Chapitre 26

Mes talons frôlèrent un épais tapis écarlate et mes joues prirent la même teinte : les journalistes munis d'appareils photo aux flashs létaux privatisaient l'entrée et n'épargnaient aucun invité. Myriam donna tranquillement son nom au vigile, qui vérifia sur sa liste, tandis que je préludais de disparaître derrière la filiforme silhouette de ma cousine.

— C'est bon, mesdemoiselles. Soyez les bienvenues.

Chatoyante de bijoux dispendieux, Myriam intégra la soirée, moi sur ses pas. Elle se fondait dans la masse plantureuse. Un animateur mixait mais même les morceaux commerciaux extirpés de la radio ne bornaient pas l'ambiance inabordable du gigantesque complexe où se déroulait l'évènement.

Tout empestait le milliard à plein nez : les coupes en diamant, les invités, les serveurs en queue de pie aux cols plus repassés que l'entièreté de ma garde-robe... Typiquement ce que je détestais.

— Tu m'as dit que c'était une petite soirée sans prétention, m'étranglai-je. Ça ressemble à un gala...

— Gala, soirée...

— Je t'interdis de dire que c'est pareil. C'est tout sauf pareil.

— Arrête de t'en faire, tu es sublime.

Je lui adressai un sourire narquois.

— Fais un effort, me sermonna-t-elle.

— Les talons de dix centimètres c'est pas un effort suffisant selon toi ? ronchonnai-je.

Elle me tapa dans les côtes avec son coude.

— Je rigole pas, ce soir, me mit-elle en garde avant de cligner d'un œil.

Bras dessus bras dessous, nous allâmes au bar nous désaltérer. Après près de quinze interminables minutes à saluer les invités sur notre passage, ravis de revoir ma cousine, et quelques coupes de champagne, nous parvînmes à notre but.

— Comment ça vous n'avez pas de bière ?

— Elle prendra un Bloody Mary, rattrapa Myriam. Et moi un Blue Lagoon.

— Je hais le jus de tomate.

— Eh bien tu vas faire un effort.

— Gnn gnn gnn.

— Sois civilisée, Kal'.

Et c'est civilisée que j'avalai cet immonde cocktail à base de diabète et d'ulcère. Tout en sirotant son breuvage, Myriam scrutait les alentours. Elle espérait sans doute apercevoir le beau et talentueux Simon. Quant à moi, je me dressais tel un suricate en souhaitant davantage apercevoir une tête en cœur blonde. Où pouvait être Amber ? Cela dit, la foule était si dense qu'il n'était point étonnant de ne pas y repérer la petite femme menue qui jouait l'enquêtrice.

— Myriam !

Ma cousine papillonna des cils et roucoula :

— Simon ! Quel plaisir !

Elle descendit de son siège et colla ses lèvres aux deux joues matinalement rasées du don juan roux. Elle salua en même temps que moi les autres personnes, un brin moins superficielles que la majorité, qui accompagnaient l'acteur. Nous commençâmes à bavarder gaiement, et je profitai d'un silence pour assouvir ma curiosité :

— Vous n'auriez pas vu Amber ?

— Oh, elle est déjà partie. Son bébé est malade.

— Eh, Mymy, pensai-je. On fait demi-tour ? Ma seule potentielle amie n'est pas là, les festivités promettent un ennui à mourir.

Le groupe s'était ensuite dissout. Seul Simon n'avait pas bougé d'un iota. Il glissa quelques mots dans l'oreille de ma cousine. Ce faisant, son regard croisa le mien. Il ajouta quelque chose et je ne fus pas surprise lorsque ma cousine s'empressa de demander :

— Kalie, ça t'embête si je te laisse un moment ?

— T'en fais pas pour moi.

Adieu, tout espoir de sauvetage. Pas de bouée à la mer, cette fois.

En suivant leur évasion du des yeux, je commandai un autre verre et le vidai d'une traite. Le seul point positif de ce gala onéreux ? Alcool gratuit et à volonté. Un des seuls avantages de côtoyer des fêtes friquées je dirais.

Le serveur posa une rasade mentholée sous mon nez.

— Mais je n'ai pas commandé de...

— C'est le monsieur là-bas qui vous l'offre.

Je suivis son doigt. Un homme dans le coin, le nez rougi, arrimait ses rétines à la chute de mon dos. Je soupirai et marmonnai :

— Rappelez-lui que l'alcool est gratuit, et empêchez-le de reprendre le volant. Il est bourré.

