? s'enquit un autre.
— C'est ma veste préférée. Ainsi, nous sommes obligés de nous revoir, récitâmes Gabriel et moi de concert.
— Adorable ! s'écria une fille.
Je ne pouvais détacher mes yeux de Gabriel, qui lui aussi me fixait. Ma poitrine se souleva doucement. J'étais comme happée par lui, dérangée par des millions de papillons survoltés qui eux aussi faisaient la fête, dans ma panse. Il m'embrassa langoureusement et bien que de nature pudique, j'occultai la foule autour de nous et savourai ce liquoreux baiser volé.
Je baissai ensuite la tête et me mordis les lèvres, fraîches de sa salive. Nous avions changé l'atmosphère, créé un inconfort. Le jeu continua, je finis par m'y prêter de gaité de cœur, flottant suite à l'afflux impétueux d'émotions que Gabriel avait fait surgir.
Les heures passaient et je n'étais pas aveugle : toutes les filles présentes le dévoraient du regard. Sublimes, aux formes sybarites, aux postures affriolantes, elles se dressaient comme des sirènes entre mon marin et moi et menaçaient de l'attraper et de l'empêcher d'accoster au port... Ce que je pouvais comprendre.
Perspicace, il ne tarda pas à le remarquer et me rassura discrètement. Il m'offrit d'autres baisers de la même trempe que le premier et enflamma tout mon corps.
— Que dirais-tu d'aller ailleurs ? chuchotai-je langoureusement au creux de son oreille.
Je le sentis frémir face à mon audace aguichante et il se leva instantanément en acquiesçant. J'ignorai les sifflements et les commentaires libidineux que ses amis lancèrent. Main dans la main, nous gravîmes les marches et nous isolâmes dans une des chambres à l'étage. Il referma dernière nous, alluma à l'autre bout de la pièce une lumière blafarde qui garantissait l'intimité.
— Tu es sûr qu'on a...
— Oui, me coupa-t-il en m'embrassant fougueusement. Elles sont là pour ça...
Nous nous collâmes l'un à l'autre. Notre câlin me frappa de douceur et de passion. Ses doigts effleuraient tantôt mes joues, tantôt mon dos. Ils s'aventuraient sur le tissu, le frottaient, comme embêtés par cette barrière vestimentaire.
Étonnamment, la remembrance de l'étranger me touchant ne parvint pas à abîmer la volupté du moment. Enlacée par Gabriel, j'étais dans un cocon, protégée, heureuse.
Je ressentais son empressement. Il avait ancré son bassin à mon os pelvien et le renflement dans son jean ne m'échappait pas. C'était un univers avec lequel je n'étais pas familière : le désir montait, naturellement, graduellement, et rendait tout cela complexe.
Ne préférais-je pas l'obscurité totale ? L'aimais-je vraiment ? Et lui, m'aimait-il vraiment ? Pouvais-je lui livrer ma virginité comme sur un plateau ?
— Cesse de réfléchir, grogna-t-il, la bouche scotchée à mon épaule dénudée.
Gabriel avait toujours semblé me connaître mieux que moi-même et lisait en moi comme dans un livre ouvert, ce qui était une sensation à la fois jubilatoire et sinistre.
Maladroitement, précipitamment, nous nous déshabillâmes. J'avais mis mes pensées en mode avion, pour ne pas retarder le départ, pour ne pas gâcher sa velléité. Qu'importe mes réels sentiments, je le voulais, là, à cet instant. J'estimais que c'était ce qui importait.
Il s'avança, me poussa délicatement sur le lit. Rien à voir avec la brutalité de l'autre soir : le matelas se devinait immanquablement plus douillet que la chaussée. Docilement, je m'allongeai sur le dos. Bouger librement me consolait. La porte était fermée, il n'y avait que nous. J'étais en sécurité. Je devais faire fi de mon infecte réminiscence.
Mon souffle s'accéléra lorsqu'il agrippa ma culotte et la fit descendre le long de mes cuisses. J'ignorais ce qu'il fallait que je fasse. J'ignorais si lui savait. Une volonté de fuir m'écorcha. Un éclair de lucidité, sans doute, qui sonnait l'alarme et entreprenait de redonner les commandes de mon organisme à ma conscience.
Gabriel se figea face à mon corps glabre. Le temps parut se suspendre car de deux jeunes émoustillés, nous passâmes au stade de statues ; coites et moites, transies.
Penaude, je me demandai si mon absence de poitrine et mon ventre maigrelet le dégoûtaient. Je n'avais rien de pulpeux, pas de recoins douillets ni de fesses rebondies à offrir à ses poignes.
Le caractère romantique du moment s'étiola à mesure que les évènements suivaient leur cours. Outre le fait de le voir dans son plus sommaire attirail et de sentir sa peau fusionner avec la mienne, ce sont ses agissements qui me replongèrent dans le cauchemar. Il scrutait mon enveloppe charnelle à la lueur de la lampe de chevet. Il m'étudiait.
Je me repliai sur moi-même, le cœur palpitant. Je gémis, d'une voix peu assurée :
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Tu es belle...
Il se pencha pour poursuivre mais je le repoussai, mortifiée. La lueur vive dans ses rétines ne m'était pas étrangère. J'avais beau être novice, je savais qu'il ne s'agissait pas de la flamme du désir. C'était un brasier incandescent, faisandé, qui ne présageait rien de bon : le même brasier qui m'avait marquée au fer rouge deux jours auparavant, autrement dit la même folie alerte et pressée que j'avais discernée dans les yeux de l'homme en blanc.
Elle s'estompa au profit d'un air interrogatoire :
— C'est trop rapide pour toi ?
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