Chapitre 22
— Il était un mari extraordinaire. Grâce à lui, j'avais confiance en moi, j'avais de l'ambition, et je m'épanouissais dans mon couple.
— Quel genre de père était-il ?
— Il savait y faire avec les bébés, rit-elle. Plus que moi !
— Comme s'il avait déjà fait ça de nombreuses fois...
Elle acquiesça, ses lèvres s'incurvèrent en une béatitude nostalgique.
— Protecteur. Tellement cajoleur malgré sa carrure de grizzli. Quand il t'avait dans les bras, il n'était plus le même homme.
Une dernière question me taraudait. La réponse allait être décisive.
— Comment s'appelait-il ?
— Kane.
Kane... Kane et Caïn étaient diamétralement proches. Je pouvais concevoir qu'il ait voulu changer de nom, après des millénaires...
— Et il n'avait pas d'amis ? Pas un ?
— Si, bien sûr !
— Tu as leurs noms ??
Elle acquiesça, dénicha une feuille et un crayon où elle inscrivit les homonymes. Elle me confia le tout. Trois, cela ne faisait pas beaucoup.
— Ce sont les seuls dont je me souviens, s'acquitta-t-elle.
Nous passâmes l'après-midi à grignoter devant des téléfilms ringards, enroulées dans des couvertures pour le confort et dans la ligne de mire du ventilateur pour la fraîcheur. Je consultai régulièrement mon cellulaire, mais ma cousine ne donnait plus signe de vie.
Le papier bruissa dans ma poche et mon index s'attarda dessus. J'avais initié mon deuil, mais une telle aide ne devait-elle pas me faire revenir sur mon choix ? N'était-ce pas un signe ? Après tout, si je finissais par croire en l'existence de Dieu, je pouvais sans problème concéder qu'il s'adressait aux humains par messages divins.
Myriam m'aurait peut-être davantage soutenue si je lui avais dit la vérité, toute la vérité. Mais j'avais tu les détails surnaturels. Myriam devait voir pour croire, elle n'aurait pas été convaincue. Ou alors n'étais-je pas moi-même convaincue et ne pouvais-je donc pas lui en parler comme acté ?
Comme en réponse à mes interrogations, au moment du souper, un message de sa part s'afficha :
De : Mymy
Excuse-moi, j'ai été un peu vache avec toi. Tout ce tournage me stresse mais je n'ai pas le droit de me justifier car j'ai été odieuse. Tu n'es pas égoïste, tu as besoin de réponses et j'aurais dû le comprendre. C'est soudain, inattendu, je ne saisis pas pourquoi ça te prend maintenant. M'as-tu réellement tout dit ?
Pardonne-moi je t'en prie. Prenons un verre ce soir si ça te dit, pour discuter.
À : Mymy
Entendu. Je te pardonne. J'ai moi-même largement abusé...
Je rajoutai avec fièvre :
À : Mymy
Et non, je ne t'ai pas tout dit... Mais je n'ai aucune preuve alors je ne peux pas t'en parler.
De : Mymy
J'ai confiance en toi Kalie. Je te crois. Ce soir, au bar à l'angle ?
À : Mymy
Tu n'as pas de tournage ?
De : Mymy
Non, j'ai tourné mes séquences déjà.
À : Mymy
Alors à dans une heure, bisous.
Mes enjambées avalèrent à tire-d'aile la distance qui me séparait de ma cousine à l'heure de notre rendez-vous. Étonnamment, Myriam était déjà là ; ses boucles humides rassemblées en un chignon dépenaillé faisaient foi de sa douche récente. Elle m'attendait, deux menus en main, et se leva en m'apercevant.
— Ça va ?
— Oui et toi ?
Cette simple formalité avant de prendre place instaura un climat cordial. Nous nous étudiâmes comme si nous nous découvrions pour le premier jour. Je me demandai si j'allais ressentir la même chose en voyant mon père. Si ce miracle arrivait un jour.
Myriam s'occupa de commander, et elle sut quoi me prendre pour me faire plaisir. Comme toujours.
Jusqu'à l'arrivée du serveur, je fus incapable de prononcer un mot. Trop émue, trop intimidée, trop dépassée...
— Que dois-tu me dire alors ? commença-t-elle en sirotant son soda fraîchement servi.
Elle plongea ses yeux dans les miens. Captivée par l'intensité que j'y lisais, je ne pus détacher mon attention de ses rétines inquisitrices.
— Promets-moi de ne pas fuir.
Sa main se posa sur la mienne et en apaisa les tremblements.
— Fais-moi confiance, chuchota-t-elle. Je sais que c'est dur pour toi mais tu peux.
Je tournai la langue sept fois dans ma bouche, lentement, comme si ce dicton allait me sauver d'une bêtise.
Qu'importe la formulation, l'effet allait être le même : Myriam allait rire, d'agacement ou d'hilarité. Elle semblait personnellement persuadée du contraire :
— Kalie... Je peux tout entendre.
Implorante, ma voix s'éleva plus haut que le mur protecteur que j'avais érigé, plus haut que cette barrière qui m'éloignait de cet instant précis :
— Kane. Mon père. C'est pas celui qu'on croyait.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Son véritable nom est Caïn.
Ma cousine n'était pas une adepte de la religion et des légendes bibliques, aussi précisai-je :
— C'est un monstre.
— Un... monstre... C'est-à-dire ?
— Ce qu'il a fait est inhumain et sa présence est anormale. Pour te résumer...
Les phrases s'enchaînèrent dans un débit effréné. Mes pensées en vrac la percutèrent de plein fouet, sans tact ni filtre. Mes bras s'agitaient, accompagnant mon récit irréaliste de gestes imitateurs.
De Gabriel à la marque, des clichés au portrait que je lui montrai en preuves, de mon agression à tous les détails qui affermissaient mes soupçons improbables, je lui fis une synthèse exhaustive.
Elle entrouvrit la bouche à plusieurs reprises mais me laissa respectueusement terminer mon histoire. Un rictus bienveillant et attentif figeait ses traits, ce qui m'encouragea à continuer.
La fin de mon monologue s'étendit en un lourd blanc avant qu'elle souffle et me soulage :
— Bon. D'accord.
Elle apposa ses lèvres sur la paille et aspira le contenu sucré de son verre.
— Je ne sais pas quoi te dire, honnêtement.
— Je comprends...
— Mais je te crois.
— Vraiment ?
— Oui. Tu n'aurais pas pu inventer tout ça et je vois que ça te touche. Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé avant ?
— J'avais peur que... tu ne réagisses pas comme maintenant.
Elle se leva pour me prendre dans ses bras.
— Je t'aime Kalie.
— Tu n'es pas trop choquée ?
— Si, totalement. Mais tu as dû l'être plus que moi.
— Il est vrai que...
— Oh pardon Kal'.... je ne t'ai pas soutenue. Je ne pensais pas...
— On se rattrape... On ne sait pas communiquer.
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