Chapitre 25

— Mais... Elle est morte de chagrin quand il s'est évaporé sans plus donner de signe de vie. J'ai vu dépérir ma mère à cause de lui, et ai dû lui faire mes adieux en quatre mois. Il n'a même pas daigné se présenter aux obsèques.

Sans vouloir l'acquitter, il était probablement en détention, ce qui lui donnait tout au plus une excuse potable pour louper l'évènement.

Je frémis en imaginant ce que les services ailés avaient pu lui infliger.

— S'il t'a appelée Kalie... J'ose penser qu'il n'a pas oublié ma mère. Il n'est peut-être pas le monstre d'insensibilité que je pensais.

Non... Il était bien pire.

— Vit-il avec toi ?

— Vivait, corrigeai-je. Il est parti quand j'avais sept ans.

— Je retire ce que j'ai dit juste avant... Tu n'as plus aucune nouvelle ?

— Je pensais que vous en auriez mais apparemment il n'a gardé aucun contact avec ses amis de l'époque.

— Il a pourtant toujours été très sociable.

Toujours ? Relatif. Tuer son frère n'était pas le signe d'une sociabilité aux normes contemporaines.

Il était temps pour moi de partir.

— Je suis désolée d'avoir remué ces souvenirs. Il vous a causé du tort, je n'aurais pas dû jouer ma curieuse. Il est légitime de se poser des questions, me réconforta-t-elle. Je ne le connaissais pas tant que cela... Il veillait sur ma mère, c'est tout ce qui m'importait. Après le décès de son mari, en plus d'être veuve elle s'est retrouvée malade et invalide.

Et si tout cela était lié à lui ? Après tout, les drames familiaux que j'entendais avaient pour seul dénominateur commun le passage de mon père. Il répandait la malédiction. Il damnait son entourage et le réduisait au deuil, aux remords et à la mort.

Le seul point positif dans toute cette histoire, s'il était politiquement correct d'employer le terme positif, était que j'avais au moins la réponse à une question : la marque ne rendait pas immortelle.

J'étais rebutée à recontacter Gabriel mais il était mon ultime recours, ma dernière chance. Aussitôt en tête à tête avec mon volant, je libellai :

À : Gabriel

C'est bon, je te crois. Maintenant, retrouvons-le.

J'avais tout de même une dernière visite à faire.

De : Gabriel

Réfléchis-y encore. Je te remercie de ta confiance. Contacte-moi quand tu seras sûre de toi.

Je gratifiai mon corps moite de gerbes de déodorant et inspirai trois fois avant de parcourir l'allée sauvage de la troisième et dernière adresse.

Je sonnai, fixai la trouée. Lorsque l'accès me fut ouvert, mon regard croula : la tête de mon hôte se situait bien plus en bas car il s'agissait d'une chétive fillette, les cheveux en couettes. Elle mastiquait bruyamment, un bonbon peut-être, un sourcil levé, tout en me dévisageant.

— Bonjour toi ! clamai-je en me baissant pour être à sa hauteur.

— Z'êtes qui ? Ma maman m'a dit de ne pas ouvrir aux inconnus.

Je pouffai. Encore un loupiot très obéissant.

— Ta maman est là ?

— Elle est au téléphone.

— Louloute ! Que t'ai-je dit avec la porte ?!

Une mère furibonde surgit et toisa sa progéniture.

— Pardon maman...

L'adulte caressa la joue de sa fille tendrement :

— Ce n'est rien, mais penses-y la prochaine fois.

Elle me fit face et me tendit la main. Je la serrai en retour.

— Excusez-moi. Bonjour ! m'accueillit-elle.

— Bonjour. Ne vous inquiétez pas.

— Je ne crois pas vous connaître...

L'enfant retourna dans la maison, sans doute pour y jouer. J'étudiai la svelte mère, une brune élégante tout ce qu'il y avait d'ordinaire mais extrêmement élancée. Sa jeunesse ne faisait aucun doute.

— Je m'appelle Kalie, me présentai-je. Est-ce vous ?

Je tendis la feuille. Elle n'était sans doute pas la personne que je cherchais, mais j'espérais qu'elle soit une descendante.

Elle s'attarda sur le dernier nom qui n'était pas raturé et secoua la tête :

— Non, j'en suis navrée, ce n'est pas moi. C'était l'ancien propriétaire, il a déménagé il y a des années.

— Avez-vous son numéro ou une adresse ? C'était un ami à mon père...

— Non... Désolée.

— Ce n'est pas grave.

Je rangeai le papier dans mon sac en ravalant ma déception.

— Vous avez une charmante petite fille, déclarai-je.

— Oui... Merci.

— Merci à vous de m'avoir éclairée. Pardonnez-moi pour le dérangement, passez une bonne journée.

— Au revoir. J'espère que vous le retrouverez...

Je ne me faisais guère d'idée à ce sujet. Personne ne savait où Caïn se terrait. Il me fallait aborder les prospections différemment.

Le quotidien reprit sa monotonie : je fus à nouveau réveillée par un klaxon disgracieux Myriam et moi, nous retournâmes au studio. Je renouai avec ma vie sociale comme si j'en avais été coupée des années durant.

Myriam s'était tenue informée de mes visites et partageait ma déconvenue. Aussi fit-elle son maximum pour me sortir de mes pensées abattues. Malgré les jours qui s'effrangeaient, je demeurais saisie de torpeur.

De : Mymy

Tu veux venir ce soir ?

À : Mymy

Il y a quoi ?

De : Mymy

Je rêve, tu as oublié la soirée avec l'équipe... On n'a pas arrêté d'en parler avec Amber hier !

À : Mymy

Je n'ai pas dû retenir, désolée.

De : Mymy

Je vois ça oui.

Je sentais comme un léger reproche dans son message. Le point, peut-être. Ça fait beaucoup, un point.

De : Mymy

Bon, alors tu viens ?

À : Mymy

JSP.

De : Mymy

Tu as un truc ? Gab ? Ton père ?

De : Mymy

Pitié dis-moi que c'est pas ton père.

À : Mymy

Ma vie ne tourne pas autour de lui.

Faux. Entièrement faux, pour le coup.

De : Mymy

Ravie de l'apprendre. Je passe te prendre à dix-neuf heures.

Dépitée par la sauvagerie de mes cheveux, j'abandonnai leur brossage et nouai un bandana rouge sur ma tête pour seule coiffure. En accord avec la couleur vive du bandeau, je répartis du carmin sur mes lèvres.

Dix traits d'eyeliner ratés ne suffirent pas à me décourager et je parvins à obtenir presque le même résultat sur chaque œil.

Je me dandinai dans ma robe noire moulante et enfilai des talons citadins.

J'anticipai la catastrophe en hélant depuis la fenêtre que j'étais prête à Myriam, avant même qu'elle n'arrête sa voiture.

— Je descends ! C'est bon !

Ma mère m'intercepta à la sortie de la salle de bain :

— Tu sors ?

— Oui ! Myriam m'attend.

Joyeuse, je l'embrassai sur la joue et m'éclipsai rapidement.

Myriam immobilisa sa berline en face d'une villa où orbitait une dense armada de femmes d'affaires onéreusement accoutrées et sortit en laissant les clefs et le moteur allumé.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? m'inquiétai-je.

Un adolescent s'assit sur le siège conducteur et me fixa. Je rejoignis abiye mon acolyte.

— Un voiturier ? Mais tu m'emmènes où ?

— Là.

Presque théâtralement, elle ouvrit les bras pour me présenter labâtisse.

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