Le loufiat haussa les épaules, indifférent ; il devait connaître l'individu et s'amuser de la situation.

Le citron ne m'avait jamais paru si amer qu'en ce cocktail. Ne pouvais-je plaire qu'à des hommes avinés, désespérés, probablement mariés et juste en quête de l'aventure d'un soir avec une jeunette ?

Pouvais-je plaire ? Plaire à d'autres que des infidèles en rut ou des adolescents pré pubères ?

Comment s'aimer quand l'un de nos parents, voire les deux, ne nous aiment pas ?

Ma mère souffrait en me voyant car mon visage se modelait comme celui de l'homme qui l'avait tant brutalisée émotionnellement. Mon père ne m'aimait pas assez pour me recontacter et assumer son rôle de parent.

Comment vivre, comment espérer entretenir des relations avec des gens, alors qu'on est incapable de se regarder dans le miroir sans détester ce qu'on y voit ?

Je n'étais pas Kalie. J'étais la fille de Caïn. J'étais la copie, presque le clone d'une autre. J'étais une erreur, un péché, une abomination selon Dieu et ses sbires.

Je n'étais pas une jeune étudiante, j'étais le mouton noir de la famille. Mon identité se résumait à ça : la tare de l'humanité, la propagation de la dépravation.

Tout aurait été plus simple si je n'avais pas été là. Si j'avais sauté d'un pont ou si j'étais tout simplement morte en couche. J'aurais évité bien des soucis.

Le rhum rôtit dans mon gosier et cautérisa mes poumons. Mon entière poitrine flambait sous les effets corrodants de l'éthanol. Recrue par les gorgées abondantes qui avaient ponctuée ma solitude, je me retins au bar et évitai de me lever.

— Un v... Une cruche d'eau, s'il-vous-plaît.

Je devais lui faire de la peine, à commander verre sur verre sans aucune autre compagnie que ces liquides que j'ingurgitais.

Qu'en était-il de mes capacités à plaire ? Qu'avais-je de beau, hors un corps féminin ?

Je n'avais pas d'ami masculin à qui poser cette question, et bien que l'envie m'eut tentée, je ne pouvais débuter une telle discussion avec le barman.

Je ne pouvais tenir cette conversation en face, de toute manière.

À : Gabriel

Et si tu es resté 3 mois avec moi, c'était dans ce seul but ?

Mine de rien, cette flopée de semaines représentaient beaucoup pour moi : l'idée jusqu'alors inconcevable d'attirer, de plaire, l'idée d'être aimée, désirée. Apprendre qu'il ne me « désirait » uniquement pour m'ausculter m'avait profondément anéantie.

De : Gabriel

Je devrais répondre oui pour ne pas être banni.

Banni d'où ? Du paradis ?

De : Gabriel

Mais non. Il n'y avait pas que ça.

Malgré la pétulance douce qui se diffusait dans mon cœur, j'aurais souhaité souffrir encore d'une simple confirmation. Le haïr aurait rendu nos rapports plus évidents, moins ambigus. Malencontreusement, il restait fidèle à lui-même : adorable, bienveillant...

À : Gabriel

Honnêtement, tu aurais pu m'aimer ?

De : Gabriel

Je te l'ai déjà dit... Dans d'autres circonstances, sans doute.

À : Gabriel

C'est faux, je suis moche.

De : Gabriel

Bon sang ne dis plus ça ! Tu es magnifique !

À : Gabriel

De toute manière tu étais trop beau pour moi.

De : Gabriel

Ce n'est pas une question de physique Kalie. Tu es à mon goût mais mon rôle d'ange ce n'est pas ça.

À : Gabriel

Alors quoi, tu me baises, tu check la marque et tu remontes au paradis ? Un ange c'est pas censé être pur, d'ailleurs ?

De : Gabriel

Jamais je ne t'aurais « baisée », que ce soit bien clair. Faire l'amour, peut-être, mais tu n'es pas un objet sexuel. Pour l'acte, il faut des sentiments.

À : Gabriel

Alors pour le sexe tu es puritain mais pour ce qui est de mentir, zéro souci ? En fait dans la religion vous interprétez tout et vous gardez ce qui vous arrange.

De : Gabriel

Est-ce qu'il y a un truc que tu ne me reproches pas ?

À : Gabriel

Non.

De : Gabriel

Ah bah génial.

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